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Corte europea dei diritti dell’uomo

(Prima Sezione)

 

13 giugno  2019

 

En l’affaire Marcello Viola c. Italie (no 2),

 

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Linos-Alexandre Sicilianos, président,

Ksenija Turković,

Guido Raimondi,

Krzysztof Wojtyczek,

Armen Harutyunyan,

Pauliine Koskelo,

Gilberto Felici, juges,

et de Renata Degenergreffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 avril 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 77633/16) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Marcello Viola (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 décembre 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Me A. Mascia, avocat à Vérone, et par Me B. Randazzo et Me V. Onida, avocats à Milan. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son ancien agent, Mme E. Spatafora, et son coagent, Mme M. Aversano.

3.  Le requérant allègue faire l’objet d’une peine de réclusion à perpétuité incompressible, qu’il qualifie d’inhumaine et de dégradante.

4.  Le 30 mai 2017, les griefs concernant les articles 3 et 8 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

5.  Des observations ont été reçues du centre de documentation « L’altro diritto onlus » de l’université de Florence, du Réseau européen de recherche et d’action en contentieux pénitentiaire ainsi que d’académiciens et experts réunis sous la coordination de l’université de Milan, autorisés par le président à intervenir dans la procédure écrite en tant que tierces parties (article 36 § 2 de la Convention et article 44 § 3 a) du règlement de la Cour).

EN FAIT

  1. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6.  Le requérant est né en 1959 et se trouve actuellement incarcéré à la maison d’arrêt de Sulmona.

7.  Il fut impliqué dans les événements qui virent s’opposer le clan mafieux de Radicena (« la cosca Radicena ») et celui de Iatrinoli (« la cosca Iatrinoli ») à partir du milieu des années 80 et jusqu’en octobre 1996 (période définie comme étant la « seconda faida di Taurianova »).

  1. Les procédures pénales diligentées à l’encontre du requérant

8.  Le premier procès dirigé, entre autres, contre le requérant, dit « procès Marcello Viola + 24 » (procédure pénale no 144/92), couvrit les événements survenus entre janvier 1990 et mars 1992. Il permit en particulier d’identifier les responsables de quatre homicides ayant eu lieu le 3 mai 1991 (« le vendredi noir ») et de découvrir les ramifications de deux clans mafieux en lutte pour conquérir le contrôle de la ville de Taurianova et de ses territoires limitrophes.

9.  Le 16 octobre 1995, la cour d’assises de Palmi condamna le requérant à une peine de quinze ans de réclusion du chef d’association de malfaiteurs de type mafieux en retenant comme circonstance aggravante le fait que l’intéressé était le chef et l’instigateur (promotore) des activités criminelles du groupe mafieux. En ce qui concernait la nature du lien mafieux, la cour d’assises mit en évidence plusieurs éléments, à savoir « la solidité du lien entre les membres, la hiérarchie interne, la distinction de rôles et tâches parmi les associés, le contrôle du territoire, le projet criminel indéterminé, la pratique de l’intimidation et, selon une approche plus moderne, non seulement la vexation parasitaire perpétrée à l’encontre des entreprises, mais aussi la participation directe à l’économie du territoire au moyen de la prise de contrôle effective d’activités économiques légales ».

10.  Par son arrêt no 3 du 10 février 1999 (déposé le 29 mars 1999), la cour d’assises d’appel de Reggio Calabre confirma la condamnation du requérant, en réduisant la peine à douze ans de réclusion. Le requérant ne se pourvut pas en cassation.

11.  Le deuxième procès dirigé, entre autres, contre le requérant, dénommé « procès Taurus » (procédures pénales nos 1/97 – 12/97 – 18/97), porta sur d’autres faits relatifs aux activités criminelles menées par les deux clans à Taurianova. Le 22 septembre 1999, la cour d’assises de Palmi, par son arrêt no 10/99, condamna le requérant à la perpétuité. La décision fut confirmée par la cour d’assises d’appel de Reggio Calabre le 5 mars 2002. En particulier, le requérant fut reconnu coupable du délit d’association de malfaiteurs de type mafieux au sens de l’article 416 bis du code pénal (CP), ainsi que d’autres délits (assassinat, enlèvement et séquestration ayant provoqué la mort de la victime, et détention illégale d’armes à feu) aggravés par les circonstances dites « de type mafieux », prévues à l’article 7 du décret-loi no 152 du 13 mai 1991, converti en loi le 12 juillet 1991 (loi de conversion no 203/1991). La circonstance aggravante liée à l’assomption du rôle de chef de l’organisation criminelle et d’instigateur de ses activités fut également retenue à l’encontre du requérant.

Faisant application du régime de « l’infraction continue » (reato continuato), la cour d’assises d’appel condamna le requérant à la perpétuité avec isolement diurne de deux ans.

12.  Le requérant forma un pourvoi en cassation, qui fut rejeté le 26 février 2004.

13.  À la suite de l’introduction par le requérant d’une demande visant à une nouvelle détermination de la peine globale de réclusion fondée sur la continuation entre les faits à l’origine du « procès Marcello Viola + 24 » (arrêt du 10 février 1999) et ceux du « procès Taurus » (arrêt du 5 mars 2002), le 12 décembre 2008, la cour d’assises d’appel de Reggio Calabre constata l’unicité du programme criminel et reconnut la continuation des faits objet des deux procès. La peine globale fut ainsi recalculée et fixée à la réclusion à perpétuité avec isolement diurne de deux ans et deux mois.

  1. La détention du requérant

14.  Entre juin 2000 et mars 2006, le requérant fut soumis au régime spécial de détention prévu à l’article 41 bis, alinéa 2, de la loi no 354 du 26 juillet 1975 (« l’article 41 bis »), une disposition permettant à l’administration pénitentiaire de suspendre, totalement ou partiellement, l’imposition du régime de détention de droit commun en cas d’impératifs liés à des raisons d’ordre et de sécurité publics.

15.  En particulier, au cours de cette période, le 14 décembre 2005, le ministère de la Justice prit un arrêté ordonnant la prolongation du régime du « 41 bis » dans le chef du requérant pour une durée d’un an. L’intéressé attaqua cet arrêté devant le tribunal d’application des peines (« le TAP ») de L’Aquila, en dénonçant un défaut de motivation de l’acte, selon lui fondé sur des éléments qui ne reflétaient pas sa situation réelle à l’époque, et en arguant d’une rupture des liens avec l’organisation mafieuse.

16.  Par une ordonnance du 14 mars 2006, le TAP accueillit la demande du requérant et mit fin au régime spécial de détention imposé à celui-ci. Il rappela que le régime du « 41 bis » n’obligeait pas le détenu à prouver la rupture de ses liens avec l’association mafieuse, la preuve restant à la charge de l’administration. Selon lui, il incombait à cette dernière de fournir une motivation, basée sur des éléments factuels précis, concrets et actuels, indiquant que le détenu avait gardé le contact avec l’organisation mafieuse.

Le TAP estima ainsi qu’en l’occurrence les autorités s’étaient bornées à indiquer que l’organisation criminelle d’appartenance était toujours active et que le requérant n’avait pas montré des signes d’amendement ni fait preuve de la volonté de collaborer avec la justice. Il releva que les autorités n’avaient pas fourni d’éléments spécifiques permettant d’établir la capacité de l’intéressé à maintenir le contact avec l’organisation en question, et que les résultats positifs du parcours de rééducation suivi par celui-ci n’avaient pas été suffisamment pris en compte dans l’arrêté.

17.  Le requérant demanda par la suite, à deux reprises, à se voir accorder une permission de sortie (permesso premio), bénéfice octroyé aux détenus en présence de circonstances précises (paragraphe 34 ci-dessous).

18.  La première demande fut rejetée par le juge d’application des peines de L’Aquila le 13 juillet 2011. Dans sa motivation, le juge rappela que le bénéfice des permissions de sortie restait exclu pour les individus condamnés à la perpétuité pour l’un des délits visés à l’article 4 bis (« l’article 4 bis ») de la loi no 354 du 26 juillet 1975 en cas de défaut de « collaboration avec la justice », régie par l’article 58 ter de la même loi (ci‑après « la loi sur l’administration pénitentiaire »).

19.  Le requérant fit appel de la décision devant le TAP de L’Aquila, en se fondant sur les résultats, selon lui positifs, de son parcours de rééducation et sur la rupture de ses liens avec le milieu mafieux. Il souleva également une question de constitutionnalité de l’article 4 bis dans la partie où la disposition litigieuse ne prévoyait pas que la permission de sortie pouvait être accordée aux condamnés à la perpétuité qui n’avaient pas collaboré avec la justice ou dont la situation ne rentrait pas dans les cas de collaboration « impossible » ou « inexigible », et qui, par ailleurs, avaient suivi un parcours de rééducation positif, clamé leur innocence et pour lesquels des éléments permettant d’exclure de manière sûre tout lien avec l’organisation criminelle avaient été acquis.

20.  Par son ordonnance no 22/12 du 29 novembre 2011 (publiée le 9 janvier 2012), le TAP rejeta la demande de permission de sortie de l’intéressé, au motif que la condition de « collaboration avec la justice » faisait défaut.

S’agissant de la question de constitutionnalité de l’article 4 bis, le tribunal estima, avant de se prononcer sur le bien-fondé de celle-ci, qu’il fallait déterminer si les autres conditions ouvrant droit au bénéfice de la permission de sortie étaient réunies. En particulier, le TAP orienta son appréciation sur l’existence d’éléments positifs permettant d’exclure l’actualité de liens avec l’organisation criminelle.

21.  Il précisa, à titre préliminaire, que l’ordonnance du 14 mars 2006 (paragraphe 16 ci-dessus), par laquelle la levée du régime du « 41 bis » avait été décidée, n’avait aucune conséquence juridique sur la procédure alors en cours, l’appréciation du juge portant sur deux situations différentes. En effet, d’après le TAP, l’ordonnance de 2006 devait déterminer si le requérant avait la capacité de maintenir ou pas, depuis la prison, des contacts avec l’organisation mafieuse, tandis que dans la procédure en cours il était question de vérifier l’existence d’éléments susceptibles de prouver avec certitude que le requérant n’avait plus de liens avec l’organisation criminelle.

22.  En l’espèce, le TAP estima que la preuve positive de la rupture de ces liens n’était pas acquise. Il nota, au contraire, que le groupe mafieux était toujours actif dans le territoire de Taurianova, que le requérant était le chef reconnu d’une organisation criminelle et que l’observation quotidienne de l’intéressé n’avait pas fait ressortir que celui-ci s’était livré à une évaluation critique de son passé criminel. En conséquence, sans examiner le bien-fondé de la question de constitutionnalité soulevée par le requérant, sa demande fut rejetée. L’ordonnance du TAP fut confirmée par la Cour de cassation le 7 novembre 2012 (arrêt no 3107/12).

23.  La deuxième demande de permission de sortie fut rejetée par le juge d’application des peines de L’Aquila le 4 juin 2015, puis par le TAP de la même ville le 13 octobre 2015 à cause de l’absence de coopération avec les autorités.

24.  Entre-temps, en mars 2015, le requérant avait présenté au TAP de L’Aquila une demande de libération conditionnelle en vertu de l’article 176 du CP. Il se prévalait des résultats positifs de sa rééducation en milieu carcéral, consignés dans les rapports d’observation des 1er mars 2011, 20 août 2014 et 27 janvier 2015, de l’absence de liens avec le crime organisé et aussi de l’impossibilité à pouvoir bénéficier des réductions de peine obtenues grâce à la libération anticipée (plus de 1 600 jours accumulés à la date de soumission de la demande selon le requérant). Il soutenait de surcroît que, en raison de l’existence de la circonstance aggravante liée au rôle de chef de l’organisation criminelle ayant été retenue à son encontre dans les jugements de condamnation, il ne pouvait pas aspirer à voir sa collaboration être qualifiée d’« impossible » ou d’« inexigible » au sens de l’article 4 bis de la loi sur l’administration pénitentiaire. Enfin, il invitait le TAP à soulever une question de constitutionnalité de l’article 4 bis par rapport à l’article 27, alinéa 3, de la Constitution et à l’article 117, alinéa 1, de cette dernière, combiné avec l’article 3 de la Convention.

25.  Par une décision du 26 mai 2015, le TAP refusa d’accorder la libération conditionnelle au requérant en relevant que celui-ci avait été condamné pour association de malfaiteurs de type mafieux et pour d’autres délits commis au moyen de l’intimidation découlant du lien mafieux ou dans le but de contribuer à l’activité de l’association (article 7 du décret‑loi no 152 du 13 mai 1991, converti en la loi no 203 du 12 juillet 1991). Selon le tribunal, en raison des délits visés à l’article 4 bis, le requérant ne pouvait pas être admis à la libération conditionnelle en l’absence de collaboration avec l’autorité judiciaire, laquelle collaboration ne s’avérait en l’occurrence ni « impossible » ni « inexigible » au sens de l’alinéa 1 bis de l’article susmentionné.

26.  Quant à la question de constitutionnalité soulevée par le requérant, le TAP jugea que la disposition litigieuse était compatible avec les principes découlant de l’article 27, alinéa 3, de la Constitution. Après avoir rappelé la jurisprudence constitutionnelle et la position de la Cour dans l’arrêt Vinter et autres c. Royaume-Uni ([GC], nos 66069/09 et 2 autres, CEDH 2013 (extraits)), le tribunal indiqua que la législation offrait aux condamnés à perpétuité pour l’un des délits visés à l’article 4 bis une possibilité concrète de libération montrant que l’exécution de la peine avait atteint son but et que le condamné pouvait réintégrer la société. Selon le TAP, cette possibilité était subordonnée à la condition spécifique de la rupture définitive du lien entre le condamné et le milieu mafieux, qui devait s’exprimer en pratique par une collaboration utile avec la justice.

