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Corte europea dei diritti dell’uomo

(Seconda Sezione)

 

10 giugno 2008

 

 

 

 

 

AFFAIRE SCOPPOLA c. ITALIE

 

(Requête n. 50550/06)

 

 

ARRÊT

 

Cette version a été rectifiée le 7 avril 2009

conformément à l’article 81 du règlement de la Cour

STRASBOURG

DÉFINITIF

26/01/2009

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

 

En l’affaire Scoppola c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente, 
 Antonella Mularoni, 
 Vladimiro Zagrebelsky, 
 Danutė Jočienė, 
 Dragoljub Popović, 
 András Sajó, 
 Işıl Karakaş, juges, 
et de Sally Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 mai 2008,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 50550/06) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Franco Scoppola(« le requérant »), a saisi la Cour le 19 décembre 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Mes N. Paoletti et A. Mari, avocats à Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. M. Braguglia, et par son co-agent, M. F. Crisafulli.

3.  Le requérant alléguait que sa détention dans un pénitencier était incompatible avec son état de santé.

4.  Le 13 février 2007, la présidente de la deuxième section de la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

5.  Le requérant est né en 1940 et est actuellement détenu au pénitencier de Parme.

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6.  En septembre 1999, à l’issue d’une dispute avec ses enfants, le requérant tua sa femme et blessa l’un de ses enfants.

7.  Condamné à la réclusion à perpétuité par la cour d’assises d’appel de Rome en janvier 2002, le requérant purgea une partie de sa peine dans l’hôpital de la prison de Regina Coeli à Rome.

8.  En décembre 2003, le requérant, qui ne se déplaçait plus qu’en fauteuil roulant, demanda à être transféré dans une autre prison de Rome où, vu l’absence d’obstacles architecturaux (barriere architettoniche), il pourrait bénéficier des heures de sortie et de conditions de détention plus humaines.

9.  Le 5 avril 2004, le département régional de l’administration pénitentiaire du Latium refusa le transfert, invoquant des difficultés de prise en charge du requérant en raison de son état de santé.

10.  Selon un rapport médical du 9 janvier 2006, établi à la demande du conseil du requérant, les conditions de santé de ce dernier étaient « amplement incompatibles avec la détention en prison et imposaient l’adoption de mesures alternatives à celle-ci, telles le transfert dans un hôpital externe à la prison apte à fournir au requérant les soins adéquats et nécessaires, ou dans un centre de prise en charge et de réhabilitation pour personnes en long séjour exigeant une assistance continue 24 heures sur 24 ».

11.  Le 2 mars 2006, le requérant demanda au tribunal d’application des peines de Rome de lui accorder la détention à domicile ou son hospitalisation à l’extérieur de la prison.

12.  Le 11 avril 2006, le requérant fut hospitalisé à l’hôpital civil Sandro Pertini en raison d’une fracture du fémur.

13.  Il ressort d’un rapport médical rédigé le 6 juin 2006 que la pose d’une prothèse de la hanche envisagée immédiatement après l’arrivée du patient ne fut pas réalisée au motif que, le requérant ne marchant plus depuis 1987, l’intervention chirurgicale aurait été inutile et dangereuse. Selon le médecin rédacteur du rapport, le requérant pouvait quitter l’hôpital à condition d’être transféré dans un centre de traitements équipé pour lui dispenser les soins nécessaires (en particulier, assistance continue, mise à disposition d’un matelas spécial anti-escarres, kinésithérapie passive).

