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Corte europea dei diritti dell’uomo

(Seconda Sezione)

 

 

11 febbraio 2014

 

 

 

AFFAIRE CONTRADA c. ITALIE

 

(Requête no 7509/08)

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

 

STRASBOURG

 

 

 

 

 

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 


En l’affaire Contrada c. Italie (no 2),

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

          Işıl Karakaş, présidente,
          Guido Raimondi,           

          Dragoljub Popović,
          András Sajó,
          Nebojša Vučinić,

          Paulo Pinto de Albuquerque,
          Egidijus Kūris, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 janvier 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 7509/08) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Bruno Contrada (« le requérant »), a saisi la Cour le 31 janvier 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Me E. Tagle, avocat à Naples. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora, ainsi que par son coagent, Mme P. Accardo.

3.  Le requérant se plaint en particulier des refus répétés des juridictions internes de faire droit à ses demandes d’ajournement de l’exécution de sa peine et d’obtention du régime de la détention à domicile en raison de son état de santé (article 3 de la Convention). Il dénonce également une violation de son droit à un procès équitable (article 6 § 1 de la Convention).

4.  Le 14 mai 2012, la Cour a communiqué au Gouvernement le grief tiré de l’article 3 de la Convention. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

 

5.  Le requérant est né en 1931 et réside à Palerme.

A.  La procédure pénale diligentée à l’encontre du requérant

1.  La procédure en première instance devant le tribunal de Palerme

6.  Par un arrêt du 5 avril 1996, le tribunal de Palerme condamna le requérant à une peine de dix ans de réclusion pour concours externe à une association mafieuse (concorso in associazione di stampo mafioso, articles 110, 416 et 416 bis du code pénal). Le tribunal retint notamment que, entre 1979 et 1988, le requérant, en qualité de fonctionnaire de police puis de chef de cabinet du haut-commissaire pour la lutte contre la mafia et de directeur adjoint des services secrets civils (SISDE), avait systématiquement contribué aux activités et à la réalisation des buts criminels de l’association mafieuse dénommée « cosa nostra ». Selon le tribunal, le requérant avait fourni aux membres de la « commission provinciale » de Palerme de ladite association des informations confidentielles concernant les investigations et opérations de police dont ces derniers, ainsi que d’autres membres de l’association en question, faisaient l’objet.

7.  Le tribunal fonda son jugement sur l’examen d’un nombre important de témoignages et de documents et, en particulier, sur les informations fournies par plusieurs repentis, anciens membres de l’association « cosa nostra ».

2.  La procédure en appel devant la cour d’appel de Palerme

8.   Le requérant et le ministère public firent l’un et l’autre appel.

9.  Le requérant fit valoir le principe de la prévision législative avec une précision suffisante des situations dans lesquelles la norme pénale trouve application (principio di tassatività della norma penale) en tant que corollaire du principe plus général de la non-rétroactivité de la norme pénale. Il estimait notamment qu’à l’époque des faits de l’affaire, l’application de la loi pénale concernant le concours externe à une association mafieuse n’était pas prévisible car elle avait été l’issue d’une évolution jurisprudentielle ultérieure.

10.  Par un arrêt du 4 mai 2001, la cour d’appel de Palerme renversa le jugement de première instance et acquitta le requérant au motif que les faits qui lui étaient reprochés ne s’étaient pas produits (perché il fatto non sussiste).

11.  Tout en soulignant plusieurs anomalies dans le comportement du requérant en son rôle de dirigeant de la police (faits susceptibles de faire l’objet d’une procédure disciplinaire), la cour d’appel estima que les preuves prises en considération n’étaient pas déterminantes, attribua du poids à d’autres témoignages de repentis recueillis entre-temps et releva que le tribunal de première instance avait sous-estimé la possibilité que les témoignages de certains repentis, arrêtés dans le passé par le requérant lui-même, pouvaient être la conséquence d’un projet de vengeance à l’encontre de ce dernier.

12.  La cour d’appel ne fit pas référence aux considérations du requérant tenant à la prévisibilité de la loi pénale.

3.  La première procédure devant la Cour de cassation

13.  Le procureur général de la République se pourvut en cassation.

14.  Par un arrêt du 12 décembre 2002, la Cour de cassation annula l’arrêt de la cour d’appel de Palerme et renvoya l’affaire devant celle-ci. Elle estima notamment que l’arrêt en question n’avait pas été dûment motivé. À titre d’exemple, la cour d’appel avait omis d’expliquer la raison pour laquelle certains témoignages recueillis n’étaient pas susceptibles d’avoir valeur de preuve et n’avait pas étayé la thèse de la « vengeance » de certains repentis vis-à-vis du requérant.