27.  Le requérant forma un pourvoi en cassation contre cette décision en soulevant en particulier l’inconstitutionnalité de la disposition prévoyant un automatisme légal empêchant d’accorder la libération conditionnelle aux détenus « non-collaborants ».

28.  Par son arrêt no 1153/16 du 22 mars 2016 (publié le 1er juillet 2016), la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant. En ce qui concerne la question de constitutionnalité soulevée, elle rappela la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, et notamment l’arrêt no 135/2003 selon lequel la fait de subordonner l’octroi de la libération conditionnelle à la collaboration avec la justice n’allait pas à l’encontre de la fonction rééducative de la peine. D’après la Cour constitutionnelle, le choix de collaborer avec la justice était en effet laissé à la libre appréciation du condamné, en l’absence de toute forme de contrainte.

En ce qui concerne l’innocence alléguée du requérant, la haute juridiction s’appuya sur un autre arrêt de la Cour constitutionnelle (no 306/1993), par lequel cette dernière avait jugé que le régime de l’article 4 bis ne portait pas préjudice au condamné qui protestait de son innocence, cette circonstance revêtant une valeur juridique uniquement dans le cadre de la procédure en révision du jugement de condamnation. Enfin, la Cour de cassation souligna le caractère absolu de la présomption de dangerosité sociale en cas de défaut de collaboration avec la justice. Selon elle, le législateur était libre de fixer des conditions à l’élargissement des personnes condamnées pour des infractions particulièrement graves comme celles liées au phénomène mafieux. La haute juridiction précisa que, dans le cas de la peine à perpétuité prévue par cet article, le condamné présentait une dangerosité accrue qui était liée au délit commis, et non pas à la personnalité de l’intéressé. Elle ajouta que, cela étant, le législateur demandait, de manière légitime, la preuve positive de la rupture définitive du lien individuel avec le groupe mafieux de provenance.

  1. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
    1. Le droit positif
      1. La Constitution

29.  L’article 27, alinéa 3, de la Constitution italienne dispose que les peines ne doivent pas être inhumaines et qu’elles doivent viser à la réinsertion du condamné.

  1. Le code pénal

30.  Les articles pertinents en l’espèce du CP sont ainsi libellés :

Article 22 – Réclusion à perpétuité (ergastolo)

« La peine de l’ergastolo est perpétuelle et est exécutée dans l’un des établissements pénitentiaires spécifiquement identifiés (...).

Le condamné à la réclusion à perpétuité peut être admis au travail à l’extérieur ».

Article 176 – Libération conditionnelle

« Le condamné à la réclusion qui, pendant l’exécution de sa peine, a eu un comportement qui permet de considérer comme avéré son repentir peut être admis à la libération conditionnelle s’il a déjà purgé au moins trente mois ou en tous cas la moitié de la peine lorsque le restant de la peine [à exécuter] ne dépasse pas cinq ans.

(...)

Le condamné à la réclusion à perpétuité peut être admis à la libération conditionnelle lorsqu’il a purgé au moins vingt-six ans de réclusion.

L’admission à la libération conditionnelle est subordonnée à l’exécution des obligations civiles découlant de l’infraction pénale sauf si le condamné prouve qu’il lui est impossible de les respecter. »

Article 416 bis – Association de malfaiteurs de type mafieux

« Quiconque fait partie d’une association de type mafieux, composée de trois personnes ou plus, est passible de la réclusion criminelle.

Ceux qui promeuvent, dirigent ou organisent [une telle] association sont passibles, par ce seul fait, de la réclusion de douze à dix-huit ans.

L’association est de type mafieux lorsque ceux qui en font partie se servent de la force d’intimidation du lien associatif et de la condition d’assujettissement et de complicité tacite en résultant, afin de commettre des délits, de s’approprier directement ou indirectement la gestion ou autrement le contrôle d’activités économiques, de concessions, d’autorisations, d’adjudications ou de services publics, ou afin de réaliser des bénéfices ou des profits injustes en faveur des membres [de l’association] ou d’autres personnes, ou encore afin d’empêcher ou d’entraver le libre exercice du droit de vote ou de procurer des voix aux[dits] membres ou à d’autres personnes lors de consultations électorales (...) »

  1. La loi sur l’administration pénitentiaire

31.  La loi no 354 du 26 juillet 1975, dite « loi sur l’administration pénitentiaire » (legge sull’ordinamento penitenziario), réglemente le traitement des détenus en milieu carcéral et l’exécution des mesures de privation et de limitation de liberté. Au premier alinéa de son article 1, elle dispose que le traitement pénitentiaire doit être conforme aux principes d’humanité et de dignité de l’individu.

32.  Le régime de la peine perpétuelle (dite « ergastolo ostativo ») est le résultat de la réforme législative introduite par la loi no 356 du 7 août 1992 (loi de conversion du décret-loi no 306 du 8 juin 1992). Il se fonde sur la lecture combinée de l’article 22 du CP et des articles 4 bis et 58 ter de la loi sur l’administration pénitentiaire. Selon ces dispositions, l’absence de « collaboration avec la justice » fait obstacle à l’octroi de la libération conditionnelle et des autres bénéfices prévus par le système pénitentiaire.

L’article 4 bis porte plus particulièrement sur l’interdiction de l’accès aux bénéfices pénitentiaires et sur la vérification de la dangerosité sociale pour une catégorie déterminée de détenus. En ses parties pertinentes en l’espèce, il est ainsi libellé :

« 1.  L’affectation au travail à l’extérieur [article 21], les permissions de sortie [article 30 ter] et les mesures alternatives à la détention prévues au chapitre VI [du titre I], à l’exception de la libération anticipée [article 54], peuvent être accordées aux détenus et aux personnes internées pour les délits qui suivent, seulement dans le cas où ces détenus ou personnes internées collaborent avec la justice au sens de l’article 58 ter de la présente loi : délit commis à des fins de terrorisme, même international, ou de subversion de l’ordre démocratique par la réalisation d’actes de violence ; délit visé aux articles 416 bis et 416 ter du code pénal ou délits commis en tirant profit des conditions prévues par le même article ou dans le but de faciliter l’activité des associations indiquées dans le même article (...).

bis.  Les bénéfices visés à l’alinéa 1 peuvent également être accordés aux détenus ou personnes internées pour les délits susindiqués, à condition qu’aient été acquis les éléments permettant d’exclure l’actualité de liens avec la criminalité organisée, terroriste ou subversive, lorsque la participation limitée aux faits délictueux, déterminée dans le jugement de condamnation, ou la vérification complète des faits et des responsabilités, réalisée avec une décision définitive, rendent en tous cas impossible une collaboration utile avec la justice, ou bien lorsque la collaboration offerte s’avère ne pas être objectivement pertinente et lorsqu’à l’égard de ces mêmes détenus ou personnes internées a été appliquée l’une des circonstances atténuantes prévues à l’article 62, no 6 (...), à l’article 114 ou à l’article 116, alinéa 2, du code pénal.

(...) »

33.  L’article 58 ter de cette loi, disciplinant la « collaboration avec la justice », est ainsi libellé :

« 1.  Les limites de peine prévues aux articles 21, alinéa 1, 30 ter, alinéa 4, et 50, alinéa 2, [de la loi no 345/1975] relatifs aux condamnés pour l’un des délits indiqués aux alinéas 1, 1 ter et 1 quater de l’article 4 bis, ne s’appliquent pas à ceux qui, même après avoir été condamnés, ont [œuvré] soit pour éviter les conséquences ultérieures du délit, soit pour fournir à l’autorité de police ou judiciaire des éléments décisifs pour l’établissement des faits et pour l’identification ou l’arrestation des auteurs d’infractions criminelles.

2.  Les conduites indiquées à l’alinéa 1 sont appréciées par le tribunal d’application des peines, après l’obtention des informations nécessaires et l’audition du ministère public près le juge compétent pour les infractions auxquelles la collaboration se réfère. »

34.  L’article 21 et l’article 30 ter de la même loi réglementent respectivement l’affectation au travail à l’extérieur (lavoro esterno) et les permissions de sortie (permessi premio). En particulier, l’article 30 ter prévoit la possibilité d’octroyer au détenu une permission de sortie ne dépassant pas quinze jours, dès lors que celui-ci fait preuve d’une bonne conduite (condotta regolare) en milieu carcéral et qu’il ne présente pas de danger pour la société. Selon la gravité des délits, le détenu doit avoir purgé une période d’emprisonnement ferme avant de pouvoir bénéficier d’une telle mesure. L’absence de dangerosité sociale est laissée à l’appréciation du juge d’application des peines, qui doit consulter les autorités pénitentiaires.

35.  Le chapitre VI du titre I de cette loi énumère l’ensemble de mesures alternatives à la détention, notamment la probation (« l’affidamento in prova ai servizi sociali »), la détention domiciliaire, la « semi-liberté » (« semilibertà ») et la libération anticipée. En particulier, l’article 54 prévoit la possibilité d’une « libération anticipée » qui permet, au détenu ayant démontré avoir pris part au projet de rééducation, de bénéficier d’une réduction de peine de quarante-cinq jours pour chaque semestre de peine purgée.

36.  En ce qui concerne la libération conditionnelle, l’article 2, alinéa 1, du décret-loi no 152 du 13 mai 1991 (modifié par la loi de conversion no 203 du 12 juillet 1991) dispose que « les condamnés pour les délits visés à l’alinéa 1 de l’article 4 bis de la loi [sur l’administration pénitentiaire] peuvent être admis à la libération conditionnelle uniquement si les conditions prévues [par la même loi] pour l’octroi des autres bénéfices légaux sont remplies ».

  1. La jurisprudence constitutionnelle

37.  L’arrêt no 12 du 4 février 1966 de la Cour constitutionnelle offre une interprétation de l’article 27, alinéa 3, de la Constitution explicitant l’équilibre entre les différentes fonctions assignées à la peine. En ses passages pertinents en l’espèce, cet arrêt expose ce qui suit :

« (...) la disposition [l’article 27, alinéa 3] ne se limite pas à déclarer purement et simplement que « les peines doivent viser à la rééducation du condamné », mais prescrit au contraire que « les peines ne peuvent pas consister en des traitements contraires au principe d’humanité et doivent viser à la rééducation du condamné » : un contexte clairement unitaire, indissociable (...). En outre, les deux phrases sont unies dans leur sens non seulement littéral, mais également logique. D’une part, un traitement pénal inspiré par les critères d’humanité est nécessaire pour une action rééducative du condamné, d’autre part une action rééducative est l’expression d’un traitement humain et civil (...).

La norme étant ainsi définie dans son intégralité, sa véritable valeur en ressort. La rééducation du condamné, compte tenu de son importance constitutionnelle, reste toujours encadrée par la réalité du traitement pénal. C’est d’ailleurs celui-là le véritable objectif du législateur (...). À la peine, donc, le législateur a voulu assigner des limites, visant essentiellement à empêcher que le caractère afflictif de celle-ci ne dépasse le seuil au-delà duquel elle est en contradiction avec le principe d’humanité.

Le vrai contenu du principe rééducatif est donc ainsi établi, qui doit interagir avec les autres fonctions de la peine et qui, par conséquent, ne peut pas être entendu dans un sens absolu et exclusif. Rééducation certes, mais dans le cadre du traitement pénal (...).

D’ailleurs, la portée et les limites de la fonction rééducative constitutionnelle se manifestent dans cet article même, lorsqu’il indique que les peines « doivent viser » à la rééducation du condamné, une expression qui, dans son sens littéral et logique, indique uniquement l’obligation pour le législateur de garder à l’esprit la finalité rééducative et de mettre en place les outils aptes à la réaliser (...).

En conclusion, par la norme susmentionnée de la Constitution, [le législateur constitutionnel] a voulu élever la fonction rééducative de la peine au rang des principes constitutionnels sans pour autant nier l’existence et la légitimité de la peine, qui ne contient pas ou qui contient en partie cette finalité. Et ce en considération des autres fonctions de la peine qui (...) sont également essentielles à la protection des citoyens et de l’ordre juridique (...) »

38.  Depuis son arrêt no 313 du 4 juillet 1990, la Cour constitutionnelle s’est orientée, dans sa jurisprudence, vers l’attribution d’un rôle plus central à la fonction de resocialisation de la peine. Elle a affirmé que cette fonction doit accompagner la peine à partir de sa création normative jusqu’à son extinction. Dès lors, cette fonction doit orienter l’action du législateur, du juge du fond, du juge d’application des peines et des autorités pénitentiaires (voir également les arrêts nos 343/1993, 422/1993, 283/1994, 341/1994, 85/1997, 345/2002, 257/2006, 322/2007, 129/2008 et 183/2011).

39.  S’agissant de la constitutionnalité de l’article 4 bis, la Cour constitutionnelle s’est spécifiquement penchée sur la question dans son arrêt no 306 du 11 juin 1993. Elle a rappelé les choix de politique criminelle du législateur en observant comment ce dernier, en subordonnant l’accès à la libération conditionnelle et à tout autre bénéfice à la coopération du détenu, a voulu privilégier explicitement la prévention générale et la protection de la collectivité au moyen de la réquisition de la coopération des membres des associations mafieuses, ce qui, dans le contexte de la lutte contre le crime organisé, représente un outil capital pour le travail des autorités de poursuite.

Elle a également affirmé que, si la collaboration avec la justice constitue une présomption de la « dissociation » de l’individu du milieu mafieux et un indice en faveur d’un pronostic positif du parcours de réinsertion, l’inverse n’est pas vrai, c’est-à-dire que l’absence de collaboration ne permet pas d’affirmer qu’il s’agit d’un indice univoque du maintien de liens avec l’organisation criminelle. Elle a aussi reconnu que le choix de collaborer peut être le fruit d’une appréciation intéressée faite dans le but de bénéficier des avantages que la loi prévoit, sans être le signe d’une resocialisation accomplie.

