Corte europea dei diritti dellâuomo
(Grande Camera), 10 aprile 2007
(requĂȘte n.
6339/05)
AFFAIRE EVANS
c. ROYAUME-UNI
Cet arrĂȘt est dĂ©finitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Evans c. Royaume-Uni,
La Cour européenne des Droits de
l'Homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis,
président,
J.-P. Costa,
Sir Nicolas Bratza,
MM. B.M. Zupančič,
P. Lorenzen,
R. TĂŒrmen,
V. Butkevych,
Mmes N. Vajić,
M. Tsatsa-Nikolovska,
MM. A.B. Baka,
A. Kovler,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Mularoni,
M. D. Spielmann,
Mme R. Jaeger,
M. David Thór Björgvinsson,
Mme I. Ziemele, juges,
et de M. E. Fribergh, greffier,
AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 novembre 2006 et
le 12 mars 2007,
Rend l'arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă cette derniĂšre date :
PROCĂDURE
1. A
l'origine de l'affaire se trouve une requĂȘte (no 6339/05) dirigĂ©e
contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et dont une
ressortissante de cet Etat, Mme Natallie Evans (« la requérante »), a saisi la Cour le 11 février 2005
en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme
et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La
requérante, qui a été admise au bénéfice de l'assistance judiciaire, a été
représentée par Me M. Lyons, avocat à Londres. Le gouvernement britannique (« le
Gouvernement ») a été représenté par ses agents, Mmes Emily
Willmott et Kate McCleery, du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres et du
Commonwealth.
3. Invoquant les articles 2, 8 et 14 de
la Convention, la requérante se plaignait que le droit interne autorisùt son
ex-compagnon à révoquer de maniÚre effective son consentement à la conservation
et à l'utilisation des embryons créés par eux conjointement.
4. La
requĂȘte a Ă©tĂ© attribuĂ©e Ă la quatriĂšme section de la Cour (article 52
§ 1 du rÚglement de la Cour). Au sein de celle-ci, la chambre chargée
d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément
à l'article 26 § 1 du rÚglement.
5. Le
27 février 2005, le président de la chambre a décidé d'indiquer au
Gouvernement, en vertu de l'article 39 du rĂšglement de la Cour, que, sans
préjudice d'une éventuelle décision de la Cour sur le fond, il était
souhaitable, dans l'intĂ©rĂȘt du bon dĂ©roulement de la procĂ©dure, que le
Gouvernement prßt les mesures nécessaires pour que les embryons fussent
conservĂ©s jusqu'Ă ce que la Cour eĂ»t terminĂ© d'examiner l'affaire. Le mĂȘme
jour, le président a décidé, sur le fondement de l'article 41 du rÚglement, que
la requĂȘte devait ĂȘtre traitĂ©e par prioritĂ©, sur le fondement de l'article 29
§ 3 de la Convention et de l'article 54A du rÚglement, que la recevabilité
et le fond de l'affaire seraient examinés conjointement, et sur le fondement de
l'article 54 § 2 b) du rĂšglement, que le Gouvernement devait ĂȘtre invitĂ© Ă
soumettre par écrit des observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la
requĂȘte. Le 7 juin 2005, la Chambre a confirmĂ© les dĂ©cisions ci-dessus (article
54 § 3 du rÚglement).
6. Le
7 mars 2006, aprÚs une audience consacrée à la recevabilité et au fond de la
requĂȘte (article 54 § 3 du rĂšglement), la chambre, composĂ©e de
M. J. Casadevall, président, Sir Nicolas Bratza, M. M.
PellonpÀÀ, M. R. Maruste, M. K. Traja, Mme L. Mijovic et
de M. J. Ć ikuta, juges, ainsi que de M. M. O'Boyle, greffier de
section, a rendu un arrĂȘt dĂ©clarant la requĂȘte recevable et concluant, Ă
l'unanimité, à la non-violation des articles 2 et 14 de la Convention et,
par cinq voix contre deux, Ă la non-violation de l'article 8. A l'arrĂȘt se
trouvait joint l'exposé de l'opinion dissidente commune à M. Traja et Mme
Mijovic.
7. Le
5 juin 2006, la requérante a sollicité le renvoi de l'affaire devant la Grande
Chambre au titre de l'article 43 de la Convention. Le 3 juillet 2006, un
collĂšge de la Grande Chambre a fait droit Ă cette demande. Le mĂȘme jour, le
président de la Cour a décidé d'inviter le Gouvernement à reconduire les
mesures indiquées le 22 février 2005 en application de l'article 39 du
rĂšglement (paragraphe 5 ci-dessus).
8. La
composition de la Grande Chambre a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e conformĂ©ment aux articles 27 §§
2 et 3 de la Convention et 24 du rĂšglement.
9. Tant
la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations sur le fond de
l'affaire.
10. Une
audience s'est dĂ©roulĂ©e en public au Palais des Droits de l'Homme, Ă
Strasbourg, le 22 novembre 2006 (article 59 § 3 du rÚglement).
Ont comparu :
â pour le
Gouvernement
Mme H. Mulvein, agent,
MM. P. Sales, QC,
J. Coppel, conseils,
Mmes K. Arnold,
G. Skinner, conseillers ;
â pour la requĂ©rante
M. R. Tolson, QC,
Mme S. Freeborn, conseils,
M. M. Lyons, solicitor,
Mmes A. Murphy O'Reilly, conseiller,
N. Evans, requérante.
La Cour a entendu M. Sales et
M. Tolson en leurs déclarations ainsi qu'en leurs réponses aux questions des
juges Spielmann, TĂŒrmen, Myjer, David ThĂłr Björgvinsson, Costa et Zagrebelsky.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPĂCE
11. La requérante est née en octobre
1971 et réside à Wiltshire.
12. Les faits, tels qu'ils ont été
établis par le juge Wall, qui a entendu les dépositions orales des parties
(paragraphe 20 ci-dessous), sont les suivants.
A. Le traitement par FIV
13. Le 12 juillet 2000, la requérante
et son compagnon, J. (né en novembre 1976), entamÚrent un traitement dans une
clinique de Bath spécialisée dans la procréation médicalement assistée
(ci-aprÚs « la clinique »). La requérante avait été adressée à cette
clinique pour un traitement cinq ans auparavant, alors qu'elle était mariée,
mais, le couple s'étant séparé, le traitement n'avait pas été poursuivi.