4.  La nouvelle procédure devant la cour d’appel de Palerme

15.  Par un arrêt du 25 février 2006, une nouvelle chambre de la cour d’appel de Palerme, présidée par le juge S., confirma le contenu du jugement du tribunal du 5 avril 1996.

Pour ce faire elle s’attacha, d’une part, à de nombreux autres témoignages et documents recueillis au cours de l’enquête et estima, d’autre part, que la chambre de la cour d’appel qui avait précédemment statué avait mal apprécié la valeur probante attribuable à certains témoignages.

16.  La nouvelle formation de jugement rejeta, entre autres, la demande du requérant tendant à l’audition de M. F.C., directeur du Service central de protection du ministère de l’Intérieur à l’époque des faits. Ce dernier avait en effet affirmé que, dans son activité d’organisation de la vie quotidienne des repentis et de leurs familles, environ six cents rencontres entre des repentis lui avaient été signalées.

17.  La cour d’appel estima que la question qui se posait n’était pas celle de savoir si les déclarations des repentis en cause pouvaient en tant que telles être utilisées. En effet l’exclusion, comme mode de preuve, des déclarations de repentis ayant eu des contacts entre eux n’avait été introduite qu’en 2001 (par la loi no 45/2001), et ne s’appliquait donc pas en l’espèce. La question pertinente était plutôt, selon la cour, celle de la crédibilité des déclarations prises en elles-mêmes, circonstance qui avait déjà fait l’objet d’un examen attentif et scrupuleux de la part du tribunal de première instance.

18.  Pour ce qui était de l’applicabilité de la loi pénale concernant le concours externe à une association mafieuse (configurabilità del concorso esterno in associazione mafiosa), la cour d’appel estima que le jugement du tribunal de première instance ayant condamné le requérant avait correctement appliqué les principes développés par la jurisprudence en la matière.

5.  La deuxième procédure devant la Cour de cassation

19.  Le requérant se pourvut en cassation.

20.  Il invoqua à nouveau le principe de la non-rétroactivité et de la prévisibilité de la loi pénale, estimant que cette question n’avait fait l’objet d’aucun examen de la part des juridictions du fond et demanda que les faits de l’espèce soient qualifiés d’entrave à l’action pénale - favoreggiamento personale.

21.  Le requérant se plaignit en outre du fait que le juge S. ait présidé la formation de jugement de la cour d’appel ayant rendu l’arrêt du 25 février 2006. À cet égard, il expliqua que, par une ordonnance du 1er octobre 1993, ce même juge l’avait déjà débouté en appel d’une ordonnance du juge des investigations préliminaires refusant de révoquer ou de remplacer la mesure de détention provisoire dont il avait fait l’objet.

22.  Il contesta également, entre autres, l’utilisation des déclarations d’un repenti (M. A.G.) faites lors du débat contradictoire, à une date selon lui postérieure à l’expiration de délai établi par l’article 16 quater de la loi no 82/91, qui était de six mois à partir de la manifestation de la volonté de l’intéressé de collaborer avec la justice (voir la partie « Droit interne pertinent »).

23.  Le requérant demanda aussi que les documents concernant le programme de protection des repentis entendus au cours de la procédure soient versés au dossier et sollicita, d’autre part, l’audition d’un témoin (M. F.C.). Le requérant estimait en fait que différents repentis (notamment, MM. G.M., M.M., R.S., S.C., G.C., M.P., P.S. et G.M.) qui avaient eu des contacts entre eux s’étaient concertés dans le but de fournir des déclarations pouvant démontrer sa culpabilité. Ainsi, les preuves utilisées contre lui auraient été viciées.

24.  Par un arrêt prononcé le 10 mai 2007 et déposé au greffe le 8 janvier 2008, la Cour de cassation débouta le requérant.

25.  Quant au fait que le juge S. avait présidé la formation de la cour d’appel ayant rendu l’arrêt attaqué, la Cour de cassation répondit que, si les éléments avancés par le requérant pouvaient éventuellement constituer un motif valable de récusation, ils étaient en revanche sans incidence sur la régularité de la procédure en cause.

26.  Quant à l’utilisation des déclarations de M. A.G., la Cour de cassation observa que la règle fixée par l’article 16 quater, alinéa 9, de la loi no 82/91 ne s’appliquait qu’à la phase des investigations préliminaires et non pas à celle du débat contradictoire, tel qu’elle avait également constaté dans son arrêt no 18061 du 13 février 2002. Dans le cas d’espèce, c’était donc à bon droit que les déclarations en question avaient été versées au dossier.

