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Corte europea dei diritti dell’uomo

(Quinta Sezione)

 

10 novembre 2015

 

AFFAIRE DIEUDONNE’ M’BALA M’BALA c. FRANCE

 

(Requête no 25239/13)

 

ARRÊT

 

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 20 octobre 2015 en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,

Angelika Nußberger,

Boštjan M. Zupančič,

Vincent A. De Gaetano,

André Potocki,

Helena Jäderblom,

Síofra O’Leary, juges,

et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 10 avril 2013,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1. Le requérant, M. Dieudonné M’Bala M’Bala, est un ressortissant français né en 1966 et résidant à Paris. Il est représenté devant la Cour par Me J. Verdier, avocat à Aurillac.

2. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. François Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

A. Les circonstances de l’espèce

3. Le requérant est humoriste et exerce sa profession sous le nom d’artiste de « Dieudonné ». Il est par ailleurs engagé en politique ; il a notamment été candidat aux élections européennes de 2004 (« liste EuroPalestine ») et 2009 (« liste antisioniste »).

4. Le 26 décembre 2008, il donna dans la salle du « Zénith » de Paris une représentation d’un spectacle intitulé « J’ai fait l’con ».

5. À la fin du spectacle, il invita Robert Faurisson à le rejoindre sur scène pour recevoir les applaudissements du public. Robert Faurisson a été condamné en France à plusieurs reprises, notamment en raison de ses thèses négationnistes ou révisionnistes consistant à nier l’existence des chambres à gaz homicides dans les camps de concentration, en particulier le 4 juillet 2007 par la cour d’appel de Paris pour contestation de crime contre l’humanité. Le requérant lui fit remettre, par un acteur revêtu d’un pyjama à carreaux sur lequel était cousue une étoile de David, le « prix de l’infréquentabilité et de l’insolence ».

6. L’incident fut constaté par les forces de l’ordre. Ces dernières signalèrent également la présence de Jean-Marie Le Pen, alors président du Front National, qui assistait au spectacle depuis une coursive à l’écart du public.

7. Le 29 décembre 2008, le procureur de la République près le tribunal de grande instance (« TGI ») de Paris saisit la direction générale de la police judiciaire d’une enquête préliminaire sur ces faits.

8. Les enquêteurs retrouvèrent des images du passage litigieux du spectacle sur un site internet de partage de vidéos en ligne. Ils retranscrivirent les propos tenus comme suit :

« Dieudonné : Vous savez que le Zénith c’est toujours pour moi une étape assez importante chaque année, alors quand je veux le faire c’est toujours plus difficile. Je me suis dit : faut que je trouve une idée quand même sur ce Zénith, une idée pour leur glisser une quenelle comme y fallait.

Évidemment, je réfléchis, hein ça m’arrive, et donc euh je me suis inspiré un petit peu de la dernière critique très élogieuse de Bernard H (inaudible - huées dans le public) qui décrivait la soirée au Zénith, le spectacle, cette soirée, cette soirée au Zénith comme le plus grand meeting antisémite depuis la dernière guerre mondiale, alors évidemment, il me laissait une petite marge de progression, parce que je me suis dit, il faut que je fasse mieux cette fois-ci, hein , alors si vous voulez participer à ce qu’on appelle une œuvre collective de glissage de quenelle, je vous propose d’accueillir une personne alors là qui va les faire grimper aux rideaux, hein, est-ce que ça vous intéresse ? (approbation bruyante du public). Alors la personne qui va monter sur cette scène est un scandale à lui tout seul, je vous le dis tout de suite [...] je crois que c’est la personne la plus infréquentable de France (cris dans la salle, « Sarkozy »). Sarkozy, il s’est accommodé, il est devenu fréquentable mais sachez que dès demain matin, il ne restera de cette soirée que le moment où il est arrivé sur scène, comme quoi il s’est fait tabasser par les milices d’occupation israéliennes, le BETAR et la LDJ, il a été laissé pour mort sur le bord d’un chemin et l’homme, d’ailleurs, pour la petite anecdote, qui lui a sauvé la vie, qui l’a conduit à l’hôpital, cet homme a été obligé de s’en justifier dans la presse. Ce mec-là, je ne le connaissais pas il y a quelques années, je le connais encore très peu mais je sais que c’est l’homme le plus infréquentable et donc je me suis dit, si on veut faire un truc qui s’appelle un truc d’enfer, un truc puisqu’ils sont là, la presse est parmi nous, donc demain (huée dans le public). Écoutez la meilleure façon de leur répondre, c’est d’accueillir un homme qui était au départ accroché à la poésie et qui a développé ensuite des thèses qui sont les siennes. Je vous demande d’applaudir M. Robert Faurisson... (applaudissements) mieux qu’ça, mieux qu’ça, plus de cœur, encore, encore, (entrée de M. Faurisson - embrassade avec Dieudonné). Alors-là, sachez en tous cas une chose, vos applaudissements vont retentir vous verrez dans les médias dès demain matin, jusqu’assez loin... Robert je crois que vous méritez bien ce prix... Alors le sketch, le sketch ne serait pas complet, si Jacky, je vais demander à Jacky, mon fidèle technicien, de remettre à Robert le prix de l’infréquentabilité et de l’insolence, Jacky, dans son habit de lumière. Photographes lâchez-vous ... ! (entrée d’une personne vêtue d’un pyjama à carreaux, avec une étoile juive qui remet à M. Faurisson un objet avec trois pommes). Regardez ce scandale, appréciez, ovation... (cris dans le public : « Faurisson a raison » « il a gagné »).

Robert Faurisson : Un mot et peut-être plus qu’un mot, zumbele pour commencer, à toi Jacky, à Pierre Panet, à Sandra je crois. Écoute, tu nous dis « j’ai fait le con ». C’est sûr... mais ce soir, tu es vraiment en train de faire le con.

Dieudonné : C’est sûr je n’en doute pas, c’est la plus grosse connerie que j’ai faite je pense. Mais la vie est courte, la vie est très courte, déconnons et désobéissons le plus possible.

Robert Faurisson : Je vous remercie parce que je n’ai pas du tout l’habitude de ce genre d’accueil, je suis supposé être un gangster de l’histoire. C’est Le Monde qui l’a dit et Le Monde a toujours raison (cris dans le public : « Jacques Mesrine »). Tu as raison en tout cas, toi, de dire que j’ai été l’objet de traitements spéciaux dix fois. Dont une fois où je suis quand même passé à deux doigts de la mort et je te préviens que celui qui m’a sauvé sans savoir mon nom, lorsqu’il a su mon nom, le lendemain, a dit à la police qu’il regrettait de m’avoir sauvé la vie.