14.  Par une ordonnance du 16 juin 2006, dont le texte fut déposé au greffe le 21 juin 2006, le tribunal d’application des peines de Rome accorda au requérant la détention à domicile pour une durée d’un an (avec obligation de résider à Rome, autorisation de se rendre à l’hôpital pour les soins, interdiction de détenir des armes). Le tribunal fonda sa décision sur les conclusions du rapport médical du 6 juin 2006 et estima que les conditions de santé du requérant, d’une part, exigeaient des soins qui ne pouvaient pas être prodigués en prison, et, d’autre part, finissaient par entraîner une « inutile violation de l’interdiction de traitements inhumains à l’égard du condamné ». L’ordonnance du tribunal d’application des peines indiquait que le requérant était détenu au pénitencier de Rome-Rebibbia et que ce dernier était « non apte à gérer la condition médicale de l’intéressé » (« non (…) idonea a gestire la situazione sanitaria del predetto »). En réalité, il ressort d’une note du ministère de la Justice du 19 septembre 2007 que le 14 juin 2006 (et donc avant le prononcé de l’ordonnance du tribunal d’application des peines), à sa sortie de l’hôpital Sandro Pertini, le requérant avait été transféré à la prison de Rome-Regina Coeli. La note en question précise que depuis le 14 juin 2006 le requérant était contraint de rester dans son lit et que dès lors ne pouvait ni se doucher ni bénéficier de la promenade en plein air ; avec l’aide d’un autre prisonnier il était en mesure de se laver et de prendre soin de son hygiène.1

15.  Le 23 juin 2006, le conseil du requérant s’adressa au directeur de la prison Regina Coeli en le priant d’autoriser le transfert de son client auprès de la clinique dans laquelle la sœur du requérant avait réservé une chambre.

16.  Le 7 juillet 2006, le conseil du requérant informa le directeur que la clinique précédemment choisie avait refusé d’accueillir son client. Toutefois, il demanda l’autorisation de faire examiner le requérant par un médecin d’une autre clinique afin de déterminer si, eu égard aux conditions de santé du patient, l’établissement avait les équipements adéquats.

17.  Le 8 septembre 2006, le tribunal d’application des peines révoqua sa décision du 16 juin car la détention à domicile n’avait pas trouvé application faute pour le requérant d’avoir un domicile adapté à son état.

18.  Selon une note du ministère de la Justice du 13 mars 2007, le requérant avait été transféré au centre clinique du pénitencier Regina Coeli de Rome afin de contrôler son état de santé, en particulier ses pathologies métaboliques, et pour lui assurer des séances de kinésithérapie, de nature à éviter un affaiblissement de sa masse musculaire et à préserver la mobilité de ses jambes. Il était contraint de se déplacer dans un fauteuil roulant à cause d’une fracture du fémur droit. La prisonRegina Coeli disposait de moyens pour éliminer les obstacles architecturaux et un matelas anti-escarres avait été mis à la disposition du requérant. Des contrôles d’endocrinologie avaient été effectués pour réduire l’administration d’insuline et entamer une thérapie orale avec une alimentation adéquate. De tests cardiologiques n’avaient mis en évidence aucune anomalie, alors que les examens urologiques avaient montré une hypertrophie de la prostate. Un suivi psychiatrique avait été mis en place pour surveiller la dépression dont le requérant souffrait. Enfin, le pénitencier Regina Coeli avait demandé au garant des droits des détenus pour le Latium d’étudier la possibilité de transférer le requérant dans de structures d’accueil à l’extérieur du pénitencier, et le requérant avait été à plusieurs reprises transféré auprès de structures hospitalières civiles.

19.  Le 29 décembre 2006, la direction générale pour les détenus du ministère de la Justice ordonna le transfert du requérant au pénitencier de Parme, qui disposait de structures adaptées aux exigences des personnes handicapées. Ce transfert fut effectué le 23 septembre 2007. Par une télécopie du 1er octobre 2007, le requérant a affirmé que ce transfert l’a plongé dans l’angoisse, le privant de la possibilité de recevoir des visites régulières de la part de sa sœur et de son avocat, tous les deux résidants à Rome.