27.  La Cour de cassation rejeta en outre la demande du requérant tendant à l’administration de nouvelles preuves, au motif que celle-ci relevait de la compétence du juge du fond et non pas du contrôle du juge de cassation, sauf si le rejet d’une telle demande n’avait pas été dûment motivé, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Dans le cas présent, quant à la demande d’audition de M. F.C. et à la prétendue irrecevabilité des preuves consistant en des déclarations de repentis, la Cour de cassation releva que ces motifs du pourvoi avaient déjà été rejetés par la cour d’appel de manière amplement et dûment argumentée. Elle nota que la règle de l’exclusion, parmi les modes de preuve admis, des déclarations de repentis viciées par l’existence de contacts entre les intéressés n’avait été introduite qu’en 2001 (par la loi no 45/01), et retint en conséquence que cette règle ne trouvait pas à s’appliquer en l’espèce. La Cour de cassation observa aussi qu’en tout état de cause, les contacts ayant eu lieu entre repentis au cours de la procédure ne concernaient aucune des personnes ayant fourni les déclarations qui avaient été effectivement utilisées afin de prouver la culpabilité du requérant.

28.  Enfin, la Cour de cassation considéra que la partie du pourvoi portant sur le principe de la non-rétroactivité et de la prévisibilité de la loi pénale était manifestement mal fondée car elle mettait en réalité en cause l’appréciation portée par les juges sur le fond et non pas seulement la conformité au droit (legittimità) de l’arrêt attaqué.

29.  Elle jugea ainsi que la cour d’appel avait dûment motivé son arrêt et qu’il n’y avait pas lieu de compléter le dossier par l’administration d’autres éléments de preuve.

6.  La procédure en révision de l’affaire devant la cour d’appel de Caltanissetta

30.  Le requérant tenta par la suite d’obtenir une révision de son procès. Par un arrêt du 24 septembre 2011, la cour d’appel de Caltanissetta déclara sa demande en ce sens irrecevable.

31.  Par un arrêt déposé au greffe le 25 juin 2012, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant contre cette décision.

B.  L’état de santé du requérant et les demandes introduites par celui-ci devant le juge et le tribunal d’application des peines

32.  Le requérant fut incarcéré le 11 mai 2007 à la prison militaire de Santa Maria Capua Vetere. Par une lettre du 20 août 2007 adressée au juge de l’application des peines (magistrato di sorveglianza, ci-après « le juge »), il fit état d’un nombre important de pathologies dont il indiquait être affecté.

33.  Par un certificat du 1er octobre 2007, un médecin du service sanitaire de l’établissement pénitentiaire attesta que le requérant souffrait des séquelles d’une ischémie cérébrale, de certaines pathologies de l’appareil visuel, ainsi que de cardiopathie, diabète, hypertrophie prostatique, arthrose, hyponutrition et dépression.

Les procédures introduites par le requérant afin d’obtenir sa libération, l’ajournement de l’exécution de la peine ou la détention à domicile

a)  La première demande

34.  Le 24 octobre 2007, le requérant introduisit une demande devant le juge tendant à obtenir sa libération ou l’ajournement de l’exécution de sa peine.

35.  Les 22 et 31 octobre 2007 et le 24 novembre 2007, trois rapports médicaux furent déposés devant le juge (deux desquels avaient été rédigés par des praticiens sollicités par le requérant et un par des médecins du service sanitaire de l’établissement pénitentiaire). Les trois rapports faisaient état des pathologies, nombreuses et complexes, dont le requérant était affecté et concluaient à l’incompatibilité de son état de santé avec le régime de détention auquel il était soumis.

36.  Par une décision déposée au greffe le 12 décembre 2007, le juge rejeta la demande du requérant. Tout en se référant aux trois rapports médicaux et aux conclusions y contenues, le juge estima qu’« on ne saurait affirmer, toutefois, que les pathologies dont [le requérant] est affecté sont, à l’heure actuelle, graves et non susceptibles d’être traitées en prison. [Celles-ci requièrent toutefois] un contrôle continu qui peut être garanti par l’hospitalisation et par la vigilance constante de la part du service sanitaire de l’établissement pénitentiaire ».

b)  La deuxième demande

37.  Alléguant le manque d’équité de cette décision, le 17 décembre 2007, le requérant introduisit une nouvelle demande devant le juge ayant le même objet que la précédente.

38.  Selon deux rapports médicaux du service sanitaire de l’établissement pénitentiaire déposés les 21 et 27 décembre 2007, l’état de santé du requérant était stationnaire, à l’exception de sa perte de poids, qui s’était aggravée depuis le 31 octobre 2007. Le rapport concluait à l’incompatibilité de l’état de santé du requérant avec le régime de détention auquel il était soumis.