Dieudonné : Il a été tabassé par les milices sionistes qui sont très actives. [...] (cris dans le public : « Bâtard »).

Robert Faurisson : Je peux ajouter...

Dieudonné : Oui oui pas de problème Robert, les musiciens se mettent en place, on va terminer sur un zumbele en forme de liberté d’expression...

Robert Faurisson : Je peux te compromettre...

Dieudonné : Euh...Oui... tu peux... Liberté d’expression

Robert Faurisson : Nous allons... Alors... Vous ne savez pas ce que je dis ni ce que je maintiens. Certains d’entre vous ou la plupart d’entre vous ne savent pas ou savent ce que les médias osent dire à mon propos, toutes les sottises qu’ils peuvent prêter aux révisionnistes. Vous savez qu’il existe en France une loi spéciale qui va permettre à notre ami de se retrouver à la 17ème chambre d’ici peu de temps, comme moi j’y ai été un nombre de fois que je ne peux pas dire. Je peux simplement vous dire ceci, c’est que je n’ai pas le droit... C’est la loi, comme tu disais si bien.

Je n’ai pas le droit de vous dire ce qu’est en réalité le révisionnisme, que ces gens-là appellent le négationnisme (applaudissements dans la salle) mais je peux vous dire... Oui enfin s’ils tiennent à m’appeler négationniste, je les appelle affirmationnistes et vous écrirez le mot comme vous voudrez (applaudissements). Voilà... écoutez-moi bien... voilà 34 ans, 1974-1998 que je suis traité dans mon pays en Palestinien. Je suis traité en Palestinien et je ne peux m’empêcher de faire cause commune avec eux (cris et applaudissements du public). Je n’ai pas d’opinion politique, mais je trouve émouvant ce que tu as dit à la fin à propos de la Palestine (cris dans le public : « vive la Palestine »).

Dieudonné : Je réitère notre soutien indéfectible à la Palestine, je vais demander aux musiciens de se mettre en place car il faut malheureusement arrêter. De toute façon, votre présence ici, notre poignée de main, est déjà un scandale en soi et sachez que demain le débat sera lancé et vous aurez tous l’occasion à mon avis de le suivre. Liberté d’expression, merci à tous, merci de votre solidarité, mes respects, chapeau bas. Liberté d’expression. Merci à vous, merci de votre solidarité. Mes respects, chapeaux bas. Liberté d’expression. ».

9. Les enquêteurs procédèrent à l’audition de J.S., régisseur de son et lumière du spectacle. Celui-ci indiqua faire un passage sur scène lors de chaque représentation, dans le cadre d’un sketch par lequel le requérant entendait réagir contre la proposition de Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, de faire parrainer chaque enfant de CM2 par un enfant mort en déportation. Il précisa qu’à ce moment du spectacle, il entrait sur scène en costume rayé avec une étoile jaune en déclarant ne pas avoir envie de porter ce costume, trouvant cela ridicule ; le requérant lui répondait « c’est la loi, (...) un membre du théâtre doit porter le costume d’un déporté juif, c’est obligatoire. N’oublie pas que les juifs ont souffert » ; J.S. répondait que « les juifs ont souffert autant que les autres » et le requérant lui démontrait « qu’ils ont souffert beaucoup plus ». Ce dernier expliquait ensuite que c’est J.S. qui avait été choisi pour porter ce costume parce qu’il était « le plus maigre » et lui demandait de dire au public « n’oubliez pas » avant de quitter la scène.

10. J.S. expliqua également avoir confectionné lui-même le costume à partir d’un pyjama acheté au « BHV » (Bazar de l’Hôtel de Ville) affirmant regretter que celui-ci rappelle le costume de déporté et précisant que cette ressemblance était due à l’insuffisance de choix dans ce magasin. Il ajouta que le requérant avait souhaité et annoncé une « surprise » pour la représentation au Zénith du 26 décembre 2008. Il indiqua ne pas avoir été surpris par le choix de faire monter sur scène Robert Faurisson, compte tenu « du pli pris par Dieudonné depuis deux ans dans ses apparitions publiques (participation au meeting bleu blanc rouge, présence au côté de Jean-Marie Le Pen le soir du premier tour des élections présidentielles et parrainage de sa fille par M. Le Pen) ». Il précisa qu’il était prévu qu’il garde sa tenue de déporté pour remettre un prix à Robert Faurisson et que ce dernier devait dire « du Céline » et déclarer vouloir se faire empailler à la gare Saint-Lazare après sa mort. Il affirma enfin avoir regretté cette scène, n’ayant pas apprécié que le requérant fasse acclamer l’invité ni les propos tenus par celui-ci.

11. Les enquêteurs découvrirent sur internet un enregistrement d’une représentation du spectacle du requérant du 1er janvier 2009, au cours duquel celui-ci échangeait avec J.S. à propos de la scène litigieuse. Il expliquait notamment :

« La quenelle que je viens de leur mettre là, (...), c’est une bombe médiatique artisanale de ma fabrication (...).

Pour le matériel, il fallait que je trouve plus fort que Le Pen... Ben ouais, tu ne peux pas faire deux fois un coup avec le même personnage. Moi je ne suis pas au front national, j’en ai rien à foutre de ça, bon le mec est sympa, là on s’est bien amusé mais bon... et donc c’était pas évident de trouver plus infréquentable que Le Pen, c’est quasiment infréquentable... Moi j’ai fait toutes les poubelles du show business, ça m’a mis deux mois avant de le trouver, il était là, tout seul au milieu des feuilles de salade. Un diamant, l’élu. »

12. Le 27 janvier 2009, le requérant fut entendu par les enquêteurs. Il expliqua avoir souhaité que son passage au Zénith reste gravé dans les mémoires, en associant à son image de « paria médiatique » un symbole de l’infréquentabilité. Il précisa connaître la réputation « sulfureuse » de Robert Faurisson mais ne pas savoir initialement ce qui en était à l’origine. Il ajouta que la seule idée qui lui avait été transmise par l’intéressé était la contestation de la déportation des esclaves noirs à Gorée. Il affirma avoir découvert postérieurement, sur internet, dans l’intervalle entre sa rencontre avec Robert Faurisson et sa venue sur scène, que celui-ci contestait également l’existence des chambres à gaz. Il confirma qu’il avait été prévu que l’intéressé parlerait de son désir d’être empaillé à la gare Saint-Lazare et citerait une réplique de Céline. Il déclara lui avoir néanmoins laissé un espace de liberté d’expression et n’avoir rien entendu de choquant de sa part, regrettant simplement que son discours n’ait pas été assez drôle. Il précisa avoir souhaité lui faire remettre le prix de l’infréquentabilité par J.S. en tenue de déporté, estimant que cette image était provocante. Robert Faurisson n’en avait pas été informé à l’avance. S’agissant du chandelier accompagné de trois pommes remis à ce dernier, le requérant indiqua que c’est ce qu’il avait trouvé de plus désuet et de plus ridicule. Enfin, il expliqua avoir l’impression d’appartenir à une sous-population, compte tenu du désintérêt du public pour la contestation de la traite négrière par Robert Faurisson.