Toutefois, pour la haute juridiction, en l’absence de niveaux hiérarchiques figés parmi les finalités que la Constitution attribue à la peine, le régime en vigueur, tout en générant une atteinte significative à la finalité rééducative de la peine, n’a pas restreint celle-ci de manière déraisonnable et disproportionnée, puisqu’il a laissé ouvert l’accès au parcours de resocialisation.

40.  Dans son arrêt no 273 du 5 juillet 2001, la Cour constitutionnelle s’est à nouveau penchée sur la constitutionnalité de l’article 4 bis. En rappelant le rapport explicatif de la loi de conversion du décret‑loi no 306/1992, selon lequel c’est uniquement au moyen de la collaboration avec la justice que le condamné peut démontrer, per facta concludentia, avoir rompu ses liens avec l’organisation criminelle, elle a estimé que ce choix du législateur était compatible avec la fonction rééducative de la peine, s’agissant de l’expression sans ambiguïté de la volonté du condamné de faire amendement par rapport à son passé criminel. Dès lors, la Cour constitutionnelle a considéré l’attitude du condamné qui ne collabore pas avec les autorités comme « une présomption légale » de la persistance du lien criminel et de l’absence d’amendement.

41.  Deux ans plus tard, dans son arrêt no 135 du 24 avril 2003, la Cour constitutionnelle a confirmé que l’interdiction découlant de l’article 4 bis n’a pas le caractère d’un automatisme légal. Elle a considéré que la loi ne prévoit pas d’interdictions absolues et ne fait que subordonner l’accès à la libération conditionnelle à la « collaboration avec la justice », qui exprime un acte volontaire et libre du détenu. Selon elle, la disposition litigieuse n’interdit pas de manière absolue et définitive l’accès à la libération conditionnelle et elle n’est donc pas en contradiction avec le principe de rééducation énoncé à l’article 27, alinéa 3, de la Constitution. Dès lors, l’absence de collaboration est vue par le législateur comme une présomption légale de l’échec du parcours de réinsertion du condamné.

42.  En ce qui concerne les « présomptions légales irréfragables » qui risquent de toucher un droit fondamental de la personne (arrêts nos 41/1999, 139/2010 et 265/2010), la Cour constitutionnelle les considère comme étant contraires au principe d’égalité si elles sont arbitraires et déraisonnables ou si elles ne se fondent pas sur des pratiques courantes selon la formule de l’« id quod plerumque accidit » (arrêt no 57 du 29 mars 2013). Plus spécifiquement, à propos des bénéfices pénitentiaires, la Cour constitutionnelle a affirmé la nécessité d’attribuer au juge le pouvoir d’apprécier les éléments du cas concret, afin que l’octroi d’un bénéfice déterminé soit relié à un pronostic raisonnable quant à son utilité à faire évoluer le détenu sur son chemin de réinsertion (arrêts nos 436/1999, 255/2006 et 189/2010).

43.  Récemment, dans son arrêt no 149 du 11 juillet 2018 (voir aussi les arrêts no 239 du 22 octobre 2014 et no 76 du 12 avril 2017), la Cour constitutionnelle a statué sur la constitutionnalité de l’article 58 quater de la loi sur l’administration pénitentiaire. Cette norme, jugée inconstitutionnelle, prévoyait qu’aucun bénéfice ne pouvait être accordé au condamné à la perpétuité, pour le délit d’enlèvement et de séquestration ayant entraîné la mort de la personne séquestrée, avant l’expiration d’une période de vingt‑six ans d’emprisonnement ferme.

Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle a mis en avant le fait qu’un tel seuil temporel allait à l’encontre des principes de progressivité du traitement pénal et de flexibilité de la peine, fondements du processus de réinsertion graduelle du condamné. Ensuite, elle a observé que ce seuil annihilait les effets de la « libération anticipée » (réduction de peine de quarante-cinq jours pour chaque semestre de peine purgée), ce qui avait un impact négatif sur la motivation du détenu à mener à bien son parcours de rééducation. Enfin, en rappelant sa jurisprudence précédente (arrêts nos 313/1990, 68/1995, 257/2006 et 78/2007), elle a critiqué le caractère automatique de l’application de ce seuil de vingt-six ans à tous les détenus. Elle a relevé que cet automatisme légal avait pour effet d’empêcher le juge d’application des peines de procéder à une quelconque appréciation des résultats obtenus par le détenu tout au long de son parcours intra-muros, et avait donc pour conséquence de privilégier l’aspect répressif de la peine au détriment de sa finalité de resocialisation. Elle a considéré que « des dispositions interdisant de manière absolue, pour une période si étendue, l’accès aux bénéfices pénitentiaires pour des catégories déterminées de condamnés – ayant participé de manière significative au processus de rééducation et ne présentant pas de signes de dangerosité sociale identifiés par le législateur lui-même à l’article 4 bis – en raison de la seule gravité de l’infraction pénale ou de l’exigence d’envoyer un signal de prévention général à la masse des citoyens » étaient contraires aux principes constitutionnels de proportionnalité et d’individualisation de la peine (voir aussi l’arrêt no 239 du 29 octobre 2014).

44.  Sur le pouvoir de grâce du Président de la République italienne, prévu à l’article 87, alinéa 11, de la Constitution, la Cour constitutionnelle a identifié la nature de l’acte portant grâce présidentielle et l’étendue du pouvoir du chef de l’État en la matière dans son arrêt no 200 du 18 mai 2006. Elle a jugé que le pouvoir de grâce présidentielle répond à des finalités purement humanitaires et sert à tempérer la rigidité de la loi pénale. Elle a notamment dit que, depuis la loi no 663 du 10 octobre 1986, la grâce présidentielle, « destinée à satisfaire uniquement des exigences humanitaires extraordinaires »,  a recouvré « sa fonction de modérer ou supprimer la sanction pénale ».

  1. La jurisprudence de la Cour de cassation

45.  Dans son arrêt no 45978 du 26 novembre 2012, la Cour de cassation s’est prononcée sur une ordonnance du TAP portant rejet d’une permission de sortie en raison d’un défaut de « collaboration avec la justice ». Elle a jugé que, en prévoyant des exceptions, telles que la collaboration « impossible » ou « inexigible », la loi permettait au juge d’exercer une appréciation individuelle et personnalisée du comportement du détenu, ce qui excluait ainsi l’existence d’automatismes rigides (voir aussi les arrêts nos 18206 du 30 avril 2014, 34199 du 14 avril 2016 et 9276 du 7 novembre 2017).

46.  Dans son arrêt no 47044 du 24 octobre 2017, cette haute juridiction a rappelé son interprétation des notions de collaboration « impossible » et « inexigible » (voir aussi les arrêts de la Cour constitutionnelle nos 357/1994 et 68/1995) : la collaboration « impossible » correspond à la situation où les faits et les responsabilités dont le condamné pourrait avoir connaissance ont été déjà révélés et élucidés ; la collaboration « inexigible » renvoie à l’hypothèse où le condamné, en raison de son rôle marginal au sein de l’organisation criminelle, n’a pas été en mesure d’avoir connaissance des faits et responsabilités relatifs au niveau supérieur de l’organisation (voir aussi, parmi beaucoup d’autres, les arrêts nos 3034 du 18 mai 1995 et 29217 du 6 juin 2013).

47.  Dans son arrêt no 46103 du 7 novembre 2014, la Cour de cassation a jugé que, « en matière d’association de malfaiteurs, l’état de réclusion d’un individu ne détermine pas nécessairement la cessation automatique de sa participation à l’association criminelle de référence, attendu que les périodes de détention sont acceptés par les autres membres de l’association comme une éventualité prévisible et que, par le biais d’éventuels contacts en milieu carcéral, la participation à l’activité du groupe criminel n’est pas totalement interrompue ». Elle a ajouté que la détention ne fait pas « cesser la disponibilité à reprendre un rôle actif » dans l’organisation, une fois le membre sorti de prison. En ce qui concerne l’analyse des caractéristiques du délit d’association de malfaiteurs de type mafieux, notamment son élément structurel et le bien juridique protégé, la Cour de cassation a rappelé que ce délit est de type permanent (reato permanente) et qu’il présuppose l’existence d’un vaste programme criminel, projeté vers le futur et sans aucune limite temporelle. Le délit d’association de malfaiteurs se distingue ainsi de l’infraction dans le cadre de laquelle plusieurs individus participent à la commission d’un « délit continu » (reato continuato) et déterminé. Quant au bien juridique spécifique, la haute juridiction a dit que celui-ci s’identifie avec la nécessité de sauvegarder l’ordre public du danger potentiel représenté par la seule existence de l’accord criminel et par la volonté des associés de commettre des actions criminelles. De ces prémisses, la Cour de cassation en a tiré la conclusion que la « permanence » du délit visé à l’article 416 bis est compatible avec l’inactivité de l’associé ou l’état de veille de l’association, de sorte que le rapport d’association cesse seulement dans le cas objectif de rupture de l’accord d’association ou dans les cas subjectifs de décès, de rupture du lien individuel ou d’exclusion de la part des autres associés.

48.  Récemment, par son ordonnance no 4474 du 20 décembre 2018, la Cour de cassation a renvoyé devant la Cour constitutionnelle une question de constitutionnalité portant sur le contraste entre l’article 4 bis et la fonction de réinsertion de la peine. En particulier, elle a affirmé ce qui suit :

« L’article 4 bis, alinéa 1, de la loi sur l’administration pénitentiaire s’inscrit de manière problématique dans ce contexte, en ce qui concerne l’octroi d’une permission de sortie, en interdisant l’accès, de manière absolue, à toute personne condamnée pour l’un des délits visés à l’article susmentionné qui n’a pas apporté sa collaboration avec la justice au sens de l’article 58 ter la même loi.

(...)

Après tout, ces objectifs de réinsertion, qui ne permettent pas l’application de présomptions irréfragables en matière de bénéfices pénitentiaires, ont été ultérieurement étayés par la jurisprudence de la Cour EDH dans l’arrêt de Grande Chambre Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 66069/09 et 2 autres, CEDH 2013 (extraits) (...)

Toutefois, que la cessation des liens d’un détenu avec son groupe criminel d’appartenance puisse être démontrée, pendant la phase d’exécution de la peine, uniquement par le biais d’un comportement de collaboration au sens de l’article 58 ter, est une affirmation qui ne peut pas avoir une valeur irréfutable, ni devenir une présomption irréfragable qui ne tient pas compte de la situation concrète.

(...)

les considérations exposées imposent de déclarer pertinente et non manifestement mal fondée, par rapport aux articles 3 et 27 de la Constitution, la question de constitutionnalité de l’article 4 bis, alinéa 1, de la loi [sur l’administration pénitentiaire], dans la partie où [cette disposition] exclut que le condamné à perpétuité, pour des délits commis en tirant profit des conditions prévues à l’article 416 bis du code pénal ou dans le but de faciliter l’activité des associations indiquées dans le même article, qui n’a pas apporté sa collaboration à la justice au sens de l’article 58 ter de la loi sur l’administration pénitentiaire, puisse être admis au [bénéfice des] permissions de sortie. »

La Cour constitutionnelle ne s’est pas encore prononcée à cet égard.

  1. Les projets de réforme de l’article 4 bis

49.  La « Commission Palazzo », chargée par un décret du ministère de la Justice du 10 juin 2013 d’élaborer des projets de réforme du système pénal, a notamment proposé de modifier les dispositions régissant la peine perpétuelle, établies à l’article 4 bis, afin de substituer à la présomption irréfragable de dangerosité sociale une présomption relative. Elle a ainsi suggéré de prévoir d’autres circonstances à même de permettre l’évaluation des résultats du parcours de réinsertion et l’absence de liens avec le groupe criminel, afin de rendre possible l’accès à la libération conditionnelle et aux bénéfices prévus par la loi.

50.  Le 19 mai 2015, le gouvernement a lancé les « États généraux de l’exécution pénale », une initiative impliquant le milieu institutionnel et académique et les diverses professions engagées dans le monde carcéral, aux fins de l’élaboration d’un projet de réforme du système pénitentiaire. Le document final, publié le 19 avril 2016, comportait entre autres une proposition de réforme de l’article 4 bis visant à introduire un nouvel alinéa censé offrir au condamné une alternative de « non-collaboration » lui ouvrant l’accès aux bénéfices et à la libération conditionnelle. Il s’agissait d’une conduite réparatrice en faveur des victimes et plus largement à l’égard de la société.

51.  La loi de délégation no 103 du 23 juin 2017 (dite « legge Orlando ») a autorisé le gouvernement à réformer le CP, le code de procédure pénale (CPP) et la loi sur l’administration pénitentiaire. En particulier, l’article 1, alinéa 85, lettre e) a délégué au gouvernement le pouvoir de supprimer les automatismes empêchant l’individualisation du traitement rééducatif en prison et celui de réformer le régime sur l’accès aux bénéfices pénitentiaires pour les condamnés à la perpétuité, sauf dans les cas de gravité exceptionnelle et de dangerosité et en tout état de cause pour les délits en lien avec les activités mafieuses et terroristes. Le 2 octobre 2018, le gouvernement a adopté le décret législatif no 214 portant réforme du système pénitentiaire sans modifier les normes relatives à l’individualisation du traitement pénitentiaire et à l’accès aux bénéfices pénitentiaires.

  1. LES INSTRUMENTS EUROPÉENS ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

52.  Les textes de droit européen et international pertinents en l’espèce, notamment en matière de peines perpétuelles et de principe de réinsertion, sont présentés dans les arrêts Vinter et autres c. Royaume-Uni ([GC], nos 66069/09 et 2 autres, §§ 60-75 et 76-81, CEDH 2013 (extraits)), Dickson c. Royaume-Uni ([GC], no 44362/04, §§ 28-36, CEDH 2007-V) et Murray c. Pays-Bas ([GC] no 10511/10, §§ 58-65 et 70-76, 26 avril 2016).

