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Corte europea dei diritti dell’uomo (Sezione II), 13 novembre 2007

(requĂȘte  no 399/02 )

 

AFFAIRE BOCELLARI ET RIZZA c. ITALIE

 

 

DÉFINITIF

02/06/2008

Cet arrĂȘt deviendra dĂ©finitif dans les conditions dĂ©finies Ă  l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 

En l'affaire Bocellari et Rizza c. Italie,

La Cour europĂ©enne des Droits de l'Homme (deuxiĂšme section), siĂ©geant en une chambre composĂ©e de :

Mme F. Tulkens, prĂ©sidente, 
MM. A.B. Baka, 
I. Cabral Barreto, 
M. Ugrekhelidze, 
V. Zagrebelsky, 
Mme A. Mularoni, 
M. D. Popović, juges, 
et de Mme S. Dollé, greffiÚre de section,

AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 octobre 2007,

Rend l'arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requĂȘte (no 399/02) dirigĂ©e contre la RĂ©publique italienne et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Gianfranco Bocellari et Mme Wilma Rizza (« les requĂ©rants Â»), ont saisi la Cour le 17 dĂ©cembre 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des LibertĂ©s fondamentales (« la Convention Â»).

2.  Les requĂ©rants sont reprĂ©sentĂ©s par Me M. de Stefano, avocat Ă  Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement Â») est reprĂ©sentĂ© par son agent, M. I. M. Braguglia, et par son coagent adjoint, M. N. Lettieri.

3.  Les requĂ©rants allĂ©guaient le manque de publicitĂ© de la procĂ©dure pour l'application des mesures de prĂ©vention au premier requĂ©rant, suspectĂ© d'appartenir Ă  une association de type mafieux, ayant entrainĂ© la confiscation de leurs biens.

4.  Par une dĂ©cision du 16 mars 2006, la Cour a dĂ©clarĂ© la requĂȘte recevable.

5.  Tant les requĂ©rants que le Gouvernement ont dĂ©posĂ© des observations Ă©crites sur le fond de l'affaire (article 59 Â§ 1 du rĂšglement).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

6.  Les requĂ©rants sont nĂ©s en 1960 et rĂ©sident Ă  Milan.

La procédure pénale menée contre le premier requérant

7.  En 1997, des poursuites furent entamĂ©es contre le premier requĂ©rant, avocat spĂ©cialisĂ© en droit pĂ©nal, pour association de malfaiteurs visant le trafic de stupĂ©fiants, usure et blanchissement d'argent.

8.  Le 20 mai 1997, le juge des investigations prĂ©liminaires de Milan ordonna le placement du requĂ©rant en dĂ©tention provisoire. Le requĂ©rant fut arrĂȘtĂ© le mĂȘme jour. Le 4 mars 1998, il fut renvoyĂ© en jugement devant le tribunal de Milan. Par un jugement du 30 septembre 2000, le tribunal de Milan relaxa le requĂ©rant quant aux chefs d'accusation d'usure et blanchissement d'argent et le condamna pour le restant des chefs d'accusation Ă  une peine de huit ans et huit mois d'emprisonnement. Le requĂ©rant interjeta appel. Par un arrĂȘt du 20 dĂ©cembre 2001, la cour d'appel de Milan acquitta le requĂ©rant car il n'avait pas commis les infractions qui lui Ă©taient reprochĂ©es (« per non aver commesso il fatto Â»). Le 17 septembre 2002, le pourvoi en cassation prĂ©sentĂ© par le reprĂ©sentant du parquet fut rejetĂ© et l'arrĂȘt du 20 dĂ©cembre 2001 devint dĂ©finitif.

La saisie et la confiscation des biens des requérants

9.  ParallĂšlement, en raison des soupçons qui pesaient sur le requĂ©rant et qui donnaient Ă  penser qu'il Ă©tait membre d'une organisation criminelle visant le trafic de stupĂ©fiants, le 2 mars 1999, le parquet de Milan entama une procĂ©dure en vue de l'application des mesures de prĂ©vention Ă©tablies par la loi no 575 de 1965, telle que modifiĂ©e par la loi no 646 du 13 septembre 1982. Le parquet demanda Ă©galement la saisie anticipĂ©e de certains biens dont le requĂ©rant disposait.