13. Le 27 mars 2009, le procureur de la République cita le requérant devant le tribunal de grande instance (« TGI ») de Paris pour injure publique envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, par l’un des moyens prévus à l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Il lui était reproché en l’espèce d’avoir, par gestes ou paroles sur la scène du théâtre Le Zénith, employé toute expression outrageante, terme de mépris ou invective, en l’espèce en tenant les propos suivants :

« Vous savez que le Zénith c’est toujours pour moi une étape assez importante chaque année, alors quand je veux le faire c’est toujours plus difficile. Je me suis dit : faut que je trouve une idée quand même sur ce Zénith, une idée pour leur glisser une quenelle comme y fallait.

Évidemment, je réfléchis, hein ça m’arrive, et donc euh je me suis inspiré un petit peu de la dernière critique très élogieuse de Bernard H (inaudible - huées dans le public) qui décrivait la soirée au Zénith, le spectacle, cette soirée, cette soirée au Zénith comme le plus grand meeting antisémite depuis la dernière guerre mondiale.

Alors évidemment, il me laissait une petite marge de progression, parce que je me suis dit, il faut que je fasse mieux cette fois-ci, hein ? »

La citation précisait que ces propos devaient être lus au regard du sketch consistant :

« - à faire monter sur scène un acteur déguisé en déporté juif, porteur d’un costume rappelant celui des déportés (pyjama et étoile jaune - supportant la mention juif - cousue sur la poitrine),

- pour faire remettre à Robert Faurisson, tenant du négationnisme, dont les théories consistent à contester l’existence des chambres à gaz et la réalité de la shoah,

- « le prix de l’infréquentabilité et de l’insolence », représenté par un chandelier à trois branches, supportant trois pommes ».

14. L’association SOS Racisme-Touche pas à mon pote, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), la Ligue pour la défense des droits de l’homme et du citoyen (LDH), l’association J’accuse ! ... Action internationale pour la justice (AIPJ), l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), les associations Loge Hatikva B’Nai B’Rith, B’Nai B’Rith David Ben Gourion, Tsedek, Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA), Agir ensemble pour la République dans la République, B’Nai B’Rith Deborah Sam Hoffenberg et HCCDA, ainsi que les personnes physiques J.B et G.P., se constituèrent parties civiles.

15. Le 27 octobre 2009, le TGI de Paris déclara le requérant coupable des faits poursuivis et le condamna à une amende de 10 000 euros (EUR), ainsi qu’à verser un euro de dommages et intérêts à chacune des huit parties civiles dont la constitution avait été déclarée recevable. À titre de peine complémentaire, le tribunal ordonna également la diffusion, aux frais du requérant et dans la limite de la somme de 3 000 EUR, d’un communiqué judiciaire par insertion dans les quotidiens Le Monde et Le Parisien-Aujourd’hui en France, du communiqué judiciaire suivant :

« Par jugement en date du 27 octobre 2009 du tribunal correctionnel de PARIS (17ème chambre/chambre de la presse), Dieudonné M’BALA M’BALA a été déclaré coupable du délit d’injure envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, en l’espèce les personnes d’origine ou de confession juive, à raison de propos tenus publiquement dans la salle de spectacle Le Zénith le 26 décembre 2008, poursuivis par le ministère public, l’a condamné à une peine d’amende et à indemniser diverses associations se proposant par leurs statuts de combattre le racisme et qui s’étaient constituées parties civiles » (sic).

16. Les juges motivèrent leur décision comme suit :

« Dans les propos incriminés, Dieudonné M’Bala M’Bala introduit ce qui va suivre en expliquant à son public l’intention qui l’a guidé. Relevant que le précédent spectacle qu’il avait donné dans la même salle a été qualifié - par quelqu’un dont le nom est rendu inaudible par les huées qu’il soulève dans le public, mais que le prévenu a identifié en la personne de Bernard-Henri Levy - de « plus grand meeting antisémite depuis la dernière guerre mondiale », il indique qu’il a décidé qu’il fallait qu’il « fasse mieux » qu’en cette occasion, chacun comprenant qu’il s’agit là d’une antiphrase et que l’ambition qu’il affiche est bien de faire pire. Dieudonné M’Bala M’Bala expose encore que son objectif ultime est de « leur glisser une quenelle comme y fallait » ; cette expression imagée renvoie - de façon assez claire, quoiqu’elle semble avoir été spécifiquement forgée par le prévenu - aux registres de la scatologie et de la sodomisation.

Il ne précise pour autant pas qui est censé être la victime de ce « glissage de quenelle », selon l’expression qu’il emploie quelques secondes plus tard, mais a déclaré à l’audience qu’il visait les « médias », au « fondement » desquels il destinait la dite « quenelle ».

Il résulte cependant de ce qui suit que c’est un autre groupe qu’il vise.

Dieudonné M’Bala M’Bala dévoile en effet à son public l’idée qu’il a eue et qui doit lui permettre de réaliser cet objectif de faire pire que l’an passé, tout en restant dans le registre, qui lui avait alors été imputé, de l’extrême antisémitisme. Il annonce avoir invité la « personne la plus infréquentable de France », qu’il présente comme la victime des « milices d’occupation israélienne » (il dira plus loin « les milices sionistes ») et, de façon cryptée, comme un homme « qui a développé [...] des thèses qui sont les siennes ». C’est alors Robert Faurisson qu’il introduit et fait acclamer par son public avant de lui faire remettre « le prix de l’infréquentabilité et de l’insolence ».

Ce faisant, il ne peut que faire référence à ce par quoi cet ancien universitaire s’est fait largement connaître, à savoir la négation de la réalité du génocide des juifs perpétré par le régime nazi.

Dieudonné M’Bala M’Bala a déclaré, à cet égard, au cours de l’enquête ordonnée par le ministère public, puis à l’audience, qu’il ignorait que Robert Faurisson était, en France, un des principaux tenants des thèses négationnistes et avait été notamment condamné pour le délit prévu par l’article 24 bis de la loi sur la liberté de la presse. Il a affirmé, au contraire, qu’il ne connaissait celui qu’il avait choisi d’inviter que pour avoir remis en cause que la maison dite des esclaves, située à GORÉE, au Sénégal, ait bien été un lieu d’embarquement des victimes de la traite négrière. Ces affirmations sont, cependant, dépourvues de toute vraisemblance, compte tenu tant de la notoriété du négationnisme de Robert Faurisson que de l’objectif affiché par le prévenu.