14. Le 10 octobre 2000, lors d'une
consultation à la clinique, la requérante et J. furent informés que des tests
préliminaires avaient révélé que la jeune femme présentait de graves tumeurs
précancéreuses aux deux ovaires et qu'elle devrait subir une ovariectomie
bilatérale. On leur indiqua que, les tumeurs se développant lentement, il
serait possible de prélever quelques ovules avant l'ablation, en vue d'une
fécondation in vitro (« FIV »), mais que ce prélÚvement
devrait intervenir à bref délai.
15. La
consultation du 10 octobre 2000 dura environ une heure au total. Une infirmiĂšre
expliqua à la requérante et J. qu'ils devraient signer chacun un formulaire
pour exprimer leur consentement au traitement par FIV, et que, conformément aux
dispositions de la loi de 1990 sur la fécondation et l'embryologie humaines (Human
Fertilisation and Embryology Act 1990, ci-aprÚs « la loi de
1990 »), chacun d'eux aurait la possibilitĂ© de retirer son consentement Ă
tout moment tant que les embryons n'auraient pas été implantés dans l'utérus de
la requérante (paragraphe 37 ci-dessous). Celle-ci demanda à l'infirmiÚre s'il
serait possible de congeler ses ovules non fécondés, mais s'entendit répondre
que la clinique ne pratiquait pas cette technique, qui se caractérisait par un
taux de réussite bien moins élevé. J. tenta alors de rassurer la
requérante en lui disant qu'ils n'allaient pas se séparer, qu'elle n'avait pas
besoin d'envisager la congélation de ses ovules, qu'il ne fallait pas voir les
choses de maniĂšre nĂ©gative et qu'il voulait ĂȘtre le pĂšre de l'enfant qu'elle
mettrait au monde.
16. Par
la suite, le couple donna les consentements nécessaires en signant les
formulaires prévus par la loi de 1990 (paragraphe 37 ci-dessous).
Directement
sous le titre du formulaire figurait la consigne suivante :
« N.B. â Ne
signez le présent formulaire que si vous avez reçu des informations sur le
sujet et si l'on vous a proposé des conseils. Vous pouvez modifier les conditions de votre consentement à tout moment,
sauf s'agissant de sperme ou d'embryons déjà utilisés. Veuillez, selon les cas,
inscrire un chiffre ou cocher une case. »
Par les cases qu'il cocha, J. exprima son
consentement à ce que son sperme fût utilisé pour féconder les ovules de la
requérante in vitro et à ce que les embryons ainsi créés fussent
utilisĂ©s aux fins du traitement conjoint de la requĂ©rante et de lui-mĂȘme. Dans
la rubrique « conservation », il choisit que les embryons obtenus in
vitro à partir de son sperme fussent conservés durant la période maximale
de dix ans et que la conservation du sperme et des embryons se poursuivĂźt s'il
venait à décéder ou à perdre ses facultés mentales avant l'expiration de ce
délai. La requérante signa un formulaire qui était pratiquement identique à celui
de J., Ă cette exception prĂšs qu'il concernait non pas le sperme, mais les
ovules. Comme J., elle consentit, par les cases qu'elle cocha, Ă son propre
traitement et à son traitement « avec un partenaire nommément
désigné ».
17. Le
12 novembre 2001, le couple se rendit Ă la clinique et onze ovules furent
prélevés et fécondés. Six embryons furent ainsi créés et mis en conservation.
Le 26 novembre, la requérante subit l'ablation de ses deux ovaires. On
l'informa qu'il lui faudrait attendre deux ans avant de pouvoir tenter
d'implanter un embryon dans son utérus.
B. La
procédure devant la High Court
18. En
mai 2002, la relation entre J. et la requérante prit fin. Ils discutÚrent du
devenir des embryons. Le 4 juillet 2002, J. Ă©crivit Ă la clinique pour
l'informer que le couple s'était séparé et qu'il voulait que les embryons
soient détruits.
19. La
clinique avisa la requĂ©rante que J. avait retirĂ© son consentement Ă
l'utilisation ultérieure des embryons et qu'elle se trouvait par conséquent
dans l'obligation légale de les détruire, en application de l'article 8 § 2 de
l'annexe 3 à la loi de 1990 (paragraphe 37 ci-dessous). La requérante entama
une procédure devant la High Court. Elle sollicitait de celle-ci une
ordonnance enjoignant à J. de rétablir son consentement à l'utilisation et à la
conservation des embryons, et une déclaration précisant, entre autres, que J.
n'avait pas modifié son consentement du 10 octobre 2001 et ne pouvait pas le
faire. Elle demandait aussi Ă la High Court de dire, en vertu de la loi
de 1998 sur les droits de l'homme (Human Rights Act 1998), que l'article
12 et l'annexe 3 de la loi de 1990 Ă©taient incompatibles avec la Convention et
portaient atteinte à ses droits résultant des articles 8, 12 et 14 de celle-ci.
En outre, elle alléguait que les embryons avaient droit à la protection prévue
aux articles 2 et 8 de la Convention. La High Court rendit des
ordonnances provisoires imposant Ă la clinique de conserver les embryons
jusqu'à la fin de la procédure.
20. Avant de statuer au fond, le juge
Wall tint une audience qui dura cinq jours, au cours desquels il entendit
notamment la requérante et J. Le 1er octobre 2003, il rejeta
les demandes de la requérante par un jugement de 65 pages (Evans v. Amicus Healthcare Ltd and
others, [2003] EWHC 2161 (Fam)).
