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Corte europea dei diritti dell’uomo (Grande Camera), 11 luglio 2002

(requĂȘte n. 28957/95)

 

 

AFFAIRE CHRISTINE GOODWIN c. ROYAUME-UNI

 

En l'affaire Christine Goodwin c. Royaume-Uni ,

La Cour europĂ©enne des droits de l'homme, siĂ©geant en une Grande Chambre composĂ©e de :

MM. L. Wildhaber, prĂ©sident
J.-P. Costa, 
Sir Nicolas Bratza, 
Mme E. Palm, 
MM. L. Caflisch, 
R. TĂŒrmen, 
Mme F. Tulkens, 
MM. K. Jungwiert, 
M. Fischbach, 
V. Butkevych, 
Mme N. Vajić, 
M. J. Hedigan, 
Mme H.S. Greve, 
MM. A.B. Baka, 
K. Traja, 
M. Ugrekhelidze, 
Mme A. Mularoni, 
ainsi que de M. P.J. Mahoney, greffier,

AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil les 20 mars et 3 juillet 2002,

Rend l'arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette derniĂšre date :

 

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requĂȘte (no 28957/95) dirigĂ©e contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Christine Goodwin (« la requĂ©rante Â»), avait saisi la Commission europĂ©enne des Droits de l'Homme (« la Commission Â») le 5 juin 1995 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des LibertĂ©s fondamentales (« la Convention Â»).

2.  La requĂ©rante, qui avait Ă©tĂ© admise au bĂ©nĂ©fice de l'assistance judiciaire, Ă©tait reprĂ©sentĂ©e par Bindman & Partners, un cabinet de solicitors de Londres. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement Â») Ă©tait reprĂ©sentĂ© par son agent.

3.  La requĂ©rante allĂ©guait la violation des articles 8, 12, 13 et 14 de la Convention Ă  raison de la situation juridique des transsexuels au Royaume-Uni et, en particulier, la maniĂšre dont ils sont traitĂ©s dans les domaines de l'emploi, de la sĂ©curitĂ© sociale, des pensions et du mariage.

4.  La Commission a dĂ©clarĂ© la requĂȘte recevable le 1er dĂ©cembre 1997 puis, faute d'avoir pu en terminer l'examen avant le 1er novembre 1999, l'a dĂ©fĂ©rĂ©e Ă  la Cour Ă  cette date, conformĂ©ment Ă  l'article 5 § 3, seconde phrase, du Protocole no 11 Ă  la Convention.

5.  La requĂȘte a Ă©tĂ© attribuĂ©e Ă  la troisiĂšme section de la Cour (article 52 § 1 du rĂšglement).

6.  Tant la requĂ©rante que le Gouvernement ont dĂ©posĂ© des observations Ă©crites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du rĂšglement).

7.  Le 11 septembre 2001, la chambre constituĂ©e au sein de ladite section pour examiner l'affaire et composĂ©e de M. J.-P. Costa, M. W. Fuhrmann, M. P. Kūris, Mme F. Tulkens, M. K. Jungwiert, Sir Nicolas Bratza et M. K. Traja, juges, ainsi que de Mme S. DollĂ©, greffiĂšre de section, s'est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s'y Ă©tant opposĂ©e (articles 30 de la Convention et 72 du rĂšglement).

8.  La composition de la Grande Chambre a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e conformĂ©ment aux articles 27 § 2 de la Convention et 24 du rĂšglement. Le prĂ©sident de la Cour a dĂ©cidĂ© que, dans l'intĂ©rĂȘt d'une bonne administration de la justice, l'affaire devait ĂȘtre attribuĂ©e Ă  la Grande Chambre ayant Ă©tĂ© constituĂ©e pour examiner l'affaire I. c. Royaume-Uni (no 25680/94, 11 juillet 2002) (articles 24, 43 § 2 et 71 du rĂšglement).

9.  Tant la requĂ©rante que le Gouvernement ont dĂ©posĂ© un mĂ©moire sur le fond de l'affaire. Des observations ont Ă©galement Ă©tĂ© reçues de l'organisation Liberty, que le prĂ©sident avait autorisĂ©e Ă  intervenir dans la procĂ©dure Ă©crite en qualitĂ© d'amicus curiae (articles 36 § 2 de la Convention et 61 § 3 du rĂšglement).

10.  Une audience consacrĂ©e Ă  cette affaire et Ă  l'affaire I. c. Royaume-Uni prĂ©citĂ©e s'est dĂ©roulĂ©e en public au Palais des Droits de l'Homme, Ă  Strasbourg, le 20 mars 2002 (article 59 § 2 du rĂšglement).

Ont comparu :

–  pour le Gouvernement 
MM. D. Walton, ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres 
et du Commonwealth, Londres, agent, 
 Rabinder Singh,  
 J. Strachan, conseils
 C. Lloyd, 
Mmes A. Powick, 
 S. Eisa,  conseillers ;

–  pour la requĂ©rante 
Mme L. Cox qc,  
M. T. Eicke, conseils
Mme J. Sohrab, solicitor.

La requérante était également présente.

La Cour a entendu en leurs déclarations Mme Cox et M. Rabinder Singh.

11.  Le 3 juillet 2002, Mme M. Tsatsa-Nikolovska et M. V. Zagrebelsky, empĂȘchĂ©s, ont Ă©tĂ© remplacĂ©s par Mme A. Mularoni et M. L. Caflisch.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

12.  Ressortissante britannique nĂ©e en 1937, la requĂ©rante est une transsexuelle opĂ©rĂ©e passĂ©e du sexe masculin au sexe fĂ©minin.

13.  DĂšs sa petite enfance, elle a eu tendance Ă  s'habiller en fille et, en 1963-1964, elle subit une thĂ©rapie d'aversion. Vers le milieu des annĂ©es 60, les mĂ©decins conclurent qu'elle Ă©tait transsexuelle. Cela ne l'empĂȘcha pas d'Ă©pouser une femme et d'avoir avec elle quatre enfants, mais elle avait la conviction que son « sexe cĂ©rĂ©bral Â» ne correspondait pas Ă  son physique. A partir de cette Ă©poque et jusqu'en 1984, elle s'habilla en homme dans sa vie professionnelle mais en femme durant ses loisirs. En janvier 1985, elle entama rĂ©ellement un traitement, se rendant une fois tous les trois mois pour des consultations dans un service de Charing Cross Hospital spĂ©cialisĂ© dans les problĂšmes d'identitĂ© sexuelle, oĂč elle eut rĂ©guliĂšrement des entretiens avec un psychiatre et, parfois, avec un psychologue. On lui prescrivit un traitement hormonal et elle commença Ă  suivre des cours dans le but de travailler son apparence et sa voix. Depuis lors, elle vit totalement comme une femme. En octobre 1986, elle subit une intervention chirurgicale de raccourcissement des cordes vocales. En aoĂ»t 1987, elle fut admise sur une liste d'attente en vue d'une opĂ©ration de conversion sexuelle. En octobre 1990, elle subit cette opĂ©ration dans un hĂŽpital du service national de santĂ© (National Health Service). Son traitement et l'intervention chirurgicale furent assurĂ©s et payĂ©s par le service national de santĂ©.

14.  La requĂ©rante divorça d'avec celle qui avait Ă©tĂ© son Ă©pouse Ă  une date non prĂ©cisĂ©e, mais ses enfants continuĂšrent Ă  lui tĂ©moigner amour et soutien.

15.  La requĂ©rante prĂ©tend avoir Ă©tĂ© victime de harcĂšlement sexuel de la part de collĂšgues de travail entre 1990 et 1992. DĂ©sireuse d'engager une action pour harcĂšlement sexuel devant le tribunal du travail (Industrial Tribunal), elle ne put le faire au motif, selon elle, qu'elle Ă©tait considĂ©rĂ©e comme un homme sur le plan juridique. Elle ne contesta pas cette dĂ©cision devant la Cour du travail (Employment Appeal Tribunal). LicenciĂ©e ultĂ©rieurement pour raisons de santĂ©, elle affirme que le vĂ©ritable motif de sa mise Ă  pied rĂ©side dans sa transsexualitĂ©.

16.  En 1996, elle commença Ă  travailler pour un nouvel employeur et fut invitĂ©e Ă  fournir son numĂ©ro d'assurance nationale. Craignant que l'employeur ne fĂ»t en mesure de retrouver les donnĂ©es la concernant (une fois en possession du numĂ©ro, celui-ci aurait en effet pu dĂ©couvrir ses employeurs antĂ©rieurs et leur demander des renseignements), elle sollicita, mais en vain, l'attribution d'un nouveau numĂ©ro d'assurance nationale auprĂšs du ministĂšre des Affaires sociales (Department of Social Security – le « DSS Â»). Elle communiqua finalement Ă  son nouvel employeur celui qu'elle possĂ©dait. Elle affirme que son employeur connaĂźt dĂ©sormais son identitĂ©, car elle a commencĂ© Ă  avoir des problĂšmes au travail. Ses collĂšgues ont cessĂ© de lui adresser la parole et on lui a rapportĂ© que tout le monde parle d'elle en catimini.

17.  Le service des cotisations du DSS informa la requĂ©rante qu'elle ne pourrait pas bĂ©nĂ©ficier d'une pension de retraite de l'Etat Ă  soixante ans, Ăąge d'ouverture des droits Ă  pension pour les femmes au Royaume-Uni. En avril 1997, ce mĂȘme service l'avisa qu'elle devait continuer Ă  cotiser jusqu'Ă  la date anniversaire de ses soixante-cinq ans, Ăąge d'admission Ă  la retraite des hommes, c'est-Ă -dire jusqu'en avril 2002. Le 23 avril 1997, elle s'engagea donc auprĂšs du DSS Ă  payer directement ses cotisations sociales, qui normalement auraient Ă©tĂ© dĂ©duites par son employeur, comme pour tous les employĂ©s de sexe masculin. En foi de quoi, le 2 mai 1997, le service des cotisations du DSS lui dĂ©livra une attestation de dĂ©rogation d'Ăąge (formulaire CF384 – voir « Le droit et la pratique internes pertinents Â» ci-dessous).

18.  Les dossiers de la requĂ©rante au DSS furent classĂ©s « confidentiels Â» de façon Ă  ce que seuls les employĂ©s d'un certain grade y aient accĂšs. ConcrĂštement, cela signifiait que la requĂ©rante devait toujours prendre rendez-vous, mĂȘme pour les questions les plus insignifiantes, et ne pouvait s'adresser directement au bureau local ou rĂ©gler des questions par tĂ©lĂ©phone. Dans son dossier, il est toujours prĂ©cisĂ© qu'elle est de sexe masculin et, malgrĂ© les « procĂ©dures spĂ©ciales Â», elle a reçu des lettres du DSS portant le prĂ©nom masculin qui lui avait Ă©tĂ© donnĂ© Ă  la naissance.

19.  La requĂ©rante affirme qu'Ă  plusieurs reprises elle a dĂ» choisir entre divulguer son acte de naissance et renoncer Ă  certains avantages subordonnĂ©s Ă  la prĂ©sentation de ce document. En particulier, elle a prĂ©fĂ©rĂ© ne pas contracter un emprunt pour lequel elle devait souscrire une assurance dĂ©cĂšs, s'est abstenue de donner suite Ă  une offre de prĂȘt hypothĂ©caire complĂ©mentaire et a renoncĂ© Ă  bĂ©nĂ©ficier pendant l'hiver d'une allocation de chauffage du DSS Ă  laquelle elle pouvait prĂ©tendre. De mĂȘme, elle continue de devoir payer les primes d'assurance automobile – plus Ă©levĂ©es – applicables aux hommes. Enfin, elle s'est sentie incapable de signaler Ă  la police un vol de deux cents livres sterling, craignant que l'enquĂȘte ne l'obligeĂąt Ă  rĂ©vĂ©ler son identitĂ©.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  Les nom et prĂ©noms

20.  En droit anglais, toute personne peut adopter les nom et prĂ©noms de son choix. Ceux-ci sont valables aux fins d'identification et peuvent ĂȘtre utilisĂ©s dans les passeports, permis de conduire, cartes de sĂ©curitĂ© sociale, cartes d'assurance, etc. Les nouveaux nom et prĂ©noms sont Ă©galement inscrits sur les listes Ă©lectorales.

B.  Le mariage et la dĂ©finition du sexe en droit interne

21.  En droit anglais, le mariage se dĂ©finit comme l'union volontaire d'un homme et d'une femme. Dans l'affaire Corbett v. Corbett (Law Reports: Probate, 1971, p. 83), le juge Ormrod dĂ©clara qu'Ă  cet effet le sexe doit se dĂ©terminer au moyen des critĂšres chromosomique, gonadique et gĂ©nital lorsque ceux-ci concordent entre eux, une intervention chirurgicale n'entrant pas en ligne de compte. Cette utilisation des critĂšres biologiques pour dĂ©terminer le sexe fut approuvĂ©e par la Cour d'appel (Court of Appeal) dans l'affaire R. v. Tan (Law Reports: Queen's Bench Division, 1983, p. 1053), oĂč elle se vit confĂ©rer une application plus gĂ©nĂ©rale, ladite juridiction ayant estimĂ© qu'une personne nĂ©e de sexe masculin avait Ă  bon droit Ă©tĂ© condamnĂ©e sur le fondement d'une loi punissant les hommes vivant du produit de la prostitution, nonobstant le fait que l'accusĂ©e avait suivi une thĂ©rapie de conversion sexuelle.

22.  L'article 11 b) de la loi de 1973 sur les affaires matrimoniales (Matrimonial Causes Act 1973) rĂ©pute nul tout mariage oĂč les parties ne sont pas respectivement de sexe masculin et de sexe fĂ©minin. Le critĂšre appliquĂ© pour la dĂ©termination du sexe des partenaires Ă  un mariage est celui qui fut fixĂ© dans la dĂ©cision Corbett v. Corbett prĂ©citĂ©e. D'aprĂšs celle-ci, un mariage entre une personne passĂ©e du sexe masculin au sexe fĂ©minin et un homme pourrait Ă©galement ĂȘtre annulĂ© pour cause d'incapacitĂ© de la personne transsexuelle de consommer le mariage dans le cadre de rapports sexuels normaux et complets (obiter du juge Ormrod).

Cette dĂ©cision se trouve Ă©tayĂ©e par l'article 12 a) de la loi de 1973 sur les affaires matrimoniales qui permet d'annuler un mariage non consommĂ© en raison de l'incapacitĂ© de l'une ou l'autre partie. L'article 13 § 1 de la loi Ă©nonce que le tribunal ne doit pas rendre un jugement de nullitĂ© lorsqu'il est convaincu que la partie demanderesse savait que le mariage pouvait ĂȘtre annulĂ© mais a amenĂ© la partie dĂ©fenderesse Ă  croire qu'elle ne demanderait pas un jugement de nullitĂ©, et qu'il serait injuste de rendre pareil jugement.

C.  Les actes de naissance

23.  L'enregistrement des naissances obĂ©it Ă  la loi de 1953 sur l'enregistrement des naissances et des dĂ©cĂšs (Births and Deaths Registration Act 1953 – « la loi de 1953 Â»). L'article 1 § 1 de celle-ci requiert l'enregistrement de toute naissance par l'officier compĂ©tent de l'Ă©tat civil de la circonscription oĂč l'enfant a vu le jour. Une inscription dans le registre est considĂ©rĂ©e comme relatant des Ă©vĂ©nements contemporains de la naissance. Ainsi, l'acte de naissance n'atteste pas l'identitĂ© au moment prĂ©sent, mais des faits historiques.

24.  Le sexe de l'enfant doit ĂȘtre prĂ©cisĂ© dans l'acte de naissance. La loi n'Ă©nonce pas les critĂšres devant servir Ă  le dĂ©terminer. La pratique du conservateur des actes de l'Ă©tat civil consiste Ă  n'utiliser que les critĂšres biologiques (chromosomique, gonadique et gĂ©nital) dĂ©gagĂ©s par le juge Ormrod dans l'affaire Corbett v. Corbett.