Dieudonné M’Bala M’Bala ne saurait sérieusement prétendre, en effet, qu’il ambitionnait de faire pire dans l’antisémitisme - ainsi qu’il l’annonce à son public dans les propos poursuivis - et, plus généralement, de se livrer à la plus extrême des provocations - en cherchant et trouvant « plus infréquentable que Le Pen », pour reprendre les mots qu’il utilise le 1er janvier 2009 en commentant sa prestation du Zénith, (...) mais qu’à cette fin, il aurait invité quelqu’un qui aurait seulement tenu d’hypothétiques propos pour nier, non pas la réalité de la traite négrière occidentale comme il le suggère abusivement, mais l’authenticité d’un de ses lieux emblématiques.

Par ailleurs, le libellé même du prix qu’il entend remettre à Robert Faurisson renvoie à des valeurs positives, aux yeux du prévenu - qui se présente en victime, elle aussi infréquentable, des puissants et des tenants des idées communément admises -, comme du public que lui a précisément acquis cette posture.

Enfin, si une mise en scène ne saurait constituer en elle-même le support d’une injure, ce moyen de publicité n’étant pas prévu par l’article 23 susvisé, il doit être encore relevé que le prévenu a choisi, pour remettre le « prix de l’infréquentabilité et de l’insolence » à Robert Faurisson, une personne habillée d’un pyjama rayé sur lequel est cousue une étoile jaune marquée du mot « juif » - cette étoile caractérisant bien, pour ce qui la concerne, un support de l’écrit exposé dans une réunion publique, au sens de ce texte - et, pour matérialiser ce prix, un emblème lui aussi exposé au regard du public, à savoir un chandelier à trois branches, coiffées de trois pommes.

Dieudonné M’Bala M’Bala a admis, devant les enquêteurs, que le choix du costume de déporté déjà utilisé par le même comédien dans son spectacle, avait été fait parce qu’il constituait « la plus efficace » des provocations, et que le chandelier était ce qu’il avait trouvé de « plus désuet » et de « plus ridicule ». Il est cependant revenu sur ces déclarations à l’audience, prétendant que le costume avait été utilisé par commodité et pour éviter d’en chercher un autre, et que le chandelier avait été trouvé dans une loge.

Professionnel du spectacle, (...), le prévenu ne saurait, en tout état de cause, utilement soutenir que ces circonstances auraient été laissées au hasard et déterminées par des contingences purement matérielles. Le double choix d’un chandelier, d’une part, objet qui, lorsqu’il a sept branches, constitue un emblème de la religion juive et qui est abâtardi par sa réduction à trois branches et la substitution de pommes aux bougies, et d’un costume évoquant celui imposé aux déportés juifs dans les camps de concentration nazis, costume de surcroît qualifié d’« habit de lumière », d’autre part, donne tout son sens, pour les spectateurs présents dans cette réunion publique, à l’ambition expressément affichée dans les propos poursuivis, tels qu’ils viennent d’être tenus, d’atteindre au comble de l’antisémitisme.

Ce sont donc bien les personnes d’origine ou de confession juive au ʺfondementʺ desquels le prévenu entend ʺglisser une quenelleʺ, en faisant acclamer un individu uniquement connu du public pour ses thèses négationnistes, en le présentant comme le héros de valeurs positives et en lui faisant remettre cet hommage, sous la forme d’un emblème dénaturé de cette communauté, par un personnage ridiculisant les victimes juives des crimes mêmes que nie la personne ainsi honorée.

Les propos poursuivis sont, dans ces conditions et ainsi que l’ont soutenu à juste titre le ministère public et les parties civiles, à la fois outrageants et méprisants à l’égard des personnes d’origine ou de confession juive.

C’est en vain que le prévenu fait plaider d’abord que ces propos contiendraient l’imputation d’un fait précis, dès lors que celui qu’il articule, « vouloir organiser un meeting antisémite », qui constitue d’ailleurs une analyse pertinente de son propre propos, le vise lui - s’agissant d’un fait qu’il s’impute à lui-même, qui est cependant prévenu et pas partie civile - et non pas les personnes d’origine et de confession juive, auxquelles aucun comportement particulier n’est prêté.

C’est également à tort que Dieudonné M’Bala M’Bala soutient l’excuse de provocation, alors qu’il ne démontre nullement qu’une personnalité aurait qualifié de meeting antisémite un de ses précédents spectacles, qui aurait été donné deux ans auparavant, ni qu’un tel jugement de valeur, à supposer qu’il ait été effectivement émis, aurait présenté le caractère d’une provocation au sens de l’article 33, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, en ce qu’il aurait été de nature à expliquer, voire à justifier la présente injure, qui vise pourtant précisément les personnes d’origine ou de confession juive.

Dieudonné M’Bala M’Bala ne saurait davantage s’abriter derrière une intention humoristique. La caricature et la satire, même délibérément provocantes ou grossières, participent indéniablement, dans une société démocratique, de la liberté d’expression et de création et de la libre communication des idées et des opinions. Il n’appartient pas, par ailleurs, au tribunal - qui n’est pas juge de la qualité d’une prestation, quoiqu’il remarque qu’il ne résulte nullement de l’enregistrement vidéo diffusé que les propos auraient suscité l’hilarité du moindre spectateur - de déterminer si les propos incriminés ambitionnaient ou non de rester dans le registre du spectacle d’humoriste qu’ils concluaient. Il doit être rappelé, toutefois, que le droit à l’humour connaît des limites, et spécialement le respect de la dignité de la personne humaine.

Au cas présent, en annonçant son désir de pousser à son comble la provocation antisémite et en honorant à cette fin publiquement une personne connue pour ses thèses négationnistes, à qui il faisait remettre par une caricature de déporté juif un objet ridiculisant un emblème de la religion juive, le prévenu a très largement excédé les limites admises du droit à l’humour.

Enfin, il doit être constaté que, contrairement à ce qui est suggéré à divers moments de la séquence litigieuse, lorsque sont évoquées ʺles milices d’occupation israélienneʺ, les ʺmilices sionistesʺ et le ʺsoutien indéfectible à la Palestineʺ, les propos poursuivis ne relèvent pas d’une libre prise de position politique sur le conflit opposant les Palestiniens et l’État d’Israël, dès lors que c’est bien l’ensemble des personnes d’origine ou de confession juive qui sont visées par l’injure incriminée, qui tend à les atteindre uniquement à raison de leur origine ou de leur religion, et indépendamment de leurs éventuels choix politiques. »

17. Le requérant et, de manière incidente, le ministère public ainsi que sept parties civiles, interjetèrent appel.

18. Par un arrêt du 17 mars 2011, la cour d’appel de Paris confirma le jugement sur la culpabilité et les sanctions infligées au requérant, modifiant seulement le texte du communiqué judiciaire. Les juges motivèrent leur décision comme suit :

« Se référant, ce qu’il ne conteste pas, à l’écrivain Bernard-Henri Lévy qui l’a, dit-il, accusé par le passé d’avoir organisé au Zénith « le plus grand meeting antisémite depuis la dernière guerre mondiale », Dieudonné M’Bala M’Bala se donne pour ambition de « faire mieux cette fois-ci ».

