Corte europea dei diritti dell’uomo
(Seconda Sezione)
10 giugno 2008
AFFAIRE SCOPPOLA c. ITALIE
(Requête n. 50550/06)
ARRÊT
Cette version a été rectifiée le 7 avril 2009
conformément à l’article 81 du règlement de
26/01/2009
Cet arrêt peut
subir des retouches de forme.
En l’affaire Scoppola c. Italie,
Françoise
Tulkens, présidente,
Antonella Mularoni,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş, juges,
et de Sally Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du
conseil le 20 mai 2008,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette
date :
PROCÉDURE
1. A
l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 50550/06)
dirigée contre
2. Le
requérant est représenté par Mes N. Paoletti et A. Mari,
avocats à Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est
représenté par son agent, M. I. M. Braguglia, et par son co-agent,
M. F. Crisafulli.
3. Le
requérant alléguait que sa détention dans un pénitencier était incompatible
avec son état de santé.
4. Le
13 février 2007, la présidente de la deuxième section de
EN FAIT
5. Le
requérant est né en 1940 et est actuellement détenu au
pénitencier de Parme.
6. En
septembre 1999, à l’issue d’une dispute avec ses enfants,
le requérant tua sa femme et blessa l’un de ses enfants.
7. Condamné
à la réclusion à perpétuité par la cour d’assises d’appel de Rome en janvier
2002, le requérant purgea une partie de sa peine dans l’hôpital de la prison de Regina
Coeli à Rome.
8. En
décembre 2003, le requérant, qui ne se déplaçait plus qu’en fauteuil roulant,
demanda à être transféré dans une autre prison de Rome où, vu l’absence
d’obstacles architecturaux (barriere architettoniche), il pourrait
bénéficier des heures de sortie et de conditions de détention plus humaines.
9. Le
5 avril 2004, le département régional de l’administration pénitentiaire du
Latium refusa le transfert, invoquant des difficultés de prise en charge du
requérant en raison de son état de santé.
10. Selon
un rapport médical du 9 janvier 2006, établi à la demande du conseil du
requérant, les conditions de santé de ce dernier étaient « amplement
incompatibles avec la détention en prison et imposaient l’adoption de mesures
alternatives à celle-ci, telles le transfert dans un hôpital externe à la
prison apte à fournir au requérant les soins adéquats et nécessaires, ou dans
un centre de prise en charge et de réhabilitation pour personnes en long séjour
exigeant une assistance continue 24 heures sur 24 ».
11. Le
2 mars 2006, le requérant demanda au tribunal d’application des peines de Rome
de lui accorder la détention à domicile ou son hospitalisation à l’extérieur de
la prison.
12. Le
11 avril 2006, le requérant fut hospitalisé à l’hôpital civil Sandro
Pertini en raison d’une fracture du fémur.
13. Il
ressort d’un rapport médical rédigé le 6 juin 2006 que la pose d’une prothèse
de la hanche envisagée immédiatement après l’arrivée du patient ne fut pas
réalisée au motif que, le requérant ne marchant plus depuis 1987,
l’intervention chirurgicale aurait été inutile et dangereuse. Selon le médecin
rédacteur du rapport, le requérant pouvait quitter l’hôpital à condition d’être
transféré dans un centre de traitements équipé pour lui dispenser les soins
nécessaires (en particulier, assistance continue, mise à disposition d’un
matelas spécial anti-escarres, kinésithérapie passive).
14. Par
une ordonnance du 16 juin 2006, dont le texte fut déposé au greffe le 21 juin
2006, le tribunal d’application des peines de Rome accorda au requérant la
détention à domicile pour une durée d’un an (avec obligation de résider à Rome,
autorisation de se rendre à l’hôpital pour les soins, interdiction de détenir
des armes). Le tribunal fonda sa décision sur les conclusions du
rapport médical du 6 juin 2006 et estima que les conditions de santé du
requérant, d’une part, exigeaient des soins qui ne pouvaient pas être prodigués
en prison, et, d’autre part, finissaient par entraîner une « inutile
violation de l’interdiction de traitements inhumains à l’égard du condamné ». L’ordonnance du tribunal d’application
des peines indiquait que le requérant était détenu au pénitencier de Rome-Rebibbia et
que ce dernier était « non apte à gérer la
condition médicale de l’intéressé » (« non (…) idonea a gestire la
situazione sanitaria del predetto »). En réalité, il ressort d’une
note du ministère de
15. Le
23 juin 2006, le conseil du requérant s’adressa au directeur de la prison Regina
Coeli en le priant d’autoriser le transfert de son client auprès de la
clinique dans laquelle la sœur du requérant avait réservé une chambre.
16. Le
7 juillet 2006, le conseil du requérant informa le directeur que la clinique
précédemment choisie avait refusé d’accueillir son client. Toutefois, il
demanda l’autorisation de faire examiner le requérant par un médecin d’une
autre clinique afin de déterminer si, eu égard aux
conditions de santé du patient, l’établissement avait les équipements adéquats.