EN DROIT

  1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

53.  Sur le terrain de l’article 3 de la Convention, le requérant dénonce la peine de réclusion à perpétuité lui ayant été infligée aux motifs qu’elle est incompressible et qu’elle ne lui offre aucune possibilité de bénéficier de la libération conditionnelle, ce qui irait à l’encontre des exigences de cette disposition. Sur le fondement des articles 3 et 8 de la Convention, il se plaint également d’une incompatibilité du régime pénitentiaire avec l’objectif d’amendement et de resocialisation des détenus.

54.  La Cour rappelle qu’elle est maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause et qu’elle n’est pas liée par celle que leur attribuent les requérants (voir, entre autres, Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I, Scoppola c. Italie (no2) [GC], no 10249/03, § 48, 17 septembre 2009, et Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018). C’est pourquoi, eu égard à la formulation des griefs du requérant, la Cour décide de les examiner uniquement sous l’angle de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

  1. Sur la recevabilité
    1. Sur la qualité de victime

55.  Le Gouvernement soutient que le requérant ne peut pas être considéré comme victime au sens de l’article 34 de la Convention, puisque, selon lui, aucune violation des droits conventionnels de l’intéressé n’est imputable aux autorités.

56.  La Cour estime que l’exception soulevée par le Gouvernement se trouve étroitement liée à la question de savoir si la peine à perpétuité à laquelle le requérant a été condamné est de iure et de facto compressible et donc au fond du grief tiré de la violation de l’article 3. En conséquence, elle décide de la joindre au fond.

  1. Sur le non-épuisement des voies de recours internes

57.  Le Gouvernement soulève aussi une exception tirée du non‑épuisement des voies de recours internes. Il estime que le requérant se plaint en substance de ne pas avoir été reconnu innocent par les juridictions internes. Il soutient ainsi que l’intéressé a erronément saisi le juge d’application des peines d’une demande de libération conditionnelle alors que, pour plaider son innocence, il aurait eu à sa disposition une voie de recours interne spécifique et appropriée, à savoir la demande en révision du jugement définitif rendu dans sa cause, régie par les articles 629 et suivants du code de procédure pénale. Il reproche par conséquent au requérant de ne pas avoir exercé le recours spécifiquement prévu par ce code.

58.  Le requérant conteste la thèse du Gouvernement. Il dit que ses assertions portent clairement sur le fait, allégué par lui, que le système national n’offre aucune possibilité de remise de peine pour les condamnés à perpétuité pour l’un des délits visés à l’article 4 bis. La réclusion à perpétuité constituerait ainsi une peine incompressible de jure et de facto, en violation manifeste de l’article 3 de la Convention.

59.  Le requérant indique que sa demande au juge d’application des peines visait à l’obtention d’un réexamen des exigences d’ordre pénologique justifiant le maintien en détention. Or, à ses dires, en l’absence de collaboration avec la justice, le juge d’application de peines ne peut pas prendre en compte le parcours d’amendement du condamné et déterminer si des progrès ont été effectués.

60.  En ce qui concerne son allégation d’innocence, le requérant expose qu’il s’agit d’un sentiment personnel, une conviction intime qui a trait à sa sphère privée, et qu’elle est l’expression d’un aspect de son identité et de sa dignité d’être humain. À ses yeux, le fait de clamer son innocence doit donc être uniquement perçu comme un des éléments lui empêchant de collaborer avec la justice.

61.  Le requérant conclut que la seule voie de recours interne dont il disposait, pour permettre aux autorités nationales de redresser les violations alléguées, était de saisir le juge d’application des peines d’une demande de libération conditionnelle.

62.  La Cour observe tout d’abord que la demande de révision d’un jugement est un remède extraordinaire qui peut être présenté contre une décision pénale définitive de condamnation. Elle rappelle avoir déjà jugé que les requérants ne sont pas tenus de faire usage de ce type de remèdes extraordinaires aux fins du respect de la règle énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention (Sofri et autres c. Italie (déc.), no 37235/97, CEDH 2003‑VIII, Prystavska c. Ukraine (déc.), no 21287/02, CEDH 2002‑X).

63.  Elle souligne, par ailleurs, que les situations permettant de demander la révision sont strictement encadrées : contraste dans l’établissement des faits entre deux jugements de condamnation définitifs ; infirmation (revocazione) d’un jugement civil ou administratif ayant statué sur une question préjudicielle ; existence de nouvelles preuves justifiant l’acquittement du condamné ; condamnation prononcée consécutivement à un faux en écriture publique, à un faux en justice (falso in giudizio) ou à la commission d’une autre infraction pénale.

64.  Or, en l’occurrence, la Cour note que le cas du requérant ne relève d’aucune de ces situations. En effet, l’intéressé dénonce, sur le terrain de l’article 3 de la Convention, son impossibilité à bénéficier de la libération conditionnelle en raison de l’incompressibilité de la peine de réclusion à perpétuité lui ayant été infligée, et le fait qu’il clame son innocence n’est que l’un des éléments dont il se prévaut.

65.  Partant, la Cour considère que le requérant a correctement saisi le juge d’application des peines, à savoir l’instance compétente pour ordonner la libération conditionnelle et toute autre forme d’aménagement de la peine des personnes condamnées, afin d’obtenir son élargissement. Eu égard à ce qui précède, la Cour rejette l’exception du Gouvernement.

  1. Conclusion

66.  À la lumière des éléments dont elle dispose, la Cour considère que le grief du requérant tiré de l’article 3 soulève au regard de la Convention d’importantes questions de fait et de droit qui appellent un examen au fond. En outre, la Cour a décidé de joindre au fond l’exception du Gouvernement tirée de la qualité de « victime » du requérant (paragraphe 56 ci-dessus). Elle conclut que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Constatant qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

  1. Sur le fond
    1. Arguments des parties

a)      Le requérant

67.  Le requérant indique que le système italien prévoit deux types de condamnations à perpétuité : celle « ordinaire », régie par l’article 22 du CP, permettant un aménagement de la peine au bout de vingt-six ans de réclusion, et celle incompressible, dite « ergastolo ostativo », prévue à l’article 4 bis. Il précise que cet article entraîne une interdiction d’octroyer la libération conditionnelle et de donner accès aux bénéfices pénitentiaires qui trouve son fondement dans une présomption légale irréfragable de dangerosité, à savoir la persistance du lien entre le condamné et l’association criminelle mafieuse d’appartenance. Seule une coopération effective avec la justice permettrait de l’exclure.

68.  Le requérant déclare que, en raison de l’existence de la circonstance aggravante liée à l’assomption du rôle de chef du clan mafieux et d’instigateur de ses activités, retenue à son encontre à l’occasion de sa condamnation, le juge ne pourra jamais considérer sa collaboration comme « impossible » ou « inexigible » (paragraphe 46 ci-dessus).

69.  Il soutient qu’il se retrouve sans aucune perspective d’élargissement ni possibilité de faire réexaminer la peine perpétuelle qui lui a été infligée : à ses dires, quel que soit son comportement en prison, son châtiment demeure immuable et insusceptible de contrôle car le juge compétent en matière de réexamen ne peut pas apprécier les résultats de son parcours d’amendement.

70.  Le requérant ajoute que la coercition qu’il dit subir, en plus d’aller à l’encontre de son intime conviction d’être innocent et donc de sa liberté morale, le place devant un dilemme : accepter le risque de mettre en péril sa propre vie et celle de ses proches en s’exposant et en exposant ceux-ci aux représailles typiques de la logique mafieuse, ou refuser de collaborer et renoncer à toute chance d’élargissement.

71.  Le requérant affirme ensuite que la collaboration avec la justice ne peut constituer une « perspective d’élargissement » pour des motifs d’ordre pénologique aux fins de l’article 3 de la Convention. À cet égard, il argue que le système italien oblige le condamné à coopérer avec la justice, puisqu’un éventuel refus exclurait a priori celui-ci de tout parcours de réinsertion et de toute possibilité d’accéder à la libération conditionnelle. À ses yeux, ce mécanisme présente de fortes similitudes avec le dispositif mis en cause dans l’affaire Trabelsi c. Belgique (no 140/10, §§ 134-139, CEDH 2014 (extraits)). De plus, le requérant plaide que l’automatisme prévu par la législation italienne favorise de manière excessive les exigences de politique criminelle au détriment des impératifs pénitentiaires de resocialisation, ce qui porterait ainsi atteinte à la dignité humaine de chaque détenu. À ses dires, ce mécanisme l’a réduit à son crime, et il ne permet d’envisager sa sortie du milieu carcéral que dans une logique instrumentale (se traduisant, pour l’intéressé, dans le fait d’offrir sa collaboration totale) tout en méconnaissant son parcours de rééducation.

72.  S’agissant enfin des objectifs d’amendement et de réinsertion des détenus découlant des principes établis par la Cour (Murray, précité, §§ 102-104, et Khoroshenko c. Russie [GC], no 41418/04, § 121, CEDH 2015), le requérant allègue que le dispositif litigieux implique une présomption irréfragable de non-réhabilitation et de persistance de la dangerosité en cas de défaut de coopération. La possibilité de travailler à sa réinsertion serait donc vidée de toute efficacité et cette perspective, en plus de l’exposer à une situation d’angoisse extrême, le priverait de toute possibilité d’influer par son comportement sur le parcours de réintégration dans la société. Sa capacité d’autodétermination serait également touchée. L’État italien ne respecterait pas son obligation positive de lui garantir une possibilité de travailler à sa réinsertion.

73.  Pour ce qui est de la procédure de libération conditionnelle, le requérant avance que, tout au long de sa détention, il a toujours eu une conduite positive, tant au niveau comportemental qu’au niveau rééducatif, et qu’il a ainsi participé avec succès aux activités de réinsertion. Il indique que, n’ayant jamais fait l’objet de sanctions disciplinaires, il a accumulé plus de cinq ans de « libération anticipée » (à la date du 30 décembre 2013) en raison de sa participation aux activités proposées par l’administration pénitentiaire. Il précise qu’il ne peut toutefois pas en bénéficier car soumis au régime de l’article 4 bis.

Le requérant dit encore que ses progrès en prison ont été remarqués par le TAP de l’Aquila, dans son ordonnance ayant mis fin au régime du « 41 bis ». Cependant, même en présentant des éléments concrets justifiant sa demande d’élargissement, il ne pourra jamais obtenir un examen de ces éléments, ni dans le cadre de la procédure de libération conditionnelle ni dans celui relatif aux demandes de permissions de sortie. Dès lors, le requérant allègue que la procédure de réexamen ne satisfait pas aux exigences procédurales imposées par la jurisprudence de la Cour en la matière (Murray, précité, §§ 99).

74.  Pour ce qui est enfin du pouvoir de grâce présidentielle, le requérant affirme qu’aucun condamné à la peine perpétuelle prévue à l’article 4 bis n’a été gracié par le Président de la République.

b)     Le Gouvernement

75.  Dans ses observations, le Gouvernement tient d’abord à rappeler le contexte particulier de l’application de l’article 4 bis. Il affirme qu’en raison de l’extrême gravité des délits en cause, pour lesquels l’élément mafieux se caractériserait par la solidité du lien et sa stabilité dans le temps, le régime en question demande de démontrer de manière tangible, par la coopération avec les autorités, à la fois la réussite du parcours de rééducation en prison et la « dissociation » d’avec le milieu criminel. Autrement dit, pour le gouvernement défendeur, le détenu concerné doit être en mesure de prouver, à la fin de son parcours de resocialisation, qu’il a rejeté les « valeurs criminelles » en contribuant à la « désintégration » de l’association mafieuse et au rétablissement de la légalité.

76.  Le Gouvernement déclare ensuite qu’il y a une profonde différence entre le régime du 41 bis et celui prévu à l’article 4 bis. À cet égard, il indique que, en l’espèce, le juge d’application des peines a mis fin au régime spécial de détention prévu à l’article 41 bis en estimant que le requérant n’avait plus la capacité de maintenir des contacts avec l’organisation criminelle depuis la prison, tandis que, sous l’empire de l’article 4 bis, l’intéressé serait tenu d’apporter la preuve positive de la rupture de tout lien avec l’organisation criminelle d’appartenance.

77.  Le Gouvernement estime que cette distinction est fondamentale, et ce d’autant plus que le clan mafieux, dont le requérant a été reconnu être l’un des chefs historiques, serait encore très actif à Taurianova, comme le prouveraient les ordonnances de détention provisoire prises à l’égard de membres de ce clan ou l’arrestation de l’épouse de l’intéressé le 12 décembre 2017.

78.  Pour ce qui est de la nature de la peine perpétuelle régie par l’article 4 bis, le Gouvernement, en rappelant la jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne et de la Cour de cassation, soutient que celle-ci reste de jure et de facto compressible.

79.  En effet, aux dires du Gouvernement, le condamné à perpétuité peut déposer une demande de libération conditionnelle devant le juge d’application des peines, en s’appuyant sur les résultats de son parcours de rééducation et de sa collaboration avec l’autorité judiciaire. D’après le Gouvernement, le système offre ainsi une perspective concrète au condamné à la perpétuité, d’une part en permettant que celui-ci puisse accéder aux bénéfices pénitentiaires en cas de collaboration « impossible » ou « inexigible » (le Gouvernement a fourni une liste très détaillée de décisions faisant jurisprudence sur cet aspect) et d’autre part en rattachant au libre choix de l’intéressé de collaborer, et non pas à un automatisme légal, la possibilité d’obtenir ces mêmes bénéfices. Toujours d’après le Gouvernement, une telle collaboration est, pour le législateur, l’indicateur objectif du rejet des « valeurs criminelles » et de la « dissociation » d’avec le groupe mafieux d’appartenance. Ce qui justifierait le choix du législateur de donner prééminence aux exigences de prévention générale et de protection de la société.