39.  Par une décision déposée au greffe le 28 décembre 2007, le juge rejeta la demande sur la base, pour l’essentiel, des mêmes arguments que dans sa décision du 12 décembre 2007. Il estima en outre que, d’après la jurisprudence constante en la matière, les conditions d’octroi de la libération et de l’ajournement de l’exécution de la peine n’étaient pas remplies étant donné que, dans le cas d’espèce, la détention n’entraînait pas « l’impossibilité ou la difficulté extrême » de recourir aux traitements sanitaires qui s’avéraient nécessaires. Le tribunal autorisa aussi l’hospitalisation du requérant pour le temps nécessaire à l’exécution de certains contrôles sanitaires. Le jour même, le requérant fut hospitalisé et soumis à plusieurs examens.

c)  La troisième demande

40.  Le 3 janvier 2008, le requérant introduisit une demande ayant le même contenu que les deux précédentes. Il fit valoir aussi qu’un ajournement d’exécution de la peine avait été octroyé par le même tribunal dans une autre affaire dans laquelle l’état de santé du détenu en question était moins grave que le sien.

41.  Deux rapports médicaux furent déposés. Ils notèrent le mauvais état de santé du requérant et fournirent des indications quant au traitement pharmacologique suivi.

42.  Par une décision déposée au greffe le 7 janvier 2008, le juge rejeta la demande. Il estima notamment que les rapports ne fournissaient pas d’éléments nouveaux par rapport à ceux qui figuraient au dossier lors des décisions précédentes et que les résultats des examens effectués à l’hôpital ne lui avaient pas encore été transmis. Quant à l’appréciation de la « gravité » des pathologies du requérant et de l’existence d’une « impossibilité ou difficulté excessive » à traiter celles-ci en prison, le juge parvint aux mêmes conclusions que dans ses décisions des 12 et 28 décembre 2007.

d)  La quatrième demande

43.  Le jour même, le requérant introduisit une demande ayant le même contenu que ses demandes précédentes. Cette demande fut rejetée par une décision du juge du 21 février 2008.

e)  La décision du tribunal d’application des peines du 15 janvier 2008

44.  Entre-temps, les trois décisions précédentes, qui avaient un caractère provisoire, furent confirmées par le tribunal d’application de peines (ci-après « le tribunal ») par une ordonnance déposée au greffe le 15 janvier 2008. Le tribunal releva entre autres que la dépression dont le requérant souffrait n’était pas une pathologie psychiatrique mais un trouble de l’humeur dû à l’état de détention et n’atteignant pas un seuil de gravité de nature à justifier un ajournement de l’exécution de sa peine.

f)  Le premier pourvoi en cassation introduit par le requérant

45.  Le 19 janvier 2008, le requérant se pourvut en cassation. Il considéra notamment que le tribunal n’avait pas dûment considéré la gravité des pathologies dont il était affecté.

46.  Selon deux rapports médicaux déposés le 26 février et le 12 mars 2008 (l’un rédigé par un médecin désigné par le requérant, l’autre par un médecin du service sanitaire de l’établissement pénitentiaire), l’état de santé du requérant n’était pas compatible avec le régime de détention auquel il était soumis.

47.  Le 27 février 2008, le procureur général de la République près la Cour de cassation demanda au président de la Cour de cassation d’annuler l’ordonnance du tribunal et de renvoyer l’affaire à ce dernier.

48.  Par un arrêt déposé au greffe le 5 mai 2008, la Cour de cassation débouta le requérant. Elle estima que l’ordonnance du tribunal avait été dûment motivée et que le requérant avait omis d’exposer de manière détaillée, en se référant aux différentes pathologies en cause, sa contestation des conclusions du tribunal selon lesquelles ces dernières ne revêtaient pas de caractère de gravité.

g)  La décision du tribunal du 15 avril 2008

49.  Par une décision déposée au greffe le 15 janvier 2008, le tribunal confirma la quatrième décision de rejet du juge, ainsi que deux autres décisions de rejet qui avaient été adoptées par le juge entre-temps, le 28 février et le 19 mars 2008.

h)  La décision du tribunal d’accorder au requérant la détention à domicile

50.  À la suite de deux autres décisions de rejet (du 12 mai et du 19 juin 2008) de demandes introduites par le requérant, par une ordonnance déposée au greffe le 24 juillet 2008, le tribunal autorisa la détention du requérant au domicile de sa sœur, situé à Naples, pour une période de six mois avec interdiction de tout contact avec des personnes autres que les membres de la famille du requérant et le personnel médical.

51.  Le tribunal prit en compte un rapport médical rédigé par un médecin de l’établissement pénitentiaire qui faisait état d’une dégradation de la santé du requérant, déjà précaire, notamment en ce qui concernait la perte pondérale (20 kilos au cours de la dernière année) et l’apparition d’une polypose multiple du côlon s’ajoutant aux pathologies déjà existantes.