10.  Par une ordonnance du 10 mars 1999, la chambre du tribunal de Milan spĂ©cialisĂ©e dans l'application des mesures de prĂ©vention ordonna la saisie de nombreux biens, notamment plusieurs comptes et titres bancaires, dont les deux requĂ©rants Ă©taient titulaires, des voitures de luxe, dont l'une appartenant Ă  la mĂšre du requĂ©rant, et trois immeubles appartenant Ă  la requĂ©rante, parmi lesquels figurait la maison familiale du couple. Enfin, le tribunal ordonna la saisie d'un livret bancaire dont Ă©tait titulaire la fille mineure des requĂ©rants.

11.  Le tribunal prĂ©cisa qu'il y avait lieu de fixer une audience Ă  laquelle le requĂ©rant avait le droit de participer. En outre, le tribunal invita Ă  intervenir dans la procĂ©dure, en tant que tierces personnes touchĂ©es par la mesure, la requĂ©rante, en son nom propre et pour le compte de sa fille, et la mĂšre du requĂ©rant. Les intĂ©ressĂ©es avaient la facultĂ© de prĂ©senter des observations pour dĂ©fendre leurs intĂ©rĂȘts.

12.  Par la suite, la procĂ©dure devant la chambre spĂ©cialisĂ©e dans l'application des mesures de prĂ©vention se dĂ©roula en chambre du conseil. Les deux requĂ©rants, reprĂ©sentĂ©s par un avocat de leur choix, participĂšrent Ă  la procĂ©dure.

13.  L'audience fut fixĂ©e au 4 juin 1999. Le jour venu, les requĂ©rants demandĂšrent un ajournement afin de prendre connaissance des actes dĂ©posĂ©s auprĂšs du greffe du parquet et de prĂ©parer leur dĂ©fense. L'audience fut renvoyĂ©e au 17 septembre 1999. Le jour venu, les requĂ©rants demandĂšrent Ă  nouveau un ajournement afin d'organiser leur dĂ©fense. Le tribunal renvoya l'audience au 12 novembre 1999. Par ailleurs, le dĂ©lai pour dĂ©poser les mĂ©moires de dĂ©fense et les documents pertinents fut fixĂ© au 11 octobre 1999. Le jour venu, les requĂ©rants dĂ©posĂšrent un mĂ©moire ainsi que plusieurs documents concernant leurs activitĂ©s professionnelles, et le parquet dĂ©posa les procĂšs-verbaux de certaines interceptions tĂ©lĂ©phoniques et de l'interrogatoire d'un dĂ©tenu entendu comme personne ayant connaissance de faits utiles pour les investigations (« persona informata sui fatti Â»).

14.  Lors de l'audience du 12 novembre 1999, le parquet dĂ©posa quatre chemises de documents concernant la procĂ©dure pĂ©nale contre le premier requĂ©rant. Les requĂ©rants s'y opposĂšrent. Le tribunal rejeta l'opposition des requĂ©rants, au motif qu'une grande partie des documents avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© versĂ©e au dossier par la dĂ©fense des requĂ©rants et Ă©tait dĂ©jĂ  connue de ces derniers.

15.  Par une ordonnance du mĂȘme jour, la chambre du tribunal de Milan spĂ©cialisĂ©e dans l'application des mesures de prĂ©vention dĂ©cida de soumettre le premier requĂ©rant Ă  la mesure de la libertĂ© sous contrĂŽle de police et ordonna son assignation Ă  rĂ©sidence dans la commune de Milan pour une durĂ©e de cinq ans. La chambre ordonna en outre la confiscation des biens des requĂ©rants prĂ©cĂ©demment saisis.

16.  Le tribunal estima nĂ©cessaire d'examiner les faits faisant l'objet de la procĂ©dure pĂ©nale en cours contre le requĂ©rant, afin d'Ă©tablir l'existence d'indices sĂ©rieux de son appartenance Ă  une association de type mafieux pouvant justifier l'application de mesures de prĂ©vention. Il affirma que, Ă  la lumiĂšre des nombreux indices Ă  la charge du requĂ©rant, il y avait lieu de constater la participation du requĂ©rant aux activitĂ©s de l'association de malfaiteurs et le danger social qu'il prĂ©sentait.