21. Il conclut qu'aux termes de la loi
de 1990, et pour des motifs d'ordre public, J. n'avait jamais eu la faculté de
consentir sans équivoque à ce que les embryons fussent utilisés quoi qu'il
arrivĂąt. Il observa par ailleurs que J. n'avait consenti qu'Ă un traitement
« conjoint » avec la requérante, et non à un traitement que celle-ci
pourrait poursuivre seule en cas de séparation. Le juge Wall rejeta donc la
thÚse de la requérante selon laquelle J. était forclos à retirer son
consentement. Il considéra en effet que l'intéressée et J. avaient tous deux
entrepris le traitement dans la conviction que leur relation serait durable. Le
10 octobre 2001, J. avait de son mieux tenté de rassurer la requérante en lui
disant qu'il l'aimait et voulait ĂȘtre le pĂšre des enfants qu'elle mettrait au
monde ; il avait ainsi exprimé en toute sincérité les sentiments qu'il
éprouvait à ce moment-là , mais ne s'était pas engagé définitivement. Le juge Wall fit observer que les paroles d'affection
et de réconfort de ce type étaient chose courante dans le domaine des relations
personnelles, mais qu'elles n'avaient â et ne pouvaient avoir â aucun effet
juridique permanent. En entreprenant un traitement par FIV avec J., la
requérante avait suivi la seule voie réaliste qui s'offrait à elle. Le juge
Wall poursuivit ainsi :
« Toutefois,
mĂȘme si j'ai tort sur ce point, et mĂȘme s'il peut y avoir forclusion en vertu
de la loi, je ne pense pas, pour les raisons que j'ai exposées, qu'il soit
abusif d'autoriser [J.] à révoquer son consentement. C'est un droit que lui
confÚre la loi dans le cadre du régime sans ambiguïté mis en place par le
Parlement. C'est sur cette base que l'intéressé a donné son consentement le 10
octobre 2001. Il est tout Ă fait normal, compte tenu du changement de
situation, qu'il ne veuille pas ĂȘtre le pĂšre d'un enfant de Mme Evans. »
22. En
ce qui concerne les griefs que la requérante tirait de la Convention, le juge
Wall estima en substance qu'un embryon n'Ă©tait pas une personne jouissant de
droits protégés par la Convention, et que le droit de la requérante au respect
de sa vie familiale ne se trouvait pas en jeu. Il reconnut toutefois que les
dispositions litigieuses de la loi de 1990 portaient atteinte au droit des deux
parties au respect de leur vie privée, mais considéra que les effets n'en
étaient pas disproportionnés, la législation instaurant un régime de traitement
reposant sur deux piliers d'Ă©gale importance, le consentement des parties et
l'intĂ©rĂȘt de l'enfant Ă naĂźtre. Il jugea parfaitement justifiĂ© que la loi
exigeùt que les deux personnes formant le couple désireux d'entreprendre un
traitement par FIV fussent d'accord sur ce traitement et qu'elle permĂźt Ă
chacune de retirer sa participation Ă tout moment avant le transfert
embryonnaire.
23. Le
juge Wall souligna que les dispositions de l'annexe 3 de la loi (paragraphe 37
ci-dessous) s'appliquaient de la mĂȘme façon Ă tous les patients suivant un
traitement par FIV, indépendamment de leur sexe, et conclut en prenant un
exemple pour montrer que l'exigence du consentement conjoint pouvait avoir des
conséquences analogues pour un homme stérile :
« Imaginons qu'un
homme soit atteint d'un cancer des testicules et que son sperme, recueilli
avant une intervention chirurgicale entraßnant une stérilité définitive, soit
utilisé pour créer des embryons avec les ovules de sa compagne. En cas de
séparation du couple avant le transfert embryonnaire, il ne viendrait à l'idée
de personne de prétendre que cette femme ne peut pas retirer son consentement
au traitement et refuser que les embryons soient implantés dans son utérus. Or les dispositions de la loi, tout comme les droits
inscrits dans la Convention, s'appliquent de la mĂȘme maniĂšre aux hommes et aux
femmes. »
C. L'arrĂȘt
de la Cour d'appel
24. La
requĂ©rante saisit la Cour d'appel, qui la dĂ©bouta par un arrĂȘt rendu le 25 juin
2004 (Evans
v. Amicus Healthcare Ltd, [2004] EWCA Civ 727).
La
Cour d'appel considéra que l'objectif de la loi de 1990 était clairement de
n'autoriser l'implantation de l'embryon que si les deux parties Ă©taient
toujours consentantes et qu'elle ne pouvait sans d'impérieuses raisons
reconnaßtre ou établir un principe de dispense qui serait contraire au régime
instauré par le Parlement. A l'instar du juge Wall, la Cour d'appel estima que
J. n'avait consenti qu'à un « traitement conjoint » avec la
requérante, et non à l'utilisation par cette derniÚre seule des embryons créés
par le couple. Une fois que la relation entre la requérante et J. avait pris
fin et que J. avait indiqué qu'il ne souhaitait pas que les embryons fussent
conservés ou utilisés par la requérante, les intéressés ne faisaient plus l'objet
d'un traitement « conjoint ». La Cour d'appel rejeta l'argument de la
requérante selon lequel J. avait dissimulé son ambivalence, conduisant ainsi la
jeune femme Ă opter pour le traitement conjoint des deux membres du couple. La
juridiction d'appel estima en effet que cet argument mettait en cause de
maniÚre injustifiée la conclusion du juge du fond, qui avait eu l'avantage
manifeste de pouvoir apprécier les dépositions orales de la requérante, de J.
et des autres témoins (paragraphe 20 ci-dessus). Par ailleurs, le conseil de J. avait indiqué à la Cour d'appel que, de
toute évidence, si son client avait retiré son consentement, ce n'était pas
pour des raisons purement financiĂšres, mais pour des raisons de principe.
25. Les juges Thorpe et Sedley estimĂšrent
que, s'il y avait bien ingérence dans la vie privée des parties, cette
ingérence était justifiée et proportionnée. Ils s'exprimÚrent comme suit :
« Le moyen moins drastique revendiqué ici est une
rĂšgle de droit rendant non concluant le retrait du consentement [de J.]. Cela
permettrait [à la requérante] de demander la poursuite du traitement au motif
qu'elle ne peut plus avoir d'enfant autrement. Cependant, Ă moins de donner aussi
du poids au ferme souhait de [J.] de ne pas ĂȘtre pĂšre d'un enfant qui serait
mis au monde [par la requĂ©rante], une telle rĂšgle amoindrirait le respect dĂ» Ă
la vie privĂ©e [de J.] dans la mĂȘme proportion qu'elle augmenterait le respect
accordé à la vie privée [de la requérante]. Par ailleurs, pour donner du poids
[à la volonté de J.], la législation devrait imposer à l'Agence de la
fécondation et de l'embryologie humaines ou à la clinique, ou aux deux, de
porter un jugement basé sur un mélange de considérations d'éthique, de
politique sociale et de compassion humaine. Cela nécessiterait aussi l'établissement d'un équilibre entre deux
choses parfaitement incommensurables (...)