20.  Dans une note du 5 novembre 2007, le département pour l’administration pénitentiaire du ministère de la Justice a précisé que le transfert du requérant au pénitencier de Parme s’expliquait par ses difficultés de mobilité. En effet, suite à une chute du lit qu’il occupait dans le pénitencier de Rome, le requérant s’était fracturé le fémur gauche. Il avait été hospitalisé, mais les médecins avaient estimé qu’il ne pouvait pas être opéré à cause de ses pathologies cardiaques. A Parme, le requérant fut soumis à des tests cliniques afin de mieux traiter ses maladies. En septembre et octobre 2007, il fut soumis à une radiographie nasale et à des examens neurologique, urologique et cardiologique. Ces derniers examens n’ont décelé aucune pathologie significative. Une endoscopie nasale et un contrôle urologique ultérieur, visant à déceler l’existence éventuelle d’un calcul à la vessie, ont été programmés. Par ailleurs, le requérant avait été hospitalisé à la suite d’épisodes d’occlusion intestinale dénoncés pendant sa détention au pénitencier de Regina Coeli. Malgré l’avis contraire de ses médecins traitants, il avait décidé de quitter l’hôpital. Par conséquent, un médecin du pénitencier de Parme a été chargé d’effectuer une colonoscopie.

21.  Dans une autre note, datée du 28 janvier 2008, le département pour l’administration pénitentiaire du ministère de la Justice a précisé que le transfert du requérant au pénitencier de Parme a eu lieu seulement le 23 septembre 2007 car, pendant son séjour à Regina Coeli, l’intéressé avait suivi un cycle d’activités de diagnose et de thérapie que la direction sanitaire n’estimait pas opportun d’interrompre. Par ailleurs, au cours de sa détention, le requérant a été hospitalisé dans des hôpitaux civils pendant les périodes suivantes : du 22 au 23 janvier 2002 suite à un malaise ; du 11 avril au 14 juin 2006 en raison d’une fracture au fémur ; du 18 janvier au 13 février 2007 et du 11 au 13 septembre 2007 à cause d’occlusions intestinales ; du 19 mai au 19 juin 2007 pour évaluer l’opportunité d’une intervention chirurgicale au fémur.

22.  Le requérant estime que les explications données par le Gouvernement dans la note citée ci-dessus sont incohérentes et souligne que son état de santé n’a fait que s’aggraver au cours de sa détention. Il allègue que son transfert à Parme n’a amené aucune amélioration, le plongeant au contraire dans une situation de détresse psychologique liée à l’éloignement de sa sœur et de ses conseils juridiques. Il estime qu’au lieu de le transférer dans un autre pénitencier, l’Etat aurait dû le placer dans une structure hospitalière extérieure à la prison.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

23.  La suspension de l’exécution de la peine est prévue par l’article 147 § 1 no 2) du code pénal, aux termes duquel

« L’exécution d’une peine peut être suspendue : (...)

2) si une peine privative de liberté doit être exécutée à l’encontre d’une personne se trouvant en condition d’infirmité physique grave (...). »

24.  Aux termes de l’article 678 du code de procédure pénale, la décision de suspendre l’exécution de la peine peut être adoptée même d’office par le tribunal d’application des peines.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

25.  Le requérant allègue que son maintien en détention en prison constitue un traitement inhumain. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

26.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A.  Sur la recevabilité

27.  Le Gouvernement excipe tout d’abord de l’irrecevabilité de la requête, au motif qu’elle est essentiellement la même que la requête no 10249/03, introduite par le même requérant. Dans le cadre de l’examen de cette dernière, par une décision partielle du 8 septembre 2005, la Cour a rejeté un grief tiré d’une méconnaissance des articles 3 et 14 de la Convention à cause des conditions de vie du requérant en prison.

28.  Le requérant observe que sa requête no 10249/03 concernait sa situation jusqu’à 2003. Or, son état de santé s’est, depuis lors, sérieusement dégradé à cause, entre autres, de l’accident dont il a été victime le 11 avril 2006. Les faits dénoncés dans la présente requête sont donc différents par rapport à ceux qui ont fait l’objet de la requête no 10249/03.