25.  La loi de 1953 autorise le conservateur Ă  corriger les erreurs de plume ainsi que les erreurs matĂ©rielles. En principe, une rectification ne peut ĂȘtre faite que si l'erreur a eu lieu lors de l'inscription de la naissance. Que le « sexe psychologique Â» de quelqu'un apparaisse plus tard en contraste avec les critĂšres biologiques prĂ©citĂ©s ne passe pas pour rĂ©vĂ©ler une erreur matĂ©rielle dans la mention initiale. Seules une mauvaise identification du sexe apparent et gĂ©nital de l'enfant ou la non-concordance des critĂšres biologiques entre eux peuvent amener Ă  changer ladite mention ; encore doit-on produire des preuves mĂ©dicales qui en montrent l'inexactitude. L'erreur ne se trouve pas constituĂ©e si l'intĂ©ressĂ© subit un traitement mĂ©dical et chirurgical pour pouvoir assumer le rĂŽle du sexe opposĂ©.

26.  Le Gouvernement fait observer que l'utilisation de l'acte de naissance Ă  des fins d'identification est dĂ©couragĂ©e par le conservateur en chef et que, depuis un certain nombre d'annĂ©es, ce document comporte une mention aux termes de laquelle il ne vaut pas preuve de l'identitĂ© de la personne qui le prĂ©sente. Toutefois, les individus sont libres de suivre ou non cette recommandation.

D.  La sĂ©curitĂ© sociale, l'emploi et les pensions

27.  En matiĂšre de sĂ©curitĂ© sociale et d'emploi, les transsexuels continuent d'ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des personnes du sexe sous lequel on les a enregistrĂ©s Ă  la naissance.

1.  L'assurance nationale

28.  Le DSS enregistre tout citoyen britannique aux fins de l'assurance nationale d'aprĂšs les informations figurant sur l'acte de naissance de l'intĂ©ressĂ©. Les Ă©trangers souhaitant s'inscrire Ă  l'assurance nationale au Royaume-Uni peuvent, Ă  dĂ©faut d'un extrait de l'acte de naissance, prĂ©senter leur passeport ou carte d'identitĂ© comme preuve de leur identitĂ©.

29.  Le DSS attribue Ă  chaque personne affiliĂ©e Ă  l'assurance nationale un numĂ©ro unique d'assurance nationale. Ce numĂ©ro revĂȘt un format standard : deux lettres suivies de trois paires de chiffres puis d'une autre lettre. En soi, il ne renferme aucune indication du sexe de son titulaire ni de quelque autre donnĂ©e personnelle que ce soit. Il sert Ă  identifier chaque personne titulaire d'un compte d'assurance nationale (actuellement, on dĂ©nombre environ 60 millions de comptes individuels). Le DSS est donc en mesure de retracer l'ensemble des cotisations Ă  l'assurance nationale versĂ©es sur un compte pendant la vie de son titulaire et de contrĂŽler les obligations, cotisations et droits Ă  prestations de chacun. Un nouveau numĂ©ro peut ĂȘtre attribuĂ© dans des cas exceptionnels, par exemple dans le cadre des programmes de protection de tĂ©moins ou pour prĂ©server l'anonymat de mineurs dĂ©linquants.

30.  ConformĂ©ment Ă  l'article 44 du rĂšglement de 1979 sur les cotisations de sĂ©curitĂ© sociale (Social Security (Contributions) Regulations 1979), pris en vertu des pouvoirs confĂ©rĂ©s par le paragraphe 8, alinĂ©a 1 p), de l'annexe 1 Ă  la loi de 1992 sur les cotisations et prestations de sĂ©curitĂ© sociale (Social Security Contributions and Benefits Act 1992), certaines personnes expressĂ©ment dĂ©signĂ©es sont tenues de demander un numĂ©ro d'assurance nationale, Ă  moins qu'elles ne s'en soient dĂ©jĂ  vu attribuer un.

31.  D'aprĂšs l'article 45 du rĂšglement de 1979, un employĂ© est tenu de fournir son numĂ©ro d'assurance nationale lorsque son employeur le lui demande.

32.  L'article 112 § 1 de la loi de 1992 sur l'administration de la sĂ©curitĂ© sociale (Social Security Administration Act 1992) dispose :

« 1)  Se rend coupable d'une infraction quiconque, aux fins d'obtenir une prestation ou un autre paiement prĂ©vu par la loi (...) [tel que dĂ©fini Ă  l'article 110 de la loi] (...), que ce soit pour lui-mĂȘme ou pour autrui, ou Ă  toute autre fin en rapport avec la loi –

a)  formule des dĂ©clarations ou observations qu'il sait ĂȘtre fausses ; ou

b)  produit ou fournit, ou bien provoque ou autorise dĂ©libĂ©rĂ©ment la production ou la fourniture de tout document ou renseignement qu'il sait ĂȘtre faux sur un point essentiel. Â»

33.  Par consĂ©quent, se rend coupable d'une infraction en vertu de cette disposition quiconque fait une fausse dĂ©claration en vue d'obtenir un numĂ©ro d'assurance nationale.

34.  Chacun peut adopter les prĂ©noms, nom et titre (par exemple monsieur, madame ou mademoiselle) de son choix aux fins de son immatriculation par l'assurance nationale. Le DSS consigne toute modification Ă  cet Ă©gard dans les fichiers informatiques et manuscrits concernant l'intĂ©ressĂ© ainsi que sur sa carte d'assurance nationale. En revanche, le DSS a pour politique de ne dĂ©livrer qu'un seul numĂ©ro d'assurance nationale Ă  une mĂȘme personne, y compris lorsqu'il y a eu un changement d'identitĂ© sexuelle Ă  la suite d'une opĂ©ration de conversion sexuelle par exemple. La Cour d'appel dĂ©bouta de sa demande dans l'affaire R. v. Secretary of State for Social Services, ex parte Hooker (1993, non publiĂ©e) une transsexuelle qui, aprĂšs avoir essuyĂ© un premier refus, cherchait une nouvelle fois Ă  obtenir l'autorisation de solliciter un contrĂŽle juridictionnel de la lĂ©galitĂ© de cette politique. En rendant l'arrĂȘt de la Cour, le juge McCowan dĂ©clara (page 3 du procĂšs-verbal) :

« (...) puisqu'il n'en rĂ©sultera pas la moindre diffĂ©rence du point de vue pratique, j'estime que la dĂ©cision du ministre, loin d'ĂȘtre irrationnelle, Ă©tait parfaitement rationnelle. Je rejette par ailleurs l'affirmation selon laquelle l'appelante pouvait lĂ©gitimement s'attendre Ă  se voir attribuer un nouveau numĂ©ro pour des motifs psychologiques, puisque les effets de pareille dĂ©cision seraient nuls en pratique. Â»

35.  Les renseignements figurant dans les fichiers de l'assurance nationale tenus par le DSS sont confidentiels et ne sont normalement pas divulguĂ©s Ă  des tiers sans le consentement de la personne concernĂ©e. Des exceptions sont possibles lorsque l'intĂ©rĂȘt public se trouve en jeu ou lorsque la divulgation s'impose pour protĂ©ger les fonds publics. En vertu de l'article 123 de la loi de 1992 sur l'administration de la sĂ©curitĂ© sociale, se rend coupable d'une infraction tout employĂ© des services de sĂ©curitĂ© sociale qui divulgue sans autorisation lĂ©gale des informations acquises dans l'exercice de ses fonctions.

36.  Le DSS a pour pratique de traiter comme confidentiels au niveau national les dossiers des personnes connues pour ĂȘtre transsexuelles. L'accĂšs Ă  ces dossiers est contrĂŽlĂ© par la direction du DSS. Toute impression de ces fichiers informatiques est normalement soumise Ă  un service spĂ©cial du ministĂšre, qui s'assure que les donnĂ©es relatives Ă  l'identitĂ© sont conformes aux demandes de la personne concernĂ©e.

37.  Les cotisations Ă  l'assurance nationale sont dĂ©duites par l'employeur du salaire de l'employĂ©, puis versĂ©es Ă  l'administration fiscale (pour transmission au DSS). Actuellement, les employeurs procĂšdent Ă  ces dĂ©ductions jusqu'Ă  l'Ăąge de la retraite de l'employĂ©, c'est-Ă -dire jusqu'Ă  soixante ans pour les femmes et soixante-cinq ans pour les hommes. En ce qui concerne les transsexuelles, le DSS applique une politique leur permettant de s'engager Ă  lui payer directement les cotisations dues aprĂšs l'Ăąge de soixante ans, qui ne sont plus dĂ©duites par l'employeur, puisque celui-ci pense que l'employĂ©e est une femme. Quant aux personnes passĂ©es du sexe fĂ©minin au sexe masculin, elles peuvent demander directement au DSS le remboursement des dĂ©ductions effectuĂ©es par leur employeur aprĂšs qu'elles ont atteint l'Ăąge de soixante ans.

38.  Dans certains cas, les employeurs exigent qu'une employĂ©e apparemment de sexe fĂ©minin prouve qu'elle a atteint ou est sur le point d'atteindre l'Ăąge de soixante ans et est ainsi en droit de ne plus voir les cotisations Ă  l'assurance nationale dĂ©duites de son salaire. Pareille preuve peut ĂȘtre fournie au moyen d'une attestation de dĂ©rogation d'Ăąge (formulaire CA4180 ou CF384). Le DSS peut dĂ©livrer une telle attestation Ă  une transsexuelle lorsque celle-ci s'engage Ă  lui payer directement ses cotisations.

2.  Les pensions de l'Etat

39.  Une personne passĂ©e du sexe masculin au sexe fĂ©minin bĂ©nĂ©ficie actuellement d'une pension de l'Etat Ă  l'Ăąge de soixante-cinq ans, et non Ă  celui de soixante ans applicable aux femmes. La pension Ă  taux plein n'est versĂ©e que si l'intĂ©ressĂ©e a cotisĂ© pendant quarante-quatre ans, alors que trente-neuf ans de cotisation sont requis pour les femmes.

40.  Aux fins de l'Ăąge d'admission Ă  la retraite, le sexe d'une personne est dĂ©terminĂ© selon son sexe biologique Ă  la naissance. Cette dĂ©marche a Ă©tĂ© approuvĂ©e par le commissaire Ă  la sĂ©curitĂ© sociale (Social Security Commissioner – un magistrat spĂ©cialisĂ© en droit de la sĂ©curitĂ© sociale) dans un certain nombre d'affaires.

Dans l'affaire R(P) 2/80, une transsexuelle revendiquait le droit Ă  une pension de retraite Ă  soixante ans. Le commissaire rejeta le recours de l'intĂ©ressĂ©e, dĂ©clarant au paragraphe 9 de sa dĂ©cision :

« a)  A mon sens, le mot « femme Â» figurant Ă  l'article 27 de la loi vise une personne biologiquement de sexe fĂ©minin. Les nombreuses rĂ©fĂ©rences Ă  la « femme Â» que renferment les articles 28 et 29 sont exprimĂ©es en des termes indiquant que ce mot dĂ©signe une personne capable de contracter valablement mariage avec un homme. Il ne peut s'agir que d'une personne biologiquement de sexe fĂ©minin.

b)  Je doute qu'en adoptant les textes pertinents les lĂ©gislateurs aient songĂ© Ă  la distinction entre une personne biologiquement de sexe fĂ©minin et une personne socialement de sexe fĂ©minin. Quoi qu'il en soit, il est certain que le Parlement n'a jamais confĂ©rĂ© Ă  quiconque le droit ou le privilĂšge de modifier le fondement de ses droits Ă  l'assurance nationale pour substituer aux droits ouverts aux hommes ceux rĂ©servĂ©s aux femmes. A mon sens, un tel droit ou privilĂšge fondamental ne peut ĂȘtre octroyĂ© que de façon explicite. (...)

d)  Je suis pleinement conscient des fĂącheuses difficultĂ©s que connaĂźt l'intĂ©ressĂ©e, mais tout ne plaide pas en sa faveur. Elle a vĂ©cu comme un homme depuis sa naissance jusqu'en 1975 et, durant la partie de cette pĂ©riode oĂč elle Ă©tait adulte, ses droits Ă  l'assurance Ă©taient ceux d'un homme. Ces droits sont Ă  certains Ă©gards plus larges que ceux d'une femme. En consĂ©quence, autoriser le versement d'une pension Ă  l'intĂ©ressĂ©e Ă  l'Ăąge d'admission des femmes Ă  la retraite impliquerait de tolĂ©rer un certain manque d'Ă©quitĂ© Ă  l'Ă©gard de la sociĂ©tĂ©. Â»

41.  Le gouvernement a lancĂ© un programme visant Ă  supprimer la diffĂ©rence entre hommes et femmes quant Ă  l'Ăąge d'ouverture des droits Ă  pension. L'Ă©galisation de l'Ăąge de la retraite doit dĂ©buter en 2010 et devrait ĂȘtre achevĂ©e en 2020. Le gouvernement a Ă©galement annoncĂ© une rĂ©forme visant Ă  uniformiser l'Ăąge, actuellement diffĂ©rent pour les hommes et pour les femmes (soixante-cinq et soixante ans respectivement), Ă  partir duquel on peut bĂ©nĂ©ficier d'un abonnement d'autobus gratuit Ă  Londres.

3.  L'emploi

42.  En vertu de l'article 16 § 1 de la loi de 1968 sur le vol, constitue une infraction passible d'une peine d'emprisonnement le fait de se procurer un avantage pĂ©cuniaire par la fraude. Selon l'article 16 § 2 c), les avantages pĂ©cuniaires incluent la rĂ©munĂ©ration d'un emploi. Si une personne transsexuelle ayant subi une opĂ©ration est invitĂ©e par un employeur Ă©ventuel Ă  rĂ©vĂ©ler tous ses prĂ©noms antĂ©rieurs mais omet de les divulguer tous avant de conclure un contrat de travail, elle risque de se rendre coupable d'une infraction. En outre, elle court le risque d'ĂȘtre licenciĂ©e ou poursuivie en dommages-intĂ©rĂȘts si l'employeur dĂ©couvre qu'elle ne lui a pas communiquĂ© tous les renseignements demandĂ©s.

43.  Dans l'arrĂȘt rendu par elle le 30 avril 1996 dans l'affaire P. v. S. and Cornwall County Council, la Cour de justice des CommunautĂ©s europĂ©ennes (CJCE) a considĂ©rĂ© qu'une discrimination fondĂ©e sur le changement de sexe Ă©quivalait Ă  une discrimination fondĂ©e sur le sexe et a conclu, en consĂ©quence, que l'article 5 § 1 de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 fĂ©vrier 1976, relative Ă  la mise en Ɠuvre du principe de l'Ă©galitĂ© de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accĂšs Ă  l'emploi, Ă  la formation et Ă  la promotion professionnelles, et les conditions de travail s'opposait au licenciement d'un transsexuel pour un motif liĂ© Ă  sa conversion sexuelle. Rejetant l'argument du gouvernement britannique selon lequel l'employeur aurait Ă©galement licenciĂ© P. si cette derniĂšre avait Ă©tĂ© antĂ©rieurement une femme et avait subi une opĂ©ration pour devenir un homme, la CJCE a estimĂ© :

« (...) Lorsqu'une personne est licenciĂ©e au motif qu'elle a l'intention de subir ou qu'elle a subi une conversion sexuelle, elle fait l'objet d'un traitement dĂ©favorable par rapport aux personnes du sexe auquel elle Ă©tait rĂ©putĂ©e appartenir avant cette opĂ©ration.

TolĂ©rer une telle discrimination reviendrait Ă  mĂ©connaĂźtre, Ă  l'Ă©gard d'une telle personne, le respect de la dignitĂ© et de la libertĂ© auquel elle a droit et que la Cour doit protĂ©ger. Â» (paragraphes 21-22)

44.  La dĂ©cision de la CJCE a Ă©tĂ© appliquĂ©e par la Cour du travail (Employment Appeal Tribunal) dans une dĂ©cision du 27 juin 1997 (Chessington World of Adventures Ltd v. Reed, Industrial Law Reports, 1997, vol. 1).