80.  Le Gouvernement soutient qu’en l’espèce la procédure de réexamen a permis de prendre en compte les progrès du requérant sur le chemin de l’amendement. Il indique que les juges saisis ont pu déterminer si l’intéressé avait fait des progrès tels qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne justifiait plus son maintien en détention. Il dit aussi que le requérant a eu et a toujours l’opportunité de collaborer avec l’autorité judiciaire afin de fournir la preuve irréfutable de sa complète réhabilitation.

81.  Le Gouvernement expose en outre que le système interne prévoit deux autres remèdes alternatifs à la demande de libération conditionnelle : la demande de grâce présidentielle, prévue à l’article 174 du CP, et la demande de suspension de l’exécution de la peine pour raisons de santé, régie par les articles 147 et 148 du même code.

82.  En ce qui concerne la perspective d’élargissement pour des motifs d’ordre pénologique, le Gouvernement conteste l’analyse faite par le requérant de l’arrêt Trabelsi (précité), qui portait principalement sur l’absence de critères objectifs et préétablis relativement à la procédure de réexamen prévue dans le système états-unien. De l’avis du Gouvernement, la législation italienne prévoit au contraire une procédure de réexamen de la peine perpétuelle fondée sur des critères clairs et objectifs. Les effets de la collaboration avec la justice seraient eux aussi clairement établis à l’article 58 ter du CP et connus à l’avance par les condamnés.

83.  Le Gouvernement argue que le système italien garantit aux détenus condamnés à la réclusion à perpétuité une possibilité de travailler à leur réinsertion, en application de l’obligation positive découlant des articles 3 et 8 de la Convention. L’objectif de réinsertion serait poursuivi par la loi sur l’administration pénitentiaire, même pour les condamnés à la peine à perpétuité dite « ergastolo ostativo », au moyen de l’individualisation du traitement pénitentiaire (soutien constant aux intérêts culturels, humains et professionnels des détenus, suppression des obstacles au développement personnel et promotion de la resocialisation).

84.  En conclusion, le Gouvernement soutient que le législateur n’a fait qu’ajouter une condition ultérieure pour les condamnés à la perpétuité régie par l’article 4 bis. À ses dires, une fois remplie cette condition, que le détenu est libre de respecter en coopérant avec les autorités, celui-ci peut aspirer à la libération conditionnelle et aux bénéfices pénitentiaires. Le système italien est donc, aux yeux du Gouvernement, compatible avec l’article 3 de la Convention.

c)      Les tiers intervenants

  1. Les académiciens et experts réunis sous la coordination de l’université de Milan (département d’études internationales, juridiques, historiques et politiques)

85.  Les académiciens et experts réunis sous la coordination de l’université de Milan tiennent d’abord à rappeler l’évolution de la législation en la matière : l’article 4 bis, initialement prévu pour permettre à celui ayant collaboré avec la justice d’avoir accès aux bénéfices pénitentiaires de manière préférentielle par rapport aux autres détenus, c’est-à-dire avant l’écoulement du délai ordinairement prévu, a été modifié par le décret‑loi no 306 du 8 juin 1992, à la suite de l’attentat contre le juge G. Falcone et son escorte, dans le sens d’une transformation de la « collaboration » en élément nécessaire à l’accès à la libération conditionnelle et aux bénéfices pénitentiaires.

86.  La tierce partie invoque ensuite la jurisprudence de la Cour pour en déduire que, si un traitement ou une peine ne peuvent jamais être contraires au principe de « dignité humaine », quel que soit leur effet dissuasif, le fait de ne pas tenir compte de la possibilité de « ne pas collaborer » et de garder le silence porte atteinte à la dignité de l’individu et à son droit à l’autodétermination. Selon ce tiers intervenant, l’automatisme législatif, qui voit le détenu « non‑collaborant » être exclu de tout bénéfice, introduit une présomption irréfragable de dangerosité, liée à une catégorie ample et hétérogène de délits que la doctrine désigne sous l’expression « droit pénal d’auteur » (diritto penale d’autore). La présomption de dangerosité sociale ne pourrait en pratique être renversée par aucun juge.

87.  Pour cette tierce partie, le régime de la peine de perpétuité réelle est également en contradiction avec les principes d’individualisation et de progressivité du traitement pénitentiaire : l’ergastolo ostativo empêche tout progrès du détenu « non-collaborant » dans son parcours de réinsertion graduelle dans la société.

  1. Le centre de documentation « L’altro diritto onlus » (Université de Florence)

88.  Le centre de documentation « L’altro diritto onlus » indique tout d’abord que, selon les données fournies en 2016 par le ministère italien de la Justice, sur le nombre total de condamnés à la perpétuité, 72,5 % (soit 1 216 individus) étaient détenus pour l’un des délits visés à l’article 4 bis (ergastolo ostativo). Selon ce tiers intervenant, en introduisant la « collaboration avec la justice » comme condition préalable à toute évaluation du parcours de réinsertion du condamné, le système national est en contradiction avec le droit d’autodétermination de ce dernier. Le détenu n’est pas en mesure de déterminer son existence en prison et d’avoir une influence sur le déroulement de sa peine, car son comportement et ses actions ne sont pas prises en compte par le juge en l’absence de collaboration. En outre, la peine de perpétuité serait contraire à l’obligation positive de l’État d’organiser un système pénitentiaire favorisant la rééducation et la réinsertion des détenus.

89.  Le centre de documentation « L’altro diritto onlus » expose enfin que l’alternative entre la collaboration et la non-collaboration oblige le détenu condamné à la réclusion à perpétuité à choisir entre, d’une part, sa dignité (sa capacité de déterminer son parcours de sortie, qui doit passer par la collaboration) et, d’autre part, sa vie ou son intégrité et celles de ses proches (étant donné le risque de représailles du milieu mafieux). Sur ce dernier point, en particulier, il précise, en se fondant sur l’observation directe de prisonniers condamnés à la perpétuité qu’il a rencontrés, que la raison principale du refus de collaborer réside dans la crainte pour le détenu de mettre en danger sa propre personne ou celle de ses proches.

  1. Le Réseau européen de recherche et d’action en contentieux pénitentiaire (RCP)

90.  Le RCP considère que le critère de « non-collaboration » ne peut pas passer pour un motif pénologique légitime et qu’en tout état de cause la procédure de réexamen en Italie ne satisfait pas aux exigences conventionnelles. En particulier, il expose que la jurisprudence interne montre l’existence d’un examen quasiment binaire (collaboration ou non‑collaboration), auquel le juge d’application des peines serait contraint de se livrer, bien loin du contrôle in concreto des exigences d’ordre pénologique justifiant le maintien en détention.

91.  Par ailleurs, le RCP invite la Cour à se saisir de deux questions qui, à ses yeux, devraient éclaircir sa jurisprudence : l’une relative à l’affirmation de l’exigence d’un contrôle juridictionnel strict, assorti de garanties procédurales, analogues aux garanties existantes en matière de liberté personnelle ; l’autre afférente à la consécration d’un véritable « droit à la réinsertion sociale », exigence dictée par les principes d’effectivité (ce qui permettrait à la Cour de clarifier les obligations des États) et de subsidiarité (ce qui amènerait le juge national à contrôler le respect du droit conventionnel au niveau interne).

  1. Appréciation de la Cour

a)      Principes applicables

92.  Les principes pertinents en matière de peines de réclusion à perpétuité, de réinsertion et de libération conditionnelle ont été exposés en détail dans l’arrêt Vinter (précité, § 103–122, avec les références à l’arrêt Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, CEDH 2008), et récemment résumés dans les arrêts Murray (précité, §§ 99-100) et Hutchinson c. Royaume-Uni [GC] (no 57592/08, §§ 42-45, 17 janvier 2017).

b)     Application de ces principes à la présente espèce

93.  La Cour observe d’emblée que, dans la présente affaire, le requérant ne se plaint pas d’une nette disproportion de la peine de réclusion à perpétuité à laquelle il a été condamné (voir, parmi d’autres, Matiošaitis et autres c. Lituanie, nos 22662/13 et 7 autres, § 157, 23 mai 2017, et Vinter, précité, § 102), mais de l’incompressibilité de jure et de facto alléguée de cette peine.

94.  La Cour note ensuite que la présente cause se distingue des affaires portant sur la peine perpétuelle introduites auparavant contre l’Italie, dans lesquelles elle a été amenée à se pencher sur la peine de perpétuité régie par l’article 22 du CP. Dans la décision Garagin c. Italie ((déc.) no 33290/07, 29 avril 2008 ; voir aussi Scoppola c. Italie (déc.), no 10249/03, 8 septembre 2005), elle a jugé que la réclusion à perpétuité demeure compatible avec l’article 3 de la Convention, en s’exprimant comme suit :

« (...) le condamné à perpétuité peut être libéré, et par le libellé de l’article 176 du CP. Aux termes de cette disposition, le condamné à perpétuité ayant eu un comportement de nature à démontrer un repenti sincère peut être libéré après avoir purgé vingt-six ans d’emprisonnement. Il peut en outre être admis au régime de semi-liberté après avoir purgé vingt ans d’emprisonnement (article 50 § 5 de la loi no 354 de 1975 (...), en Italie les peines perpétuelles sont (...) de jure et de facto compressibles. Dès lors, on ne peut dire que le requérant n’a aucune perspective de libération ni que son maintien en détention, fût-ce pour une longue durée, est en soi constitutif d’un traitement inhumain ou dégradant. »

Par ailleurs, dans l’arrêt Vinter (précité, § 117), la Cour s’est appuyée entre autres sur le droit interne italien – législation et jurisprudence de la Cour constitutionnelle – pour affirmer que la pratique des États contractants reflète la volonté à la fois d’œuvrer à la réinsertion des condamnés à perpétuité et de leur offrir une perspective de libération.

95.  La Cour observe que, en l’espèce, le régime applicable à la réclusion à perpétuité est le résultat de l’application combinée de l’article 22 du CP précité avec les articles 4 bis et 58 ter de la loi sur l’administration pénitentiaire. Cette catégorie spécifique de peine perpétuelle est qualifiée, au niveau interne, d’« ergastolo ostativo ».

96.  Elle relève que lesdites dispositions prévoient un traitement pénitentiaire différencié qui a pour effet d’empêcher l’octroi de la libération conditionnelle ainsi que l’accès aux autres bénéfices pénitentiaires et aux mesures alternatives à la détention (à l’exception de la « libération anticipée ») si la condition nécessaire de collaboration avec la justice n’est pas remplie. En effet, si pour l’ensemble des mesures favorisant la réinsertion progressive du condamné à la perpétuité, régie par l’article 22 du CP, le législateur a prévu certaines conditions d’accès (bonne conduite, participation au projet de réadaptation, progression du parcours de traitement, preuve positive de l’amendement) en fonction de la mesure demandée, il a instauré à l’article 4 bis une condition spécifique (paragraphe 32 ci‑dessus) faisant obstacle à l’octroi par le juge national des mesures d’aménagement.

97.  La Cour note que le contenu de cette collaboration est régi par l’article 58 ter (paragraphe 33 ci-dessus) : le condamné doit fournir aux autorités des éléments décisifs permettant de prévenir les conséquences ultérieures du délit ou de faciliter l’établissement des faits et l’identification des responsables d’infractions criminelles. Le condamné est dispensé de cette obligation si ladite collaboration peut être qualifiée d’« impossible » ou d’« inexigible » (paragraphe 46 ci-dessus) et s’il prouve la rupture de tout lien actuel avec le groupe mafieux (paragraphe 32 ci-dessus).

  1. Sur la perspective d’élargissement et la possibilité de demander la libération conditionnelle

98.  La Cour observe, à l’instar du requérant et du Gouvernement (paragraphes 68 et 77 ci-dessus), que, en raison de l’existence de la circonstance aggravante liée à l’assomption du rôle de chef au sein du groupe mafieux d’appartenance retenue à son encontre, l’intéressé ne saurait voir son éventuelle collaboration être qualifiée d’« impossible » ou d’« inexigible » au sens de la législation en vigueur et de la jurisprudence de la Cour de cassation (paragraphes 33 et 46 ci-dessus).

99.  Ainsi, afin de déterminer en l’espèce si la peine perpétuelle dite « ergastolo ostativo » est de jure et de facto compressible, c’est-à-dire si elle offre une perspective d’élargissement et une possibilité de réexamen (voir, parmi beaucoup d’autres, Hutchinson, précité, § 42), la Cour se concentrera sur la seule option ouverte au requérant : coopérer dans le cadre des activités d’investigation et de poursuite menées par les autorités judiciaires (paragraphe 77 ci-dessus), afin d’avoir une possibilité de demander et d’obtenir son élargissement.

100.  La Cour note que les circonstances relatives à la situation en cause en l’espèce semblent se distinguer des faits à l’origine de l’affaire Öcalan c. Turquie (no 2) (nos 24069/03 et 3 autres, §§ 200-202, 18 mars 2014). En effet, dans cette affaire, le contraste entre l’ordre juridique turc et l’article 3 de la Convention découlait du dispositif législatif alors en vigueur. Ceci interdisait au requérant, en raison de sa condition de condamné à la peine de réclusion à la perpétuité aggravée pour avoir commis un crime contre la sécurité de l’État, de demander, à un moment donné au cours de l’accomplissement de sa peine, son élargissement pour des motifs légitimes d’ordre pénologique. Il s’agissait là d’un effet automatique de la loi en question, qui excluait toute possibilité d’obtenir le réexamen de la peine et qui était lié à la nature de l’infraction pénale reprochée au requérant.

101.  La Cour observe que, dans la présente affaire, la législation interne n’interdit pas, de manière absolue et avec un effet automatique, l’accès à la libération conditionnelle et aux autres bénéfices propres au système pénitentiaire, mais qu’elle le subordonne à la « collaboration avec la justice ».