29.  La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 2 b) de la Convention, elle ne retient aucune requête individuelle lorsqu’elle est « essentiellement la même qu’une requête précédemment examinée par la Cour (...) et (...) ne contient pas des faits nouveaux ». En l’espèce, dans le cadre de l’examen de la requête no10249/03, la Cour s’est prononcée sur la compatibilité entre l’état de santé du requérant et son maintien en détention sur la base des informations qui lui étaient disponibles au moment de la décision sur la recevabilité, prise le 8 septembre 2005. Dans le cadre de la présente requête, le requérant a produit des certificats médicaux établi après cette date et des décisions judiciaires prononcées les 16 juin et 8 septembre 2006. La Cour estime que ces documents constituent des « faits nouveaux » aux termes de l’article 35 § 2 b).

30.  Il s’ensuit que l’exception du Gouvernement ne saurait être retenue.

31.  La Cour constate par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Arguments des parties

(a)  Le requérant

32.  Le requérant estime que compte tenu de son état de santé, dont la gravité a été reconnue par les autorités elles-mêmes, il aurait dû être transféré dans une structure hospitalière garantissant une assistance aux personnes âgées non autonomes. Il observe que suite à la fracture du fémur, il est contraint de passer toutes ses journées au lit et manque de toute autonomie. Il n’est donc pas en mesure d’entamer des recherches pour trouver un centre de soins approprié à son état. Dans ces circonstances, il appartient à l’Etat de trouver un tel centre. A cet égard, le requérant rappelle que l’article 3 de la Convention peut être enfreint aussi par une inaction ou un manque de diligence de la part des autorités publiques.

33.  Le requérant souligne que dans son ordonnance du 16 juin 2006, le tribunal d’application des peines de Rome a affirmé que la continuation de sa détention aurait constitué un traitement inhumain et dégradant. L’intéressé considère également que son cas est similaire à l’affaire Farbthus c. Lettonie (no 4672/02, 2 décembre 2004), où la Cour a conclu à la violation de l’article 3.

34.  Par ailleurs, le garant des droits des détenus a pour tâche de protéger les personnes privées de leur liberté contre les abus de l’administration pénitentiaire ; il n’est par contre pas censé se substituer à ladite administration et aux autorités sanitaires pour combler leurs lacunes.

35.  Enfin, le requérant allègue que son transfert au pénitencier de Parme l’a privé du confort des visites de sa sœur, qui constituait son seul lien familial.

(b)  Le Gouvernement

36.  Le Gouvernement considère que l’administration pénitentiaire et la juridiction compétente pour l’application des peines ont mis en œuvre toutes les mesures possibles et nécessaires pour garantir au requérant des conditions de vie compatibles avec l’article 3 de la Convention et pour lui prodiguer les soins dont il a besoin. L’intéressé a été transféré du pénitencier de Rebibbia à celui de Regina Coeli, équipé de moyens nécessaires à éliminer les obstacles architecturaux et disposant d’un centre de soins. Le requérant a bénéficié d’un matelas anti-escarres, d’une surveillance médicale constante, d’une thérapie pharmacologique et d’une assistance psychiatrique. Il a à plusieurs reprises été transféré auprès d’hôpitaux civils. Après l’échec de la mesure de détention à domicile, l’administration s’est activée pour garantir au requérant une possibilité d’insertion dans une structure d’accueil adéquate en milieu libre protégé.

37.  L’attention des autorités pour le cas du requérant est démontrée par l’assignation de l’intéressé à domicile. Malheureusement, cette mesure n’a pas pu être exécutée pour des raisons non imputables aux autorités. Par ailleurs, il n’apparaît pas que le requérant pourrait vivre à domicile sans assistance médicale et paramédicale.