52.  De l’avis du tribunal, le suivi et le traitement de ces pathologies en régime carcéral étaient incompatibles avec les principes humanitaires et avec le droit à la santé garanti par la Constitution.

53.  Le tribunal rejeta la demande d’ajournement de l’exécution de la peine, en relevant la dangerosité sociale de l’intéressé, le type de délit pour lequel il avait été condamné et le temps de détention que le requérant devait encore purger.

i)  Le deuxième pourvoi en cassation introduit par le requérant et le renvoi de l’affaire devant le tribunal

54.  Le 1er août 2008, le requérant se pourvut en cassation. Il contesta sa dangerosité sociale, compte tenu de son âge et de son état de santé.

55.  Il sollicita l’ajournement de l’exécution de sa peine pour une durée d’un an ainsi que la possibilité d’exécuter sa détention dans son propre domicile, où son épouse habitait.

56.  Par un arrêt déposé au greffe le 21 octobre 2008, la Cour de cassation annula l’ordonnance du tribunal déposée au greffe le 24 juillet 2008 et renvoya l’affaire devant celui-ci. La Cour estima notamment que le tribunal avait omis de spécifier les raisons pour lesquelles le requérant était considéré comme étant socialement dangereux.

j)  L’ordonnance du tribunal confirmant la décision de ne pas autoriser l’ajournement de l’exécution de la peine

57.  Par une ordonnance du 20 novembre 2008, le tribunal confirma sa décision déposée le 24 juillet 2008. Il nota que le requérant avait été condamné pour association mafieuse, infraction pour laquelle il existe une présomption absolue de dangerosité sociale.

58.  Le tribunal releva que la direction antimafia (direzione distrettuale antimafia – D.D.A. –, organe du parquet près le tribunal compétent dans les affaires concernant des délits de mafia) de Palerme avait estimé que la dangerosité sociale du requérant devait être considérée comme ayant un caractère permanent, le requérant ayant opéré pendant des années selon les modalités décrites par son arrêt de condamnation et ayant donc des liens avec l’association mafieuse en cause.

k)  Le troisième pourvoi en cassation introduit par le requérant et la décision de rejet de la Cour de cassation

59.  Le requérant se pourvut en cassation contre l’ordonnance du tribunal du 20 novembre 2008. Par un arrêt déposé au greffe le 23 décembre 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi, estimant que l’ordonnance avait été dûment motivée.

l)  La remise en liberté du requérant

60.  Le 11 octobre 2012, le requérant ayant purgé sa peine, il fut remis en liberté.

 

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

61.  Selon l’article 16 quater, alinéa 9, de la loi no 82/91 (introduit par l’article 14 de la loi 45/01), les déclarations faites par un repenti au procureur ou à la police judiciaire ne peuvent être utilisées comme preuves qu’à la condition que ces déclarations soient intervenues dans un délai de six mois à partir de la manifestation de la volonté de l’intéressé de collaborer avec la justice.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

 

62.  Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant estime que, compte tenu de son âge et de son état de santé, les refus répétés dont ont fait l’objet de la part du juge et du tribunal de l’application des peines ses demandes d’ajournement de l’exécution de sa peine ou de passage au régime de la détention au domicile ont constitué un traitement inhumain et dégradant.

63.  Le texte de l’article en cause dispose ainsi :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A.  Sur la recevabilité

64.  Le Gouvernement fait d’abord valoir que le requérant a omis de soulever son grief devant les instances nationales, comme il pouvait utilement le faire puisque les arrêts de la Cour constitutionnelle nos 347 et 348 de 2007 exigent des autorités une interprétation des lois internes qui soit conforme à la Convention.

65.  Le Gouvernement défendeur soutient en outre que le principe du caractère contradictoire de la procédure devant la Cour a été violé car les faits communiqués au gouvernement défendeur se réfèrent à des décisions autres que celles citées par le requérant dans son formulaire de requête (le Gouvernement fait mention notamment des décisions prises les 12 décembre 2007, 28 décembre 2008, 7 janvier 2008 et 10 janvier 2008).

66.  Troisièmement, le Gouvernement observe que les décisions internes, prises par plusieurs degrés de juridiction successifs, étaient de toute façon dûment motivées. La Cour serait donc appelée à faire œuvre de juge de « quatrième instance ».

67.  Le requérant conteste ces observations.

68.  La Cour constate qu’il ne fait pas de doute que le requérant a soulevé son grief à maintes reprises devant les instances nationales, se plaignant notamment de l’incompatibilité de son état de santé avec le régime carcéral. L’exception formulée par le Gouvernement concernant le non-épuisement des voies de recours internes ne saurait donc être retenue.