17. Le
8 septembre 2006, le tribunal d’application des peines révoqua sa décision du
16 juin car la détention à domicile n’avait pas trouvé application faute pour
le requérant d’avoir un domicile adapté à son état.
18. Selon
une note du ministère de
19. Le
29 décembre 2006, la direction générale pour les détenus du ministère de
20. Dans
une note du 5 novembre 2007, le département pour l’administration pénitentiaire
du ministère de
21. Dans
une autre note, datée du 28 janvier 2008, le département pour l’administration
pénitentiaire du ministère de
22. Le
requérant estime que les explications données par le Gouvernement dans la note
citée ci-dessus sont incohérentes et souligne que son état de santé n’a fait
que s’aggraver au cours de sa détention. Il allègue
que son transfert à Parme n’a amené aucune amélioration, le plongeant au
contraire dans une situation de détresse psychologique liée à l’éloignement de
sa sœur et de ses conseils juridiques. Il estime qu’au
lieu de le transférer dans un autre pénitencier, l’Etat aurait dû le placer
dans une structure hospitalière extérieure à la prison.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
23. La
suspension de l’exécution de la peine est prévue par l’article 147 § 1 no 2)
du code pénal, aux termes duquel
« L’exécution d’une peine peut être
suspendue : (...)
2) si une peine privative de liberté
doit être exécutée à l’encontre d’une personne se trouvant en condition
d’infirmité physique grave (...). »
24. Aux
termes de l’article 678 du code de procédure pénale, la décision de suspendre
l’exécution de la peine peut être adoptée même d’office par le tribunal d’application
des peines.
EN DROIT
I. SUR
25. Le
requérant allègue que son maintien en détention en prison constitue un traitement inhumain. Il invoque l’article 3 de
« Nul ne
peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou
dégradants. »
26. Le
Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
27. Le
Gouvernement excipe tout d’abord de l’irrecevabilité de la requête, au motif
qu’elle est essentiellement la même que la requête no 10249/03,
introduite par le même requérant. Dans le cadre de l’examen de cette dernière, par une décision partielle du 8 septembre
2005,
28. Le
requérant observe que sa requête no 10249/03 concernait sa
situation jusqu’à 2003. Or, son état de santé s’est, depuis lors, sérieusement
dégradé à cause, entre autres, de l’accident dont il a été victime le 11 avril
2006. Les faits dénoncés dans la présente requête sont donc différents par
rapport à ceux qui ont fait l’objet de la requête no 10249/03.
29.
30. Il s’ensuit que l’exception du
Gouvernement ne saurait être retenue.
31.
B. Sur le fond
1. Arguments
des parties
(a) Le
requérant
32. Le
requérant estime que compte tenu de son état de santé, dont la gravité a été
reconnue par les autorités elles-mêmes, il aurait dû
être transféré dans une structure hospitalière garantissant une assistance aux
personnes âgées non autonomes. Il observe que suite à
la fracture du fémur, il est contraint de passer toutes ses journées au lit et
manque de toute autonomie. Il n’est donc pas en mesure
d’entamer des recherches pour trouver un centre de soins approprié à son état. Dans ces circonstances, il appartient à l’Etat de trouver un
tel centre. A cet égard, le
requérant rappelle que l’article 3 de
33. Le
requérant souligne que dans son ordonnance du 16 juin 2006, le tribunal
d’application des peines de Rome a affirmé que la continuation de sa détention
aurait constitué un traitement inhumain et dégradant. L’intéressé considère
également que son cas est similaire à l’affaire Farbthus c. Lettonie (no 4672/02,
2 décembre 2004), où
34. Par
ailleurs, le garant des droits des détenus a pour tâche de protéger les
personnes privées de leur liberté contre les abus de l’administration pénitentiaire ; il n’est par contre pas censé se
substituer à ladite administration et aux autorités sanitaires pour combler
leurs lacunes.
35. Enfin,
le requérant allègue que son transfert au pénitencier de Parme l’a privé du
confort des visites de sa sœur, qui constituait son
seul lien familial.
(b) Le
Gouvernement
36. Le
Gouvernement considère que l’administration pénitentiaire et la juridiction
compétente pour l’application des peines ont mis en œuvre toutes les mesures
possibles et nécessaires pour garantir au requérant des conditions de vie compatibles
avec l’article 3 de
37. L’attention
des autorités pour le cas du requérant est démontrée
par l’assignation de l’intéressé à domicile. Malheureusement, cette mesure n’a
pas pu être exécutée pour des raisons non imputables
aux autorités. Par ailleurs, il n’apparaît pas que le
requérant pourrait vivre à domicile sans assistance médicale et paramédicale.
38. Le
Gouvernement souligne que lorsqu’un détenu est
autorisé à vivre en dehors du milieu carcéral, il appartient à l’intéressé de
trouver un endroit adéquat. En effet, l’assignation à domicile est subordonnée à l’existence d’un lieu d’accueil. En
l’absence de celui-ci, les autorités ne pouvaient que révoquer la mesure, le
requérant ne pouvant être abandonné à son sort sans logement et
sans assistance.