102.  En effet, la situation propre au requérant, découlant de l’article 4bis, se situe ainsi entre celle du condamné à la perpétuité ordinaire, prévue à l’article 22 du CP, dont la peine est compressible de jure et de facto, et celle du détenu qui se voit interdire par le système, en raison d’un obstacle juridique ou pratique, toute possibilité d’élargissement, en violation de l’article 3 de la Convention.

103.  La Cour prend note des affirmations du Gouvernement (paragraphe 75 ci-dessus) selon lesquelles l’article 4bis a pour finalité de demander aux condamnés la démonstration tangible de leur « dissociation » d’avec le milieu criminel et de la réussite du parcours de resocialisation, au moyen d’une collaboration utile avec la justice qui vise à la « désintégration » de l’association mafieuse et au rétablissement de la légalité( voir aussi la Cour constitutionnelle, paragraphe 40 ci-dessus). Pour lui, l’objectif de politique criminelle sous-jacent à la discipline du 4 bis est donc clairement défini, comme d’ailleurs mis en avant dans l’arrêt no 306/1993 de la Cour constitutionnelle (paragraphe 39 ci-dessus) : le législateur a explicitement privilégié les finalités de prévention générale et de protection de la collectivité, en demandant aux condamnés pour les délits en cause de faire preuve de coopération avec les autorités, un outil considéré comme capital dans la lutte contre le phénomène mafieux. D’après le Gouvernement, c’est cette spécificité du phénomène qui conduit à l’exigence de prévoir un régime de la réclusion à perpétuité différent du régime ordinaire prévu à l’article 22 du CP.

104.  À propos du phénomène mafieux, la Cour estime utile de se référer aux observations du Gouvernement (paragraphe 75 ci-dessus) et à l’arrêt de la cour d’assises de Palmi (paragraphe 9 ci-dessus) faisant état de la spécificité de l’association criminelle de type mafieux et du pacte conclu entre ses membres, qui se caractérise pour être particulièrement solide et s’inscrivant dans la continuité.

105.  Elle renvoie également à l’arrêt de la Cour de cassation no 46103 du 7 novembre 2014 (paragraphe 47 ci-dessus), dans lequel cette juridiction a rappelé que le délit d’association de malfaiteurs de type mafieux, un délit de nature permanente (reato permanente), présuppose l’existence d’un vaste programme criminel, projeté vers le futur et sans aucune limitation temporelle. Selon la Haute juridiction, l’état de réclusion d’un membre d’une association mafieuse n’implique pas la cessation automatique de sa participation à ladite association. La conclusion qu’en tire la Cour de cassation est que la « permanence » du délit visé à l’article 416 bis est compatible avec l’inactivité de l’associé ou l’état de veille de l’association, de sorte que le rapport d’association cesse seulement dans le cas objectif de rupture de l’accord d’association ou dans les cas subjectifs de décès, de rupture du lien individuel ou d’exclusion de la part des autres associés (paragraphe 47 ci-dessus).

106.  L’article 4 bis prévoit donc une présomption de dangerosité du condamné liée au type de délit qui lui est reproché. Cette dangerosité et le lien avec le milieu criminel d’origine ne disparaîtraient pas par le seul fait de la réclusion. La Cour note que, d’après le Gouvernement, c’est pour cette raison que la norme en question demande au condamné de prouver concrètement, par sa collaboration, qu’il a rompu avec le milieu criminel d’appartenance, ce qui indiquerait également la réussite du procès de resocialisation.

107.  La Cour rappelle avoir affirmé que le choix que fait l’État d’un régime de justice pénale, y compris le réexamen de la peine et les modalités de libération, échappe en principe au contrôle européen exercé par elle pour autant que le système retenu ne méconnaisse pas les principes de la Convention (Vinter, précité, § 104).

108.  Elle a également jugé que, si le châtiment demeure l’un des objectifs de la détention, les politiques pénales européennes mettent désormais l’accent sur l’objectif de resocialisation poursuivi par la détention, y compris dans le cas de détenus condamnés à la perpétuité (ibidem, §§ 115-118), et en particulier vers la fin d’une longue peine d’emprisonnement (Dickson, précité, § 75, avec la référence aux paragraphes 28-36). Le principe de resocialisation se trouve reflété dans les normes internationales et est aujourd’hui reconnu dans la jurisprudence de la Cour (Murray, précité, § 102, avec la jurisprudence qui y est citée).

109.  Au niveau interne, la Cour relève que, depuis l’arrêt de la Cour constitutionnelle no 313 de 1990 (paragraphe 38 ci‑dessus), la jurisprudence de cette haute juridiction sur la fonction de la peine témoigne du rôle central de la resocialisation, qui doit accompagner la peine de sa formulation normative abstraite à son exécution concrète : la Cour constitutionnelle a affirmé que celle-ci doit orienter l’action du législateur, du juge judiciaire, du juge d’application des peines et des autorités pénitentiaires.

110.  Ces premières considérations amènent la Cour à se pencher sur la question centrale qui se pose dans le cas du requérant, à savoir si l’équilibre entre les finalités de politique criminelle et la fonction de resocialisation de la peine ne finit pas, dans son application pratique, par restreindre excessivement la perspective d’élargissement de l’intéressé et la possibilité pour ce dernier de demander le réexamen de sa peine.

111.  La Cour observe que le système pénitentiaire italien se fonde sur le principe de la progression du traitement carcéral (progressione trattamentale) du détenu, selon lequel la participation active au programme individuel de rééducation et l’écoulement du temps peuvent produire des effets positifs sur le condamné et promouvoir sa pleine réinsertion dans la société. Au fur et à mesure qu’il évolue en prison, si tant est qu’il évolue, le condamné se voit offrir par le système la possibilité de bénéficier de mesures progressives (allant du travail à l’extérieur à la libération conditionnelle) censées l’accompagner dans son « chemin vers la sortie ».

112.  Il s’agit là d’une déclinaison de la fonction d’amendement de l’incarcération évoquée dans l’arrêt Murray (précité, § 101).

113.  La Cour rappelle en outre avoir affirmé que le principe de la « dignité humaine » empêche de priver une personne de sa liberté par la contrainte sans œuvrer en même temps à sa réinsertion et sans lui fournir une chance de recouvrer un jour cette liberté. Elle a précisé qu’« un détenu condamné à la perpétuité réelle a le droit de savoir (...) ce qu’il doit faire pour que sa libération soit envisagée et ce que sont les conditions applicables » (Vinter, précité, § 122).

Elle a aussi jugé que les autorités nationales doivent donner aux détenus condamnés à la prison à vie une chance réelle de se réinsérer (Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, nos 15018/11 et 61199/12, § 264, CEDH 2014 (extraits)). Il s’agit clairement d’une obligation positive de moyens, et non pas de résultat, impliquant de garantir pour ces détenus l’existence de régimes pénitentiaires qui soient compatibles avec l’objectif d’amendement et qui leur permettent de progresser sur cette voie (Murray, précité, § 104). À cet égard, la Cour a précédemment conclu à la méconnaissance de pareille obligation dans des cas où c’était le régime ou les conditions de détention qui faisaient obstacle à l’amendement des détenus (Harakchiev et Tolumov, précité, § 266).

114.  La Cour prend note de la position, en l’espèce, du Gouvernement, qui soutient que l’obstacle que représente l’absence de « collaboration avec la justice » n’est pas le résultat d’un automatisme législatif, qui ôterait de manière absolue toute perspective d’élargissement au requérant, mais plutôt la conséquence d’un choix individuel. Le rôle central assigné à la volonté du condamné, qui serait le seul artisan de son destin, constitue l’un des arguments principaux du Gouvernement (paragraphe 79 ci-dessus), qui s’appuie par ailleurs sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (paragraphe 41 ci-dessus).

115.  La Cour prend également note de la thèse du requérant, qui, de son côté, affirme que le fait de coopérer avec les autorités entraînerait pour lui ou pour ses proches un risque d’exposition à des représailles de la part de l’organisation mafieuse et irait à l’encontre de son intime conviction selon laquelle il est innocent (paragraphe 70 ci‑dessus). Il critique également la logique instrumentale du système qui fait dépendre sa possibilité de sortie au fait d’offrir sa collaboration totale (paragraphe 71 ci-dessus).

116.  Or, s’il est vrai que le régime interne offre au condamné le choix de collaborer ou pas avec la justice, la Cour doute de la liberté de ce choix tout comme de l’opportunité d’établir une équivalence entre le défaut de collaboration et la dangerosité sociale du condamné.

117.  Sans vouloir analyser le bien-fondé de l’expression d’innocence du requérant – ce qui d’ailleurs échappe à sa compétence –, la Cour constate que ce dernier ne fait qu’affirmer que, pour ne pas aller à l’encontre de son intime conviction et pour ne pas avoir à subir de réactions violentes de la part de ses anciens associés, il a décidé de ne pas collaborer avec la justice paragraphe 70 ci-dessus). Sur cet aspect, il convient de rappeler les déclarations de la tierce partie « L’altro diritto onlus » relatives à son activité d’observation directe de détenus condamnés à la perpétuité régie par l’article 4 bis. Selon ce tiers intervenant, la raison principale du refus de collaborer avec la justice résiderait dans la crainte pour les détenus condamnés pour des délits de type mafieux de mettre en danger leur vie ou celle de leurs proches (paragraphe 89 ci-dessus).

118.  La Cour en déduit que le défaut de collaboration ne saurait être toujours lié à un choix libre et volontaire, ni uniquement justifié par la persistance de l’adhésion aux « valeurs criminelles » et le maintien de liens avec le groupe d’appartenance. Cela a été d’ailleurs reconnu par la Cour constitutionnelle, dans son arrêt no 306 du 11 juin 1993, lorsqu’elle a affirmé que l’absence de collaboration n’indiquait pas forcément le maintien de liens avec l’organisation mafieuse (paragraphe 39 ci-dessus).

119.  En outre, la Cour relève, à l’instar de la Cour constitutionnelle dans ce même arrêt, que l’on pourrait raisonnablement être confronté à la situation où le condamné collabore avec les autorités sans pour autant que son comportement ne reflète un amendement de sa part ou sa « dissociation » effective d’avec le milieu criminel, l’intéressé agissant de la sorte dans le seul but d’obtenir les avantages prévus par la loi.

120.  Elle constate que, si d’autres circonstances ou d’autres considérations peuvent pousser le condamné à refuser de coopérer, ou si la collaboration peut éventuellement être proposée dans un but purement opportuniste, l’immédiate équivalence entre l’absence de collaboration et la présomption irréfragable de dangerosité sociale finit par ne pas correspondre au parcours réel de rééducation du requérant.

121.  Elle observe, en effet, que, en considérant la coopération avec les autorités comme la seule démonstration possible de la « dissociation » du condamné et de son amendement, il n’est pas tenu compte des autres indices permettant d’évaluer les progrès accomplis par le détenu. En effet, il n’est pas exclu que la « dissociation » d’avec le milieu mafieux puisse s’exprimer autrement qu’avec la collaboration avec la justice.

122.  La Cour rappelle, comme exposé plus haut (paragraphe 111 ci‑dessus), que le système pénitentiaire italien offre un éventail d’occasions progressives de contact avec la société – allant du travail à l’extérieur à la libération conditionnelle, en passant par les permissions de sortie et la semi‑liberté, qui ont pour finalité de favoriser le processus de resocialisation du détenu. Or, le requérant n’a pas bénéficié de ces occasions progressives de réinsertion sociale.

123.  La Cour relève que ce constat est avéré alors même que les rapports d’observation du requérant en milieu carcéral, présentés à l’appui de la demande de libération conditionnelle (paragraphe 24 ci-dessus), ont fait état d’une évolution de la personnalité de l’intéressé jugée positivement. De même, elle note que, bien qu’ayant été rendue dans un cadre juridique différent, l’ordonnance du TAP de l’Aquila ayant mis fin au régime du « 41 bis » indiquait les résultats positifs du parcours de resocialisation du requérant (paragraphe 16 ci-dessus).

124.  La Cour constate, de surcroît, que le requérant a déclaré n’avoir jamais fait l’objet de sanctions disciplinaires et avoir accumulé depuis sa condamnation, en raison de sa participation au programme de réinsertion, environ cinq ans de libération anticipée (paragraphe 73 ci-dessus), mais que, du fait de l’absence de collaboration de sa part, il ne peut pas bénéficier en pratique de la déduction de peine obtenue.

125.  La Cour estime que la personnalité d’un condamné ne reste pas figée au moment où l’infraction a été commise. Celle-ci peut évoluer pendant la phase d’exécution de la peine, comme le veut la fonction de resocialisation, qui permet à l’individu de revoir de manière critique son parcours criminel et de reconstruire sa personnalité (Murray, précité, § 102).

126.  La Cour rappelle que, pour cela, le condamné doit savoir ce qu’il doit faire pour que sa libération puisse être envisagée et à quelles conditions (Vinter et autres, précité, § 122, et Trabelsi, précité, §§ 115 et 137).

127.  En l’occurrence, la Cour estime que l’absence de « collaboration avec la justice » détermine une présomption irréfragable de dangerosité, qui a pour effet de priver le requérant de toute perspective réaliste d’élargissement (voir, parmi d’autres, Harakchiev et Tolumov, précité, § 264, et Matiošaitis et autres, précité, § 177). Celui-ci risque de ne jamais pouvoir se racheter : quoi qu’il fasse en prison, son châtiment demeure immuable, insusceptible de contrôle et risque aussi de s’alourdir avec le temps (Vinter, précité, § 112).

128.  La Cour relève en effet que le requérant est dans l’impossibilité de pouvoir démontrer qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne justifie plus son maintien en détention et que celui-ci est donc contraire à l’article 3 de la Convention (ibidem, § 129), puisque, en maintenant l’équivalence entre l’absence de collaboration et la présomption irréfragable de dangerosité sociale (paragraphes 116 et 120 ci-dessus), le régime en vigueur rattache en réalité la dangerosité de l’intéressé au moment où les délits ont été commis, au lieu de tenir compte du parcours de réinsertion et des éventuels progrès accomplis depuis la condamnation.