Joignant par deux fois le geste à la parole, remontant sa main droite le long de son bras gauche jusqu’à l’épaule, Dieudonné M’Bala M’Bala, explique au public qu’il s’agit de « leur » « glisser une quenelle », une expression imagée évoquant à l’évidence la sodomie : « si ça glisse, c’est plus souple, c’est plus agréable qu’une gifle » a-t-il déclaré devant la cour.

C’est en vain que le prévenu soutient dans ses conclusions que son message n’était pas destiné « à un groupe de personnes, en l’occurrence la communauté juive, mais à certains de ses représentants avec lesquels il est en controverse, dont notamment le chroniqueur de l’hebdomadaire LE POINT », la suite de ses propos et la mise en scène organisée par ses soins démontrant sa volonté de cibler l’ensemble de la communauté juive.

Il annonce en effet la venue d’une personne « qui va les faire grimper aux rideaux », « un scandale à lui tout seul », « la personne la plus infréquentable de France », précisant que l’intéressé a été « tabassé par le BETAR et la LDJ », « des milices sionistes », et qu’il développe « des thèses qui sont les siennes ».

Entre alors sur scène Robert Faurisson, notoirement connu pour ses thèses négationnistes qui lui ont valu bon nombre de condamnations et que Dieudonné M’Bala M’Bala fait applaudir par le public, la soirée perdant ainsi son caractère de spectacle et présentant dès lors les caractéristiques d’un meeting.

Ayant pour objectif de « faire mieux » en matière d’antisémitisme, le prévenu ne peut sérieusement soutenir, ainsi qu’il l’a fait devant le tribunal et devant la cour, qu’il ne connaissait son invité qu’au travers de ses travaux mettant en doute la réalité du rôle tenu par l’île de Gorée au Sénégal à l’époque de la traite des Noirs.

Donnant à ses propos liminaires tout leur sens et leur portée, Dieudonné M’Bala M’Bala fait alors remettre à Robert Faurisson le « prix de l’insolence et de l’infréquentabilité » par un personnage revêtu d’un pyjama, qualifié d’« habit de lumière », qui rappelle à l’évidence la tenue des déportés, l’étoile jaune portant le mot « juif » cousue sur le vêtement levant toute ambiguïté quant au but poursuivi et à la communauté visée.

S’il en était besoin, la remise du prix, un chandelier à trois branches coiffées de trois pommes qui vient caricaturer un symbole de la religion juive, complète le dispositif.

Le « glissage de quenelle » annoncé au public et qui a pour objectif affiché de faire « mieux » en matière d’antisémitisme prend alors tout son sens : offenser délibérément la mémoire d’un peuple en tournant en dérision, par le biais de la parole, de l’étoile jaune - support du mot « juif » - et de l’emblème du chandelier remis par un « déporté » à un spécialiste des thèses négationnistes, la déportation et l’extermination des Juifs par les nazis durant la seconde guerre mondiale, ce qui constitue, ainsi que l’a déjà dit le tribunal, un mode d’expression à la fois outrageant et méprisant à l’égard de l’ensemble des personnes d’origine ou de confession juive, ce qui caractérise l’injure poursuivie.

Et si Dieudonné M’Bala M’Bala revendique son droit à la liberté d’expression et, en quelque sorte, l’immunité dont devrait bénéficier la création artistique à vocation humoristique, il doit être rappelé que ces droits, essentiels dans une société démocratique, ne sont pas sans limites, tout spécialement lorsqu’est en cause le respect de la dignité de la personne humaine, ce qui est le cas en l’espèce, et lorsque les actes de scène cèdent la place à une manifestation qui ne présente plus le caractère d’un spectacle. »

19. Le requérant et trois parties civiles se pourvurent en cassation.

20. Par un arrêt du 16 octobre 2012, la Cour de cassation déclara irrecevable le pourvoi des parties civiles et rejeta celui du requérant. Elle observa que la cour d’appel avait retenu que le fait de tourner en dérision la déportation et l’extermination des juifs par les nazis pendant la seconde guerre mondiale, par le biais de la parole, de l’étoile jaune, support du mot « juif », et de l’emblème du chandelier remis par un « déporté » à un spécialiste des thèses négationnistes, constituait à l’égard de l’ensemble des personnes d’origine ou de confession juive un mode d’expression à la fois outrageant et méprisant qui caractérisait l’infraction d’injure poursuivie. Précisant qu’il appartient aux juges du fond de relever toutes les circonstances extrinsèques qui donnent une portée injurieuse ou diffamatoire à des propos, même si ceux-ci ne présentent pas par eux‑mêmes ce caractère, et qui sont de nature à révéler leur véritable sens, la Cour de cassation estima que la cour d’appel avait légalement justifié sa décision.

B. Le droit interne et international pertinent

21. Les dispositions pertinentes de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dans leur version applicable à l’époque des faits, sont les suivantes :

Article 23

« Seront punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, auront directement provoqué l’auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d’effet. »

Article 24 bis

« Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l’article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale. (...) »

Article 29

« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.

Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure. »

Article 33

« L’injure commise par les mêmes moyens envers les corps ou les personnes désignés par les articles 30 et 31 de la présente loi sera punie d’une amende de 12 000 euros.

L’injure commise de la même manière envers les particuliers, lorsqu’elle n’aura pas été précédée de provocations, sera punie d’une amende de 12 000 euros.

Sera punie de six mois d’emprisonnement et de 22 500 euros d’amende l’injure commise, dans les conditions prévues à l’alinéa précédent, envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

Sera punie des peines prévues à l’alinéa précédent l’injure commise dans les mêmes conditions envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap.