17.  Le tribunal souligna que le requĂ©rant avait des moyens financiers disproportionnĂ©s par rapport Ă  ses activitĂ©s professionnelles et aux revenus dĂ©clarĂ©s.

18.  Il observa qu'il Ă©tait difficile de reconstituer la chronologie des diffĂ©rentes activitĂ©s professionnelles menĂ©es par le requĂ©rant et son Ă©pouse. En tout Ă©tat de cause, il affirma qu'une « interposition de personne Â» (« interposizione fittizia Â») avait eu lieu et que la requĂ©rante n'Ă©tait que titulaire apparente des immeubles et des comptes bancaires saisis, ces biens appartenant en rĂ©alitĂ© au requĂ©rant.

19.  Le requĂ©rant interjeta appel contre l'ordonnance du 12 novembre 1999. Il allĂ©gua que le tribunal n'avait pas dĂ»ment Ă©tabli la provenance illĂ©gitime des biens confisquĂ©s, qu'il avait commis des erreurs de fait et que la dangerositĂ© sociale n'Ă©tait pas prouvĂ©e.

20.  Par une ordonnance du 23 octobre 2000, prononcĂ©e en chambre du conseil en prĂ©sence des deux requĂ©rants, la chambre compĂ©tente de la cour d'appel de Milan modifia partiellement l'ordonnance du 12 novembre 1999. En particulier, elle rĂ©duisit Ă  quatre ans la mesure de la libertĂ© sous contrĂŽle de police et de l'assignation Ă  rĂ©sidence dans la commune de Milan du premier requĂ©rant et rĂ©voqua la confiscation du livret bancaire appartenant Ă  la fille des requĂ©rants et de la maison familiale, celle-ci ayant Ă©tĂ© acquise avant la commission du dĂ©lit d'association de malfaiteurs.

21.  La cour d'appel confirma la dĂ©cision de premiĂšre instance pour le reste. Elle observa notamment que la chambre spĂ©cialisĂ©e du tribunal de Milan avait conclu que le requĂ©rant prĂ©sentait un danger social en raison des rapports privilĂ©giĂ©s qu'il entretenait avec ses clients, membres d'une association de malfaiteurs visant le trafic de stupĂ©fiants. De plus, faute de documentation prĂ©cise concernant ses moyens financiers, il s'avĂ©rait impossible d'Ă©valuer les profits rĂ©els que le requĂ©rant avait tirĂ©s de certaines consultations en tant qu'avocat. Elle observa que l'article 2 ter § 3 de la loi no 575 de 1965 donnait au tribunal le droit d'ordonner la confiscation des biens saisis si leur provenance lĂ©gale n'avait pas Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©e.

22.  La juridiction d'appel estima que la disproportion existant entre la valeur des biens saisis et les activitĂ©s lĂ©gales exercĂ©es prouvait l'origine illicite des fonds employĂ©s. Les intĂ©ressĂ©s n'ayant pas fourni d'Ă©lĂ©ments susceptibles de prouver le contraire, la cour d'appel considĂ©ra que l'allĂ©gation selon laquelle les sommes versĂ©es pour l'achat des immeubles provenaient de l'activitĂ© de la deuxiĂšme requĂ©rante et de l'activitĂ© d'avocat du premier requĂ©rant, ne se fondait sur aucun fait objectif et Ă©tait peu crĂ©dible. Elle ajouta Ă©galement que le 20 septembre 2000, le tribunal de Milan avait condamnĂ© le requĂ©rant Ă  une peine de huit ans et huit mois d'emprisonnement. Tout en soulignant que cette condamnation n'avait pas acquis l'autoritĂ© de la chose jugĂ©e, la cour d'appel considĂ©ra qu'elle prouvait l'importance des indices Ă  la charge du requĂ©rant.