(...) Ce qui est nécessaire, selon le Parlement, c'est
un consentement bilatéral à l'implantation, et non pas simplement au
prélÚvement et à la conservation de matériel génétique, et cette condition ne
peut ĂȘtre remplie si une moitiĂ© du consentement n'est plus effective. Assouplir
cette exigence dans l'intĂ©rĂȘt de la proportionnalitĂ©, afin de compenser le
handicap biologique [de la requérante], impossible à surmonter par d'autres
moyens, en faisant du retrait du consentement de l'homme un facteur pertinent
mais non décisif créerait de nouveaux problÚmes, encore plus inextricables,
d'arbitraire et d'incohérence. La compassion et la sollicitude que chacun doit éprouver
pour [la requérante] ne suffisent pas à rendre disproportionné le régime mis en
place par le législateur (...). »
26. La juge Arden fit les remarques
liminaires suivantes :
« La loi de 1990 emploie inévitablement des
termes scientifiques, tels que « gamÚte » et « embryon ». Mais il est clair
que cette loi concerne la question trÚs émotionnelle de la stérilité et la
possibilité de faire naßtre un enfant par implantation du matériel génétique de
deux personnes. (...) La stérilité peut plonger la personne, homme ou femme,
qui en est atteinte dans un profond désarroi. Pour beaucoup de femmes, la
capacité de mettre au monde un enfant représente le plein épanouissement et
donne un but dans la vie. Elle participe de leur sens de l'identité ainsi que
de leur dignité. »
Elle
poursuivit ainsi :
« J'estime,
comme les juges Thorpe et Sedley, que le fait que la loi de 1990 Ă©rige le
maintien du consentement en condition indispensable Ă la poursuite du
traitement dans des situations comme celle-ci satisfait aux exigences de
l'article 8 § 2 de la Convention. (...) Dans ce domaine sensible appelant des
décisions d'ordre éthique, il doit incomber au premier chef au Parlement de
ménager un équilibre entre les parties (...). Le Parlement a estimé que nul ne
devait pouvoir déroger au principe selon lequel le consentement des deux
parents génétiques est nécessaire. A mon avis,
les circonstances de l'espĂšce montrent bien qu'il Ă©tait sage de poser semblable
rĂšgle. La situation personnelle des parties n'est pas la mĂȘme qu'au dĂ©but du
traitement, et il serait difficile pour une juridiction de déterminer si les
effets du retrait du consentement [de J.] sur [la requérante] sont plus
importants que les effets que l'invalidation de ce retrait aurait sur [J.]. Il n'existe aucun
point de repÚre qui permettrait à la juridiction de procéder à cette
Ă©valuation. Le fait est que toute personne a droit Ă la protection contre les
atteintes à sa vie privée. C'est là un aspect du principe de
l'autodétermination ou de l'autonomie personnelle. L'atteinte au droit [de J.]
ne peut passer pour justifiée au motif qu'elle est nécessaire à la protection
du droit [de la requérante], car, réciproquement, l'étendue du droit [de la
requérante] est aussi limitée par la nécessité de protéger le droit [de J.]. [La
requĂ©rante et J.] doivent avoir des droits Ă©quivalents, mĂȘme si l'Ă©tendue de
leurs droits au titre de l'article 8 n'est pas définie avec précision.
L'ingérence dans
la vie privée [de la requérante] se justifie également sous l'angle de
l'article 8 § 2 par le motif que si l'on donnait gain de cause à [la
requérante], cela reviendrait à porter atteinte au droit, pour le pÚre
génétique, de refuser de procréer. De toute évidence, on ne pourrait obliger
[la requĂ©rante] Ă devenir mĂšre ; de la mĂȘme maniĂšre, on ne peut obliger
[J.] à devenir pÚre, d'autant moins que, en l'espÚce, cette paternité
entraĂźnerait probablement aussi une responsabilitĂ© lĂ©gale d'ordre financier Ă
l'égard de l'enfant. »
27. Concernant
la question de la discrimination, les juges Thorpe et Sedley estimĂšrent que ce
qu'il fallait comparer c'Ă©tait la situation des femmes souhaitant ĂȘtre traitĂ©es
par FIV dont le partenaire avait retiré son consentement et la situation des
femmes dont le partenaire ne s'était pas rétracté, la juge Arden estimant quant
à elle que la comparaison devait se faire entre les femmes fécondes et les
femmes stériles, puisque, dans le cas d'un traitement par FIV, le pÚre
génétique avait la possibilité de retirer son consentement à la procréation
plus tard qu'au moment d'un rapport sexuel normal. Cela dit, les trois juges
furent d'accord pour considérer que, indépendamment du choix des termes de la
comparaison, la différence de traitement était justifiée et proportionnée au
regard de l'article 14 de la Convention, pour les mĂȘmes raisons que celles qui
les avaient amenés à conclure à la non-violation de l'article 8. Par ailleurs,
la Cour d'appel refusa à la requérante l'autorisation de faire appel de la
conclusion du juge Wall selon laquelle les embryons ne pouvaient prétendre à la
protection de l'article 2, la lĂ©gislation interne ne reconnaissant ni intĂ©rĂȘts
ni droits indĂ©pendants au fĆtus avant la naissance, ni donc, a fortiori,
Ă l'embryon.
28. Le
29 novembre 2004, la Chambre des lords refusa à la requérante l'autorisation de
se pourvoir contre l'arrĂȘt de la Cour d'appel.
LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS
A. Le
droit interne : la loi de 1990
1. Le
rapport Warnock
29. La
venue au monde, en juillet 1978, du premier bébé né par fécondation in vitro
suscita au Royaume-Uni de nombreux débats éthiques et scientifiques, qui
conduisirent Ă la crĂ©ation, en juillet 1982, d'une commission d'enquĂȘte,
présidée par Dame Mary Warnock DBE (philosophe), chargée
« d'examiner les innovations récentes et potentielles, en médecine et en
science, liées à la fécondation et à l'embryologie humaines ; de réfléchir
aux politiques et aux garanties à appliquer, en tenant compte des conséquences
sociales, Ă©thiques et juridiques de ces innovations ; enfin, de formuler
des recommandations ».
30. La commission rendit son rapport en
juillet 1984 (Cmnd 9314). A l'époque, la technique de congélation des embryons
humains destinĂ©s Ă ĂȘtre utilisĂ©s ultĂ©rieurement n'en Ă©tait qu'Ă ses dĂ©buts.
Toutefois, la commission notait dans son rapport que cette technique avait dĂ©jĂ
été appliquée et avait abouti à la naissance d'un enfant, et recommandait de
poursuivre le développement de l'utilisation clinique d'embryons congelés sous
le contrÎle de l'organisme chargé de délivrer les autorisations (paragraphe
10.3 du rapport). Cela étant, la commission reconnaissait que la possibilité de
conserver de maniÚre prolongée des embryons humains pouvait engendrer des
problÚmes et préconisait de fixer à dix ans la durée maximale de conservation
des embryons destinés à l'utilisation personnelle ultérieure d'un couple ;
passé ce délai, le droit d'utilisation ou de destruction des embryons devait
ĂȘtre confĂ©rĂ© Ă l'organisme compĂ©tent pour les questions de conservation
(paragraphe 10.10). La commission recommandait par ailleurs de confier Ă
l'organisme compétent pour les questions de conservation le droit de décider de
l'utilisation ou de la destruction des embryons dans les cas oĂč, Ă la suite
d'une séparation par exemple, le couple ne s'entendrait pas sur le devenir des
embryons créés conjointement (paragraphe 10.13). Conformément à son point de vue
selon lequel il devait n'y avoir aucun droit de propriété sur un embryon humain
(paragraphe 10.11), la commission n'envisageait pas la possibilité pour une
partie d'exiger l'utilisation de l'embryon contre la volonté de l'autre partie.