38.  Le Gouvernement souligne que lorsqu’un détenu est autorisé à vivre en dehors du milieu carcéral, il appartient à l’intéressé de trouver un endroit adéquat. En effet, l’assignation à domicile est subordonnée à l’existence d’un lieu d’accueil. En l’absence de celui-ci, les autorités ne pouvaient que révoquer la mesure, le requérant ne pouvant être abandonné à son sort sans logement et sans assistance.

39.  Enfin, le Gouvernement rappelle que le requérant a été récemment transféré au pénitencier de Parme car ce dernier est particulièrement équipé pour accueillir les détenus handicapés.

2.  Appréciation de la Cour

(a)  Principes généraux

40.  Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, entre autres, Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, § 24, CEDH 2001-VII,Mouisel c. France, no 67263/01, § 37, CEDH 2002-IX, et Gennadi Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 108, 10 février 2004). Les allégations de mauvais traitements doivent être étayées par des éléments de preuve appropriés (voir, mutatis mutandisKlaas c. Allemagne, arrêt du 22 septembre 1993, série A no 269, § 30). Pour l’appréciation de ces éléments, la Cour se rallie au principe de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable », mais ajoute qu’une telle preuve peut résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, § 161 in fine, et Labita c. Italie [GC], n26772/95, § 121, CEDH 2000-IV).

41.  Pour qu’une peine et le traitement dont elle s’accompagne puissent être qualifiés d’« inhumains » ou de « dégradants », la souffrance ou l’humiliation doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes (Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 68, 11 juillet 2006).

42.  S’agissant en particulier de personnes privées de liberté, l’article 3 impose à l’Etat l’obligation positive de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Kudła c. Pologne [GC], n30210/96, § 94, CEDH 2000-XI, et Riviere c. France, no 33834/03, § 62, 11 juillet 2006). Ainsi, le manque de soins médicaux appropriés, et, plus généralement, la détention d’une personne malade dans des conditions inadéquates, peut en principe constituer un traitement contraire à l’article 3 (voir, par exemple, İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII, et Gennadi Naumenko précité, § 112). Qui plus, est, outre la santé du prisonnier, c’est son bien-être qui doit être assuré d’une manière adéquate (Mouisel précité, § 40).

43.  Les conditions de détention d’une personne malade doivent garantir la protection de sa santé, eu égard aux contingences ordinaires et raisonnables de l’emprisonnement. Si l’on ne peut en déduire une obligation générale de remettre en liberté ou bien de transférer dans un hôpital civil un détenu, même si ce dernier souffre d’une maladie particulièrement difficile à soigner (Mouisel précité, § 40), l’article 3 de la Convention impose en tout cas à l’Etat de protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté. La Cour ne saurait exclure que, dans des conditions particulièrement graves, l’on puisse se trouver en présence de situations où une bonne administration de la justice pénale exige que des mesures de nature humanitaire soient prises pour y parer (Matencio c. France, no58749/00, § 76,15 janvier 2004, et Sakkopoulos c. Grèce, no 61828/00, § 38, 15 janvier 2004).

44.  En appliquant les principes susmentionnés, la Cour a déjà conclu que le maintien en détention pour une période prolongée d’une personne d’un âge avancé, et de surcroît malade, peut entrer dans le champ de protection de l’article 3 (Papon c. France (no 1) (déc.), no 64666/01, CEDH 2001-VI ; Sawoniuk c. Royaume-Uni (déc.), no 63716/00, CEDH 2001-VI, et Priebke c. Italie (déc.), no 48799/99, 5 avril 2001). De plus, la Cour a jugé que maintenir en détention une personne tétraplégique, dans des conditions inadaptées à son état de santé, était constitutif d’un traitement dégradant (Price précité, § 30). Elle a aussi considéré que certains traitements peuvent enfreindre l’article 3 du fait qu’ils sont infligés à une personne souffrant de troubles mentaux (Keenan c. Royaume-Uni, no27229/95, §§ 111-115, CEDH 2001-III). Cela étant, la Cour doit tenir compte, notamment, de trois éléments afin d’examiner la compatibilité d’un état de santé préoccupant avec le maintien en détention du requérant, à savoir : a) la condition du détenu, b) la qualité des soins dispensés et c) l’opportunité de maintenir la détention au vu de l’état de santé du requérant (Farbthus précité§ 53, et Sakkopoulos précité, § 39).