En cas de condamnation pour l’un des faits prévus par les deux alinéas précédents, le tribunal pourra en outre ordonner :

1o L’affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l’article 131-35 du code pénal. »

22. Les dispositions pertinentes de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 7 mars 1966, ratifiée par la France le 28 juillet 1971, sont les suivantes :

Art. 4

« Les États parties condamnent toute propagande et toutes organisations qui s’inspirent d’idées ou de théories fondées sur la supériorité d’une race ou d’un groupe de personnes d’une certaine couleur ou d’une certaine origine ethnique, ou qui prétendent justifier ou encourager toute forme de haine et de discrimination raciales, ils s’engagent à adopter immédiatement des mesures positives destinées à éliminer toute incitation à une telle discrimination, ou tous actes de discrimination, et, à cette fin, tenant compte des principes formulés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et des droits expressément énoncés à l’art. 5 de la présente Convention, ils s’engagent notamment:

a) A déclarer délits punissables par la loi toute diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale, ainsi que tous actes de violence, ou provocation à de tels actes, dirigés contre toute race ou tout groupe de personnes d’une autre couleur ou d’une autre origine ethnique, de même que toute assistance apportée à des activités racistes, y compris leur financement;

b) A déclarer illégales et à interdire les organisations ainsi que les activités de propagande organisée et tout autre type d’activité de propagande qui incitent à la discrimination raciale et qui l’encouragent et à déclarer délit punissable par la loi la participation à ces organisations ou à ces activités;

c) A ne pas permettre aux autorités publiques ni aux institutions publiques, nationales ou locales, d’inciter à la discrimination raciale ou de l’encourager. »

GRIEFS

23. Invoquant les articles 7 et 10 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir été condamné pour injure publique envers des personnes d’origine ou de confession juive. Il expose qu’il a organisé, au cours de son spectacle, une mise en scène et que ni lui-même ni la personne qu’il a invitée sur scène n’ont prononcé un quelconque propos présentant le caractère d’une injure ou d’une diffamation. Il ajoute que, pour la première fois, les juridictions françaises ont considéré que l’injure ne résultait pas d’un des moyens prévus par l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, mais d’une forme de contexte ayant pour support une mise en scène à caractère injurieux. Il estime que cette restriction à sa liberté d’expression n’était ni prévisible ni nécessaire.

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

24. Le requérant allègue que sa condamnation a porté atteinte aux articles 7 et 10 de la Convention.

25. Maîtresse de la qualification juridique des faits, la Cour estime que l’affaire doit être examinée à la lumière du seul article 10 de la Convention, dont les dispositions se lisent comme suit :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

A. Arguments des parties

1. Le Gouvernement

26. Le Gouvernement s’oppose à la thèse du requérant. À titre principal, il invite la Cour à considérer la requête comme irrecevable en application de l’article 17 de la Convention. Il estime en effet que les propos et agissements du requérant ont clairement révélé un objectif raciste consistant, comme la cour d’appel de Paris l’a relevé, dans la volonté « d’offenser délibérément la mémoire » du peuple juif. Il considère donc que le requérant tente de détourner l’article 10 de sa vocation en utilisant la liberté d’expression à des fins contraires aux valeurs fondamentales de la Convention que sont la justice et la paix.

27. À titre subsidiaire, le Gouvernement considère que les dispositions de l’article 10 n’ont pas été violées en l’espèce, l’ingérence étant prévue par la loi, orientée vers un but légitime et nécessaire dans une société démocratique. S’agissant particulièrement de la prévisibilité de la condamnation, il rappelle que, selon une jurisprudence ancienne de la Cour de cassation (Crim. 23 novembre 1907), il appartient aux tribunaux de relever toutes les circonstances de faits extrinsèques qui donnent une portée injurieuse à des écrits ou imprimés ne présentant pas par eux-mêmes ce caractère et qui sont de nature à révéler au public leur véritable sens. Il estime qu’en l’espèce, la cour d’appel a caractérisé l’injure en constatant la portée outrageante des propos tenus par l’humoriste du fait de la mise en scène au sein de laquelle ceux-ci s’inscrivaient, en particulier le choix de faire remettre à un négationniste un prix consistant en un chandelier, par une personne revêtue d’un vêtement comparable à celui des déportés et portant l’étoile jaune. À cet égard, il rappelle que le requérant avait parfaitement conscience de transgresser les règles puisqu’il a admis que ce sketch était « la plus grosse connerie » qu’il avait faite. Le Gouvernement précise que l’intéressé avait déjà été condamné pour injure raciale, l’assemblée plénière de la Cour de cassation ayant estimé, dans un arrêt du 16 février 2007, que sa déclaration selon laquelle « les juifs, c’est une secte, une escroquerie. C’est une des plus graves parce que c’est la première » ne relevait pas de la libre critique du fait religieux participant d’un débat d’intérêt général mais constituait une injure visant un groupe de personnes en raison de son origine, dont la répression est une restriction nécessaire à la liberté d’expression dans une société démocratique.

2. Le requérant

28. Le requérant conteste l’exception d’irrecevabilité tirée de l’article 17 de la Convention, estimant n’avoir en aucun cas propagé des thèses à caractère négationniste ou révisionniste. Il considère avoir seulement mis en lumière et fait parler le « tenant de ces thèses », qui n’a selon lui pas tenu de propos répréhensible et qui n’a d’ailleurs pas été poursuivi. Il explique qu’il connaissait très peu Robert Faurisson malgré son statut de « plus emblématique représentant » du négationnisme, ce qui démontre selon lui qu’il n’était pas adepte de ce courant. Il qualifie de farce la « reconnaissance » conférée par la remise d’un prix ridicule à l’intéressé, par un déporté juif, c’est-à-dire quelqu’un qui à ses yeux n’était pas supposé exister. Il précise que le but était de mettre en évidence l’ostracisation de Robert Faurisson et de montrer que les limites à la liberté d’expression sont, pour la presse et la classe politique, extrêmement réduites puisqu’elles ne peuvent en aucune façon atteindre la « sacralisation absolue du martyre juif ».

29. Par ailleurs, le requérant estime que l’ingérence dans son droit à la liberté d’expression n’était pas prévisible, une mise en scène ne pouvant selon lui constituer une injure en l’absence de disposition spécifique à cet égard dans les textes. Il fait également valoir que les juridictions internes ont négligé les éléments extrinsèques à ses déclarations qui auraient permis de constater que son sketch ne devait pas être lu au premier degré : il rappelle avoir cherché à démontrer qu’en France, toute allusion à la Shoah qui ne va pas dans le sens du respect imposé est vécue comme une agression, tandis que la contestation d’autres génocides est tolérée. Il explique que la remise d’un prix par un déporté à un négationniste était destinée à souligner l’absurdité du projet de faire parrainer un écolier par un enfant mort en déportation. Il ajoute que le costume porté par J.S. n’était pas destiné à témoigner de l’irrespect mais à créer un effet comique, le mot juif cousu sur l’étoile, qui n’était selon lui pas visible du public, ne constituant aucunement une injure. Il précise que l’objet remis en guise de prix n’était pas un chandelier mais la réunion de trois tiges courbes coiffées de pommes, qualifiant de procès d’intention la comparaison faite avec la Ménorah utilisée comme symbole dans la religion juive. Enfin, il indique dans ses observations en réponse que le choix de Robert Faurisson répondait à une provocation, après avoir initialement expliqué dans sa requête qu’il entendait répondre aux termes de la critique de son précédent spectacle faite par Bernard-Henry Lévy, qu’il estimait exagérés.