2. Consultation
et adoption de la loi
31. Les
recommandations de la commission Warnock concernant le traitement par FIV
furent rassemblées dans un livre vert diffusé aux fins d'une consultation
publique. Le document (paragraphe 35) précisait que la recommandation de la
commission selon laquelle l'organisme compétent pour les questions de
conservation devait se voir conférer le droit de décider de l'utilisation ou de
la destruction d'un embryon en cas de désaccord dans le couple n'avait guÚre
suscitĂ© de commentaires ; il soulignait toutefois que, mĂȘme s'il Ă©tait peu
probable que cette situation se présentùt fréquemment, il importait d'établir
une « base claire » pour la résoudre.
32. AprÚs réception des observations
des parties intéressées, les propositions en matiÚre de traitement par FIV
furent rassemblées dans un livre blanc (rapport) intitulé « Fécondation et
embryologie humaines : un cadre pour la législation » (Human
Fertilisation and Embryology : A Framework for Legislation, Cm 259),
qui fut publié en novembre 1987. Le document rappelait la recommandation de la
commission Warnock selon laquelle le droit de décider de l'utilisation ou de la
destruction d'un embryon congelĂ© devait ĂȘtre confĂ©rĂ© Ă l'organisme compĂ©tent
pour les questions de conservation en cas de désaccord entre les deux membres
du couple concerné (paragraphes 50 et 51), mais poursuivait ainsi :
« D'une maniÚre générale, ceux qui pensent que la
conservation doit ĂȘtre autorisĂ©e sont satisfaits des recommandations de la
commission Warnock. En revanche, d'autres considĂšrent que, sauf Ă se l'ĂȘtre vu
attribuer de maniÚre explicite par les donneurs, l'« organisme compétent
pour les questions de conservation » ne devrait pas avoir le droit de
décider de l'utilisation ou de la destruction des embryons. Le gouvernement,
qui partage ce point de vue, a conclu que la loi devait s'appuyer sur le
principe clair selon lequel la volonté du donneur est primordiale tout au long
de la pĂ©riode pendant laquelle les embryons ou les gamĂštes peuvent ĂȘtre
conservés ; à l'expiration de cette période, ceux-ci comme ceux-là ne
devraient pouvoir ĂȘtre utilisĂ©s Ă d'autres fins par l'organisme agrĂ©Ă© que si le
donneur y a consenti. »
Le
livre blanc mentionnait la décision du gouvernement de fixer à cinq ans la
durée maximale de conservation des embryons (paragraphe 54). Puis, dans
une partie intitulée « Consentement du donneur », le livre blanc
énonçait le principe selon lequel un donneur devait avoir le droit de modifier
ou de révoquer son consentement à l'implantation d'un embryon dans le corps
d'une femme Ă tout moment aussi longtemps que l'embryon demeurerait
inutilisé :
« 55. Les questions complexes liĂ©es Ă
la conservation font ressortir combien il importe de s'assurer que les couples
qui choisissent d'entreprendre un traitement par FIV ou les personnes qui
donnent leurs gamĂštes consentent aux utilisations auxquelles leurs gamĂštes ou
leurs embryons sont destinés.
56. Le projet de loi précisera que les
gamĂštes ou les embryons ne peuvent ĂȘtre conservĂ©s qu'avec le consentement signĂ©
des donneurs et qu'ils ne peuvent ĂȘtre utilisĂ©s que par l'organisme agrĂ©Ă©
chargé de leur conservation et aux fins énoncées dans le consentement (par
exemple pour un traitement thérapeutique [ou pour la recherche]). Les personnes
qui donnent leur consentement doivent ĂȘtre informĂ©es des techniques pour
lesquelles leurs gamĂštes/embryons peuvent ĂȘtre utilisĂ©s ainsi que des
conséquences juridiques de leurs décisions. A cet égard, il est souhaitable que
les intéressés puissent obtenir des conseils.
57. Les donneurs auront le droit de
modifier ou de révoquer leur consentement avant l'utilisation de leurs
gamĂštes/embryons, mais, en pareil cas, il leur incombera de porter toute
modification à la connaissance de l'organisme agréé, lequel devra alors aviser
tout autre organisme agréé auquel il aura fourni les gamÚtes du donneur. (Cette
situation peut se produire, par exemple, si une banque de sperme a fourni des
gamĂštes Ă un ou plusieurs centres de traitement). En l'absence de notification
de modification ou de retrait du consentement ou d'avis de décÚs, l'organisme
agréé doit présumer que le consentement initial reste valable et doit donc agir
en conséquence pendant toute la période de conservation. Lorsque celle-ci prend
fin, il ne peut utiliser ou détruire les embryons ou les gamÚtes qu'en se
conformant aux souhaits Ă©mis par les donneurs. Si ceux-ci n'ont pas clairement
exprimé leur volonté, il y a lieu de mettre fin à la conservation de l'embryon
ou des gamÚtes et de les laisser périr.
58. En
ce qui concerne les embryons, ils ne peuvent pas ĂȘtre implantĂ©s dans le corps
d'une autre femme, ni ĂȘtre utilisĂ©s Ă des fins de recherche, ni dĂ©truits (avant
l'expiration de la période de conservation) en l'absence du consentement des
deux donneurs. En cas de désaccord entre les donneurs, l'organisme agréé sera
tenu de conserver l'embryon jusqu'à la fin de la période de conservation ;
si le désaccord persiste à l'expiration de celle-ci, il y a lieu de laisser
périr l'embryon. »
33. A
l'issue d'une nouvelle procédure de consultation fut publié, en 1989, un projet
de loi, qui devint finalement la loi de 1990 sur la fécondation et
l'embryologie humaines. Le projet
reflétait pour l'essentiel les termes du livre blanc. Les dispositions
relatives au consentement ne suscitĂšrent pas de controverses lors de leur
examen par le Parlement.