23.  Le requĂ©rant se pourvut en cassation. Il contesta l'interprĂ©tation que la cour d'appel avait donnĂ©e au paragraphe 2 ter § 3 de la loi no 575 de 1965 et allĂ©gua que la confiscation avait frappĂ© sans distinction tous ses biens immobiliers et ceux de son Ă©pouse. Il allĂ©gua enfin que la cour d'appel n'avait pas prouvĂ© la rĂ©alitĂ© de sa dangerositĂ©.

24.  Par un arrĂȘt du 28 juin 2001, dont le texte fut dĂ©posĂ© au greffe le 5 septembre 2001, la Cour de cassation, estimant que la cour d'appel de Milan avait motivĂ© d'une façon logique et correcte tous les points controversĂ©s, dĂ©bouta le requĂ©rant de son pourvoi.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

25.  La loi no 1423 du 27 dĂ©cembre 1956 prĂ©voit l'application de mesures de prĂ©vention Ă  l'encontre de « personnes dangereuses pour la sĂ©curitĂ© et pour la moralitĂ© publiques Â». Au sens de l'article 4 de ladite loi, le tribunal dĂ©cide en chambre du conseil aprĂšs avoir entendu le ministĂšre public et l'intĂ©ressĂ©, ce dernier pouvant prĂ©senter des mĂ©moires et se faire reprĂ©senter par un avocat.

26.  La loi no 575 du 31 mai 1965 a complĂ©tĂ© la loi de 1956 par des dispositions dirigĂ©es contre les personnes soupçonnĂ©es d'appartenir Ă  des associations de type mafieux. ConformĂ©ment Ă  l'article 2ter de cette loi, au cours de la procĂ©dure pour l'application des mesures de prĂ©vention Ă©tablies par la loi no 1423,

« le tribunal, mĂȘme d'office, ordonne par dĂ©cision motivĂ©e la saisie des biens dont la personne contre laquelle la procĂ©dure a Ă©tĂ© engagĂ©e dispose directement ou indirectement, quand il y a lieu d'estimer, sur la base d'indices suffisants, tels que la disproportion considĂ©rable entre le train de vie et les revenus apparents ou dĂ©clarĂ©s, que ces biens constituent le profit d'activitĂ©s illicites ou son remploi. Avec l'application de la mesure de prĂ©vention, le tribunal ordonne la confiscation des biens saisis dont la provenance lĂ©gitime n'a pas Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©e. (...) La saisie est rĂ©voquĂ©e par le tribunal lorsque la demande d'application de la mesure de prĂ©vention est rejetĂ©e ou lorsque la provenance lĂ©gitime des biens est dĂ©montrĂ©e.

S'il ressort que les biens saisis appartiennent Ă  des tiers, ces derniers sont invitĂ©s par le tribunal Ă  intervenir dans la procĂ©dure et peuvent, mĂȘme avec l'assistance d'un avocat, prĂ©senter en chambre du conseil leurs observations et demander Ă  verser au dossier tout Ă©lĂ©ment utile aux fins de la dĂ©cision de confiscation.  Â»

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

27.  Les requĂ©rants se plaignent du manque de publicitĂ© de la procĂ©dure devant les chambres du tribunal et de la cour d'appel spĂ©cialisĂ©es dans l'application des mesures de prĂ©vention. Ils invoquent l'article 6 § 1 de la Convention qui, dans ses parties pertinentes, se lit comme suit :

« Toute personne a droit Ă  ce que sa cause soit entendue Ă©quitablement, publiquement (...), par un tribunal indĂ©pendant et impartial, Ă©tabli par la loi, qui dĂ©cidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractĂšre civil (...). Le jugement doit ĂȘtre rendu publiquement, mais l'accĂšs de la salle d'audience peut ĂȘtre interdit Ă  la presse et au public pendant la totalitĂ© ou une partie du procĂšs dans l'intĂ©rĂȘt de la moralitĂ©, de l'ordre public ou de la sĂ©curitĂ© nationale dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, lorsque les intĂ©rĂȘts des mineurs ou la protection de la vie privĂ©e des parties au procĂšs l'exigent, ou dans la mesure jugĂ©e strictement nĂ©cessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spĂ©ciales la publicitĂ© serait de nature Ă  porter atteinte aux intĂ©rĂȘts de la justice Â».