69.  En outre, l’argument tiré de la violation du principe du contradictoire apparaît dépourvu de fondement, l’objet du litige, tel que décrit dans les griefs formulés par le requérant dans son formulaire de requête, portant en tout cas sur le refus des autorités de faire droit à ses demandes d’ajournement de l’exécution de sa peine ou de passage au régime de la détention au domicile.

70.  Enfin, quant à l’argument tiré de ce qu’elle se trouverait invitée à endosser le rôle d’un juge de « quatrième instance », abstraction faite de ce que le présent grief ne porte pas sur une éventuelle violation du droit à un procès équitable (voir, a contrario, parmi beaucoup d’autres, Gäfgen c. Allemagne [GC], n22978/05, § 162, CEDH 2010), la Cour note que, lues dans leur substance, les considérations du Gouvernement sont liées au fond de l’affaire. Elles seront donc examinées avec le fond, ci-dessous.

71.  De l’avis de la Cour, le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Les arguments des parties

72.  Le Gouvernement observe que les recours pouvant être présentés devant le juge de l’application des peines et devant la Cour de cassation permettent de demander la libération d’un détenu en cas de dégradation importante de son état de santé. Ce dernier peut d’ailleurs, dans certains cas, demander la grâce du Président de la République, selon l’article 681 du code de procédure pénale. Le système législatif offre donc des garanties ; ces dernières ne sauraient toutefois se traduire en une obligation générale de libérer un détenu pour des motifs de santé.

73.  Le Gouvernement soutient enfin que, dans le cas d’espèce, quand l’état de santé du requérant est apparu incompatible avec le régime carcéral, la juridiction compétente a ordonné le passage au régime de la détention au domicile.

74.  Le requérant conteste les observations du Gouvernement et souligne que son grief porte notamment sur le fait que les autorités internes qui ont rejeté ses demandes ont omis de prendre en considération les rapports médicaux concluant à l’incompatibilité de son état de santé avec le régime carcéral.

2.  L’appréciation de la Cour

a)  Principes généraux

75.  Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, entre autres, Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, § 24, CEDH 2001-VII, Mouisel c. France, no 67263/01, § 37, CEDH 2002-IX, Gennadi Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 108, 10 février 2004). Les allégations de mauvais traitements doivent être étayées par des éléments de preuve appropriés (voir, mutatis mutandis, Klaas c. Allemagne, arrêt du 22 septembre 1993, série A no 269, § 30). Pour l’appréciation de ces éléments, la Cour se rallie au principe de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable », en considérant toutefois qu’une telle preuve peut résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, § 161 in fine, et Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 121, CEDH 2000-IV).

76.  Pour qu’une peine et le traitement dont elle s’accompagne puissent être qualifiés d’« inhumains » ou de « dégradants », la souffrance ou l’humiliation doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes (Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 68, 11 juillet 2006).

77.  S’agissant en particulier de personnes privées de liberté, l’article 3 impose à l’État l’obligation positive de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000‑XI, et Riviere c. France, no 33834/03, § 62, 11 juillet 2006). Ainsi, le manque de soins médicaux appropriés, et, plus généralement, la détention d’une personne malade dans des conditions inadéquates, peut en principe constituer un traitement contraire à l’article 3 (voir, par exemple, İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII, et Gennadi Naumenko précité, § 112).

78.  La Cour doit tenir compte, notamment, de trois éléments afin d’examiner la compatibilité d’un état de santé préoccupant avec le maintien en détention du requérant, à savoir : a) la condition du détenu, b) la qualité des soins dispensés et c) l’opportunité de maintenir la détention au vu de l’état de santé du requérant (voir Farbtuhs c. Lettonie, no 4672/02, § 53, 2 décembre 2004, et Sakkopoulos c. Grèce, no 61828/00, § 39, 15 janvier 2004).

b.  Application de ces principes au cas d’espèce

79.  Dans la présente affaire se posent la question de la compatibilité de l’état de santé du requérant avec son maintien en détention et celle de savoir si cette situation atteint un niveau suffisant de gravité pour entrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention.

80.  La Cour note tout d’abord qu’il ne fait pas de doute que le requérant était affecté par plusieurs pathologies graves et complexes (voir paragraphes 33, 36, 38 et 51 ci-dessus).

81.  Elle relève ensuite que le requérant a introduit une première demande afin d’obtenir la suspension de l’exécution de sa peine ou sa détention à domicile le 24 octobre 2007. Sept autres demandes suivirent ; tout comme la première, elles furent à chaque fois rejetées. Ce n’est que le 24 juillet 2008 que le tribunal de l’application des peines accorda au requérant la détention au domicile.