3. La loi de 1990
34. Dans l'affaire R. v. Secretary
of State for Health ex parte Quintavalle (on behalf of Pro-Life
Alliance) (2003, UKHL 13), Lord Bingham décrivit le contexte et l'esprit
général de la loi de 1990 comme suit :
« Le caractÚre sensible des questions en jeu ne
fait aucun doute. D'une part, il y avait ceux qui considéraient la création
d'embryons â et donc de la vie â in vitro comme un sacrilĂšge ou comme
quelque chose de contestable du point de vue Ă©thique et qui souhaitaient
interdire totalement ces pratiques. D'autre part, il y avait ceux qui voyaient
dans ces nouvelles techniques, en ce qu'elles offrent aux personnes stériles la
possibilité d'avoir des enfants et permettent de faire progresser les
connaissances sur les maladies congénitales, des perspectives d'améliorer la
condition humaine, et les arguments religieux et moraux Ă©tayant ce point de vue
ne faisaient pas défaut. On ne peut douter non plus de la difficulté qu'il y a
à légiférer sur ces questions, compte tenu de la rapidité des progrÚs médicaux
et scientifiques. Ce n'est pas souvent que le Parlement est appelé à élaborer
une législation apte à s'appliquer aux évolutions à la pointe de la science.
La solution recommandée et consacrée par la loi de
1990 ne consiste pas à interdire toute création in vitro d'embryons
humains vivants et toute utilisation de pareils embryons, mais plutĂŽt, sous
réserve de certaines interdictions expresses, dont quelques unes ont été
mentionnées ci-dessus, à autoriser ces pratiques en les soumettant à des
conditions, des restrictions et des délais particuliers, et à des mécanismes de
contrÎle (...). Il est évident (...) que si le Parlement a décidé de prohiber
certaines pratiques manifestement choquantes (telles que l'implantation d'un
embryon animal vivant dans le corps d'une femme ou de celui d'un ĂȘtre humain
dans le corps d'un animal), il a pour le reste opté pour un régime de contrÎle
rigoureux. Aucune activité relevant de ce domaine n'a été oubliée. Il s'agissait de
ne pas laisser faire n'importe quoi. »
35. D'aprĂšs
l'article 3 § 1 de la loi, nul ne peut créer un embryon, le conserver ou
l'utiliser sans autorisation. La conservation ou l'utilisation de l'embryon ne
sont légales que si elles satisfont aux conditions de cette autorisation. Tout
manquement à l'article 3 § 1 constitue une infraction (définie à l'article 41 §
2 a) de la loi).
36. Aux
termes de l'article 14 § 4 de la loi, « la durée légale de conservation
pour les embryons est la durée, obligatoirement inférieure ou égale à cinq ans,
précisée par l'autorisation ». Cette disposition a été modifiée par le
rÚglement de 1996 sur la fécondation et l'embryologie humaines (durée légale de
conservation des embryons), entré en vigueur le 1er mai 1996, qui
dispose notamment que lorsque, de l'avis de deux médecins, la femme qui doit
recevoir l'embryon ou, si ce ne sont pas ses gamÚtes qui ont été utilisés pour
créer l'embryon, celle des personnes dont les gamÚtes ont été utilisés, est ou
risque de devenir totalement stérile prématurément, la durée de conservation
est prolongée jusqu'à la date du cinquante-cinquiÚme anniversaire de
l'intéressée. Lorsque, de l'avis d'un seul médecin, la femme qui doit
accueillir l'embryon, ou l'une des deux personnes ayant fourni les gamĂštes, a
ou risque d'avoir de graves problÚmes de fécondité ou souffre d'un problÚme
gĂ©nĂ©tique, la durĂ©e de conservation est portĂ©e Ă dix ans, ou prolongĂ©e jusqu'Ă
la date du cinquante-cinquiÚme anniversaire de l'intéressée, selon celle de ces
échéances qui intervient la premiÚre.
Les deux personnes dont les gamÚtes sont utilisés
pour créer les embryons doivent confirmer par écrit qu'elles ne s'opposent pas
Ă la prolongation de la conservation aux fins d'un traitement futur. La femme
qui doit recevoir un tel embryon doit ĂȘtre ĂągĂ©e de moins de 50 ans au dĂ©but de
la conservation.
37. D'aprĂšs
l'article 12 c) de la loi, une autorisation ne peut ĂȘtre accordĂ©e que sous
réserve du respect des dispositions de l'annexe 3 à la loi, qui concernent le
consentement à l'utilisation de gamÚtes ou d'embryons. Dans la procédure
engagée par la requérante (paragraphes 20-27 ci-dessus), la High Court
et la Cour d'appel ont déclaré qu'aux fins d'interprétation de l'annexe 3
« l'embryon n'est réputé utilisé qu'une fois transféré dans le corps de la
femme ».
L'annexe
3 se lit ainsi :
« Consentements
Ă l'utilisation de gamĂštes ou d'embryons
Consentement
1. Tout
consentement au sens de la prĂ©sente annexe doit ĂȘtre donnĂ© par Ă©crit, et, dans
la présente annexe, l'expression « consentement effectif » s'entend
d'un consentement qui n'a pas été révoqué.
2. 1) Tout consentement Ă
l'utilisation d'un embryon doit préciser une ou plusieurs des finalités
suivantes :
a) utilisation aux fins du traitement de la
personne donnant son consentement, ou du traitement conjoint de cette personne
et d'une autre, nommément désignée,
b) utilisation aux fins du traitement de
personnes autres que l'auteur du consentement, ou
c) utilisation aux fins d'un projet de
recherche,
et peut préciser les conditions dans lesquelles
l'embryon peut ĂȘtre ainsi utilisĂ©.
2) Tout
consentement Ă la conservation de gamĂštes ou d'un embryon doit :
a) préciser
la durée maximale de conservation (si elle est inférieure à la durée légale) et
b) indiquer
quel sera le sort des gamÚtes ou de l'embryon si la personne ayant donné son
consentement décÚde ou si, pour cause d'incapacité, elle n'est pas en mesure de
modifier ou de révoquer ce consentement,
et peut préciser dans quelles conditions les gamÚtes
ou l'embryon peuvent continuer Ă ĂȘtre conservĂ©s.
3) Tout consentement au sens de la présente
annexe doit comporter toutes autres prĂ©cisions pouvant ĂȘtre exigĂ©es par
l'Agence dans des directives.
4) Un
consentement au sens de la présente annexe peut s'appliquer :
a) Ă
l'utilisation ou Ă la conservation d'un embryon particulier ou,
b) dans
le cas d'une personne fournissant des gamĂštes, Ă l'utilisation ou Ă la
conservation de tout embryon qui pourrait ĂȘtre conçu Ă partir de ces gamĂštes,
et, dans le cas
prĂ©vu Ă l'alinĂ©a b), le consentement peut ĂȘtre modifiĂ© ou rĂ©voquĂ©, dans le
respect des dispositions de la présente annexe, soit de maniÚre générale, soit
en ce qui concerne un ou plusieurs embryons particuliers.