129.  En outre, la Cour souligne que ladite présomption irréfragable empêche de facto le juge compétent d’examiner la demande de libération conditionnelle et de rechercher si, au cours de l’exécution de sa peine, le requérant a tellement évolué et progressé sur le chemin de l’amendement que le maintien en détention ne se justifie plus pour des motifs d’ordre pénologique (Murray, précité, § 100, avec la jurisprudence qui y est citée). L’intervention du juge est limitée au constat du non-respect de la condition de collaboration, sans pouvoir mener une appréciation du parcours individuel du détenu et de son évolution sur le chemin de la resocialisation. Ce qui est d’ailleurs l’étendue de l’appréciation du TAP de L’Aquila dans la présente affaire. Ce dernier a en effet rejeté la demande de libération conditionnelle du requérant en relevant l’absence de collaboration avec la justice (paragraphe 25 ci-dessus), sans se livrer à une appréciation des éventuels progrès que l’intéressé disait avoir faits depuis sa condamnation.

130.  Certes, la Cour reconnaît que les délits pour lesquels le requérant a été condamné portent sur un phénomène particulièrement dangereux pour la société. Elle note aussi que l’introduction de l’article 4 bis est le résultat de la réforme du régime pénitentiaire de 1992, laquelle réforme s’est inscrite dans un contexte d’urgence où le législateur a été amené à intervenir, à la suite d’un épisode extrêmement marquant pour l’Italie (paragraphe 85 ci‑dessus), dans une situation particulièrement critique. Cela étant, la lutte contre ce fléau ne saurait justifier de dérogations aux dispositions de l’article 3 de la Convention, qui prohibent en termes absolus les peines inhumaines ou dégradantes. Ainsi, la nature des infractions reprochées au requérant est dépourvue de pertinence pour l’examen de la présente requête sous l’angle de l’article 3 susmentionné (Öcalan, précit駧 98 et 205, avec la jurisprudence qui y est citée). Par ailleurs, la Cour a affirmé que la fonction de resocialisation vise, en dernier ressort, à empêcher la récidive et à protéger la société (Murray, précité, § 102).

131.  Il échet de rappeler que la Cour, dans une affaire portant sur la durée de la détention provisoire, et donc sur le terrain de l’article 5 de la Convention, a rappelé le principe selon lequel « une présomption légale de dangerosité peut se justifier, en particulier lorsqu’elle n’est pas absolue, mais se prête à être contredite par la preuve du contraire » (Pantano c. Italie, no 60851/00, § 69, 6 novembre 2003). Cette affirmation vaut encore plus sur le terrain de l’article 3 de la Convention, étant donné le caractère absolu de cette disposition, qui ne souffre aucune exception (voir, parmi beaucoup d’autres, Trabelsi, précité, § 118).

132.  La Cour remarque, à titre surabondant, qu’au niveau interne semble se développer une tendance récente en faveur d’une remise en question de la présomption irréfragable de dangerosité sociale, comme le prouvent l’arrêt no 149 du 11 juillet 2018 de la Cour constitutionnelle (paragraphe 43 ci‑dessus), l’ordonnance de renvoi de la Cour de cassation à la Cour constitutionnelle relativement à la constitutionnalité de l’article 4 bis (paragraphe 48 ci-dessus), ainsi que deux projets récents de réforme de l’article 4 bis d’origine gouvernementale (paragraphes 49 et 50 ci-dessus).

  1. Sur les autres remèdes internes visant au réexamen de la peine

133.  Pour ce qui est enfin des affirmations du Gouvernement, selon lesquelles le système interne prévoit deux autres remèdes pour obtenir le réexamen de la peine, à savoir la demande de grâce présidentielle et la demande de suspension de la peine pour raisons de santé (paragraphe 81 ci‑dessus), la Cour rappelle sa jurisprudence pertinente en l’espèce selon laquelle la possibilité pour un détenu purgeant une peine perpétuelle de bénéficier d’une grâce ou d’une remise en liberté, pour des motifs d’humanité tenant à un mauvais état de santé, à une invalidité physique ou à un âge avancé, ne correspond pas à ce que recouvre l’expression « perspective d’élargissement » employée depuis l’arrêt Kafkaris (précité, § 127 ; voir aussi Öcalan, précité, § 203, et László Magyar c. Hongrie, no 73593/10, §§ 57 et 58, 20 mai 2014).

134.  En particulier, la Cour observe que, dans son arrêt no 200 du 18 mai 2006 (paragraphe 44 ci-dessus), la Cour constitutionnelle a jugé que le pouvoir de grâce présidentielle répond à des finalités purement humanitaires et sert à tempérer la rigidité de la loi pénale. Quant aux demandes de suspension de la peine pour raisons de santé, elles correspondent à ce que la Cour a défini comme « un réexamen limité à des motifs d’humanité » (Hutchinson, précité, § 43, Vinter, précité, § 127, et Matiošaitis et autres, précité, § 173).

135.  Par ailleurs, la Cour prend note de l’assertion du requérant selon laquelle aucun détenu condamné à la perpétuité disciplinée par l’article 4 bis n’a jamais bénéficié d’une décision de grâce présidentielle (paragraphe 74 ci‑dessus). À cet égard, le Gouvernement n’a fourni aucun exemple d’un condamné à la peine de réclusion à perpétuité de ce type qui ait obtenu un aménagement de sa peine en vertu d’une grâce présidentielle (voir Bodein c. France, no 40014/10, § 59, 13 novembre 2014, et, a contrarioKafkaris, précité, § 103).

  1. Conclusion

136.  La Cour tient à rappeler que la dignité humaine, qui se trouve au cœur même du système mis en place par la Convention, empêche de priver une personne de sa liberté par la contrainte sans œuvrer en même temps à sa réinsertion et sans lui fournir une chance de recouvrer un jour cette liberté (Vinter, précité, § 113).

137.  Eu égard aux principes susmentionnés, et pour les raisons avancées ci-dessus, la Cour considère que la réclusion à perpétuité infligée au requérant, en application de l’article 4 bis de la loi sur l’administration pénitentiaire, dite « ergastolo ostativo », restreint excessivement la perspective d’élargissement de l’intéressé et la possibilité de réexamen de sa peine. Dès lors, cette peine perpétuelle ne peut pas être qualifiée de compressible aux fins de l’article 3 de la Convention. La Cour rejette ainsi l’exception du Gouvernement relative à la qualité de victime du requérant et conclut que les exigences de l’article 3 en la matière n’ont pas été respectées.

138.  Cela étant, elle estime que le constat de violation prononcé dans la présente affaire ne saurait être compris comme donnant au requérant une perspective d’élargissement imminent (voir, parmi d’autres, Harakchiev et Tolumov, précité, § 268, et László Magyar, précité, § 59).

  1. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION

139.  Aux termes de l’article 46 de la Convention :

« 1.  Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2.  L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »

140.  La Cour rappelle que, tel qu’interprété à la lumière de l’article 1 de la Convention, l’article 46 crée pour l’État défendeur l’obligation juridique non seulement de verser aux individus concernés les sommes accordées à titre de la satisfaction équitable, mais aussi de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles qui s’imposent pour mettre un terme aux problèmes à l’origine des constats opérés par elle et à leurs effets (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000‑VIII, et László Magyar, précité, § 70). Afin de faciliter le respect par un État membre de ses obligations découlant de l’article 46, la Cour peut exceptionnellement envisager d’indiquer le type de mesures individuelles ou générales souhaitables afin de mettre un terme à la situation de violation qu’elle a constatée (Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, §§ 189-194 et son dispositif, CEDH 2004‑V, Scoppola c. Italie (no 2) [GC], précité, § 148, et Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 255, CEDH 2012).

141.  La présente affaire met en lumière un problème structurel qui fait qu’un certain nombre de requêtes sont actuellement pendantes devant la Cour. En perspective, elle pourrait donner lieu à l’introduction de nombreuses autres requêtes portant sur la même problématique.

142.  La Cour redit que la présomption irréfragable de dangerosité, prévue en matière de réclusion à perpétuité pour les délits visés à l’article 4 bis de la loi sur l’administration pénitentiaire, découlant de l’absence de collaboration avec la justice, risque de priver les condamnés pour ces délits de toute perspective d’élargissement et de la possibilité d’obtenir un réexamen de la peine.

143.  La nature de la violation trouvée sur le terrain de l’article 3 de la Convention indique que l’État mette en place, de préférence par initiative législative, une réforme du régime de la réclusion à perpétuité garantissant la possibilité d’un réexamen de la peine, ce qui permettrait aux autorités de déterminer si, au cours de l’exécution de sa peine, le détenu a tellement évolué et progressé sur le chemin de l’amendement qu’aucun motif légitime d’ordre pénologique ne justifie plus son maintien en détention, et au condamné de bénéficier ainsi du droit de savoir ce qu’il doit faire pour que sa libération soit envisagée et ce que sont les conditions applicables. La Cour considère, tout en admettant que l’État puisse prétendre la démonstration de la « dissociation » d’avec le milieu mafieux, que cette rupture peut s’exprimer autrement qu’avec la collaboration avec la justice et l’automatisme législatif actuellement en vigueur.

144.  Les États contractants jouissent d’une ample marge d’appréciation pour décider de la durée adéquate des peines d’emprisonnement pour des infractions données, et le simple fait qu’une peine de réclusion à vie puisse en pratique être purgée dans son intégralité ne la rend pas incompressible (László Magyar, précité, § 72). En conséquence, la possibilité de réexamen de la réclusion à perpétuité implique la possibilité pour le condamné de demander un élargissement, mais pas forcément d’obtenir sa libération s’il constitue toujours un danger pour la société.

  1. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

145.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

  1. Dommage

146.  Le requérant réclame 50 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi.

147.  Le Gouvernement conteste cette demande : il estime que la situation de préjudice alléguée découle du fait que le requérant n’a pas encore achevé son parcours de rééducation et que, en l’absence de preuve positive de la rupture de tout lien avec l’organisation mafieuse, qui relèverait d’un choix délibéré de l’intéressé, ce dernier représente toujours une menace pour la sécurité publique. Il ajoute que les éventuelles souffrances liées à la condition de détenu incarcéré à vie du requérant ne sont pas étayées par des documents médicaux justifiant un tel montant. Enfin, à titre subsidiaire, le Gouvernement demande à la Cour de dire que le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante.

148.  La Cour estime que, eu égard aux circonstances de l’espèce, le constat de violation de l’article 3 de la Convention auquel elle est parvenue constitue une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir été subi par le requérant (voir, parmi beaucoup d’autres, Matiošaitis et autres, précité, § 199). Elle n’accorde donc aucune somme à ce titre.

  1. Frais et dépens

149.  Le requérant sollicite également 17 600 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes dans le cadre de la procédure de libération conditionnelle et 42 500 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour ceux engagés devant la Cour. Il demande que toutes les sommes que la Cour serait amenée à accorder à ce titre soient directement versées à ses conseils, ces derniers n’ayant pas encore perçu les montants indiqués.

150.  Le Gouvernement conteste les prétentions du requérant. Il soutient qu’elles sont abstraites, non étayées par des documents pertinents et sans rapport avec les barèmes tarifaires nationaux, et que cela vaut d’autant plus que l’intéressé a fait appel à trois avocats. Il critique aussi, comme étant ontologiquement injustifiée, la demande de remboursement de l’opinion pro veritate rédigée par l’un des avocats du requérant dans le cadre de la procédure interne. Enfin, il fait observer que les factures produites par le requérant indiquent que celui-ci n’a pas encore exposé les frais réclamés pour l’activité de ses conseils.

151.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant, tous frais confondus, la somme de 6 000 EUR. Ces sommes seront versées sur les comptes bancaires dont les coordonnées seront indiquées par les représentants de l’intéressé.

  1. Intérêts moratoires

152.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Joint au fond et rejette, à l’unanimité, l’exception du Gouvernement tirée de la qualité de « victime » du requérant ;

2.  Déclare à l’unanimité la requête recevable ;

3.  Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

4.  Dit, par six voix contre une, que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

5.  Dit, par six voix contre une,

a)    que l’État défendeur doit verser au requérant, selon les modalités définies au paragraphe 151 du présent arrêt, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû par l’intéressé à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b)    qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 juin 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

              Renata DegenerLinos-Alexandre Sicilianos
Greffière adjointePrésident

 

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Wojtyczek.

L.-A.S.
R.D.



OPINION DISSIDENTE DU JUGE WOJTYCZEK

1.  À mon grand regret, je ne peux souscrire à l’opinion de la majorité selon laquelle la République italienne a violé l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme dans la présente affaire.

2.  L’article 2 de la Convention impose aux Hautes Parties contractantes l’obligation de prendre des mesures appropriées pour protéger la vie humaine. La Cour a ainsi rappelé, par exemple dans l’affaire Kayak c. Turquie (no 60444/08, § 53, 10 juillet 2012),

« (...) que la première phrase de l’article 2 § 1 astreint l’État non seulement à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (L.C.B. c. Royaume-Uni, 9 juin 1998, § 36, Recueil 1998-III), et que l’obligation de l’État à cet égard implique le devoir primordial d’assurer le droit à la vie en mettant en place un cadre juridique et administratif propre à dissuader de commettre des atteintes contre la personne et s’appuyant sur un mécanisme d’application conçu pour en prévenir, réprimer et sanctionner les violations (Makaratzis c. Grèce [GC], no 50385/99, § 57, CEDH 2004-XI). »

Cette obligation concerne en particulier la protection contre le crime organisé. Les Hautes Parties contractantes ont l’obligation de prendre des mesures efficaces pour démanteler les organisations criminelles constituant une menace pour la vie des personnes. Pour atteindre ce but, il est primordial de détruire la solidarité entre les membres d’une telle organisation et de briser la loi du silence qui s’y attache. À cet effet, les autorités nationales doivent prendre les mesures appropriées compte tenu des circonstances propres à leur pays.