1.  Arguments des parties

28.  Les requĂ©rants soutiennent que l'absence d'une audience publique n'Ă©tait pas justifiĂ©e en l'espĂšce. Ils font valoir tout d'abord qu'aucune exigence liĂ©e au respect de la vie privĂ©e de tierces personnes ne subsistait en l'espĂšce, puisqu'aucun tĂ©moin n'avait Ă©tĂ© invitĂ© Ă  comparaĂźtre dans la procĂ©dure. Quant Ă  eux, ils n'ont jamais invoquĂ© la protection de leur vie privĂ©e devant les autoritĂ©s compĂ©tentes.

29.  En outre, ils soutiennent que, contrairement Ă  ce que la Cour avait relevĂ© dans l'affaire Varela Assalino (Varela Assalino c. Portugal (dĂ©c.), no 64336/01, 25 avril 2002), les faits de la cause n'Ă©taient guĂšre Ă©tablis en l'espĂšce, et l'affaire n'Ă©tait pas consacrĂ©e exclusivement Ă  des questions de droit. Bien au contraire, pendant les dĂ©bats litigieux, la dĂ©fense des requĂ©rants a Ă©tĂ© confrontĂ©e aux mĂȘmes Ă©lĂ©ments Ă  charge qui faisaient l'objet du procĂšs pĂ©nal menĂ© parallĂšlement devant le tribunal de Milan et sur lesquels l'autoritĂ© judiciaire appuya la condamnation du premier requĂ©rant pour le dĂ©lit d'association de malfaiteurs.

30.  Le Gouvernement souligne que le droit invoquĂ© par les requĂ©rants n'est pas un droit absolu au sens de la Convention et fait rĂ©fĂ©rence aux dĂ©rogations Ă  la publicitĂ© des dĂ©bats prĂ©vues par la deuxiĂšme phrase de l'article 6 § 1 de la Convention et prĂ©cisĂ©es par la jurisprudence de la Cour en la matiĂšre (Schuler-Zgraggen c. Suisse, arrĂȘt du 24 juin 1993, sĂ©rie A no 263, § 58).

31.  Il affirme que l'absence d'audience publique est justifiĂ©e en l'espĂšce par la nature des questions Ă  trancher. Il insiste sur la nature hautement technique des procĂ©dures pour l'application des mesures de prĂ©vention patrimoniales, basĂ©es essentiellement sur des documents et dans lesquelles le public ne peut exercer aucun contrĂŽle. En effet, ces procĂ©dures consistent notamment en des enquĂȘtes financiĂšres approfondies, menĂ©es, par le biais d'expertises comptables complexes auprĂšs de banques et d'autres Ă©tablissements de crĂ©dit, dans le but de reconstituer le patrimoine du prĂ©venu et dĂ©terminer ainsi l'Ă©ventuelle origine illĂ©gale des biens.

32.  Le Gouvernement soutient ensuite que des tierces personnes sont souvent impliquĂ©es dans ce type de procĂ©dure en tant que prĂȘte-noms. Ces tiers ne sont pas mis en cause directement dans la procĂ©dure et sont invitĂ©s Ă  comparaĂźtre devant l'autoritĂ© judiciaire seulement en raison de leur droit de propriĂ©tĂ© formel sur un ou plusieurs biens.

Or, l'Ă©pouse, la fille mineure et la mĂšre du requĂ©rant ont Ă©tĂ© touchĂ©es par la confiscation et ont Ă©tĂ© mĂȘlĂ©es, malgrĂ© elles, Ă  la procĂ©dure. Le Gouvernement considĂšre que le respect de la vie privĂ©e de ces personnes constitue une raison valable pour limiter la publicitĂ© des dĂ©bats et soutient que la protection de certaines catĂ©gories de personnes, tels que les mineurs, doit ĂȘtre assurĂ©e par l'Etat et ne peut faire l'objet de renonciation que dans des situations particuliĂšres.

33.  Le Gouvernement souligne enfin que le dĂ©roulement en chambre du conseil des procĂ©dures pour l'application de la confiscation est expressĂ©ment prĂ©vu par la loi no 1423 de 1956 et ne relĂšve pas d'une dĂ©cision discrĂ©tionnaire du tribunal. Il ajoute qu'une Ă©ventuelle demande des requĂ©rants tendant Ă  obtenir la publicitĂ© des dĂ©bats aurait Ă©tĂ© trĂšs probablement rejetĂ©e au sens de cette mĂȘme loi.