45.  Le rĂšglement de 1999 sur la discrimination sexuelle en cas de conversion sexuelle a Ă©tĂ© pris Ă  la suite de l'arrĂȘt rendu par la CJCE dans l'affaire P. v. S. and Cornwall County Council prĂ©citĂ©e. Il Ă©nonce de maniĂšre gĂ©nĂ©rale qu'une personne transsexuelle ne doit pas faire l'objet d'un traitement moins favorable dans le domaine de l'emploi Ă  raison de sa transsexualitĂ© (que ce soit avant ou aprĂšs une opĂ©ration de conversion sexuelle).

E.  Le viol

46.  En matiĂšre de viol, une personne passĂ©e du sexe masculin au sexe fĂ©minin Ă©tait, avant 1994, considĂ©rĂ©e comme un homme. En vertu de l'article 142 de la loi de 1994 sur la justice pĂ©nale et l'ordre public (Criminal Justice and Public Order Act 1994), il doit y avoir « pĂ©nĂ©tration vaginale ou anale d'une personne Â» pour que le viol soit Ă©tabli. Dans une dĂ©cision du 28 octobre 1996, la Crown Court de Reading a estimĂ© que la pĂ©nĂ©tration d'un pĂ©nis dans le vagin artificiel d'une transsexuelle s'analysait en un viol (R. v. Matthews – non publiĂ©e).

F.  L'emprisonnement

47.  Le rĂšglement pĂ©nitentiaire (Prison Rules) de 1999 prĂ©voit que les hommes et les femmes doivent normalement ĂȘtre incarcĂ©rĂ©s sĂ©parĂ©ment et qu'aucun dĂ©tenu ne doit ĂȘtre dĂ©vĂȘtu et fouillĂ© en prĂ©sence d'une personne du sexe opposĂ© (articles 12 § 1 et 41 § 3 respectivement).

48.  Selon le rapport Ă©laborĂ© par le groupe de travail sur les transsexuels (ministĂšre de l'IntĂ©rieur, avril 2000, paragraphes 49-50 ci-dessous), qui s'est livrĂ© Ă  un examen du droit et de la pratique en vigueur, les transsexuels opĂ©rĂ©s sont dĂ©tenus, dans la mesure du possible, dans un Ă©tablissement pour les prisonniers de leur nouveau sexe. Des directives dĂ©taillĂ©es sur la fouille des dĂ©tenus transsexuels sont Ă  l'Ă©tude ; elles prĂ©voient de traiter les transsexuelles opĂ©rĂ©es comme des femmes pour ce qui concerne les fouilles, qui ne devront dans ce cas ĂȘtre effectuĂ©es que par des femmes  
(§§ 2.75-2.76 du rapport).

G.  L'Ă©volution actuelle

1.  Examen de la situation des transsexuels au Royaume-Uni

49.  Le 14 avril 1999, le ministre de l'IntĂ©rieur annonça la crĂ©ation d'un groupe de travail interministĂ©riel sur les transsexuels, dont le mandat Ă©tait le suivant :

« examiner, notamment en ce qui concerne les actes de naissance, la nĂ©cessitĂ© de prendre des mesures juridiques appropriĂ©es pour rĂ©soudre les problĂšmes que connaissent les transsexuels, en tenant dĂ»ment compte de l'Ă©volution de la science et de la sociĂ©tĂ©, ainsi que des mesures mises en Ɠuvre dans d'autres pays en la matiĂšre. Â»

50.  En avril 2000, le groupe de travail produisit un rapport dans lequel il examinait la situation actuelle des transsexuels au Royaume-Uni, en particulier leur statut en droit interne et les changements qui pourraient y ĂȘtre apportĂ©s. Il concluait :

« 5.1.  Les transsexuels font face Ă  leur condition de diffĂ©rentes façons. Certains vivent dans la peau du sexe opposĂ© sans suivre de traitement pour en acquĂ©rir les attributs physiques. Il en est qui prennent des hormones pour dĂ©velopper certaines des caractĂ©ristiques secondaires du sexe choisi. D'autres, moins nombreux, subissent une intervention chirurgicale pour faire correspondre autant que possible leur corps Ă  celui du sexe acquis. L'ampleur du traitement tient au choix de l'individu ou Ă  d'autres facteurs, tels que la santĂ© ou les ressources financiĂšres. De nombreuses personnes reviennent Ă  leur sexe biologique aprĂšs avoir vĂ©cu pendant un temps dans la peau du sexe opposĂ©, et certaines alternent entre les deux sexes tout au long de leur vie. Lorsque l'on cherche Ă  dĂ©terminer la voie Ă  suivre, il faut donc prendre en compte les besoins de ces personnes Ă  ces diffĂ©rents stades de leur transformation.

5.2.  Des mesures ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© prises dans un certain nombre de domaines pour aider les transsexuels. A titre d'exemple, la discrimination en matiĂšre d'emploi Ă  l'Ă©gard d'une personne pour un motif liĂ© Ă  sa transsexualitĂ© est interdite par le rĂšglement de 1999 sur la discrimination sexuelle en cas de conversion sexuelle, lequel, sous rĂ©serve de quelques exceptions, Ă©nonce qu'une personne transsexuelle (que ce soit avant ou aprĂšs une opĂ©ration) ne doit pas faire l'objet d'un traitement moins favorable Ă  raison de sa transsexualitĂ©. Le systĂšme de la justice pĂ©nale (police, Ă©tablissements pĂ©nitentiaires, tribunaux, etc.) tente dans la mesure du possible, eu Ă©gard aux contraintes pratiques, de tenir compte des besoins des transsexuels. Un dĂ©linquant transsexuel est gĂ©nĂ©ralement inculpĂ© sous son nouveau sexe et un dĂ©tenu ayant subi une opĂ©ration de conversion sexuelle est normalement incarcĂ©rĂ© dans un Ă©tablissement adaptĂ© Ă  sa nouvelle condition. Les victimes et tĂ©moins transsexuels sont eux aussi dans la plupart des cas traitĂ©s selon leur nouveau sexe.

5.3.  En outre, les documents officiels sont souvent Ă©mis en tenant compte du sexe acquis lorsqu'ils visent Ă  identifier l'individu et non son statut juridique. Ainsi, une personne transsexuelle peut se voir dĂ©livrer un passeport, un permis de conduire ou une carte mĂ©dicale indiquant son nouveau sexe. Il semble que de nombreux organismes non gouvernementaux, tels que les instances chargĂ©es des diplĂŽmes, dĂ©livrent souvent de nouvelles attestations de diplĂŽme, etc. (ou fournissent une autre preuve des titres) indiquant le sexe revendiquĂ© par l'intĂ©ressĂ©. Nous avons Ă©galement identifiĂ© au moins une compagnie d'assurances qui propose aux personnes transsexuelles des polices d'assurance tenant compte du sexe acquis.

5.4.  Nonobstant ces dispositions, les transsexuels connaissent des problĂšmes auxquels la majoritĂ© de la population n'a pas Ă  faire face. Les observations adressĂ©es au groupe de travail indiquent que la communautĂ© transsexuelle revendique des changements principalement en ce qui concerne les actes de naissance, le droit de se marier et la pleine reconnaissance de la nouvelle identitĂ© sexuelle Ă  toutes fins juridiques.

5.5.  Nous avons dĂ©fini trois options pour l'avenir :

–  maintenir la situation actuelle en l'Ă©tat ;

–  dĂ©livrer des extraits de l'acte de naissance indiquant le nouveau prĂ©nom et, Ă©ventuellement, le nouveau sexe ;

–  reconnaĂźtre pleinement la nouvelle identitĂ© sexuelle sur le plan juridique, sous rĂ©serve de certains critĂšres et procĂ©dures.

Avant de prendre position, le gouvernement pourrait souhaiter soumettre ces questions Ă  un dĂ©bat public. Â»

51.  Le rapport fut prĂ©sentĂ© au Parlement en juillet 2000. Des exemplaires en furent dĂ©posĂ©s dans les bibliothĂšques des deux chambres du Parlement, d'autres en Ă©tant adressĂ©s Ă  280 destinataires (membres du groupe de travail, fonctionnaires, dĂ©putĂ©s, particuliers et organisations diverses). Le document fut portĂ© Ă  la connaissance du public par la voie d'un communiquĂ© de presse du ministĂšre de l'IntĂ©rieur et chacun pouvait se le procurer en le demandant au ministĂšre de l'IntĂ©rieur par courrier postal ou Ă©lectronique, par tĂ©lĂ©phone ou sur le site internet du ministĂšre.

2.  La jurisprudence interne rĂ©cente

52.  Dans l'affaire Bellinger v. Bellinger (Court of Appeal, Civil Division (England and Wales) 2001, p. 1140, Family Court Reporter, vol. 3, p. 1), l'appelante, qui avait Ă©tĂ© enregistrĂ©e Ă  la naissance comme Ă©tant de sexe masculin, avait subi une opĂ©ration de conversion sexuelle puis, en 1981, avait contractĂ© mariage avec un homme qui Ă©tait au courant de ses antĂ©cĂ©dents. Elle demanda une dĂ©claration de validitĂ© du mariage en vertu de la loi de 1986 sur le droit de la famille (Family Law Act 1986). La Cour d'appel estima, Ă  la majoritĂ©, que le mariage de l'appelante n'Ă©tait pas valable dĂšs lors que les parties n'Ă©taient pas un homme et une femme respectivement, ces termes devant se dĂ©terminer au moyen des critĂšres biologiques dĂ©gagĂ©s dans l'affaire Corbett v. Corbett (1971). Elle nota que si l'on accordait une importance grandissante Ă  l'influence des facteurs psychologiques sur le sexe, le moment auquel ces facteurs pouvaient passer pour avoir entraĂźnĂ© un changement de sexe ne pouvait ĂȘtre dĂ©terminĂ© avec prĂ©cision. Elle considĂ©ra qu'une personne correctement dĂ©clarĂ©e de sexe masculin Ă  la naissance et qui avait subi une opĂ©ration de conversion sexuelle et menait dĂ©sormais une vie de femme Ă©tait biologiquement un homme et ne pouvait ĂȘtre dĂ©finie comme Ă©tant de sexe fĂ©minin aux fins du mariage. D'aprĂšs elle, c'Ă©tait au Parlement, et non aux tribunaux, qu'il appartenait de dĂ©cider Ă  quel moment il convenait de reconnaĂźtre que quelqu'un avait changĂ© de sexe aux fins du mariage. Dame Elizabeth Butler-Sloss, prĂ©sidente de la Family Division, releva les avertissements de la Cour europĂ©enne des Droits de l'Homme quant Ă  l'absence persistante de mesures destinĂ©es Ă  prendre en compte la situation des transsexuels et fit observer que c'Ă©taient en grande partie ces critiques qui avaient motivĂ© la crĂ©ation du groupe de travail interministĂ©riel, lequel avait publiĂ© en avril 2000 un rapport renfermant un examen approfondi et exhaustif des donnĂ©es mĂ©dicales, de la pratique actuelle dans d'autres pays et de l'Ă©tat du droit anglais concernant les aspects pertinents de la vie des personnes transsexuelles :

« [95.]  (...) Nous nous sommes informĂ©s auprĂšs de M. Moylan, qui s'exprimait au nom de l'Attorney-General, des mesures prises par les ministĂšres pour donner suite aux recommandations du rapport ou pour rĂ©diger un document de consultation en vue d'un dĂ©bat public.

[96.]  A notre grande consternation, nous avons appris qu'absolument aucune mesure n'avait Ă©tĂ© prise ni, Ă  la connaissance de M. Moylan, envisagĂ©e pour faire avancer la question. Il apparaĂźt donc que la commande et l'Ă©laboration du rapport reprĂ©sentent la totalitĂ© de ce qui a Ă©tĂ© fait au sujet des problĂšmes qui ont Ă©tĂ© cernĂ©s, tant par le ministre de l'IntĂ©rieur dans son mandat que par le groupe de travail dans ses conclusions. Il s'agit lĂ , nous semble-t-il, d'un manque de prise de conscience des prĂ©occupations grandissantes et de l'Ă©volution des mentalitĂ©s en Europe occidentale qui ont Ă©tĂ© si clairement et fortement mises en Ă©vidence dans les arrĂȘts de la Cour europĂ©enne de Strasbourg et dont, Ă  notre avis, le Royaume-Uni doit tenir compte (...)

[109.]  Nous tenons toutefois Ă  ajouter, en gardant Ă  l'esprit les critiques de la Cour europĂ©enne des Droits de l'Homme, qu'il ne fait aucun doute que le caractĂšre profondĂ©ment insatisfaisant de la situation actuelle et les difficultĂ©s des transsexuels doivent ĂȘtre examinĂ©s avec soin. La proposition du groupe de travail interministĂ©riel tendant Ă  une consultation du public appelle des mesures de la part des ministĂšres concernĂ©s. Les problĂšmes ne disparaĂźtront pas, ils resurgiront vraisemblablement devant la Cour europĂ©enne Ă  bref dĂ©lai. Â»

53.  Auteur d'une opinion dissidente dans laquelle il affirmait qu'une dĂ©marche fondĂ©e uniquement sur les critĂšres biologiques n'Ă©tait plus acceptable eu Ă©gard Ă  l'Ă©volution de la science, de la mĂ©decine et de la sociĂ©tĂ©, Lord Justice Thorpe estima que les fondements de la dĂ©cision Corbett v. Corbett n'Ă©taient plus indiscutables.

« [155.]  Tenir le facteur chromosomique pour dĂ©terminant, voire seulement dominant, me semble particuliĂšrement contestable dans le cadre du mariage. En effet, il s'agit d'un aspect invisible de l'individu, qui ne peut ĂȘtre perçu ou dĂ©terminĂ© que par des tests scientifiques. Il ne contribue en rien Ă  l'individualitĂ© physiologique ou psychologique. En fait, dans le contexte actuel de l'institution du mariage, il me semble juste, sur le plan des principes, et logique de donner la prĂ©Ă©minence aux facteurs psychologiques, tout comme il me paraĂźt prĂ©fĂ©rable de procĂ©der Ă  la dĂ©termination indispensable du sexe au moment du mariage ou peu avant, plutĂŽt qu'Ă  la naissance (...)