3.  Les éléments essentiels de la présente affaire peuvent être résumés comme suit. Le requérant, qui a été condamné à la détention à perpétuité, dirigeait une organisation criminelle. Celle-ci continue de représenter une menace pour la vie et la sécurité des personnes en Italie. Le requérant détient des informations qui pourraient aider les autorités à poursuivre d’autres personnes actives au sein de cette organisation et contribuer ainsi à réduire considérablement la menace pesant sur la vie des personnes et empêcher de nouveaux crimes. Il refuse cependant de communiquer les informations pertinentes aux autorités, clamant son innocence et invoquant sa crainte pour sa propre vie et pour celle des membres de sa famille. Le tribunal d’application des peines de L’Aquila a noté en particulier que :

« le groupe mafieux était toujours actif dans le territoire de Taurianova, que le requérant était le chef reconnu d’une organisation criminelle et que l’observation quotidienne de l’intéressé n’avait pas fait ressortir que celui-ci s’était livré à une évaluation critique de son passé criminel » (paragraphe 22 du présent arrêt).

Dans les conditions décrites, attendre du requérant qu’il aide les autorités italiennes à sauver des vies humaines en leur communiquant des informations ne semble pas déraisonnable. »

4.  La législation italienne ne prive pas les personnes condamnées à la détention à perpétuité, pour les crimes les plus dangereux pour la société, de l’espoir d’obtenir un jour la liberté. Elle prévoit la possibilité d’une libération conditionnelle mais subordonne celle-ci à la condition d’une collaboration avec la justice. Il faut noter par ailleurs que, dans la pratique, les personnes qui n’ont pas été considérées comme faisant partie du sommet de l’organisation criminelle ne sont pas soumises à cette condition et bénéficient du régime ordinaire d’application des peines.

La législation italienne n’est pas figée ; elle a fait l’objet de modifications et elle a été soumise plusieurs fois à un contrôle de constitutionnalité. Elle a été débattue et analysée dans la procédure parlementaire et judiciaire (comparer avec les standards énoncés dans l’arrêt Animal Defenders International c. Royaume-Uni ([GC], no 48876/08, §§ 113-116, CEDH 2013 (extraits)) ; je note, entre parenthèses, que la Cour semble avoir oublié ces standards dans sa jurisprudence).

5.  Je note aussi que les autorités italiennes ont adopté une législation permettant aux criminels impliqués dans la criminalité organisée d’obtenir des remises de peine en cas de collaboration avec les autorités de poursuite au stade de l’instruction. Je remarque qu’au fil des ans des milliers de criminels ont collaboré avec les autorités et bénéficié de ces mesures. La menace que le crime organisé fait peser sur les « repentis » n’atteint pas un niveau susceptible de paralyser la mise en œuvre de ces mesures. Le requérant lui-même a été condamné grâce à la collaboration avec la justice de deux personnes « repenties ».

Il est évident que la situation d’un inculpé et celle d’un condamné à la détention à perpétuité sont différentes. Le premier, en collaborant avec la justice, peut obtenir un avantage considérable (une remise de peine substantielle), alors que le deuxième ne peut obtenir qu’un avantage lointain et incertain (la possibilité de demander un jour une libération conditionnelle). Selon le cas, la mise en balance des avantages et des risques se pose donc différemment. Néanmoins, la menace que le crime organisé fait peser sur les personnes qui brisent la loi du silence ne semble pas être un obstacle infranchissable dans la mise en œuvre des différentes mesures visant à la collaboration des criminels avec les autorités de poursuite.

Les tiers intervenants soutiennent que les mesures incriminées ne sont pas efficaces et n’apportent pas les résultats escomptés, les personnes concernées refusant dans la pratique de collaborer avec la justice. Je note dans ce contexte que, en matière de politique criminelle, les États jouissent d’une certaine marge d’appréciation. Si le contrôle de proportionnalité des atteintes aux droits est une sorte du contrôle de contrôle de rationalité de ces ingérences, la Cour n’est pas compétente pour évaluer la rationalité en tant que telle des politiques criminelles des États parties à la Convention. Comme le souligne la jurisprudence, « le choix par un État d’un système de justice pénale, y compris le réexamen de la peine et les modalités de libération, échappe en principe au contrôle exercé par la Cour » (Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, nos 15018/11 et 61199/12, § 250, CEDH 2014 (extraits)).

6.  La majorité exprime le point de vue suivant au paragraphe 118 (gras ajouté) :

« La Cour en déduit que le défaut de collaboration ne saurait être toujours lié à un choix libre et volontaire, ni uniquement justifié par la persistance de l’adhésion aux « valeurs criminelles » et le maintien de liens avec le groupe d’appartenance. Cela a été d’ailleurs reconnu par la Cour constitutionnelle, dans son arrêt no 306 du 11 juin 1993, lorsqu’elle a affirmé que l’absence de collaboration n’indiquait pas forcément le maintien de liens avec l’organisation mafieuse (...) »

Si je comprends correctement mes collègues, ils estiment que les conditions de libération d’un prisonnier condamné à perpétuité doivent être telles qu’elles dépendent toujours, par leur nature, du libre choix du prisonnier. À leurs yeux, l’absence de conditions doit toujours être liée à un choix libre et volontaire. Cet argument est sidérant. La démarche de la majorité consiste à apprécier la législation nationale in abstracto et à la remettre en cause dans son ensemble du seul fait que dans certains cas elle puisse produire des effets problématiques. À mon avis, la question pertinente, dans le cadre de l’examen d’une requête individuelle par la Cour, n’est pas de savoir si le choix en question est toujours libre et volontaire mais plutôt de déterminer si le choix concret du prisonnier concerné est libre et volontaire.

7.  La Cour a livré le raisonnement suivant dans l’arrêt Hutchinson c. Royaume-Uni ([GC], no 57592/08, § 42, 17 janvier 2017) :

« (...) pour être compatible avec l’article 3, pareille peine doit être compressible de jure et de facto, c’est-à-dire qu’elle doit offrir une perspective d’élargissement et une possibilité de réexamen. Pareil réexamen doit notamment se fonder sur une évaluation du point de savoir si des motifs légitimes d’ordre pénologique justifient le maintien en détention du détenu. Les impératifs de châtiment, de dissuasion, de protection du public et de réinsertion figurent au nombre de ces motifs. »

Cette approche confirme que la peine est un instrument légal multidimensionnel. La resocialisation du criminel est un objectif fondamental, mais elle n’est pas le seul objectif. La peine a aussi une fonction rétributive : elle donne un sentiment de justice non seulement à la société mais aussi, et surtout, à la victime. La peine a également une fonction dissuasive à l’égard d’autres criminels potentiels. Elle peut aussi viser d’autres objectifs et, en particulier, elle peut être réglementée de façon à réduire la criminalité, en aidant les autorités à démanteler les organisations criminelles.

Il convient de rappeler ici que le droit international des droits de l’homme insiste très fortement sur la fonction dissuasive de la peine. De nombreux arrêts de la Cour déclarent certaines peines manifestement disproportionnées à la gravité du crime. La peine est déclarée disproportionnée eu égard à la nature du crime commis, sans que la Cour cherche à établir les besoins de resocialisation dans l’affaire concernée. À titre d’exemple, on peut citer ici les considérants suivants :

« une telle sanction ne saurait ni être considérée comme propre à dissuader l’auteur des faits ou d’autres agents de l’État de commettre des infractions similaires ni être perçue comme juste par les victimes » (Sidiropoulos et Papakostas c. Grèce, no 33349/10, § 95, 25 janvier 2018 – gras ajouté) ;

« le système pénal et disciplinaire, tel qu’il a été appliqué en l’espèce, s’est avéré loin d’être rigoureux et ne pouvait engendrer aucune force dissuasive susceptible d’assurer la prévention efficace d’actes illégaux tels que ceux dénoncés par la requérante » (Zeynep Özcan c. Turquie, no 45906/99, § 45, 20 février 2007 – gras ajouté).

Il appartient au législateur national de mettre en œuvre la politique pénale, en établissant les peines jugées adaptées aux différents crimes et délits et en définissant les objectifs concrets de la peine ainsi que leur priorisation.

La motivation du présent arrêt laisse entendre que la resocialisation devient le seul but légitime de la peine. Je ne suis pas d’accord avec cette approche. Elle conduit à renverser tacitement la jurisprudence Hutchinson sur ce point. De plus, si la resocialisation devait être le seul but de la peine, que faudrait-il faire des personnes qui ont commis des crimes et qui sont poursuivies de longues années plus tard alors qu’entre-temps elles ont regretté leur crime et complètement changé de personnalité ?

8.  La stratégie argumentative de la majorité est axée sur l’idée selon laquelle le système se fonde sur une présomption « irréfragable » de dangerosité sociale d’un prisonnier refusant de collaborer avec les autorités. Le terme de « présomption irréfragable » revêt en général une connotation négative en matière pénale. Il donne à penser de prime abord qu’une personne pourrait être victime d’une situation injuste résultant de l’impossibilité d’apporter la preuve du contraire.

Je constate dans ce contexte que la notion même de « présomption irréfragable » est critiquée à juste titre par la théorie du droit qui explique que les présomptions réfragables et les « présomptions irréfragables » constituent deux catégories juridiques complètement distinctes. Une « présomption irréfragable » n’est pas une présomption guidant les raisonnements pour justifier des propositions factuelles à partir d’autres propositions factuelles, mais tout simplement une règle de droit qui attribue certaines conséquences juridiques à certaines circonstances de fait (à ce sujet, voir, par exemple, T. Gizbert-Studnicki, « Znaczenie terminu ,,domniemanie prawne’’ w języku prawnym i prawniczym », Ruch Prawniczy, Ekonomiczny i Socjologiczny, [La signification du terme «présomption légale » dans les langages légal et juridique], vol. 36, 1974, no 1). On peut essayer de présenter comme érigeant une présomption irréfragable toute règle de droit qui prévoit certaines conséquences juridiques chaque fois que surgissent certaines circonstances factuelles ; toutefois, une telle approche n’apporte pas de valeur ajoutée à la compréhension du droit.

Si le requérant dans la présente affaire est toujours en prison, ce n’est pas parce qu’il est présumé socialement dangereux, mais parce qu’il a été condamné à une certaine peine, eu égard à l’ensemble des fonctions de la peine. Il est en prison, en particulier, parce que cela est nécessaire pour donner un sentiment de justice aux familles de ses victimes et à la société italienne en général, et pour dissuader d’autres criminels potentiels de commettre des crimes similaires. Des motifs légitimes d’ordre pénologique justifient donc le maintien en détention de l’intéressé.

9.  Dans l’arrêt Hutchinson, précité, la Cour a posé le principe suivant :

« Un détenu condamné à la perpétuité réelle a donc le droit de savoir, dès le début de sa peine, ce qu’il doit faire pour que sa libération puisse être envisagée et ce que sont les conditions applicables » (paragraphe 44).

À mon avis, la loi italienne est suffisamment claire et elle permet au détenu de gérer sa propre conduite, respectant ainsi le principe de sécurité juridique.

10.  Au paragraphe 133 du présent arrêt, la majorité exprime le point de vue suivant :

« Pour ce qui est enfin des affirmations du Gouvernement, selon lesquelles le système interne prévoit deux autres remèdes pour obtenir le réexamen de la peine, à savoir la demande de grâce présidentielle et la demande de suspension de la peine pour raisons de santé (...), la Cour rappelle sa jurisprudence pertinente en l’espèce selon laquelle la possibilité pour un détenu purgeant une peine perpétuelle de bénéficier d’une grâce ou d’une remise en liberté, pour des motifs d’humanité tenant à un mauvais état de santé, à une invalidité physique ou à un âge avancé, ne correspond pas à ce que recouvre l’expression « perspective d’élargissement » employée depuis l’arrêt Kafkaris (précité, § 127 ; voir aussi Öcalan, précité, § 203, et László Magyar c. Hongrie, no 73593/10, §§ 57 et 58, 20 mai 2014). »

Je note que, dans l’arrêt Iorgov c. Bulgarie (no 2) (no 36295/02, 2 septembre 2010) puis dans l’arrêt Harakchiev et Tolumov, précité, la Cour a exposé la méthodologie applicable pour rechercher si l’existence du droit de grâce permet de considérer une peine comme compatible avec l’exigence de compressibilité. Dans ces deux affaires, la Cour a analysé en détail les modalités juridiques ainsi que la pratique de l’exercice du droit de grâce. Au paragraphe 262 de l’arrêt Harakchiev et Tolumov, elle a déclaré que « [l]’absence d’exemples tendant à suggérer qu’une personne purgeant une peine de perpétuité réelle [peut], à certaines conditions bien définies, obtenir un aménagement de peine » ne suffit en aucun cas pour démontrer que la peine de perpétuité est incompressible de facto.

Je note que la majorité a refusé de suivre cette méthodologie dans la présente affaire. L’argument selon lequel le Gouvernement « n’a fourni aucun exemple d’un condamné à la peine de réclusion à perpétuité de ce type qui ait obtenu un aménagement de sa peine en vertu d’une grâce présidentielle » (paragraphe 135 du présent arrêt) ne peut pas être décisif. Il est possible qu’aucun prisonnier condamné à la détention à perpétuité ne remplisse encore les conditions relatives à la resocialisation et ne justifie ainsi l’octroi d’une grâce présidentielle.

11.  Comme cela a été dit ci-dessus, le présent arrêt renverse tacitement certains principes énoncés dans l’arrêt Hutchinson. Il est difficile par ailleurs de le concilier avec les arrêts de la Cour mettant l’accent sur l’effet dissuasif de la peine et ceux concernant la grâce présidentielle. Il en résulte une situation où la jurisprudence de la Cour sur la peine de réclusion à perpétuité devient de moins en moins lisible et de plus en plus imprévisible.