2.  ApprĂ©ciation de la Cour

34.  La Cour rappelle que la publicitĂ© de la procĂ©dure des organes judiciaires visĂ©s Ă  l'article 6 § 1 protĂšge les justiciables contre une justice secrĂšte Ă©chappant au contrĂŽle du public (voir, Riepan c. Autriche, no 35115/97, § 27, CEDH 2000-XII) ; elle constitue aussi l'un des moyens de prĂ©server la confiance dans les cours et tribunaux. Par la transparence qu'elle donne Ă  l'administration de la justice, elle aide Ă  rĂ©aliser le but de l'article 6 § 1 : le procĂšs Ă©quitable, dont la garantie compte parmi les principes de toute sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique au sens de la Convention (voir parmi de trĂšs nombreux autres, Tierce et autres c. Saint-Marin, nos 24954/94, 24971/94 et 24972/94, § 92, CEDH 2000-IX).

35.  L'article 6 § 1 ne fait cependant pas obstacle Ă  ce que les juridictions dĂ©cident, au vu des particularitĂ©s de la cause soumise Ă  leur examen, de dĂ©roger Ă  ce principe : aux termes mĂȘmes de cette disposition, « (...) l'accĂšs de la salle d'audience peut ĂȘtre interdit Ă  la presse et au public pendant la totalitĂ© ou une partie du procĂšs dans l'intĂ©rĂȘt de la moralitĂ©, de l'ordre public ou de la sĂ©curitĂ© nationale dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, lorsque les intĂ©rĂȘts des mineurs ou la protection de la vie privĂ©e des parties au procĂšs l'exigent, ou dans la mesure jugĂ©e strictement nĂ©cessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spĂ©ciales la publicitĂ© serait de nature Ă  porter atteinte aux intĂ©rĂȘts de la justice Â» ; le huis clos, qu'il soit total ou partiel, doit alors ĂȘtre strictement commandĂ© par les circonstances de l'affaire (voir, par exemple, mutatis mutandis, l'arrĂȘt Diennet c. France, du 26 septembre 1995, SĂ©rie A no 325-A, § 34).

36.  Par ailleurs, la Cour a jugĂ© que des circonstances exceptionnelles, tenant Ă  la nature des questions soumises au juge dans le cadre de la procĂ©dure dont il s'agit (voir, mutatis mutandis, l'arrĂȘt Miller c. SuĂšde du 8 fĂ©vrier 2005, no 55853/00, § 29), peuvent justifier de se dispenser d'une audience publique (voir en particulier l'arrĂȘt Göç c. Turquie [GC], n36590/97, CEDH 2002-V, Â§ 47). Elle considĂšre ainsi, par exemple, que le contentieux de la sĂ©curitĂ© sociale, hautement technique, se prĂȘte souvent mieux Ă  des Ă©critures qu'Ă  des plaidoiries et que, l'organisation systĂ©matique de dĂ©bats pouvant constituer un obstacle Ă  la particuliĂšre diligence requise en matiĂšre de sĂ©curitĂ© sociale, il est comprĂ©hensible que dans un tel domaine les autoritĂ©s nationales tiennent compte d'impĂ©ratifs d'efficacitĂ© et d'Ă©conomie (voir, par exemple, les arrĂȘts Miller et Schuler-Zgraggen prĂ©citĂ©s). Il y a lieu cependant de souligner que, dans la plupart des affaires concernant une procĂ©dure devant des juridictions « civiles Â» statuant au fond dans lesquelles elle est arrivĂ©e Ă  cette conclusion, le requĂ©rant avait eu la possibilitĂ© de solliciter la tenue d'une audience publique.