[160.]  La prĂ©sente demande se situe de toute Ă©vidence dans la sphĂšre du droit de la famille. Celui-ci se doit d'ĂȘtre toujours suffisamment flexible pour accompagner l'Ă©volution de la sociĂ©tĂ©. Il doit Ă©galement ĂȘtre humain et prompt Ă  reconnaĂźtre Ă  chacun le droit Ă  la dignitĂ© humaine et Ă  la libertĂ© de choix dans sa vie privĂ©e. La rĂ©forme lĂ©gislative dans ce domaine doit notamment tendre Ă  ce que la loi tienne compte de l'Ă©volution de la sociĂ©tĂ© et la reflĂšte. C'est aussi un objectif que les juges doivent avoir en vue lorsqu'ils interprĂštent les dispositions lĂ©gislatives en vigueur dans ce domaine. Je suis fermement convaincu qu'il n'existe pas de raisons suffisamment impĂ©rieuses, eu Ă©gard aux intĂ©rĂȘts des autres personnes concernĂ©es ou, plus pertinemment, Ă  ceux de la sociĂ©tĂ© dans son ensemble, justifiant de ne pas reconnaĂźtre juridiquement le mariage de l'appelante. J'aurais accueilli ce recours. Â»

Lord Justice Thorpe constata par ailleurs le peu de progrĂšs accomplis dans les rĂ©formes internes :

« [151.]  (...) Si le rapport [interministĂ©riel] a bien Ă©tĂ© publiĂ©, M. Moylan a dĂ©clarĂ© qu'il n'y avait pas eu de consultation du public depuis lors. En outre, Ă  la question de savoir si le gouvernement entendait engager un dĂ©bat public ou tout autre processus en vue de l'Ă©laboration d'une proposition de loi, M. Moylan a rĂ©pondu qu'il n'avait reçu aucune instruction. Il n'a pas davantage pu dire si le gouvernement envisageait le dĂ©pĂŽt d'un projet de loi. Au cours de ces dix derniĂšres annĂ©es, j'ai pu constater combien il est difficile pour un ministĂšre quel qu'il soit d'arriver Ă  faire inscrire dans le programme de travail du Parlement l'examen d'un projet de rĂ©forme du droit de la famille. Cet Ă©tat de choses renforce mon point de vue selon lequel notre juridiction a non seulement la facultĂ© mais le devoir d'interprĂ©ter l'article 11 c) soit de façon Ă©troite, soit de façon libĂ©rale lorsque, comme en l'espĂšce, les Ă©lĂ©ments de preuve et arguments produits le justifient. Â»

3.  Propositions de rĂ©forme du systĂšme d'enregistrement des naissances, mariages et dĂ©cĂšs

54.  En janvier 2002, le gouvernement a prĂ©sentĂ© au Parlement le document intitulĂ© « Etat civil : changement fondamental dans l'enregistrement des naissances, mariages et dĂ©cĂšs au XXIe siĂšcle Â». Ce document expose les projets de crĂ©ation d'une base de donnĂ©es centrale renfermant les registres de l'Ă©tat civil, le but Ă©tant d'abandonner le systĂšme traditionnel d'enregistrement figĂ© des Ă©vĂ©nements de la vie au profit d'un registre vivant ou registre unique ayant vocation Ă  ĂȘtre mis Ă  jour tout au long de la vie :

« Par la suite, la mise Ă  jour des informations contenues dans un registre de naissance permettra de consigner les changements de prĂ©noms et, Ă©ventuellement, de sexe d'une personne. Â» (paragraphe 5.1)

« 5.5  Amendements

L'assouplissement des rĂšgles rĂ©gissant les rectifications des inscriptions aux registres recueille une forte adhĂ©sion. Actuellement, une fois une inscription crĂ©Ă©e, les seules corrections possibles sont celles pour lesquelles il peut ĂȘtre dĂ©montrĂ©, preuves Ă  l'appui, qu'une erreur a Ă©tĂ© commise au moment de l'enregistrement. Une rectification, mĂȘme de la plus simple faute d'orthographe, exige l'accomplissement de formalitĂ©s et la production d'Ă©lĂ©ments de preuve appropriĂ©s. L'inscription finale renferme le texte original intĂ©gral et l'information corrigĂ©e, qui apparaĂźtra sur les extraits dĂ©livrĂ©s ultĂ©rieurement. Le gouvernement reconnaĂźt que cela peut constituer un obstacle. A l'avenir, les modifications (reflĂ©tant des changements survenus aprĂšs l'inscription initiale) seront apportĂ©es et officiellement enregistrĂ©es. Les documents dĂ©livrĂ©s Ă  partir des inscriptions aux registres ne feront Ă©tat que des informations telles qu'amendĂ©es, mais l'ensemble des donnĂ©es seront conservĂ©es. (...) Â»

H.  Tierce intervention de l'organisation Liberty

55.  Liberty a mis Ă  jour les observations Ă©crites concernant la reconnaissance juridique des transsexuels en droit comparĂ© qu'elle avait soumises dans l'affaire Sheffield et Horsham c. Royaume-Uni (arrĂȘt du 30 juillet 1998, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1998-V, p. 2021, § 35). Dans son Ă©tude de 1998, Liberty affirmait qu'au cours de la derniĂšre dĂ©cennie on avait pu constater, dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, une tendance parfaitement claire vers la pleine reconnaissance juridique des changements de sexe. Elle notait en particulier que des trente-sept pays Ă©tudiĂ©s, quatre seulement (parmi lesquels le Royaume-Uni) n'autorisaient pas la modification de l'acte de naissance d'une maniĂšre ou d'une autre afin qu'il reflĂšte le nouveau sexe de la personne concernĂ©e. Dans les pays oĂč la conversion sexuelle Ă©tait lĂ©gale et prise en charge par la sĂ©curitĂ© sociale, seuls le Royaume-Uni et l'Irlande ne reconnaissaient pas pleinement sur le plan juridique la nouvelle identitĂ© sexuelle.

56.  Dans l'Ă©tude mise Ă  jour qu'elle a prĂ©sentĂ©e le 17 janvier 2002, Liberty relĂšve que si le nombre d'Etats europĂ©ens reconnaissant pleinement la conversion sexuelle sur le plan juridique n'a statistiquement pas augmentĂ©, des informations provenant de pays extra-europĂ©ens indiquent une Ă©volution vers la pleine reconnaissance juridique. A titre d'exemple, Singapour a consacrĂ© lĂ©gislativement la conversion sexuelle, et il existe une tendance analogue au Canada, en Afrique du Sud, en IsraĂ«l, en Australie, en Nouvelle-ZĂ©lande et dans tous les Etats des Etats-Unis d'AmĂ©rique sauf deux. Liberty cite en particulier les affaires Attorney-General v. Otahuhu Family Court, New Zealand Law Reports, 1995, vol. 1, p. 60 et Re Kevin, Family Court of Australia, 2001, p. 1074, dans lesquelles la nouvelle identitĂ© sexuelle de transsexuels a Ă©tĂ© reconnue en Nouvelle-ZĂ©lande et en Australie respectivement, aux fins de validation de leur mariage. Dans la seconde affaire, le juge Chisholm s'est ainsi exprimĂ© :

« Je ne vois aucune raison tenant Ă  une rĂšgle de droit ou Ă  un principe justifiant que le droit australien suive la dĂ©cision Corbett. Si tel Ă©tait le cas, il en rĂ©sulterait, Ă  mon sens, des discordances indĂ©fendables entre la lĂ©gislation australienne relative au mariage et d'autres lĂ©gislations australiennes. Le droit se verrait imprimer une orientation gĂ©nĂ©ralement contraire Ă  l'Ă©volution dans d'autres pays. Cela perpĂ©tuerait un point de vue que dĂ©mentent les connaissances et la pratique mĂ©dicales actuelles. Surtout, il en rĂ©sulterait des souffrances indĂ©fendables pour des personnes qui ont dĂ©jĂ  eu leur lot de difficultĂ©s, sans aucun avantage pour la sociĂ©tĂ© (...)

(...) Les termes « homme Â» et « femme Â» possĂ©dant leur sens contemporain ordinaire, il n'existe pas de solution stĂ©rĂ©otypĂ©e pour dĂ©terminer le sexe d'un individu au regard du droit du mariage. Cela signifie qu'on ne peut dire en droit que la question dans une affaire donnĂ©e sera tranchĂ©e par l'application d'un seul critĂšre, ou d'une liste restreinte de critĂšres. Il est donc erronĂ© d'affirmer que le sexe d'une personne dĂ©pend d'un facteur unique, tel que le sexe chromosomique ou le sexe gĂ©nital, ou d'un nombre limitĂ© de facteurs, tels que l'Ă©tat des gonades, chromosomes ou organes gĂ©nitaux d'une personne (que ce soit Ă  la naissance ou Ă  un autre moment). De mĂȘme, il serait juridiquement erronĂ© de prĂ©tendre qu'il est possible de rĂ©soudre la question en tenant uniquement compte de l'Ă©tat psychologique de la personne, ou en identifiant son « sexe cĂ©rĂ©bral Â».

Pour dĂ©terminer le sexe d'une personne au regard du droit du mariage, il faut considĂ©rer l'ensemble des aspects pertinents. Sans chercher Ă  Ă©noncer une liste exhaustive ou Ă  insinuer que certains facteurs sont forcĂ©ment plus importants que d'autres, je dirai qu'Ă  mon sens les Ă©lĂ©ments Ă  prendre en compte incluent les caractĂ©ristiques biologiques et physiques de la personne Ă  la naissance (y compris les gonades, organes gĂ©nitaux et chromosomes), son vĂ©cu, notamment le sexe dans lequel elle a Ă©tĂ© Ă©levĂ©e et son attitude par rapport Ă  son sexe, la perception qu'elle a elle-mĂȘme de son appartenance Ă  un sexe, le rĂŽle – masculin ou fĂ©minin – adoptĂ© par elle dans la sociĂ©tĂ©, tout traitement de conversion sexuelle (hormonal, chirurgical ou mĂ©dical) subi par elle et les consĂ©quences d'un tel traitement, ainsi que les caractĂ©ristiques biologiques, psychologiques et physiques qui sont les siennes au moment du mariage (...)

Aux fins d'Ă©tablissement de la validitĂ© d'un mariage en droit australien, c'est Ă  la date du mariage qu'il faut se placer pour trancher la question de savoir si une personne est un homme ou une femme (...) Â»

57.  Quant au droit pour les transsexuels opĂ©rĂ©s d'Ă©pouser une personne du sexe opposĂ© Ă  leur nouveau sexe, l'Ă©tude de Liberty indique que 54 % des Etats contractants autorisent un tel mariage (l'annexe 6 en fournit l'Ă©numĂ©ration : l'Autriche, la Belgique, le Danemark, l'Estonie, la Finlande, la France, l'Allemagne, la GrĂšce, l'Islande, l'Italie, la Lettonie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la NorvĂšge, la Slovaquie, l'Espagne, la SuĂšde, la Suisse, la Turquie et l'Ukraine), contre 14 % qui ne le permettent pas (l'Irlande et le Royaume-Uni n'autorisent pas le mariage, et il n'existe aucune lĂ©gislation en Moldova, Pologne, Roumanie et Russie). La situation juridique dans les 32 % d'Etats restants n'est pas claire.

III.  TEXTES INTERNATIONAUX

58.  L'article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union europĂ©enne, signĂ©e le 7 dĂ©cembre 2000, Ă©nonce :

« Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en rĂ©gissent l'exercice. Â»

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

59.  La requĂ©rante allĂšgue la violation de l'article 8 de la Convention, dont le passage pertinent est ainsi libellĂ© :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privĂ©e (...)

2.  Il ne peut y avoir ingĂ©rence d'une autoritĂ© publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingĂ©rence est prĂ©vue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, est nĂ©cessaire Ă  la sĂ©curitĂ© nationale, Ă  la sĂ»retĂ© publique, au bien-ĂȘtre Ă©conomique du pays, Ă  la dĂ©fense de l'ordre et Ă  la prĂ©vention des infractions pĂ©nales, Ă  la protection de la santĂ© ou de la morale, ou Ă  la protection des droits et libertĂ©s d'autrui. Â»

A.  Arguments des parties

1.  La requĂ©rante

60.  La requĂ©rante soutient que, malgrĂ© les avertissements de la Cour quant Ă  l'importance de se livrer Ă  un examen constant de la nĂ©cessitĂ© d'une rĂ©forme juridique, le Gouvernement n'a toujours pas pris de mesures constructives pour remĂ©dier aux souffrances et Ă  la dĂ©tresse qu'elle-mĂȘme et d'autres transsexuels opĂ©rĂ©s Ă©prouvent. La non-reconnaissance de sa nouvelle identitĂ© sexuelle sur le plan juridique est source de nombreuses situations discriminatoires et humiliantes dans sa vie quotidienne. Par le passĂ©, en particulier de 1990 Ă  1992, elle a Ă©tĂ© harcelĂ©e Ă  son travail et n'a pas Ă©tĂ© protĂ©gĂ©e comme il convenait contre des actes discriminatoires. Elle voit dans toutes les dĂ©marches spĂ©ciales qu'elle doit accomplir concernant ses cotisations Ă  l'assurance nationale et sa pension de retraite de l'Etat une diffĂ©rence de traitement injustifiĂ©e, puisque ces dĂ©marches ne s'imposeraient pas si son sexe fĂ©minin Ă©tait reconnu sur le plan juridique. En particulier, le fait mĂȘme que le ministĂšre des Affaires sociales (Department of Social Security – le « DSS Â») ait pour politique de classer « confidentiels Â» les dossiers des transsexuels constitue selon elle une diffĂ©rence de traitement. Du fait de cette politique, il lui est par exemple impossible de se prĂ©senter au DSS sans prendre rendez-vous au prĂ©alable.

61.  La requĂ©rante affirme en outre qu'il existe un risque rĂ©el que son employeur dĂ©couvre son identitĂ© passĂ©e. Il est en effet possible Ă  celui-ci de retracer sa carriĂšre Ă  partir de son numĂ©ro d'assurance nationale, et elle croit que cela s'est en fait produit. Elle est du reste persuadĂ©e que si elle n'a pas obtenu de promotion rĂ©cemment c'est parce que son employeur s'est rendu compte de sa situation.

62.  Quant Ă  l'Ăąge de la retraite, la requĂ©rante, qui dit travailler depuis quarante-quatre ans, considĂšre que le refus de l'admettre au bĂ©nĂ©fice d'une pension de retraite de l'Etat Ă  l'Ăąge de soixante ans sur la base d'un critĂšre purement biologique de dĂ©termination du sexe est contraire Ă  l'article 8 de la Convention. De mĂȘme, elle n'a pas pu demander la gratuitĂ© des abonnements d'autobus Ă  Londres Ă  l'Ăąge de soixante ans, Ă  l'instar des autres femmes, mais a dĂ» attendre l'Ăąge de soixante-cinq ans. Par ailleurs, invitĂ©e Ă  dĂ©clarer son sexe Ă  la naissance ou Ă  prĂ©senter un extrait de son acte de naissance au moment de souscrire une assurance-vie, des prĂȘts hypothĂ©caires, une pension privĂ©e et une assurance automobile, elle a renoncĂ© Ă  profiter de ces possibilitĂ©s.

63.  La requĂ©rante fait valoir que la comprĂ©hension scientifique du transsexualisme et l'attitude de la sociĂ©tĂ© Ă  l'Ă©gard de ce phĂ©nomĂšne connaissent une Ă©volution rapide, non seulement en Europe mais aussi ailleurs. Elle renvoie notamment Ă  l'article 29 du code civil nĂ©erlandais, Ă  l'article 6 de la loi italienne no 164 du 14 avril 1982 et Ă  l'article 29 du code civil turc, tel qu'amendĂ© par la loi no 3444 du 4 mai 1988, qui autorisent les modifications de l'Ă©tat civil. Elle signale en outre qu'en Nouvelle-ZĂ©lande, en vertu d'une loi de 1995 (partie V, article 28), les tribunaux peuvent, aprĂšs examen des preuves mĂ©dicales et autres, ordonner la reconnaissance juridique de la nouvelle identitĂ© sexuelle d'une personne transsexuelle. La requĂ©rante ne voit aucune raison convaincante de ne pas adopter une dĂ©marche analogue au Royaume-Uni. Elle affirme que la sociĂ©tĂ© accepte plus facilement les transsexuels et se prĂ©occupe davantage de leur situation. Elle en veut pour preuve la place accordĂ©e Ă  ces questions dans la presse, Ă  la radio et Ă  la tĂ©lĂ©vision, ainsi que la prĂ©sentation sous un jour favorable de personnages transsexuels dans des programmes grand public.

2.  Le Gouvernement

64.  Renvoyant Ă  la jurisprudence de la Cour, le Gouvernement affirme que le transsexualisme ne fait pas l'objet d'une approche uniforme dans les Etats contractants et que, compte tenu de la marge d'apprĂ©ciation dont jouissent les Etats au regard de la Convention, l'absence de reconnaissance juridique au Royaume-Uni de la nouvelle identitĂ© sexuelle de la requĂ©rante n'emporte pas violation de l'article 8 de la Convention. Il conteste l'affirmation de l'intĂ©ressĂ©e selon laquelle les recherches scientifiques et « une Ă©volution majeure de la sociĂ©tĂ© Â» ont abouti Ă  une large acceptation du transsexualisme ou Ă  un consensus en la matiĂšre.