B. Appréciation par la Cour

1. Les principes généraux

30. La Cour note d’emblée qu’elle n’a pas à se prononcer sur les éléments constitutifs de l’infraction d’injure publique envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée en droit français. Il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit national (voir, parmi beaucoup d’autres, Lehideux et Isorni c. France, 23 septembre 1998, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VII). La Cour a seulement pour tâche de vérifier sous l’angle de l’article 10 les décisions rendues par les juridictions nationales compétentes en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Ce faisant, elle doit se convaincre que les autorités nationales se sont fondées sur une appréciation acceptable des faits pertinents (Incal c. Turquie, 9 juin 1998, § 48, Recueil 1998‑IV, et Molnar c. Roumanie (déc.), no 16637/06, § 21, 23 octobre 2012).

31. Concernant la liberté d’expression, la Cour rappelle que sa jurisprudence a consacré le caractère éminent et essentiel de celle-ci dans une société démocratique (voir Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, § 49, série A no 24, et Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 41, série A no 103). La protection conférée par l’article 10 s’applique également à la satire, qui est une forme d’expression artistique et de commentaire social qui, de par l’exagération et la déformation de la réalité qui la caractérisent, vise naturellement à provoquer et à agiter. C’est pourquoi il faut examiner avec une attention particulière toute ingérence dans le droit d’un artiste à s’exprimer par ce biais (Vereinigung Bildender Künstler c. Autriche, no 68354/01, § 33, 25 janvier 2007).

32. Cependant, la jurisprudence de la Cour a également défini les limites de la liberté d’expression. En particulier, la Cour a jugé que « l’article 17, pour autant qu’il vise des groupements ou des individus, a pour but de les mettre dans l’impossibilité de tirer de la Convention un droit qui leur permette de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés reconnus dans la Convention ; qu’ainsi personne ne doit pouvoir se prévaloir des dispositions de la Convention pour se livrer à des actes visant à la destruction des droits et libertés visés (...) » (Lawless c. Irlande, 1er juillet 1961, § 7, série A no 3).

33. Ainsi, la Cour a jugé qu’un « propos dirigé contre les valeurs qui sous-tendent la Convention » se voit soustrait par l’article 17 à la protection de l’article 10 (voir Lehideux et Isorni précité, §§ 47 et 53). Dans l’affaire Garaudy, relative notamment à la condamnation pour contestation de crimes contre l’humanité de l’auteur d’un ouvrage remettant en cause de manière systématique des crimes contre l’humanité commis par les nazis envers la communauté juive, la Cour a conclu à l’incompatibilité rationae materiae avec les dispositions de la Convention du grief qu’en tirait l’intéressé sur le terrain de l’article 10. Elle a fondé cette conclusion sur le constat que la plus grande partie du contenu et la tonalité générale de l’ouvrage du requérant, et donc son « but », avaient un caractère négationniste marqué et allaient donc à l’encontre des valeurs fondamentales de la Convention que sont la justice et la paix ; elle a ensuite déduit de ce constat que le requérant tentait de détourner l’article 10 de sa vocation en utilisant son droit à la liberté d’expression à des fins contraires à la lettre et à l’esprit de la Convention (Garaudy c. France (déc.), no 65831/01, CEDH 2003‑IX (extraits) ; cf. également, Witzsch c. Allemagne (déc.), no 7485/03, 13 décembre 2005). Auparavant, la Commission européenne des Droits de l’Homme était parvenue à la même conclusion concernant la condamnation de l’auteur d’une publication qui, sous couvert d’une démonstration technique, visait en réalité à remettre en cause l’existence de l’usage de chambres à gaz pour une extermination humaine de masse (Marais c. France, no 31159/96, décision de la Commission du 24 juin 1996, D.R. 86, p. 194). D’autres décisions de la Cour, notamment dans les affaires Norwood c. Royaume-Uni (no 23131/03, CEDH 2004‑XI) et Ivanov c. Russie (no 35222/04, 20 février 2007), ont concerné l’usage de la liberté d’expression dans des buts respectivement islamophobe et antisémite.

2. L’application des principes susmentionnés au cas d’espèce

34. En l’espèce, la Cour note que les juridictions internes ont condamné le requérant pour injure raciste. Elles ont constaté que l’intéressé avait honoré publiquement une personne connue pour ses thèses négationnistes et lui avait fait remettre, par un comédien caricaturant un déporté juif, un objet ridiculisant un symbole de la religion juive, après avoir annoncé en préambule son désir de « faire mieux » que lors d’un précédent spectacle, qui aurait été qualifié de « plus grand meeting antisémite depuis la dernière guerre mondiale ». Les juges ont considéré que cette scène, présentée par le requérant comme une « quenelle », expression évoquant selon la cour d’appel la sodomie, était adressée aux personnes d’origine ou de confession juive dans leur ensemble.

35. La Cour estime que ce constat des juges internes est fondé sur une appréciation des faits qu’elle peut partager. En particulier, elle n’a aucun doute quant à la teneur fortement antisémite du passage litigieux du spectacle du requérant. Elle remarque que ce dernier a honoré une personne connue et condamnée en France pour ses thèses négationnistes, en le faisant applaudir avec « cœur » par le public et en lui faisant remettre le « prix de l’infréquentabilité et de l’insolence ». Elle note, tout comme le tribunal correctionnel, que ces postures et ces termes revêtent indéniablement un caractère positif dans l’esprit du requérant.