82.  La Cour relève que, au cours de la procédure, dix rapports ou certificats médicaux, rédigés par des médecins désignés par le requérant aussi bien que par des praticiens du centre sanitaire de l’établissement pénitentiaire où le requérant était détenu, ont été déposés devant les instances compétentes. Ces documents concluaient, de manière constante et univoque, à l’incompatibilité de l’état de santé du requérant avec le régime de détention auquel il était soumis.

83.  Tout en prenant note du fait que le requérant a finalement obtenu le régime de la détention à domicile en 2008, la Cour relève que celle-ci n’a été octroyée que neuf mois après sa première demande.

84.  La Cour note en outre que les conclusions des autorités internes selon lesquelles les pathologies du requérant n’étaient, d’une part, pas graves (voir la décision du juge d’application des peines du 12 décembre 2007) et, d’autre part, pas « impossible[s] ou extrêmement difficile[s] » à traiter en prison (voir les décisions du juge du 28 décembre 2007 et du 7 janvier 2008) semblent être sujettes à caution, compte tenu notamment des résultats des examens médicaux auquel le requérant a été soumis à maintes reprises.

85.  La Cour en conclut que, au vu du contenu des certificats médicaux dont les autorités disposaient, du temps s’étant écoulé avant l’obtention de la détention à domicile et des motifs des décisions de rejet des demandes introduites par le requérant, le maintien en détention de ce dernier était incompatible avec l’interdiction des traitements inhumains et dégradants établie par l’article 3 de la Convention (voir Farbtuhs, précité, §§ 55-61 ; Paladi c. Moldova [GC], no 39806/05, §§ 71-72, 10 mars 2009 ; Scoppola c. Italie, no 50550/06, §§ 45-52, 10 juin 2008 et Cara-Damiani c. Italie, no 2447/05, §§ 69-78, 7 février 2012). Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

 

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

 

86.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la violation de son droit à un procès équitable, à plusieurs titres.

87.  Tout d’abord, il estime que sa cause n’a pas été entendue par un tribunal indépendant et impartial. Il fait valoir que le juge ayant présidé la cour d’appel de Palerme dans la procédure qui s’est terminée par l’arrêt du 25 février 2006 était le même que celui qui, le 1er octobre 1993, présidait le tribunal de réexamen lorsque celui-ci avait rejeté une demande de sa part tendant à la révocation d’une mesure de détention provisoire émise à son encontre.

88.  Deuxièmement, le requérant voit une violation de son droit à la défense dans le fait que la Cour de cassation a, dans son arrêt déposé le 8 janvier 2008, rejeté sa demande visant, d’une part, à ce que soient recueillis et versés au dossier certains documents concernant le programme de protection des repentis entendus au cours de la procédure et, d’autre part, à ce qu’un témoin (M. F.C.) soit entendu.

89.  Troisièmement, le requérant dénonce le fait d’avoir été condamné sur la base, entre autres, de déclarations d’un repenti (M. A.G.) qui ne pouvaient pas légalement être versées au dossier. A ce sujet, le requérant conteste l’interprétation faite par la Cour de cassation de l’article 16 quater, alinéa 9, de la loi no 82/91.

90.  L’article 6 § 1 de la Convention est ainsi libellé dans ses parties pertinentes :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

91.  En ce qui concerne la première branche de ce grief, relative au manque allégué d’indépendance et d’impartialité du juge ayant présidé la formation de la cour d’appel de Palerme qui a rendu l’arrêt du 25 février 2006, la Cour observe que, même en faisant abstraction de ce que le fait litigieux remonte à plus de six mois avant l’introduction de la présente requête, en tout état de cause le requérant a omis d’introduire un recours en récusation à l’encontre du juge en question. Ainsi, cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

92.  Pour ce qui est du restant du grief, la Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas d’apprécier la légalité des preuves au regard du droit interne des États parties à la Convention et de se prononcer sur la culpabilité des requérants, à la manière d’une juridiction de « quatrième instance ». En effet, si la Convention garantit dans son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui relève au premier chef du droit interne (voir, parmi beaucoup d’autres, Gäfgen c. Allemagne précité, § 162).