65.  Le Gouvernement admet qu'il peut y avoir des cas particuliers oĂč le refus de reconnaĂźtre juridiquement la nouvelle identitĂ© sexuelle d'une personne transsexuelle peut s'analyser en une violation de l'article 8, en particulier lorsqu'il en rĂ©sulte concrĂštement et rĂ©ellement un prĂ©judice et une humiliation pour l'intĂ©ressĂ©e au quotidien (arrĂȘt B. c. France du 25 mars 1992, sĂ©rie A no 232-C, pp. 52-54, §§ 59-63). Il conteste toutefois que la requĂ©rante subisse rĂ©ellement de tels inconvĂ©nients puisqu'elle a notamment pu obtenir d'importantes piĂšces d'identitĂ© (passeport et permis de conduire, par exemple) portant les prĂ©noms et l'identitĂ© sexuelle qu'elle a choisis.

66.  Quant aux difficultĂ©s particuliĂšres invoquĂ©es par la requĂ©rante, le Gouvernement soutient qu'un employeur ne peut Ă©tablir le sexe de l'intĂ©ressĂ©e Ă  partir du numĂ©ro d'assurance nationale puisque celui-ci ne renferme aucune rĂ©fĂ©rence codĂ©e Ă  cette donnĂ©e. La requĂ©rante s'est vu dĂ©livrer une nouvelle carte d'assurance nationale indiquant ses nouveaux prĂ©noms et titre. En outre, le DSS met en Ɠuvre une politique de confidentialitĂ© des donnĂ©es personnelles du titulaire d'un numĂ©ro d'assurance nationale et, en particulier, des mesures et une procĂ©dure de protection spĂ©ciale des transsexuels. Par consĂ©quent, un employeur n'a aucun moyen d'obtenir lĂ©galement du DSS des informations sur l'identitĂ© sexuelle antĂ©rieure d'un employĂ©. Selon le Gouvernement, il est Ă©galement trĂšs peu probable que l'employeur de la requĂ©rante dĂ©couvre la conversion sexuelle de celle-ci par un quelconque autre moyen grĂące Ă  son numĂ©ro d'assurance nationale. Quant au refus de dĂ©livrer un nouveau numĂ©ro d'assurance nationale, il se justifierait par le fait que son unicitĂ© revĂȘt une importance capitale pour l'administration du systĂšme d'assurance nationale et la prĂ©vention de l'usage frauduleux d'anciens numĂ©ros.

67.  Le Gouvernement juge totalement infondĂ©es les craintes de la requĂ©rante quant Ă  la divulgation de son ancienne identitĂ© sexuelle Ă  l'Ăąge de soixante ans lorsque son employeur ne sera plus tenu de dĂ©duire ses cotisations d'assurance nationale de son salaire, puisqu'elle s'est dĂ©jĂ  vu dĂ©livrer l'attestation appropriĂ©e de dĂ©rogation d'Ăąge (formulaire CF384).

68.  Pour ce qui est de l'impossibilitĂ© pour la requĂ©rante de bĂ©nĂ©ficier d'une pension de retraite de l'Etat Ă  l'Ăąge de soixante ans, le Gouvernement fait valoir que la distinction entre hommes et femmes quant Ă  l'Ăąge de la retraite a Ă©tĂ© jugĂ©e compatible avec le droit communautaire (article 7 § 1 a) de la directive 79/7/CEE ; Cour de justice des CommunautĂ©s europĂ©ennes, R. v. Secretary of State for Social Security, ex parte Equal Opportunities Commission, affaire C-9/91, Recueil 1992, p. I-4927). En outre, dans la mesure oĂč il n'est pas en soi contraire Ă  l'article 8 de la Convention de continuer Ă  considĂ©rer la requĂ©rante comme un homme sur le plan juridique, autoriser celle-ci Ă  bĂ©nĂ©ficier d'une pension Ă  l'Ăąge de soixante ans constituerait un traitement privilĂ©giĂ©, injuste pour le reste de la population.

69.  En ce qui concerne enfin les allĂ©gations de l'intĂ©ressĂ©e relatives aux actes d'agression et de harcĂšlement dont elle aurait Ă©tĂ© victime Ă  son travail, le Gouvernement soutient qu'elle aurait pu engager des poursuites pour harcĂšlement et agression en vertu du droit pĂ©nal. Les actes de harcĂšlement sur le lieu de travail peuvent Ă©galement donner lieu, lorsqu'ils sont liĂ©s au transsexualisme de la victime, Ă  une plainte au titre de la loi de 1975 sur la discrimination sexuelle si l'employeur a connaissance des agissements en cause et ne prend aucune mesure pour les prĂ©venir. Le droit interne offrait donc une protection adĂ©quate.

70.  Le Gouvernement soutient qu'au total un juste Ă©quilibre a Ă©tĂ© mĂ©nagĂ© entre les droits de l'individu et l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral de la communautĂ©. Quant Ă  l'existence de situations oĂč une personne transsexuelle peut avoir Ă  rĂ©vĂ©ler son changement d'identitĂ© sexuelle Ă  un nombre restreint de personnes, ces situations sont inĂ©vitables et nĂ©cessaires, par exemple dans le domaine des contrats d'assurance oĂč les antĂ©cĂ©dents mĂ©dicaux et le sexe ont une incidence sur le calcul des primes.

B.  ApprĂ©ciation de la Cour

1.  ConsidĂ©rations liminaires

71.  La prĂ©sente affaire soulĂšve la question de savoir si l'Etat dĂ©fendeur a ou non mĂ©connu son obligation positive de garantir Ă  la requĂ©rante, transsexuelle opĂ©rĂ©e, le droit au respect de sa vie privĂ©e, notamment en ne reconnaissant pas la conversion sexuelle de l'intĂ©ressĂ©e sur le plan juridique.

72.  La Cour rĂ©affirme que la notion de « respect Â», au sens de l'article 8, manque de nettetĂ©, surtout en ce qui concerne les obligations positives inhĂ©rentes Ă  cette notion ; ses exigences varient beaucoup d'un cas Ă  l'autre, vu la diversitĂ© des pratiques suivies et des conditions rĂ©gnant dans les Etats contractants, et la marge d'apprĂ©ciation laissĂ©e aux autoritĂ©s peut ĂȘtre plus large en cette matiĂšre que pour d'autres questions relevant de la Convention. Afin de dĂ©terminer s'il existe une obligation positive, il faut prendre en compte – souci sous-jacent Ă  la Convention tout entiĂšre – le juste Ă©quilibre Ă  mĂ©nager entre l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et les intĂ©rĂȘts de l'individu (arrĂȘt Cossey c. Royaume-Uni du 27 septembre 1990, sĂ©rie A no 184, p. 15, § 37).

73.  La Cour rappelle qu'elle a dĂ©jĂ  eu Ă  examiner des griefs relatifs Ă  la situation des transsexuels au Royaume-Uni (arrĂȘts Rees c. Royaume-Uni du 17 octobre 1986, sĂ©rie A no 106, Cossey prĂ©citĂ©, X, Y et Z c. Royaume-Uni du 22 avril 1997, Recueil 1997-II, et Sheffield et Horsham prĂ©citĂ©, p. 2011). Dans ces affaires, elle avait conclu que le refus du gouvernement britannique de modifier le registre des naissances, ou d'en fournir des extraits qui ont une substance et une nature diffĂ©rentes de celles des mentions originales concernant le sexe dĂ©clarĂ© de l'individu, ne pouvait passer pour une ingĂ©rence dans l'exercice du droit au respect de la vie privĂ©e (arrĂȘts Rees, p. 14, § 35, et Cossey, p. 15, § 36, prĂ©citĂ©s). Elle avait Ă©galement estimĂ© que l'Etat dĂ©fendeur n'avait aucune obligation positive de remanier son systĂšme d'enregistrement des naissances en crĂ©ant un nouveau systĂšme ou type de documents aptes Ă  fournir la preuve de l'Ă©tat civil actuel. Elle avait de mĂȘme considĂ©rĂ© que l'Etat n'Ă©tait pas astreint Ă  autoriser des annotations dans le registre des naissances ni tenu d'empĂȘcher de divulguer une telle annotation Ă  des tiers (arrĂȘts Rees, p. 17, § 42, et Cossey, p. 15, §§ 38-39, prĂ©citĂ©s). Dans ces affaires, la Cour avait constatĂ© que les autoritĂ©s avaient pris des mesures pour minimiser les risques pour les transsexuels de se voir poser des questions embarrassantes (par exemple en leur permettant d'obtenir des permis de conduire, des passeports et d'autres types de documents Ă©tablis sous leurs nouveaux prĂ©noms et sexe). En outre, elle avait estimĂ© que le parcours personnel des requĂ©rants dans ces affaires ne dĂ©montrait pas que la non-reconnaissance gĂ©nĂ©rale sur le plan juridique de leur conversion sexuelle leur causĂąt des inconvĂ©nients d'une gravitĂ© suffisante pour que l'on pĂ»t considĂ©rer qu'il y avait dĂ©passement de la marge d'apprĂ©ciation de l'Etat en la matiĂšre (arrĂȘt Sheffield et Horsham prĂ©citĂ©, pp. 2028-2029, § 59).

74.  Sans que la Cour soit formellement tenue de suivre ses arrĂȘts antĂ©rieurs, il est dans l'intĂ©rĂȘt de la sĂ©curitĂ© juridique, de la prĂ©visibilitĂ© et de l'Ă©galitĂ© devant la loi qu'elle ne s'Ă©carte pas sans motif valable de ses propres prĂ©cĂ©dents (voir, par exemple, Chapman c. Royaume-Uni [GC], no 27238/95, § 70, CEDH 2001-I). Cependant, la Convention Ă©tant avant tout un mĂ©canisme de protection des droits de l'homme, la Cour doit tenir compte de l'Ă©volution de la situation dans l'Etat dĂ©fendeur et dans les Etats contractants en gĂ©nĂ©ral et rĂ©agir, par exemple, au consensus susceptible de se faire jour quant aux normes Ă  atteindre (voir, parmi d'autres, les arrĂȘts Cossey prĂ©citĂ©, p. 14, § 35, et Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, §§ 67-68, CEDH-2002-IV). Il est d'une importance cruciale que la Convention soit interprĂ©tĂ©e et appliquĂ©e d'une maniĂšre qui en rende les garanties concrĂštes et effectives, et non pas thĂ©oriques et illusoires. Si la Cour devait faillir Ă  maintenir une approche dynamique et Ă©volutive, pareille attitude risquerait de faire obstacle Ă  toute rĂ©forme ou amĂ©lioration (Stafford prĂ©citĂ©, § 68). Dans le contexte en cause, la Cour, depuis 1986, s'est dĂ©clarĂ©e Ă  maintes reprises consciente de la gravitĂ© des problĂšmes que rencontraient les transsexuels et a soulignĂ© l'importance d'examiner de maniĂšre permanente la nĂ©cessitĂ© de mesures juridiques appropriĂ©es en la matiĂšre (arrĂȘts Rees, pp. 18-19, § 47, Cossey, p. 17, § 42, et Sheffield et Horsham, p. 2029, § 60, prĂ©citĂ©s).

75.  La Cour se propose donc d'examiner la situation dans l'Etat contractant concernĂ© et en dehors de celui-ci pour Ă©valuer, « Ă  la lumiĂšre des conditions d'aujourd'hui Â», quelles sont l'interprĂ©tation et l'application de la Convention qui s'imposent Ă  l'heure actuelle (voir l'arrĂȘt Tyrer c. Royaume-Uni du 25 avril 1978, sĂ©rie A no 26, pp. 15-16, § 31, et la jurisprudence ultĂ©rieure).

2.  La situation de la requĂ©rante en tant que transsexuelle

76.  La Cour constate que la requĂ©rante, dĂ©clarĂ©e de sexe masculin Ă  la naissance, a subi une opĂ©ration de conversion sexuelle et mĂšne dĂ©sormais une vie sociale de femme. Nonobstant, l'intĂ©ressĂ©e demeure un homme sur le plan juridique. Cette situation a eu et continue d'avoir des rĂ©percussions sur sa vie lorsque le sexe revĂȘt une pertinence juridique et que des distinctions sont opĂ©rĂ©es entre hommes et femmes, par exemple pour les pensions et l'Ăąge d'admission Ă  la retraite. Ainsi, du fait qu'on la considĂšre juridiquement comme un homme, elle doit continuer de payer ses cotisations Ă  l'assurance nationale jusqu'Ă  l'Ăąge de soixante-cinq ans. Toutefois, Ă©tant donnĂ© qu'elle est employĂ©e sous son identitĂ© sexuelle fĂ©minine, elle a pu obtenir une attestation de dĂ©rogation d'Ăąge qui lui permet de se substituer Ă  son employeur pour ce qui est du versement des cotisations. Si le Gouvernement fait valoir que cette mesure tient dĂ»ment compte de la situation difficile de la requĂ©rante, la Cour constate que celle-ci doit nĂ©anmoins accomplir une dĂ©marche spĂ©ciale qui, en soi, peut attirer l'attention sur sa condition.

77.  Il faut Ă©galement reconnaĂźtre qu'il peut y avoir une atteinte grave Ă  la vie privĂ©e lorsque le droit interne est incompatible avec un aspect important de l'identitĂ© personnelle (voir, mutatis mutandis, l'arrĂȘt Dudgeon c. Royaume-Uni du 22 octobre 1981, sĂ©rie A no 45, pp. 18-19, § 41). Le stress et l'aliĂ©nation qu'engendre la discordance entre le rĂŽle adoptĂ© dans la sociĂ©tĂ© par une personne transsexuelle opĂ©rĂ©e et la condition imposĂ©e par le droit qui refuse de consacrer la conversion sexuelle ne sauraient, de l'avis de la Cour, ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme un inconvĂ©nient mineur dĂ©coulant d'une formalitĂ©. On a affaire Ă  un conflit entre la rĂ©alitĂ© sociale et le droit qui place la personne transsexuelle dans une situation anormale lui inspirant des sentiments de vulnĂ©rabilitĂ©, d'humiliation et d'anxiĂ©tĂ©.

78.  Dans le cas d'espĂšce, comme dans beaucoup d'autres, la conversion sexuelle de la requĂ©rante a Ă©tĂ© prise en charge par le service national de santĂ©, qui reconnaĂźt l'Ă©tat de dysphorie sexuelle et, entre autres choses, assure la conversion par intervention chirurgicale en vue de parvenir Ă  l'un de ses buts essentiels, Ă  savoir que la personne transsexuelle se rapproche autant que possible du sexe auquel elle a le sentiment d'appartenir rĂ©ellement. La Cour est frappĂ©e par le fait que la conversion sexuelle, qui est opĂ©rĂ©e en toute lĂ©galitĂ©, ne dĂ©bouche pourtant pas sur une pleine consĂ©cration en droit, qui pourrait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme l'Ă©tape ultime et l'aboutissement du processus de transformation long et difficile subi par l'intĂ©ressĂ©e. Pour l'apprĂ©ciation Ă  effectuer sous l'angle de l'article 8 de la Convention, il y a lieu d'attacher de l'importance Ă  la cohĂ©rence des pratiques administratives et juridiques dans l'ordre interne. Lorsqu'un Etat autorise le traitement et l'intervention chirurgicale permettant de soulager la situation d'une personne transsexuelle, finance tout ou partie des opĂ©rations et va jusqu'Ă  consentir Ă  l'insĂ©mination artificielle d'une femme qui vit avec un transsexuel (ainsi que le montre l'affaire X, Y et Z c. Royaume-Uni prĂ©citĂ©e), il paraĂźt illogique qu'il refuse de reconnaĂźtre les implications juridiques du rĂ©sultat auquel le traitement conduit.

79.  La Cour note que le caractĂšre insatisfaisant de la situation et des difficultĂ©s actuelles des transsexuels au Royaume-Uni a Ă©tĂ© reconnu par les tribunaux internes (voir l'affaire Bellinger v. Bellinger citĂ©e au paragraphe 52 ci-dessus) et par le groupe de travail interministĂ©riel qui a examinĂ© la situation au Royaume-Uni et conclu que, nonobstant les dispositions prises dans la pratique, les transsexuels connaissent des problĂšmes auxquels la majoritĂ© de la population n'a pas Ă  faire face (paragraphe 50 ci-dessus).