36. La Cour observe que ce dernier, loin de se désolidariser du discours de son invité, soutient que celui-ci n’aurait tenu aucun propos révisionniste lors de cette scène. La Cour ne peut admettre cet argument. Elle considère au contraire que le fait de qualifier d’« affirmationnistes » ceux qui l’accusent d’être négationniste, a constitué pour Robert Faurisson une incitation claire à mettre sur le même plan des « faits historiques clairement établis » (Lehideux et Isorni, précité, §§ 47) et une thèse dont l’expression est prohibée en droit français et se voit soustraite par l’article 17 à la protection de l’article 10 (idem). La Cour remarque également que l’invitation faite à l’auditoire d’orthographier le mot librement avait manifestement pour but, au moyen d’un jeu de mots, d’inciter le public à considérer les tenants de cette vérité historique comme étant animés par des motivations « sionistes », ce qui renvoie à un argumentaire que l’on peut retrouver dans des thèses négationnistes, le terme renvoyant par ailleurs à une thématique récurrente chez le requérant qui a fait de l’antisionisme l’un de ses engagements politiques principaux (paragraphe 3 ci-dessus). Elle note que ce dernier a indiqué, au cours de l’enquête, qu’il avait été convenu que les déclarations de Robert Faurisson auraient un contenu différent (paragraphe 12 ci-dessus). Cependant, elle relève que la citation projetée d’un extrait de l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline (paragraphes 10 et 12 ci-dessus), n’aurait pas été de nature, dans le contexte de la mise en scène décrite précédemment, à atténuer le caractère insultant de ce passage du spectacle pour les personnes de confession ou d’origine juive. La Cour relève encore que la désignation du costume de déporté revêtu par J.S. par l’expression « habit de lumière », témoignait a minima d’un mépris affiché par le requérant à l’égard des victimes de la Shoah, ajoutant ainsi à la dimension offensante de l’ensemble de la scène.

37. La Cour rappelle que, dans le cadre de l’article 10 de la Convention, il convient d’examiner les propos litigieux à la lumière des circonstances et de l’ensemble du contexte de l’affaire (voir, parmi beaucoup d’autres, Lingens, précité, § 40, et Morice c. France [GC], no 29369/10, § 162, 23 avril 2015). À cet égard, elle ne partage pas non plus l’argument du requérant selon lequel les juridictions internes ont à tort interprété le « sketch » au premier degré, sans rechercher les éléments extrinsèques suggérant une interprétation contraire. Elle remarque que l’intéressé est un humoriste ayant marqué son fort engagement politique en se portant candidat à plusieurs élections (paragraphe 3 ci-dessus). Elle constate également qu’au moment des faits litigieux, il avait déjà été condamné pour injure raciale (paragraphe 27 ci-dessus). Elle estime donc que les éléments de contexte, pas plus que les propos effectivement tenus sur scène, n’étaient de nature à témoigner d’une quelconque volonté de l’humoriste de dénigrer les thèses de son invité ou de dénoncer l’antisémitisme. Elle relève qu’au contraire, le comédien jouant le rôle du déporté a lui-même déclaré ne pas avoir été surpris par la décision de faire monter sur scène Robert Faurisson, compte tenu des choix exprimés depuis deux années par le requérant à travers ses apparitions publiques, notamment son rapprochement avec le président de l’époque du parti Front National (paragraphe 10 ci-dessus). À ce titre, la Cour observe que les réactions du public montrent que la portée antisémite et révisionniste de la scène a été perçue par les spectateurs (ou au moins certains d’entre eux) de la même manière que par les juges nationaux, la phrase « Faurisson a raison » ayant notamment été criée (paragraphe 8 ci‑dessus).

38. Enfin, et surtout, la Cour constate que le requérant ne s’est pas expliqué dans ses observations en réponse au Gouvernement sur son désir, annoncé en préambule de la scène litigieuse et souligné par les juges nationaux, de surpasser son précédent spectacle qui aurait été qualifié par un observateur de « plus grand meeting antisémite depuis la dernière guerre mondiale ». Elle observe que cette indication a nécessairement orienté la perception par le public de la suite de la représentation, celle-ci ne pouvant être interprétée qu’en tenant compte de la volonté exprimée par son auteur de « faire mieux » en matière d’antisémitisme. Elle relève de plus que, devant les juridictions internes, le requérant s’est contenté de faire allusion à ce préambule en invoquant l’excuse de provocation pour justifier l’injure raciste pour laquelle il était poursuivi. Dans sa requête, il a repris cet argument en indiquant avoir répondu à la « provocation » de l’observateur cité, en reprenant les termes de sa critique, qu’il estimait exagérés et en invitant Robert Faurisson sur scène.

39. La Cour considère ainsi, à l’instar de la cour d’appel, qu’au cours du passage litigieux, la soirée avait perdu son caractère de spectacle de divertissement pour devenir un meeting. Le requérant ne saurait prétendre, dans les circonstances particulières de l’espèce et au regard de l’ensemble du contexte de l’affaire, avoir agi en qualité d’artiste ayant le droit de s’exprimer par le biais de la satire, de l’humour et de la provocation. En effet, sous couvert d’une représentation humoristique, il a invité l’un des négationnistes français les plus connus, condamné un an auparavant pour contestation de crime contre l’humanité, pour l’honorer et lui donner la parole. En outre, dans le cadre d’une mise en scène outrageusement grotesque, il a fait intervenir un figurant jouant le rôle d’un déporté juif des camps de concentration, chargé de remettre un prix à Robert Faurisson. Dans cette valorisation du négationnisme à travers la place centrale donnée à l’intervention de Robert Faurisson et dans la mise en position avilissante des victimes juives des déportations face à celui qui nie leur extermination, la Cour voit une démonstration de haine et d’antisémitisme, ainsi que la remise en cause de l’holocauste. Elle ne saurait accepter que l’expression d’une idéologie qui va à l’encontre des valeurs fondamentales de la Convention, telle que l’exprime son préambule, à savoir la justice et la paix, soit assimilée à un spectacle, même satirique ou provocateur, qui relèverait de la protection de l’article 10 de la Convention.

40. En outre, la Cour souligne que si l’article 17 de la Convention a en principe été jusqu’à présent appliqué à des propos explicites et directs, qui ne nécessitaient aucune interprétation, elle est convaincue qu’une prise de position haineuse et antisémite caractérisée, travestie sous l’apparence d’une production artistique, est aussi dangereuse qu’une attaque frontale et abrupte (voir également, mutatis mutandis, Marais, précitée, pour le recours à une démonstration prétendument technique). Elle ne mérite donc pas la protection de l’article 10 de la Convention.

41. Partant, dès lors que les faits litigieux, tant dans leur contenu que dans leur tonalité générale, et donc dans leur but, ont un caractère négationniste et antisémite marqué, la Cour considère que le requérant tente de détourner l’article 10 de sa vocation en utilisant son droit à la liberté d’expression à des fins contraires au texte et à l’esprit de la Convention et qui, si elles étaient admises, contribueraient à la destruction des droits et libertés garantis par la Convention (voir notamment, mutatis mutandis, les décisions Marais, Garaudy, et Witzsch précitées).

42. En conséquence, la Cour estime qu’en vertu de l’article 17 de la Convention, le requérant ne peut bénéficier de la protection de l’article 10. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée comme étant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, conformément à l’article 35 §§ 3 a) et 4.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

Déclare la requête irrecevable.

 

Fait en français puis communiqué par écrit le 10 novembre 2015.

MilanBlaško                                         Josep Casadevall

Greffier ad joint                                   Président