37.  Comme la Cour l'a affirmĂ© dans l'affaire Martinie (Martinie c. France [GC], no 58675/00, CEDH 2006-...), la situation est diffĂ©rente lorsque, tant en appel qu'en premiĂšre instance, une procĂ©dure « civile Â» au fond se dĂ©roule Ă  huis clos en vertu d'une rĂšgle gĂ©nĂ©rale et absolue, sans que le justiciable ait la possibilitĂ© de solliciter une audience publique en faisant valoir les particularitĂ©s de sa cause. Une procĂ©dure se dĂ©roulant ainsi ne saurait en principe passer pour conforme Ă  l'article 6 § 1 de la Convention : sauf circonstances tout Ă  fait exceptionnelles, le justiciable doit au moins avoir la possibilitĂ© de solliciter la tenue de dĂ©bats publics, le huis clos pouvant alors cependant lui ĂȘtre opposĂ©, au regard des circonstances de la cause et pour les motifs rappelĂ©s plus haut (voir Martinie, prĂ©citĂ©, § 42).

38.  En l'espĂšce, le dĂ©roulement en chambre du conseil des procĂ©dures visant l'application des mesures de prĂ©vention, tant en premiĂšre instance qu'en appel, est expressĂ©ment prĂ©vu par l'article 4 de la loi no 1423 de 1956 et les parties n'ont pas la possibilitĂ© de demander et d'obtenir une audience publique. D'ailleurs, le Gouvernement lui-mĂȘme exprime des doutes quant aux chances de succĂšs d'une Ă©ventuelle demande de dĂ©bats publics provenant des parties.

39.  La Cour est sensible au raisonnement du Gouvernement selon lequel des intĂ©rĂȘts supĂ©rieurs, tels que la protection de la vie privĂ©e de mineurs ou de tierces personnes indirectement concernĂ©es par le contrĂŽle financier, peuvent parfois entrer en jeu dans ce type de procĂ©dure. Par ailleurs, la Cour ne doute pas qu'une procĂ©dure tendant pour l'essentiel au contrĂŽle des finances et des mouvements de capitaux puisse prĂ©senter un degrĂ© Ă©levĂ© de technicitĂ©. Cependant, il ne faut pas perdre de vue l'enjeu des procĂ©dures de prĂ©vention et les effets qu'elles sont susceptibles de produire sur la situation personnelle des personnes impliquĂ©es.

40.  La Cour observe que ce genre de procĂ©dure vise l'application de la confiscation de biens et de capitaux, ce qui met directement et substantiellement en cause la situation patrimoniale du justiciable. Face Ă  un tel enjeu, on ne saurait affirmer que le contrĂŽle du public ne soit pas une condition nĂ©cessaire Ă  la garantie du respect des droits de l'intĂ©ressĂ© (voir Martinie, prĂ©citĂ©, § 43 et, Ă  contrario, Jussila c. Finlande [GC], no 73053/01, § 48, CEDH 2006-...).

41.  En rĂ©sumĂ©, la Cour juge essentiel que les justiciables impliquĂ©s dans une procĂ©dure d'application des mesures de prĂ©vention se voient pour le moins offrir la possibilitĂ© de solliciter une audience publique devant les chambres spĂ©cialisĂ©es des tribunaux et des cours d'appel.

En l'espĂšce, les requĂ©rants n'ont pas bĂ©nĂ©ficiĂ© de cette possibilitĂ©. Partant, il y a eu violation de l'article 6 Â§ 1 de la Convention.

II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

42.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour dĂ©clare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă  la partie lĂ©sĂ©e, s'il y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. Â»

A.  Dommage

43.  Les requĂ©rants rĂ©clament 90 000 EUR pour le dommage moral subi du fait de la confiscation injuste de leurs biens.

Ils affirment ensuite ĂȘtre prĂȘts Ă  renoncer Ă  cette somme si le Gouvernement s'engage Ă  rĂ©former l'article 4 de la loi no 1423 de 1956 en prĂ©voyant la publicitĂ© des audiences dans les procĂ©dures pour l'application des mesures de prĂ©vention.

44.  Le Gouvernement affirme que le constat de violation constitue en soi une rĂ©paration suffisante.

45.  En ce qui concerne les mesures gĂ©nĂ©rales demandĂ©es par les requĂ©rants, il appartient en premier lieu Ă  l'Etat en cause, sous le contrĂŽle du ComitĂ© des Ministres, de choisir les moyens Ă  mettre en Ɠuvre dans son ordre juridique interne pour s'acquitter de son obligation au regard de l'article 46 de la Convention (voir, entre autres, Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210, CEDH 2005-IV).