80.  Cela Ă©tant, la Cour a examinĂ© les arguments contraires tenant Ă  l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral qui ont Ă©tĂ© invoquĂ©s pour justifier le maintien de la situation actuelle. Elle constate que dans les affaires britanniques antĂ©rieures elle a attachĂ© de l'importance aux aspects mĂ©dicaux et scientifiques du problĂšme, au point de savoir dans quelle mesure on pouvait parler d'une communautĂ© de vues aux niveaux europĂ©en et international, et aux consĂ©quences que pourraient avoir des modifications apportĂ©es au systĂšme des registres des naissances.

3.  Aspects mĂ©dicaux et scientifiques

81.  Il demeure vrai qu'aucune dĂ©couverte concluante n'est intervenue concernant les causes du transsexualisme (en particulier le point de savoir si les origines en sont entiĂšrement psychologiques ou liĂ©es Ă  une diffĂ©renciation physique dans le cerveau). Dans l'affaire Bellinger v. Bellinger, les expertises ont Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©es comme indiquant une tendance croissante Ă  admettre l'existence d'une diffĂ©renciation des cerveaux masculin et fĂ©minin dĂšs avant la naissance, bien que les preuves scientifiques Ă  l'appui de cette thĂ©orie fussent loin d'ĂȘtre exhaustives. La Cour juge toutefois plus significatif le fait qu'il est largement reconnu au niveau international que le transsexualisme constitue un Ă©tat mĂ©dical justifiant un traitement destinĂ© Ă  aider les personnes concernĂ©es (par exemple, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, quatriĂšme Ă©dition (DMS-IV) a remplacĂ© le diagnostic de transsexualisme par celui de « trouble de l'identitĂ© sexuelle Â» ; voir Ă©galement la Classification internationale des maladies, dixiĂšme rĂ©vision (CIM-10)). Les services de santĂ© du Royaume-Uni, tout comme ceux de la plupart des autres Etats contractants, reconnaissent l'existence de cet Ă©tat mĂ©dical et assurent ou permettent des traitements, y compris des interventions chirurgicales irrĂ©versibles. Les actes mĂ©dicaux et chirurgicaux qui ont rendu possible la conversion sexuelle de la requĂ©rante en l'espĂšce ont en fait Ă©tĂ© effectuĂ©s sous le contrĂŽle des autoritĂ©s sanitaires nationales. En outre, Ă©tant  
donnĂ© les nombreuses et pĂ©nibles interventions qu'entraĂźne une telle chirurgie et le degrĂ© de dĂ©termination et de conviction requis pour changer de rĂŽle sexuel dans la sociĂ©tĂ©, on ne saurait croire qu'il y ait quoi que ce soit d'arbitraire ou d'irrĂ©flĂ©chi dans la dĂ©cision d'une personne de subir une conversion sexuelle. Aussi le fait que les causes exactes du transsexualisme soient toujours dĂ©battues par la communautĂ© scientifique et mĂ©dicale ne revĂȘt-il plus une aussi grande importance.

82.  S'il demeure vrai Ă©galement qu'une personne transsexuelle ne peut pas acquĂ©rir toutes les caractĂ©ristiques biologiques du nouveau sexe (arrĂȘt Sheffield et Horsham prĂ©citĂ©, p. 2028, § 56), la Cour constate qu'avec la sophistication croissante des interventions chirurgicales et des types de traitements hormonaux, le principal aspect biologique de l'identitĂ© sexuelle qui reste inchangĂ© est l'Ă©lĂ©ment chromosomique. Or on sait que des anomalies chromosomiques peuvent survenir naturellement (par exemple dans les cas d'intersexualitĂ©, oĂč les critĂšres biologiques Ă  la naissance ne concordent pas entre eux) et que certaines personnes qui en sont atteintes doivent subir une conversion Ă  l'un ou Ă  l'autre sexe, selon le cas. Pour la Cour, il n'est pas Ă©vident que l'Ă©lĂ©ment chromosomique doive inĂ©vitablement constituer – Ă  l'exclusion de tout autre – le critĂšre dĂ©terminant aux fins de l'attribution juridique d'une identitĂ© sexuelle aux transsexuels (voir l'opinion dissidente de Lord Justice Thorpe dans l'affaire Bellinger v. Bellinger citĂ©e au paragraphe 52 ci-dessus, et la dĂ©cision du juge Chisholm dans l'affaire australienne Re Kevin citĂ©e au paragraphe 56 ci-dessus).

83.  DĂšs lors, la Cour n'est pas convaincue que l'Ă©tat des connaissances mĂ©dicales ou scientifiques fournisse un argument dĂ©terminant quant Ă  la reconnaissance juridique des transsexuels.

4.  Mesure dans laquelle on peut parler d'une communautĂ© de vues aux niveaux europĂ©en et international

84.  DĂ©jĂ  Ă  l'Ă©poque de l'affaire Sheffield et Horsham, un consensus Ă©tait en train de se dessiner au sein des Etats contractants du Conseil de l'Europe quant Ă  la reconnaissance juridique de la conversion sexuelle (arrĂȘt Sheffield et Horsham prĂ©citĂ©, p. 2021, § 35). La derniĂšre Ă©tude soumise par Liberty en l'espĂšce montre que cette tendance se confirme au niveau international (paragraphes 55-56 ci-dessus). Ainsi, en Australie et en Nouvelle-ZĂ©lande, il apparaĂźt que les tribunaux abandonnent le critĂšre du sexe biologique Ă  la naissance (tel qu'Ă©noncĂ© dans l'affaire britannique Corbett v. Corbett) pour considĂ©rer que, dans le contexte du mariage d'une personne transsexuelle, le sexe doit dĂ©pendre d'une multitude de facteurs Ă  prendre en compte au moment du mariage.

85.  La Cour constate que dans l'affaire Rees, en 1986, elle avait relevĂ© qu'il n'existait guĂšre de communautĂ© de vues entre les Etats, certains autorisant la conversion sexuelle et d'autres non, et que, dans l'ensemble, le droit paraissait traverser une phase de transition (arrĂȘt Rees prĂ©citĂ©, p. 15, § 37). Dans l'affaire Sheffield et Horsham tranchĂ©e par elle ultĂ©rieurement, elle mit l'accent sur l'absence d'une dĂ©marche europĂ©enne commune quant Ă  la maniĂšre de traiter les rĂ©percussions que la reconnaissance juridique des changements de sexe pouvait avoir dans d'autres domaines du droit tels que le mariage, la filiation ou la protection de la vie privĂ©e ou des donnĂ©es. Si cela semble demeurer le cas, l'absence de pareille dĂ©marche commune entre les quarante-trois Etats contractants n'est guĂšre surprenante, eu Ă©gard Ă  la diversitĂ© des systĂšmes et traditions juridiques. ConformĂ©ment au principe de subsidiaritĂ©, il appartient en effet avant tout aux Etats contractants de dĂ©cider des mesures nĂ©cessaires pour assurer la reconnaissance des droits garantis par la Convention Ă  toute personne relevant de leur juridiction et, pour rĂ©soudre dans leurs ordres juridiques internes les problĂšmes concrets posĂ©s par la reconnaissance juridique de la condition sexuelle des transsexuels opĂ©rĂ©s, les Etats contractants doivent jouir d'une ample marge d'apprĂ©ciation. Aussi la Cour attache-t-elle moins d'importance Ă  l'absence d'Ă©lĂ©ments indiquant un consensus europĂ©en relativement Ă  la maniĂšre de rĂ©soudre les problĂšmes juridiques et pratiques qu'Ă  l'existence d'Ă©lĂ©ments clairs et incontestĂ©s montrant une tendance internationale continue non seulement vers une acceptation sociale accrue des transsexuels mais aussi vers la reconnaissance juridique de la nouvelle identitĂ© sexuelle des transsexuels opĂ©rĂ©s.

5.  Incidences sur le systĂšme d'enregistrement des naissances

86.  Dans l'affaire Rees, la Cour avait admis que le Gouvernement pouvait accorder une grande importance Ă  la nature historique du systĂšme d'enregistrement des naissances. L'argument selon lequel le fait d'autoriser des exceptions nuirait Ă  la finalitĂ© du systĂšme avait fortement pesĂ© dans son apprĂ©ciation.

87.  On peut constater toutefois que le caractĂšre historique du systĂšme d'enregistrement des naissances connaĂźt dĂ©jĂ  plusieurs exceptions : ainsi, en cas de lĂ©gitimation ou d'adoption, il est possible de dĂ©livrer des extraits reflĂ©tant le changement d'Ă©tat intervenu. Pour la Cour, faire une autre exception dans le cas des transsexuels (dont le nombre se situe entre 2 000 et 5 000 au Royaume-Uni d'aprĂšs le rapport du groupe de travail interministĂ©riel (p. 26)) ne mettrait pas en pĂ©ril tout le systĂšme. Le gouvernement britannique a certes invoquĂ© par le passĂ© l'inconvĂ©nient que cela reprĂ©senterait pour les tiers, qui risqueraient de se voir privĂ©s d'un accĂšs aux inscriptions initiales, ainsi que les complications qui en rĂ©sulteraient dans le domaine du droit de la famille et des successions (arrĂȘt Rees prĂ©citĂ©, p. 18, § 43). Il s'agissait lĂ  toutefois d'assertions formulĂ©es de maniĂšre gĂ©nĂ©rale et, au vu des Ă©lĂ©ments dont elle dispose Ă  l'heure actuelle, la Cour constate qu'aucun risque rĂ©el de prĂ©judice susceptible de rĂ©sulter de modifications du systĂšme actuel n'a Ă©tĂ© identifiĂ©.

88.  Elle note par ailleurs que le gouvernement a rĂ©cemment formulĂ© des propositions de rĂ©forme tendant Ă  rendre possible en permanence la modification des donnĂ©es relatives Ă  l'Ă©tat civil (paragraphe 54 ci-dessus). Elle n'est donc pas convaincue que la nĂ©cessitĂ© de maintenir inĂ©branlablement l'intĂ©gritĂ© de la dimension historique du systĂšme d'enregistrement des naissances revĂȘte aujourd'hui la mĂȘme importance qu'en 1986.

6.  Recherche d'un Ă©quilibre en l'espĂšce

89.  La Cour a relevĂ© ci-dessus (paragraphes 76-79) les difficultĂ©s et anomalies de la situation de la requĂ©rante en tant que transsexuelle opĂ©rĂ©e. Elle reconnaĂźt que le niveau d'ingĂ©rence quotidienne que subissait la requĂ©rante dans l'affaire B. c. France prĂ©citĂ©e n'est pas atteint en l'occurrence et que, sur certains points, les pratiques adoptĂ©es par les autoritĂ©s permettent d'Ă©viter ou de minimiser le risque de difficultĂ©s et d'embarras auquel la requĂ©rante en l'espĂšce se trouve exposĂ©e.

90.  Cela dit, la dignitĂ© et la libertĂ© de l'homme sont l'essence mĂȘme de la Convention. Sur le terrain de l'article 8 de la Convention en particulier, oĂč la notion d'autonomie personnelle reflĂšte un principe important qui sous-tend l'interprĂ©tation des garanties de cette disposition, la sphĂšre personnelle de chaque individu est protĂ©gĂ©e, y compris le droit pour chacun d'Ă©tablir les dĂ©tails de son identitĂ© d'ĂȘtre humain (voir, notamment, Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 62, CEDH 2002-III, et Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 53, CEDH 2002-I). Au XXIe siĂšcle, la facultĂ© pour les transsexuels de jouir pleinement, Ă  l'instar de leurs concitoyens, du droit au dĂ©veloppement personnel et Ă  l'intĂ©gritĂ© physique et morale ne saurait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une question controversĂ©e exigeant du temps pour que l'on parvienne Ă  apprĂ©hender plus clairement les problĂšmes en jeu. En rĂ©sumĂ©, la situation insatisfaisante des transsexuels opĂ©rĂ©s, qui vivent entre deux mondes parce qu'ils n'appartiennent pas vraiment Ă  un sexe ni Ă  l'autre, ne peut plus durer. Cette apprĂ©ciation trouve confirmation au niveau national dans le rapport du groupe de travail interministĂ©riel et dans l'arrĂȘt rendu par la Cour d'appel en l'affaire Bellinger v. Bellinger (paragraphes 50 et 52-53 ci-dessus).

91.  La Cour ne sous-estime pas les difficultĂ©s que pose un changement fondamental du systĂšme ni les importantes rĂ©percussions qu'une telle mesure aura inĂ©vitablement, non seulement pour l'enregistrement des naissances, mais aussi dans des domaines tels que l'accĂšs aux registres, le droit de la famille, la filiation, la succession, la justice pĂ©nale, l'emploi, la sĂ©curitĂ© sociale et les assurances. Toutefois, il ressort clairement du rapport du groupe de travail interministĂ©riel que ces problĂšmes sont loin d'ĂȘtre insurmontables, ledit groupe de travail ayant estimĂ© pouvoir proposer comme l'une des options la pleine reconnaissance juridique de la nouvelle identitĂ© sexuelle, sous rĂ©serve de certains critĂšres et procĂ©dures. Ainsi que Lord Justice Thorpe l'a fait observer dans l'affaire Bellinger, toutes les difficultĂ©s corollaires qui pourraient en surgir, en particulier dans le domaine du droit de la famille, sont Ă  la fois gĂ©rables et acceptables si l'on se limite aux transsexuels opĂ©rĂ©s ayant pleinement rĂ©alisĂ© leur conversion. La Cour n'est pas non plus convaincue par la thĂšse du Gouvernement consistant Ă  dire que le fait de tolĂ©rer l'application Ă  la requĂ©rante des dispositions spĂ©cifiques aux femmes, ce qui changerait Ă©galement la date Ă  laquelle celle-ci pourrait bĂ©nĂ©ficier de sa pension d'Etat, serait source d'injustice pour les autres personnes affiliĂ©es Ă  l'assurance nationale et au rĂ©gime de pensions de l'Etat. En fait, il n'a pas Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© qu'une modification de la condition des transsexuels risquerait d'entraĂźner des difficultĂ©s concrĂštes ou notables ou une atteinte Ă  l'intĂ©rĂȘt public. Quant aux autres consĂ©quences Ă©ventuelles, la Cour considĂšre qu'on peut raisonnablement exiger de la sociĂ©tĂ© qu'elle accepte certains inconvĂ©nients afin de permettre Ă  des personnes de vivre dans la dignitĂ© et le respect, conformĂ©ment Ă  l'identitĂ© sexuelle choisie par elles au prix de grandes souffrances.

92.  Dans les affaires britanniques dont elle a eu Ă  connaĂźtre depuis 1986, la Cour a toujours soulignĂ© l'importance d'examiner de maniĂšre permanente la nĂ©cessitĂ© de mesures juridiques appropriĂ©es, eu Ă©gard Ă  l'Ă©volution de la science et de la sociĂ©tĂ© (voir les rĂ©fĂ©rences au paragraphe 73 ci-dessus). Dans la derniĂšre d'entre elles, l'affaire Sheffield et Horsham, tranchĂ©e en 1998, elle observa que l'Etat dĂ©fendeur n'avait adoptĂ© aucune mesure, malgrĂ© une meilleure acceptation sociale du transsexualisme et une reconnaissance croissante des problĂšmes auxquels ont Ă  faire face les transsexuels opĂ©rĂ©s (arrĂȘt Sheffield et Horsham prĂ©citĂ©, p. 2029, § 60). Tout en ne constatant aucune violation dans ladite affaire, elle rĂ©affirma explicitement que la question devait donner lieu Ă  un examen permanent. Depuis lors, le groupe de travail interministĂ©riel a publiĂ© en avril 2000 un rapport dans lequel il examine la situation actuelle des transsexuels, notamment dans les domaines du droit pĂ©nal, de la famille et de l'emploi, et dĂ©gage diverses options en vue d'une rĂ©forme. Rien n'a rĂ©ellement Ă©tĂ© fait pour mettre en Ɠuvre ces propositions et, en juillet 2001, la Cour d'appel a constatĂ© qu'il n'y avait aucun projet en ce sens (paragraphes 52-53 ci-dessus). On peut constater que la seule rĂ©forme lĂ©gislative notable Ă  avoir vu le jour, et qui applique certaines dispositions non discriminatoires aux transsexuels, fut entreprise Ă  la suite d'une dĂ©cision de la Cour de justice des CommunautĂ©s europĂ©ennes du 30 avril 1996 qui assimilait une discrimination fondĂ©e sur le changement de sexe Ă  une discrimination fondĂ©e sur le sexe (paragraphes 43-45 ci-dessus).