39. Enfin,
le Gouvernement rappelle que le requérant a été récemment transféré au pénitencier
de Parme car ce dernier est particulièrement équipé
pour accueillir les détenus handicapés.
2. Appréciation
de
(a)
40. Conformément
à la jurisprudence constante de
41. Pour
qu’une peine et le traitement dont elle s’accompagne puissent être qualifiés
d’« inhumains » ou de « dégradants », la souffrance ou
l’humiliation doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte
inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes (Jalloh
c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 68,
11 juillet 2006).
42. S’agissant
en particulier de personnes privées de liberté, l’article 3 impose à l’Etat
l’obligation positive de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions
compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités
d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou une
épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent
à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la
santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment
par l’administration des soins médicaux requis (Kudła c. Pologne [GC],
no 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI, et Riviere c. France,
no 33834/03, § 62, 11 juillet 2006). Ainsi, le manque de soins
médicaux appropriés, et, plus généralement, la détention d’une personne malade
dans des conditions inadéquates, peut en principe constituer un traitement
contraire à l’article 3 (voir, par exemple, İlhan
c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH
2000-VII, et Gennadi Naumenko précité, § 112). Qui plus, est, outre la santé du prisonnier, c’est son bien-être qui
doit être assuré d’une manière adéquate (Mouisel précité, § 40).
43. Les
conditions de détention d’une personne malade doivent garantir la protection de
sa santé, eu égard aux contingences ordinaires et
raisonnables de l’emprisonnement. Si l’on ne peut en déduire une obligation
générale de remettre en liberté ou bien de transférer dans un
hôpital civil un détenu, même si ce dernier souffre d’une maladie
particulièrement difficile à soigner (Mouisel précité, § 40),
l’article 3 de
44. En
appliquant les principes susmentionnés,
(b) Application
de ces principes au cas d’espèce
45. Dans
la présente affaire, se posent la question de la compatibilité de l’état de
santé du requérant avec son maintien en détention et celle de savoir si cette
situation atteint un niveau suffisant de gravité pour entrer dans le champ
d’application de l’article 3 de
46.
47. A
la lumière de ces avis qualifiés, le 16 juin 2006 le tribunal d’application des
peines de Rome a accordé au requérant la détention à domicile, soulignant que
les soins dont l’intéressé avait besoin ne pouvaient pas être prodigués en
prison et que la continuation de sa privation de liberté dans un pénitencier
aurait constitué un traitement inhumain (paragraphe 14 ci-dessus).
48.
49.
50. En
l’espèce, l’exigence, soulignée par le tribunal d’application des peines de
51. En
conséquence de ce qui précède, le requérant a continué à être détenu dans le
pénitencier de Rome4. Ce n’est
que le 23 septembre 2007, soit plus d’un an après la date à laquelle le tribunal d’application des peines avait constaté
l’impossibilité de détenir le requérant à domicile, que ce dernier a été
transféré dans une autre prison, celle de Parme, dotée de structures qui, selon
le ministère de
52. Partant,
il y a eu violation de cette disposition.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41
DE
53. Aux
termes de l’article 41 de
« Si
A. Dommage
54. Le
requérant réclame 35 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il
aurait subi.
55. Le
Gouvernement estime que cette somme est excessive. Il s’en remet à la sagesse
de
56.
B. Frais
et dépens
57. Sans
s’appuyer sur des notes d’honoraires de ses avocats,
le requérant demande également 5 000 EUR pour les frais et dépens encourus
devant
58. Le
Gouvernement considère que la somme sollicitée devrait
être réduite, compte tenu du fait que l’affaire était simple et n’a requis
aucune activité particulièrement longue ou complexe.
59. Selon
la jurisprudence constante de
C. Intérêts
moratoires
60.
PAR CES MOTIFS,
1. Déclare la
requête recevable ;
2. Dit qu’il
y a eu violation de l’article 3 de
3. Dit
a) que
l’Etat défendeur doit verser au
requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu
définitif conformément à l’article 44 § 2 de
i. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout
montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout
montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et
dépens ;
b) qu’à
compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront
à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt
marginal de
4. Rejette la demande de satisfaction équitable
pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 juin 2008 en
application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Sally
Dollé Françoise Tulkens
Greffière Présidente
1 Rectifié
le 7 avril 2009 : les trois dernières phrases du
§ 14 ont été rajoutées.
2 Rectifié le 7 avril 2009 :
« dans ces deux prisons » a été remplacé par « à la prison de
Rome-Regina Coeli ».
3 Rectifié le 7 avril 2009 :
« (paragraphe 18 ci-dessus) » a été rajouté.
4 Rectifié le 7 avril 2009 :
« -Regina Coeli, que le tribunal d’application des peines avait
estimé non apte à traiter les pathologies de l’intéressé » a été supprimé.
5 Rectifié
le 7 avril 2009 : « sont en contradiction
avec les conclusions du tribunal d’application des peines. » a été
supprimé et remplacé par « ne sauraient justifier le maintien d’un détenu
dans des conditions portant atteinte à sa dignité humaine ».