Procédure
d'expression du consentement
3. 1) Avant
qu'une personne n'exprime un consentement au sens de la présente annexe :
a) elle doit disposer d'une réelle
possibilité de se faire indiquer les implications des mesures envisagées, et
b) elle doit recevoir toutes les
informations utiles.
2) Avant
qu'une personne n'exprime un consentement au sens de la présente annexe, elle
doit ĂȘtre informĂ©e des effets de l'article 4 ci-dessous.
Modification et
révocation du consentement
4. 1) Quiconque
a donné un consentement au sens de la présente annexe peut y apporter des
modifications successives ou le révoquer, par notification à la personne
responsable de la conservation des gamÚtes ou de l'embryon concernés.
2) Un
consentement Ă l'utilisation d'un embryon ne peut plus ĂȘtre modifiĂ© ni rĂ©voquĂ©
une fois que l'embryon a été utilisé :
a) aux fins d'un traitement ou
b) aux fins d'un projet de recherche.
Utilisation de gamĂštes aux fins du traitement d'autrui
5. 1) Il est interdit d'utiliser les
gamĂštes d'une personne aux fins du traitement d'autrui, sauf si cette personne
est l'auteur d'un consentement effectif à ce qu'ils soient utilisés ainsi et
s'ils sont utilisés dans les conditions prévues par ce consentement.
2) Il est interdit de recevoir les gamĂštes
d'une personne pour les utiliser Ă ces fins, sauf si cette personne est
l'auteur d'un consentement effectif à ce qu'ils soient utilisés ainsi.
3) Le présent paragraphe ne s'applique pas
Ă l'utilisation des gamĂštes d'une personne aux fins du traitement de cette
personne, ou du traitement conjoint de celle-ci et d'une autre.
FĂ©condation in vitro et
utilisation ultérieure de l'embryon
6. 1) Il
est interdit d'utiliser les gamĂštes d'une personne pour concevoir un embryon in
vitro, sauf si cette personne est l'auteur d'un consentement effectif Ă ce que
tout embryon qui serait conçu à partir de ces gamÚtes soit utilisé à une ou
plusieurs des fins mentionnées à l'article 2 § 1) ci-dessus.
2) Nul
ne peut recevoir un embryon conçu in vitro, sauf si chacune des personnes dont
les gamĂštes ont servi Ă concevoir l'embryon est l'auteur d'un consentement
effectif à ce que cet embryon soit utilisé à une ou plusieurs des fins
mentionnées à l'article 2 § 1) ci-dessus.
3) Il
est interdit d'utiliser, à quelque fin que ce soit, un embryon conçu in vitro,
sauf si chacune des personnes dont les gamĂštes ont servi Ă concevoir l'embryon
est l'auteur d'un consentement effectif à ce que cet embryon soit utilisé pour
la fin envisagée et si l'embryon est utilisé conformément à ces consentements.
4) Tout
consentement requis en vertu du présent article s'ajoute à tout consentement
pouvant ĂȘtre requis en vertu de l'article 5 ci-dessus.
Embryons obtenus par lavage, etc.
(...)
Conservation des gamĂštes et des embryons
8. 1) Il est interdit de conserver les
gamĂštes d'une personne, sauf si cette personne est l'auteur d'un consentement
effectif à leur conservation et s'ils sont conservés conformément à ce
consentement.
2) Il
est interdit de conserver un embryon conçu in vitro, sauf si chacune des
personnes dont les gamĂštes ont servi Ă concevoir l'embryon est l'auteur d'un
consentement effectif Ă la conservation de cet embryon et si celui-ci est
conservé conformément à ces consentements.
3) Il
est interdit de conserver un embryon prélevé chez une femme, sauf si celle-ci
est l'auteur d'un consentement effectif Ă cette conservation et si l'embryon
est conservé conformément à ce consentement. »
38. Dans
l'arrĂȘt de la Cour d'appel, les juges Thorpe et Sedley ont rĂ©sumĂ© ainsi les
effets matériels de l'annexe 3 (paragraphe 25 ci-dessus) :
« i. Les
personnes qui envisagent de conserver et/ou d'utiliser des embryons créés avec
leurs gamÚtes doivent d'abord se voir offrir la possibilité de discuter avec
des spĂ©cialistes ; ii. elles doivent en particulier ĂȘtre
informĂ©es des conditions dans lesquelles le consentement Ă la conservation ou Ă
l'utilisation d'un embryon peut ĂȘtre modifiĂ© ou rĂ©voquĂ© ;
iii. dans le consentement Ă l'utilisation d'un embryon, il doit ĂȘtre
précisé si l'embryon sera utilisé aux fins du traitement de l'auteur du
consentement, du traitement conjoint de cette personne et d'une autre, ou du
traitement de personnes autres que l'auteur du consentement ;
iv. un embryon peut ĂȘtre conservĂ© uniquement tant qu'il existe un
consentement effectif de ses deux gĂ©niteurs Ă sa conservation et conformĂ©ment Ă
ce consentement ; v. un embryon peut ĂȘtre utilisĂ© uniquement
tant qu'il existe un consentement effectif de ses deux géniteurs à son
utilisation et conformément à ce consentement ; vi. chacune des personnes dont les gamÚtes ont servi à la
conception d'un embryon peut modifier ou révoquer à tout moment son
consentement Ă la conservation de cet embryon ; vii. il n'est
plus possible de modifier ou de révoquer le consentement à l'utilisation d'un
embryon une fois que celui-ci a été utilisé à des fins de traitement. »
B. La situation dans les Etats membres
du Conseil de l'Europe et dans d'autres pays
1. Les Etats membres du Conseil de
l'Europe
39. D'aprĂšs les documents Ă la
disposition de la Cour, dont un rapport intitulĂ© « Assistance mĂ©dicale Ă
la procrĂ©ation et protection de l'embryon humain â Ă©tude comparative sur la
situation dans 39 pays » (Conseil de l'Europe, 1998), et les réponses des
Etats membres du Conseil de l'Europe au « Questionnaire sur l'accÚs à la
procréation médicalement assistée » préparé par le Comité directeur pour
la bioéthique (Conseil de l'Europe, 2005), le traitement par FIV est encadré
par des lois ou des rĂšglements dans les pays suivants : Allemagne,
Autriche, AzerbaĂŻdjan, Bulgarie, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie,
Fédération de Russie, France, Géorgie, GrÚce, Hongrie, Islande, Italie,
Lettonie, NorvÚge, Pays-Bas, Slovénie, SuÚde, Suisse, Turquie, Ukraine et
Royaume-Uni. La situation se présente différemment en Belgique, en Finlande, en
Irlande, Ă Malte, en Lituanie, en Pologne, en RĂ©publique tchĂšque, en Serbie et
en Slovaquie, oĂč ce traitement est rĂ©gi par la pratique clinique, par des
directives professionnelles, par des décrets royaux ou administratifs ou par
des principes constitutionnels généraux.