93.  Eu Ă©gard Ă  ce qui prĂ©cĂšde, la Cour estime que l'Etat dĂ©fendeur ne peut plus invoquer sa marge d'apprĂ©ciation en la matiĂšre, sauf pour ce qui est des moyens Ă  mettre en Ɠuvre afin d'assurer la reconnaissance du droit protĂ©gĂ© par la Convention. Aucun facteur important d'intĂ©rĂȘt public n'entrant en concurrence avec l'intĂ©rĂȘt de la requĂ©rante en l'espĂšce Ă  obtenir la reconnaissance juridique de sa conversion sexuelle, la Cour conclut que la notion de juste Ă©quilibre inhĂ©rente Ă  la Convention fait dĂ©sormais rĂ©solument pencher la balance en faveur de la requĂ©rante. DĂšs lors, il y a eu manquement au respect du droit de l'intĂ©ressĂ©e Ă  sa vie privĂ©e, en violation de l'article 8 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 12 DE LA CONVENTION

94.  La requĂ©rante allĂšgue Ă©galement la violation de l'article 12 de la Convention, ainsi libellĂ© :

« A partir de l'Ăąge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales rĂ©gissant l'exercice de ce droit. Â»

A.  Arguments des parties

1.  La requĂ©rante

95.  La requĂ©rante se plaint de l'incapacitĂ© dans laquelle elle se trouve, du fait que la loi la considĂšre comme un homme, d'Ă©pouser son compagnon avec lequel elle entretient pourtant une relation physique normale. Elle soutient que la rĂ©cente affaire Bellinger v. Bellinger a montrĂ© que la dĂ©finition du sexe d'une personne aux fins du mariage donnĂ©e dans l'affaire Corbett v. Corbett n'est plus satisfaisante et que, mĂȘme s'il continue d'ĂȘtre acceptable de s'appuyer sur les critĂšres biologiques, il est contraire Ă  l'article 12 de n'en utiliser que certains pour dĂ©terminer le sexe et exclure les personnes qui n'y rĂ©pondent pas.

2.  Le Gouvernement

96.  Renvoyant Ă  la jurisprudence de la Cour (arrĂȘts Rees, Cossey, et Sheffield et Horsham prĂ©citĂ©s), le Gouvernement affirme que ni l'article 12 ni l'article 8 de la Convention n'obligent un Etat Ă  autoriser une personne transsexuelle Ă  se marier avec une personne de son sexe d'origine. Il fait Ă©galement observer que la dĂ©marche adoptĂ©e en droit interne a Ă©tĂ© examinĂ©e et confirmĂ©e rĂ©cemment par la Cour d'appel dans l'affaire Bellinger v. Bellinger, dĂ©sormais pendante devant la Chambre des lords. Il considĂšre que toute rĂ©forme dans ce domaine important et dĂ©licat doit Ă©maner des propres juridictions du Royaume-Uni agissant dans le cadre de la marge d'apprĂ©ciation que la Cour a toujours accordĂ©e. Il soutient en outre que tout changement risque d'entraĂźner des consĂ©quences indĂ©sirables, faisant valoir qu'une reconnaissance juridique pourrait soit invalider des mariages dĂ©jĂ  contractĂ©s, soit aboutir, pour les transsexuels et leurs partenaires, Ă  des mariages entre personnes du mĂȘme sexe. Il souligne l'importance d'une Ă©valuation minutieuse et approfondie des consĂ©quences que pourrait avoir un changement dans ce domaine et la nĂ©cessitĂ© de prendre des dispositions transitoires.

B.  ApprĂ©ciation de la Cour

97.  La Cour rappelle que dans les affaires Rees, Cossey, et Sheffield et Horsham, l'impossibilitĂ© pour les requĂ©rants transsexuels d'Ă©pouser une personne du sexe opposĂ© Ă  leur nouveau sexe fut jugĂ©e non contraire Ă  l'article 12 de la Convention. Cette conclusion procĂ©dait, suivant l'affaire, du raisonnement selon lequel le droit de se marier visait le mariage traditionnel entre deux personnes de sexe biologique diffĂ©rent (arrĂȘt Rees prĂ©citĂ©, p. 19, § 49), de l'idĂ©e que l'attachement aux critĂšres biologiques pour dĂ©terminer le sexe d'une personne aux fins du mariage relevait du pouvoir reconnu aux Etats contractants de rĂ©glementer par des lois l'exercice du droit de se marier et du constat que les lois de l'Etat dĂ©fendeur en la matiĂšre ne pouvaient ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme restreignant ou rĂ©duisant le droit pour une personne transsexuelle de se marier d'une maniĂšre ou Ă  un degrĂ© qui l'eussent atteint dans sa substance mĂȘme (arrĂȘts Cossey, pp. 17-18, §§ 44-46, et Sheffield et Horsham, p. 2030, §§ 66-67, prĂ©citĂ©s). La Cour se fonda Ă©galement sur le libellĂ© de l'article 12, interprĂ©tĂ© par elle comme protĂ©geant le mariage en tant que fondement de la famille (arrĂȘt Rees, loc. cit.).

98.  RĂ©examinant la situation en 2002, la Cour observe que par l'article 12 se trouve garanti le droit fondamental, pour un homme et une femme, de se marier et de fonder une famille. Toutefois, le second aspect n'est pas une condition du premier, et l'incapacitĂ© pour un couple de concevoir ou d'Ă©lever un enfant ne saurait en soi passer pour le priver du droit visĂ© par la premiĂšre branche de la disposition en cause.

99.  L'exercice du droit de se marier emporte des consĂ©quences sociales, personnelles et juridiques. Il obĂ©it aux lois nationales des Etats contractants, mais les limitations en rĂ©sultant ne doivent pas le restreindre ou rĂ©duire d'une maniĂšre ou Ă  un degrĂ© qui l'atteindraient dans sa substance mĂȘme (arrĂȘts Rees prĂ©citĂ©, p. 19, § 50, et F. c. Suisse du 18 dĂ©cembre 1987, sĂ©rie A no 128, p. 16, § 32).

100.  Certes, la premiĂšre partie de la phrase vise expressĂ©ment le droit pour un homme et une femme de se marier. La Cour n'est pas convaincue que l'on puisse aujourd'hui continuer d'admettre que ces termes impliquent que le sexe doive ĂȘtre dĂ©terminĂ© selon des critĂšres purement biologiques (ainsi que l'avait dĂ©clarĂ© le juge Ormrod dans l'affaire Corbett v. Corbett, paragraphe 21 ci-dessus). Depuis l'adoption de la Convention, l'institution du mariage a Ă©tĂ© profondĂ©ment bouleversĂ©e par l'Ă©volution de la sociĂ©tĂ©, et les progrĂšs de la mĂ©decine et de la science ont entraĂźnĂ© des changements radicaux dans le domaine de la transsexualitĂ©. La Cour a constatĂ© ci-dessus, sur le terrain de l'article 8 de la Convention, que la non-concordance des facteurs biologiques chez un transsexuel opĂ©rĂ© ne pouvait plus constituer un motif suffisant pour justifier le refus de reconnaĂźtre juridiquement le changement de sexe de l'intĂ©ressĂ©. D'autres facteurs doivent ĂȘtre pris en compte : la reconnaissance par la communautĂ© mĂ©dicale et les autoritĂ©s sanitaires dans les Etats contractants de l'Ă©tat mĂ©dical de trouble de l'identitĂ© sexuelle, l'offre de traitements, y compris des interventions chirurgicales, censĂ©s permettre Ă  la personne concernĂ©e de se rapprocher autant que possible du sexe auquel elle a le sentiment d'appartenir, et l'adoption par celle-ci du rĂŽle social de son nouveau sexe. La Cour note Ă©galement que le libellĂ© de l'article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union europĂ©enne adoptĂ©e rĂ©cemment s'Ă©carte – et cela ne peut ĂȘtre que dĂ©libĂ©rĂ© – de celui de l'article 12 de la Convention en ce qu'il exclut la rĂ©fĂ©rence Ă  l'homme et Ă  la femme (paragraphe 58 ci-dessus).

101.  Le droit au respect de la vie privĂ©e garanti par l'article 8 n'englobe toutefois pas l'ensemble des questions se posant sur le terrain de l'article 12, lequel mentionne expressĂ©ment les conditions imposĂ©es par les lois nationales. La Cour a donc examinĂ© si le fait que le droit national retienne aux fins du mariage le sexe enregistrĂ© Ă  la naissance constitue en l'espĂšce une limitation portant atteinte Ă  la substance mĂȘme du droit de se marier. A cet Ă©gard, elle juge artificiel d'affirmer que les personnes ayant subi une opĂ©ration de conversion sexuelle ne sont pas privĂ©es du droit de se marier puisque, conformĂ©ment Ă  la loi, il leur demeure possible d'Ă©pouser une personne du sexe opposĂ© Ă  leur ancien sexe. En l'espĂšce, la requĂ©rante mĂšne une vie de femme, entretient une relation avec un homme et souhaite Ă©pouser uniquement un homme. Or elle n'en a pas la possibilitĂ©. Pour la Cour, l'intĂ©ressĂ©e peut donc se plaindre d'une atteinte Ă  la substance mĂȘme de son droit de se marier.

102.  La Cour n'aperçoit aucune autre raison qui l'empĂȘcherait d'aboutir Ă  cette conclusion. Le Gouvernement soutient que dans ce domaine sensible le contrĂŽle du respect des conditions requises par le droit national pour se marier doit rester l'apanage des juridictions internes, dans le cadre de la marge d'apprĂ©ciation de l'Etat ; et d'Ă©voquer Ă  cet Ă©gard les rĂ©percussions possibles sur les mariages dĂ©jĂ  contractĂ©s dans lesquels l'un des partenaires est transsexuel. Il ressort toutefois des opinions exprimĂ©es par la majoritĂ© de la Cour d'appel dans l'arrĂȘt Bellinger v. Bellinger que les tribunaux internes tendent Ă  penser qu'il serait prĂ©fĂ©rable que la question soit traitĂ©e par le pouvoir lĂ©gislatif ; or le gouvernement n'a Ă  prĂ©sent aucune intention de lĂ©gifĂ©rer (paragraphes 52-53 ci-dessus).

103.  Les Ă©lĂ©ments soumis par Liberty permettent de constater que si le mariage des transsexuels recueille une grande adhĂ©sion, le nombre des pays qui autorisent le mariage des transsexuels sous leur nouvelle identitĂ© sexuelle est infĂ©rieur Ă  celui des Etats qui reconnaissent la conversion sexuelle elle-mĂȘme. La Cour n'est toutefois pas convaincue que cela soit de nature Ă  conforter la thĂšse selon laquelle les Etats contractants doivent pouvoir entiĂšrement rĂ©gler la question dans le cadre de leur marge d'apprĂ©ciation. En effet, cela reviendrait Ă  conclure que l'Ă©ventail des options ouvertes Ă  un Etat contractant peut aller jusqu'Ă  interdire en pratique l'exercice du droit de se marier. La marge d'apprĂ©ciation ne saurait ĂȘtre aussi large. S'il appartient Ă  l'Etat contractant de dĂ©terminer, notamment, les conditions que doit remplir une personne transsexuelle qui revendique la reconnaissance juridique de sa nouvelle identitĂ© sexuelle pour Ă©tablir que sa conversion sexuelle a bien Ă©tĂ© opĂ©rĂ©e et celles dans lesquelles un mariage antĂ©rieur cesse d'ĂȘtre valable, ou encore les formalitĂ©s applicables Ă  un futur mariage (par exemple les informations Ă  fournir aux futurs Ă©poux), la Cour ne voit aucune raison justifiant que les transsexuels soient privĂ©s en toutes circonstances du droit de se marier.

104.  Elle conclut donc qu'il y a eu violation de l'article 12 de la Convention en l'espĂšce.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION

105.  La requĂ©rante allĂšgue aussi la violation de l'article 14 de la Convention, ainsi libellĂ© :

« La jouissance des droits et libertĂ©s reconnus dans la (...) Convention doit ĂȘtre assurĂ©e, sans distinction aucune, fondĂ©e notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance Ă  une minoritĂ© nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. Â»

106.  Elle affirme que la non-reconnaissance juridique de sa nouvelle identitĂ© sexuelle est source de toute une sĂ©rie de situations discriminatoires et de prĂ©judices. Elle invoque en particulier le fait qu'elle ne peut ni prĂ©tendre Ă  une pension de l'Etat avant l'Ăąge de soixante-cinq ans ni bĂ©nĂ©ficier de la gratuitĂ© des abonnements d'autobus Ă  Londres, privilĂšge rĂ©servĂ© aux femmes ayant atteint l'Ăąge de soixante ans et aux hommes ayant atteint celui de soixante-cinq ans.

107.  Le Gouvernement soutient qu'aucune question distincte ne se pose par rapport aux points examinĂ©s sous l'angle de l'article 8 de la Convention et que les griefs ne rĂ©vĂšlent aucun traitement discriminatoire contraire Ă  la disposition prĂ©citĂ©e.

108.  La Cour estime qu'au cƓur des griefs Ă©noncĂ©s par la requĂ©rante sur le terrain de l'article 14 de la Convention se trouve la non-reconnaissance juridique de la conversion sexuelle d'une personne transsexuelle opĂ©rĂ©e. Ces questions ont Ă©tĂ© examinĂ©es sous l'angle de l'article 8, dont la violation a Ă©tĂ© constatĂ©e. Dans ces conditions, la Cour estime qu'aucune question distincte ne se pose au regard de l'article 14 de la Convention et ne formule aucune conclusion sĂ©parĂ©e sur ce grief.

IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

109.  La requĂ©rante dĂ©nonce une violation de l'article 13 de la Convention, ainsi libellĂ© :

« Toute personne dont les droits et libertĂ©s reconnus dans la (...) Convention ont Ă©tĂ© violĂ©s, a droit Ă  l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors mĂȘme que la violation aurait Ă©tĂ© commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. Â»

110.  Elle estime en effet n'avoir disposĂ© d'aucun recours effectif quant aux griefs ci-dessus.

111.  Le Gouvernement soutient qu'aucune allĂ©gation dĂ©fendable de violation d'un droit reconnu par la Convention n'a Ă©tĂ© formulĂ©e en l'espĂšce qui permettrait la mise en jeu du droit Ă  un recours garanti par l'article 13. Quoi qu'il en soit, depuis le 2 octobre 2000, date Ă  laquelle la loi de 1998 sur les droits de l'homme (Human Rights Act 1998) est entrĂ©e en vigueur, il est possible d'invoquer les droits protĂ©gĂ©s par la Convention devant les juridictions nationales, et la requĂ©rante peut dĂ©sormais faire redresser par un tribunal interne toute violation d'un droit reconnu par la Convention.

112.  La Cour rĂ©itĂšre que l'article 13 garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant de s'y prĂ©valoir des droits et libertĂ©s de la Convention, tels qu'ils peuvent s'y trouver consacrĂ©s. Cette disposition a donc pour consĂ©quence d'exiger un recours interne habilitant l'instance nationale compĂ©tente Ă  connaĂźtre du contenu d'un « grief dĂ©fendable Â» fondĂ© sur la Convention et Ă  offrir le redressement appropriĂ© (voir, parmi d'autres, l'arrĂȘt Aksoy c. Turquie du 18 dĂ©cembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2286, § 95).