46.  Quant au prĂ©judice moral subi par les requĂ©rants, la Cour estime qu'il se trouve suffisamment rĂ©parĂ© par le constat de violation de l'article 6 § 1 de la Convention auquel elle parvient (voir, parmi de nombreux autres, les arrĂȘts Remli c. France, du 23 avril 1996, Recueil 1996-II, Mantovanelli c. France, du 18 mars 1997, Recueil no 1997-II, Kress, prĂ©citĂ©, Meftah et autres c. France, du 26 juillet 2002 [GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, CEDH 2002-VII, Yvon c. France, du 24 avril 2003, no 44962/98, CEDH 2003-V et Martinie, prĂ©citĂ©).

B.  Frais et dĂ©pens

47.  La requĂ©rante rĂ©clame le remboursement des frais encourus devant les juridictions internes lors de la procĂ©dure pour l'application de la confiscation, qu'elle chiffre Ă  5 000 EUR. En outre, les deux requĂ©rants conjointement demandent 5 000 EUR pour les frais de la procĂ©dure devant la Cour.

48.  Le Gouvernement affirme que les frais de la procĂ©dure nationale n'ont pas Ă©tĂ© Ă©tayĂ©s. En outre, il considĂšre excessif le montant des frais et dĂ©pens encourus dans la procĂ©dure devant la Cour.

49.  La Cour rappelle que, lorsqu'elle conclut Ă  la violation de la Convention, elle peut accorder aux requĂ©rants le paiement non seulement des frais et dĂ©pens qu'ils ont engagĂ©s devant elle, mais aussi de ceux exposĂ©s devant les juridictions internes pour prĂ©venir ou faire corriger par celles-ci ladite violation (voir, par exemple, l'arrĂȘt Hertel c. Suisse du 25 aoĂ»t 1998, Recueil 1998-VI), dĂšs lors que leur nĂ©cessitĂ© est Ă©tablie, que les justificatifs requis sont produits et que les sommes rĂ©clamĂ©es ne sont pas dĂ©raisonnables.

50.  Elle considĂšre qu'il n'y a pas lieu de rembourser Ă  la requĂ©rante les frais encourus devant les juridictions internes, car ils n'ont pas Ă©tĂ© exposĂ©s pour remĂ©dier Ă  la violation constatĂ©e. De plus, aucun justificatif n'a Ă©tĂ© produit par l'intĂ©ressĂ©e.

51.  Pour ce qui est des frais et dĂ©pens se rapportant Ă  la prĂ©sente procĂ©dure, la Cour juge excessive la demande des requĂ©rants et, statuant en Ă©quitĂ©, dĂ©cide de leur allouer, conjointement, 2 000 EUR Ă  ce titre.

C.  IntĂ©rĂȘts moratoires

52.  La Cour juge appropriĂ© de baser le taux des intĂ©rĂȘts moratoires sur le taux d'intĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne majorĂ© de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

2.  Dit que le constat de violation fournit en soi une satisfaction Ă©quitable suffisante pour le dommage moral subi par les requĂ©rants ;

3.  Dit

a)  que l'Etat dĂ©fendeur doit verser aux requĂ©rants conjointement, dans les trois mois Ă  compter du jour oĂč l'arrĂȘt sera devenu dĂ©finitif conformĂ©ment Ă  l'article 44 Â§ 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dĂ©pens, plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d'impĂŽt ;

b)  qu'Ă  compter de l'expiration dudit dĂ©lai et jusqu'au versement, ce montant sera Ă  majorer d'un intĂ©rĂȘt simple Ă  un taux Ă©gal Ă  celui de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne applicable pendant cette pĂ©riode, augmentĂ© de trois points de pourcentage ;

3.  Rejette la demande de satisfaction Ă©quitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiquĂ© par Ă©crit le 13 novembre 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du rĂšglement.

S. DollĂ© F. Tulkens
GreffiĂšre PrĂ©sidente