(b)  Application de ces principes au cas d’espèce

45.  Dans la présente affaire, se posent la question de la compatibilité de l’état de santé du requérant avec son maintien en détention et celle de savoir si cette situation atteint un niveau suffisant de gravité pour entrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention.

46.  La Cour observe d’emblée que le requérant, qui n’a plus marché depuis 1987 et a subi, en avril 2006, une fracture du fémur, ne peut se déplacer qu’en fauteuil roulant. Il manque de toute autonomie et affirme être contraint de passer toutes ses journées au lit, ce qui n’a pas été contesté par le Gouvernement. Agé de 67 ans, il souffre de pathologies cardiaques et du métabolisme, de diabète, d’un affaiblissement de sa masse musculaire, d’hypertrophie de la prostate et de dépression. L’expert commis par le requérant a conclu que l’état de santé de ce dernier était incompatible avec la détention en prison, compte tenu de l’exigence pour l’intéressé d’être continuellement assisté (paragraphe 10 ci-dessus). Cet avis semble confirmé par le rapport médical du 6 juin 2006, suggérant le transfert du requérant dans un centre de soins suffisamment équipé (paragraphe 13 ci-dessus).

47.  A la lumière de ces avis qualifiés, le 16 juin 2006 le tribunal d’application des peines de Rome a accordé au requérant la détention à domicile, soulignant que les soins dont l’intéressé avait besoin ne pouvaient pas être prodigués en prison et que la continuation de sa privation de liberté dans un pénitencier aurait constitué un traitement inhumain (paragraphe 14 ci-dessus). La Cour ne voit aucune raison de revenir sur cette conclusion, à laquelle les autorités internes sont parvenues sur la base d’un examen du dossier du requérant.

48.  La Cour note également que la décision de faire purger au requérant sa peine en dehors du milieu carcéral, inspirée par la nécessité d’éviter une violation de l’interdiction de traitements inhumains, a été révoquée le 8 septembre 2006, faute pour le requérant d’avoir un domicile adapté à son état de santé (paragraphe 17 ci-dessus). Le requérant a partant continué à être détenu dans un pénitencier.

49.  La Cour ne saurait ignorer les efforts déployés par les autorités internes, qui ont placé le requérant dans un pénitencier disposant d’un centre clinique et de moyens pour éliminer les obstacles architecturaux, à savoir celui de Parme. Par ailleurs, à la prison de Rome-Regina Coeli2 le requérant a été soumis à des nombreux examens médicaux, visant à traiter ses pathologies du métabolisme, et a bénéficié de séances de kinésithérapie (paragraphe 18 ci-dessus)3. Cependant, l’absence, dans le chef des autorités nationales, d’une volonté d’humilier ou de rabaisser l’intéressé n’exclut pas définitivement un constat de violation de l’article 3 ; cette disposition peut aussi bien être enfreinte par une inaction ou un manque de diligence de la part des autorités publiques (Farbthus précit駠58).

50.  En l’espèce, l’exigence, soulignée par le tribunal d’application des peines de Rome, de placer le requérant en dehors du milieu carcéral est restée lettre morte pour des raisons qui ne sauraient être imputées à l’intéressé. Aux yeux de la Cour, dans des circonstances telles que celles de la présente affaire, une fois établi que la tentative de placer le requérant en détention à domicile ne pouvait aboutir, il appartenait aux autorités de s’activer pour satisfaire à l’obligation qui est la leur d’assurer des conditions de privation de liberté conformes à la dignité humaine. En particulier, le requérant ne pouvant pas être soigné à son domicile et aucune structure d’accueil idoine n’étant disposée à le prendre en charge, l’Etat aurait dû soit transférer sans délai l’intéressé dans une prison mieux équipée afin d’exclure tout risque de traitements inhumains, soit suspendre l’exécution d’une peine qui s’analysait désormais en traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Cependant, dans sa décision révoquant la mesure de détention à domicile du requérant, le tribunal d’application des peines de Rome n’a pas pris en considération cette dernière possibilité qui, selon les dispositions internes pertinentes, aurait pu être examinée même d’office (paragraphe 24 ci-dessus).