113.  La Cour ayant conclu ci-dessus Ă  la violation des articles 8 et 12 de la Convention, il ne fait aucun doute que les griefs tirĂ©s de ces dispositions sont dĂ©fendables aux fins de l'article 13 de la Convention. Toutefois, selon la jurisprudence des organes de la Convention, l'article 13 ne saurait ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme exigeant un recours contre l'Ă©tat du droit interne car sinon la Cour imposerait aux Etats contractants d'incorporer la Convention (arrĂȘt James et autres c. Royaume-Uni du 21 fĂ©vrier 1986, sĂ©rie A no 98, p. 48, § 86). Par consĂ©quent, les griefs de la requĂ©rante se heurtent Ă  ce principe pour autant qu'elle se plaint de l'absence de tout recours avant le 2 octobre 2000, date d'entrĂ©e en vigueur de la loi de 1998 sur les droits de l'homme. AprĂšs cette date, elle aurait pu saisir les tribunaux internes, qui disposaient d'un Ă©ventail de possibilitĂ©s pour redresser la situation.

114.  Partant, la Cour ne constate aucune violation de l'article 13 de la Convention en l'espĂšce.

V.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

115.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour dĂ©clare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă  la partie lĂ©sĂ©e, s'il y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. Â»

A.  Dommage

116.  La requĂ©rante demande au total 38 200 livres sterling (GBP) pour dommage matĂ©riel, soit 31 200 GBP pour la pension qu'elle n'a pu revendiquer Ă  l'Ăąge de soixante ans et 7 000 GBP, montant estimĂ© Ă©quivalant Ă  l'abonnement d'autobus pour retraitĂ©s dont elle n'a pas pu bĂ©nĂ©ficier. Elle rĂ©clame Ă©galement 40 000 GBP au titre du prĂ©judice moral pour la dĂ©tresse, l'anxiĂ©tĂ© et l'humiliation subies.

117.  Le Gouvernement soutient qu'au cas oĂč la Cour conclurait Ă  une violation de la Convention, ce constat constituerait en soi une satisfaction Ă©quitable suffisante aux fins de l'article 41 de la Convention.

118.  La Cour rappelle qu'il doit y avoir un lien de causalitĂ© manifeste entre le prĂ©judice moral allĂ©guĂ© et la violation de la Convention et que la satisfaction Ă©quitable peut, le cas Ă©chĂ©ant, inclure une indemnitĂ© au titre de la perte de revenus professionnels ou d'autres sources de revenus (voir, parmi d'autres, les arrĂȘts BarberĂ , MesseguĂ© et Jabardo c. Espagne (article 50) du 13 juin 1994, sĂ©rie A no 285-C, pp. 57-58, §§ 16-20, et Çakıcı c. Turquie [GC], no 23657/94, § 127, CEDH 1999-IV).

119.  La Cour relĂšve que la requĂ©rante n'a pas pu prendre sa retraite et bĂ©nĂ©ficier d'une pension de l'Etat Ă  l'Ăąge de soixante ans comme les autres employĂ©s de sexe fĂ©minin, ni demander la gratuitĂ© des abonnements d'autobus. On ne peut toutefois dĂ©terminer avec prĂ©cision l'Ă©tendue du prĂ©judice financier ayant pu en rĂ©sulter pour elle puisqu'elle a continuĂ© de travailler – quoique peut-ĂȘtre pas par choix – et de percevoir un salaire. La
Cour a par ailleurs souligné ci-dessus les difficultés et le stress qu'engendre pour la requérante sa condition de transsexuelle opérée. Elle constate néanmoins que jusqu'en 1998 des questions analogues ont été jugées relever de la marge d'appréciation du Royaume-Uni et ne révéler aucune violation.

120.  La Cour considĂšre aujourd'hui que la situation, telle qu'elle a Ă©voluĂ©, ne relĂšve plus de la marge d'apprĂ©ciation du Royaume-Uni. Il appartiendra Ă  l'Etat britannique de mettre en Ɠuvre, en temps utile, les mesures qu'il juge appropriĂ©es pour satisfaire, en conformitĂ© avec le prĂ©sent arrĂȘt, aux obligations qui lui incombent d'assurer Ă  la requĂ©rante et aux autres personnes transsexuelles le droit au respect de leur vie privĂ©e et le droit de se marier. Certes, la requĂ©rante a sans aucun doute Ă©prouvĂ© de la dĂ©tresse et de l'anxiĂ©tĂ© par le passĂ©, mais c'est la non-reconnaissance juridique de la conversion sexuelle des transsexuels opĂ©rĂ©s qui se trouve au cƓur des griefs formulĂ©s dans la prĂ©sente affaire – la derniĂšre en date d'une sĂ©rie de requĂȘtes soulevant les mĂȘmes questions. La Cour n'estime donc pas opportun d'allouer une indemnitĂ© Ă  la requĂ©rante en l'espĂšce. Les constats de violation, avec les consĂ©quences qui en dĂ©coulent pour l'avenir, peuvent, dans les circonstances, passer pour constituer une satisfaction Ă©quitable.

B.  Frais et dĂ©pens

121.  Au titre des frais et dĂ©pens, la requĂ©rante sollicite 17 000 GBP pour les honoraires de ses solicitors et 24 550 GBP pour ceux d'un avocat principal (senior counsel) et d'un avocat en second (junior counsel). Elle demande Ă©galement 2 822 GBP pour les frais de voyage, de sĂ©jour et autres liĂ©s Ă  l'audience devant la Cour. Le montant total rĂ©clamĂ© de ce chef s'Ă©lĂšve donc Ă  44 372 GBP.

122.  Le Gouvernement trouve cette somme excessive par rapport Ă  celles accordĂ©es dans d'autres affaires dirigĂ©es contre le Royaume-Uni. Il vise en particulier le montant de 39 000 GBP censĂ© correspondre Ă  la pĂ©riode relativement rĂ©cente durant laquelle s'est exercĂ© le mandat des solicitors actuels de la requĂ©rante et qui ne couvrirait que les observations complĂ©mentaires et l'audience devant la Cour.

123.  Eu Ă©gard au degrĂ© de complexitĂ© de l'affaire et aux procĂ©dures adoptĂ©es en l'espĂšce, la Cour juge Ă©levĂ©es les sommes rĂ©clamĂ©es par la requĂ©rante au titre des frais et dĂ©pens, d'autant qu'aucune prĂ©cision n'a Ă©tĂ© fournie quant au nombre d'heures de travail ou aux tarifs appliquĂ©s. Compte tenu des sommes allouĂ©es dans d'autres affaires britanniques et des montants versĂ©s par le Conseil de l'Europe dans le cadre de l'assistance judiciaire, la Cour octroie de ce chef 39 000 euros, plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» au titre de la taxe sur la valeur ajoutĂ©e. L'indemnitĂ© est  
libellée en euros, à convertir en livres sterling à la date du rÚglement, la Cour jugeant approprié d'adopter dorénavant, en principe, l'euro comme monnaie de référence pour toutes les indemnités allouées à titre de satisfaction équitable en vertu de l'article 41 de la Convention.

C.  IntĂ©rĂȘts moratoires

124.  L'indemnitĂ© Ă©tant libellĂ©e en euros, Ă  convertir dans la monnaie nationale Ă  la date du rĂšglement, la Cour considĂšre que le taux des intĂ©rĂȘts moratoires doit reflĂ©ter le choix qu'elle a fait d'adopter l'euro comme monnaie de rĂ©fĂ©rence. Elle juge appropriĂ© de calquer le taux des intĂ©rĂȘts moratoires sur le taux d'intĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne majorĂ© de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Dit, Ă  l'unanimitĂ©, qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention ;

2.  Dit, Ă  l'unanimitĂ©, qu'il y a eu violation de l'article 12 de la Convention ;

3.  Dit, Ă  l'unanimitĂ©, qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de l'article 14 de la Convention ;

4.  Dit, Ă  l'unanimitĂ©, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 13 de la Convention ;

5.  Dit, Ă  l'unanimitĂ©, que les constats de violation constituent en soi une satisfaction Ă©quitable suffisante pour le prĂ©judice moral subi par la requĂ©rante ;

6.  Dit, Ă  l'unanimitĂ©, que l'Etat dĂ©fendeur doit verser Ă  la requĂ©rante, dans les trois mois, 39 000 EUR (trente-neuf mille euros) pour frais et dĂ©pens, plus toute somme pouvant ĂȘtre due au titre de la taxe sur la valeur ajoutĂ©e, Ă  convertir en livres sterling Ă  la date du rĂšglement ;

7.  Dit, par quinze voix contre deux, que ces montants seront Ă  majorer d'un intĂ©rĂȘt simple Ă  un taux Ă©gal Ă  celui de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne augmentĂ© de trois points de pourcentage Ă  compter de l'expiration dudit dĂ©lai et jusqu'au versement ;

8.  Rejette, Ă  l'unanimitĂ©, la demande de satisfaction Ă©quitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 11 juillet 2002.

Luzius Wildhaber 
  PrĂ©sident 
 Paul Mahoney 
 Greffier

Au prĂ©sent arrĂȘt se trouve joint, conformĂ©ment aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du rĂšglement, l'exposĂ© des opinions sĂ©parĂ©es suivantes :

–  opinion concordante de M. Fischbach ;

–  opinion en partie dissidente de M. TĂŒrmen ;

–  opinion en partie dissidente de Mme Greve.

L.W. 
P.J.M.

 

OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE FISCHBACH

(Traduction)

Bien qu'ayant votĂ© avec la majoritĂ© de la Cour concernant le point 7 du dispositif de l'arrĂȘt, j'aurais prĂ©fĂ©rĂ© que la Cour fixe un taux dĂ©terminĂ© pour les intĂ©rĂȘts moratoires.

 

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE 
DE M. LE JUGE TÜRMEN

(Traduction)

En ce qui concerne les intĂ©rĂȘts moratoires, j'aurais prĂ©fĂ©rĂ© que la Cour fixe, au point 7 du dispositif de son arrĂȘt, un taux dĂ©terminĂ©.

 

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE 
DE Mme LA JUGE GREVE

(Traduction)

En l'espĂšce, je ne partage pas le point de vue de la majoritĂ© de mes collĂšgues concernant les intĂ©rĂȘts moratoires.

Les juges s'accordent Ă  reconnaĂźtre que l'euro est une monnaie de rĂ©fĂ©rence appropriĂ©e pour toutes les indemnitĂ©s allouĂ©es au titre de l'article 41. La Cour souhaite que pareilles indemnitĂ©s soient payĂ©es rapidement, et les intĂ©rĂȘts moratoires sont censĂ©s ĂȘtre une incitation Ă  cette fin, mais ils ne doivent pas revĂȘtir un caractĂšre punitif. Jusque-lĂ , je n'Ă©mets aucune rĂ©serve.

En vertu de la nouvelle politique de la Cour, les indemnitĂ©s sont libellĂ©es en euros Ă  convertir dans la monnaie nationale Ă  la date du rĂšglement. Dans la prĂ©sente affaire, il en rĂ©sulte que l'indemnitĂ© accordĂ©e Ă  la requĂ©rante perdra de sa valeur si la monnaie de son pays, la livre sterling, continue de se renforcer par rapport Ă  l'euro. La conversion dans la monnaie nationale Ă  la date du rĂšglement, par opposition Ă  une conversion Ă  la date de l'arrĂȘt, favorisera les requĂ©rants de la zone euro et ceux de pays dont la monnaie est en paritĂ© avec l'euro ou plus faible. Tous les autres requĂ©rants subiront une perte du fait de la nouvelle politique. A mon sens, cette dĂ©marche est contraire aux dispositions de l'article 14 combinĂ© avec l'article 41. De surcroĂźt, elle va Ă  l'encontre du souhait de la Cour d'octroyer des indemnitĂ©s aussi Ă©quitables que possible, c'est-Ă -dire de les maintenir autant que faire se peut Ă  une valeur constante.

Ce deuxiĂšme objectif a Ă©galement inspirĂ© la modification de la pratique antĂ©rieure de la Cour qui consistait Ă  prendre pour base de sa dĂ©cision, dans chaque affaire, le taux des intĂ©rĂȘts moratoires applicable dans l'Etat membre concernĂ©.

La majoritĂ© tente de garantir l'Ă©quitĂ© des indemnitĂ©s en appliquant le taux d'intĂ©rĂȘt variable tout au long de la pĂ©riode de retard de paiement. La Cour adopte dĂ©sormais le taux d'intĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt marginal que pratique la Banque centrale europĂ©enne (BCE) lorsqu'elle accorde des liquiditĂ©s au jour le jour Ă  des banques commerciales, majorĂ© de trois points. Dans de nombreux cas, comme en l'espĂšce, le requĂ©rant bĂ©nĂ©ficiera d'un taux infĂ©rieur Ă  celui que la Cour a utilisĂ© jusqu'ici, c'est-Ă -dire le taux d'intĂ©rĂȘt lĂ©gal applicable dans le pays concernĂ©.

Le taux d'intĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt marginal est appliquĂ© aux intĂ©rĂȘts payĂ©s par les banques Ă  la BCE sur des prĂȘts d'urgence. En d'autres termes, il s'agit d'un taux qui constitue un plafond pour le marchĂ© monĂ©taire ; or ce taux ne prĂ©sente guĂšre, voire pas d'intĂ©rĂȘt en pratique pour la plupart des requĂ©rants devant la Cour. En revanche, le taux des intĂ©rĂȘts moratoires applicable dans chacun des Etats parties Ă  la Convention reflĂšte la situation sur le marchĂ© monĂ©taire national concernant les intĂ©rĂȘts Ă  payer par les requĂ©rants, qui peuvent avoir Ă  emprunter de l'argent en attendant le paiement des indemnitĂ©s qui leur sont allouĂ©es Ă  la suite d'un arrĂȘt de la Cour. Aussi le taux des intĂ©rĂȘts moratoires applicable au niveau national offre-t-il aux requĂ©rants une compensation que ne garantit pas le nouveau taux choisi par la majoritĂ© de la Cour.

Par ailleurs, j'estime qu'un requĂ©rant qui se voit allouer une indemnitĂ© doit pouvoir s'informer par lui-mĂȘme du taux des intĂ©rĂȘts moratoires applicable. Tous les requĂ©rants en Europe ne peuvent pas aisĂ©ment se tenir au courant du taux d'intĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt marginal que pratique la BCE lorsqu'elle accorde aux banques des liquiditĂ©s au jour le jour. Ce taux est stable depuis quelque temps mais, si besoin est, il peut ĂȘtre rĂ©actualisĂ© toutes les semaines, voire tous les jours. Certes, il incombe Ă  l'Etat de prouver qu'il a effectivement payĂ© le requĂ©rant conformĂ©ment Ă  l'arrĂȘt de la Cour, et au ComitĂ© des Ministres du Conseil de l'Europe de vĂ©rifier que le paiement a Ă©tĂ© correctement effectuĂ©, mais il s'agit lĂ , Ă  mon sens, d'une procĂ©dure bureaucratique supplĂ©mentaire qui rend les choses encore plus difficiles pour les requĂ©rants. Quoi qu'il en soit, la base sur laquelle la majoritĂ© de la Cour se fonde pour fixer le nouveau taux des intĂ©rĂȘts moratoires est sans rapport avec le taux rĂ©el applicable Ă  un emprunt que devra peut-ĂȘtre contracter un requĂ©rant dans l'attente du paiement des indemnitĂ©s allouĂ©es dans un arrĂȘt. Le nouveau taux d'intĂ©rĂȘt variable n'offre aucune compensation, et le souci d'Ă©quitĂ© relativement abstrait qui inspire ce choix ne mĂ©rite pas, Ă  mon avis, d'appliquer une nouvelle procĂ©dure qui risque d'ĂȘtre bureaucratique.