93.  En ce qui concerne la deuxième branche du grief, la Cour note en effet que, par son arrêt du 25 février 2006, la cour d’appel de Palerme a rejeté la demande du requérant tendant à l’audition de M. F.C. quant à l’utilisation des déclarations de repentis lorsque ceux-ci avaient eu des contacts entre eux. Tout comme par la suite la Cour de cassation dans son arrêt du 8 janvier 2008, la cour d’appel a relevé que l’exclusion de la prise en compte des déclarations de repentis en pareil cas n’avait été introduite qu’en 2001 (par la loi no 45/01) et a considéré, en conséquence, qu’elle ne concernait pas les faits de l’espèce. Elle a aussi relevé que la crédibilité intrinsèque des déclarations avait fait l’objet d’un examen attentif et scrupuleux de la part du tribunal de première instance. Enfin, la Cour de cassation a observé que les contacts ayant eu lieu entre repentis au cours de la procédure ne concernaient aucune des personnes ayant fourni les déclarations qui ont été effectivement retenues comme preuves de la culpabilité du requérant.

94.  Quant à la troisième partie du grief, la Cour constate qu’aucun élément ne permet de mettre en doute l’interprétation fournie par la Cour de cassation dans son arrêt du 8 janvier 2008, selon laquelle la règle fixée par l’article 16 quater, alinéa 9, de la loi no 82/91 ne s’appliquait qu’à la phase des investigations préliminaires et non pas à celle du débat contradictoire, et dont il découlait que les déclarations de M. A.G. avaient à bon droit été versées au dossier.

95.  La Cour relève donc que les décisions internes pertinentes ont été dûment et amplement motivées et qu’elles ne sont pas arbitraires. Partant, cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement selon l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

 

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

 

96.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

97.  Le requérant réclame 25 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

98.  Le Gouvernement indique s’en remettre à la sagesse de la Cour.

99.  La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 10 000 EUR au titre du préjudice moral.

B.  Frais et dépens

100.  Le requérant demande également, documents à l’appui, 8 350,25 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 15 623,74 EUR pour ceux engagés devant la Cour.

101.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

102.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour note que les documents présentés à l’appui de sa demande de remboursement des frais et dépens engagés devant les juridictions internes ne sont pas suffisamment détaillés. La Cour rejette donc la demande formulée par le requérant à ce titre.

103.  La Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR pour les frais et dépens engagés dans la procédure devant elle et l’accorde au requérant.

C.  Intérêts moratoires

104.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

 

2.  Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

 

3.  Dit, par six voix contre une,

a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir au taux applicable à la date du règlement) :

i)  10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii)  5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour les frais et dépens engagés dans la procédure devant la Cour ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

4.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 février 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

  Stanley Naismith                                                                       Işıl Karakaş
         Greffier                                                                               Présidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge Karakaş.

A.I.K.
S.H.N.


OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE LA JUGE KARAKAŞ

Je ne peux suivre la majorité lorsqu’elle constate la violation de l’article 3 de la Convention à raison d’une incompatibilité de l’état de santé du requérant avec son maintien en détention. De mon point de vue, sa situation n’atteignait pas le niveau suffisant de gravité pour emporter violation de l’article 3.

Les juges et le tribunal d’application des peines ont examiné d’une manière approfondie toutes les demandes du requérant et les rapports des médecins et leurs décisions étaient bien motivés.

Statuant sur la première demande du requérant formulée le 24 octobre 2007, le juge, se référant aux trois rapports médicaux obtenus entre-temps, estima que les pathologies dont le requérant était alors affecté n’étaient pas si graves et pouvaient être traitées en prison. Toutefois, un contrôle continu devait être garanti grâce à l’hospitalisation et à la vigilance constante du service sanitaire de l’établissement pénitentiaire. Par une décision du 28 décembre 2007, le juge rejeta la deuxième demande, estimant que la détention n’entraînait pas l’impossibilité ou la difficulté extrême de recourir aux traitements sanitaires nécessaires. Il autorisa aussi l’hospitalisation. Les deux demandes suivantes furent rejetées (les 7 janvier et 21 février 2008) et le tribunal d’application des peines confirma ces trois décisions, précisant que la dépression dont le requérant souffrait n’était pas suffisante pour atteindre le seuil de gravité nécessaire et justifier un ajournement de l’exécution de sa peine.

J’estime que le requérant a été suivi de très près par les établissements médicaux et par les juridictions d’application des peines pendant la période litigieuse allant d’octobre 2007 à août 2008.

Le 24 juillet 2008, dès que le tribunal d’application des peines constata de nouvelles pathologies dans le dernier rapport médical, il ordonna des approfondissements. Sur la base de nouveaux examens, et surtout suite à un amaigrissement involontaire, le tribunal décida que l’état de santé du requérant était incompatible avec sa détention en prison.

D’après ces faits, une fois l’état de santé du requérant devenu incompatible avec le régime carcéral, le tribunal, qui suivait son cas attentivement, ordonna le régime de détention au domicile.

Dans ces circonstances, je ne pense pas que le requérant ait subi un traitement inhumain ou dégradant.