51.  En conséquence de ce qui précède, le requérant a continué à être détenu dans le pénitencier de Rome4. Ce n’est que le 23 septembre 2007, soit plus d’un an après la date à laquelle le tribunal d’application des peines avait constaté l’impossibilité de détenir le requérant à domicile, que ce dernier a été transféré dans une autre prison, celle de Parme, dotée de structures qui, selon le ministère de la Justice, peuvent faire face aux difficultés de mobilité du condamné. La Cour estime de ne pas disposer, à présent, d’éléments suffisants pour se prononcer sur la qualité de ces structures ou, plus en général, sur les conditions de la détention du requérant à Parme. Elle se borne à observer que la continuation de son séjour au pénitencier de Regina Coeli dans les circonstances mentionnées plus haut n’a pu que le placer dans une situation susceptible de susciter, chez lui, des sentiments constants d’angoisse, d’infériorité et d’humiliation suffisamment forts pour constituer un « traitement inhumain ou dégradant », au sens de l’article 3 de la Convention. Les explications données par le Gouvernement pour justifier le retard dans le transfert au pénitencier de Parme – à savoir, qu’il n’était pas opportun d’interrompre les thérapies en cours à la prison de Regina Coeli (paragraphe 21 ci-dessus) –, ne sauraient justifier le maintien d’un détenu dans des conditions portant atteinte à sa dignité humaine.5

52.  Partant, il y a eu violation de cette disposition.

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

53.  Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

54.  Le requérant réclame 35 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

55.  Le Gouvernement estime que cette somme est excessive. Il s’en remet à la sagesse de la Cour, la priant de tenir compte de toutes les circonstances particulières de l’affaire.

56.  La Cour considère que le requérant a subi un tort moral certain. Elle considère cependant excessif le montant sollicité. Statuant en équité, elle décide d’octroyer au requérant 5 000 EUR au titre du préjudice moral.

B.  Frais et dépens

57.  Sans s’appuyer sur des notes d’honoraires de ses avocats, le requérant demande également 5 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour.

58.  Le Gouvernement considère que la somme sollicitée devrait être réduite, compte tenu du fait que l’affaire était simple et n’a requis aucune activité particulièrement longue ou complexe.

59.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation des frais et dépens exposés par le requérant ne peut intervenir que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Belziuk c. Pologne, arrêt du 25 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, § 49). En l’espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR au titre des frais et dépens pour la procédure devant elle et l’accorde au requérant.

C.  Intérêts moratoires

60.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3.  Dit

a)  que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i.  5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii.  5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 juin 2008 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Sally Dollé Françoise Tulkens  
 Greffière Présidente

1 Rectifié le 7 avril 2009 : les trois dernières phrases du § 14 ont été rajoutées.



2 Rectifié le 7 avril 2009 : « dans ces deux prisons » a été remplacé par « à la prison de Rome-Regina Coeli ».



3 Rectifié le 7 avril 2009 : « (paragraphe 18 ci-dessus) » a été rajouté.



4 Rectifié le 7 avril 2009 : « -Regina Coeli, que le tribunal d’application des peines avait estimé non apte à traiter les pathologies de l’intéressé » a été supprimé.



5 Rectifié le 7 avril 2009 : « sont en contradiction avec les conclusions du tribunal d’application des peines. » a été supprimé et remplacé par « ne sauraient justifier le maintien d’un détenu dans des conditions portant atteinte à sa dignité humaine ».