40. Il apparaĂźt que la conservation des
embryons est autorisée, pour des durées variables, dans tous les Etats
susmentionnĂ©s oĂč le traitement par FIV est encadrĂ© par des lois ou des rĂšglements,
sauf en Allemagne et en Suisse, oĂč l'on ne peut, pendant un cycle de
traitement, crĂ©er plus de trois embryons, et oĂč les embryons crĂ©Ă©s doivent, en
principe, ĂȘtre implantĂ©s immĂ©diatement et ensemble, et en Italie, oĂč la loi ne
permet la congélation des embryons que pour des motifs médicaux exceptionnels
et imprévus.
41. Au Danemark, en France, en GrĂšce,
aux Pays-Bas et en Suisse, le droit, pour chacune des parties, de retirer
librement son consentement à tout moment, tant que l'embryon n'a pas été implanté
dans l'utérus de la femme, est expressément prévu par la loi. Il apparaßt que
la Belgique, la Finlande et l'Islande reconnaissent, dans leur législation ou
en pratique, Ă chacune des personnes ayant fourni des gamĂštes la mĂȘme libertĂ©
de retirer son consentement avant l'implantation.
42. Cependant, un certain nombre de
pays envisagent différemment la question du consentement. Ainsi, la Hongrie
autorise la femme à poursuivre le traitement malgré le décÚs de son partenaire
ou le divorce du couple, sauf disposition expresse contraire formulée par le
couple. En Autriche et en Estonie, l'homme ne peut révoquer son consentement que
jusqu'au moment de la fécondation, aprÚs quoi c'est la femme qui décide seule
si elle poursuit le traitement et quand. L'Espagne ne reconnaĂźt Ă l'homme le
droit de retirer son consentement que s'il est marié à la femme souhaitant
procréer et s'il vit avec elle. En Allemagne et en
Italie, aucune des parties ne peut normalement retirer son consentement aprĂšs
la fĂ©condation des ovules. En Islande, les embryons doivent ĂȘtre dĂ©truits si
les donneurs de gamÚtes se séparent ou divorcent avant l'expiration de la
période maximale de conservation.
2. Les Etats-Unis d'Amérique
43. Les parties renvoient en outre la
Cour à la jurisprudence américaine et israélienne. Aux Etats-Unis, l'assistance
médicale à la procréation ne fait pas partie des domaines régis par la
législation fédérale, et seuls quelques Etats se sont dotés de lois concernant
le retrait ultérieur du consentement par l'un des membres du couple. C'est donc
aux tribunaux qu'il incombe de régler les conflits en la matiÚre et il existe
un certain nombre de dĂ©cisions dans lesquelles les Cours suprĂȘmes de divers
Etats se sont prononcées sur le sort d'embryons conçus par FIV.
44. Dans l'affaire Davis c. Davis,
(842 S.W.2d 588, 597 ; Tenn. 1992), jugĂ©e en 1992, la Cour suprĂȘme du
Tennessee statua ainsi :
« (...) pour statuer sur les conflits concernant
le sort de pré-embryons conçus in vitro, il faut d'abord examiner les
prĂ©fĂ©rences de leurs gĂ©niteurs. Si celles-ci ne peuvent ĂȘtre dĂ©terminĂ©es, ou si
elles sont incompatibles, il y a lieu d'appliquer l'accord préalable des
parties concernant le sort des pré-embryons. En l'absence de pareil accord, il
convient de peser les intĂ©rĂȘts relatifs des parties Ă l'utilisation ou Ă la
non-utilisation des pré-embryons. En rÚgle générale, c'est la volonté de la
partie souhaitant éviter la procréation qui prévaut lorsqu'on peut supposer que
l'autre partie a une possibilité raisonnable de devenir parent par un moyen
autre que l'utilisation des pré-embryons en question. Si tel n'est pas le cas,
il faut prendre en considération les arguments en faveur de l'utilisation des
pré-embryons aux fins d'une grossesse. Toutefois, si la partie qui cherche à se
voir reconnaßtre le droit de décider du sort des pré-embryons a simplement
l'intention d'en faire don Ă un autre couple, c'est Ă©videmment l'intĂ©rĂȘt de la
partie opposée à leur utilisation qui est supérieur et qui doit donc prévaloir.
Mais la rĂšgle
n'envisage pas l'institution d'un véto automatique »
45. Dans
l'affaire Kass c. Kass (98 N.Y. Int. 0049), le couple avait signé avec
la clinique un accord stipulant que, « dans le cas oĂč nous (...) serions
dans l'impossibilité de prendre une décision concernant le sort de nos embryons
congelĂ©s », ceux-ci pourraient ĂȘtre utilisĂ©s Ă des fins de recherche. Lorsque le couple se sĂ©para, Mme Kass
voulut passer outre Ă cet accord et se faire implanter les embryons. Elle
obtint gain de cause en premiÚre instance (le tribunal ayant estimé que, de la
mĂȘme maniĂšre qu'elle pouvait seule dĂ©cider de procrĂ©er ou non, une femme devait
avoir le dernier mot en matiĂšre de FIV), mais la cour d'appel de l'Etat de New
York dĂ©cida que l'accord existant Ă©tait suffisamment clair et devait ĂȘtre respectĂ©.
46. L'affaire A.Z. c. B.Z (2000,
431 Mass. 150 ; 725 N.E. 2d 1051) concernait un litige oĂč la femme voulait
poursuivre le traitement alors que son mari y était opposé. Les époux avaient,
là aussi, préalablement conclu un accord écrit, qui stipulait qu'en cas de
sĂ©paration, les embryons seraient donnĂ©s Ă la femme. La Cour suprĂȘme du
Massachusetts estima toutefois qu'il ne fallait pas faire exécuter l'accord,
notamment parce que, pour des motifs d'ordre public, « la procréation
forcée ne peut faire l'objet d'une procédure d'exécution judiciaire ». Elle conclut que
devait prévaloir « la liberté du choix personnel en matiÚre de mariage et
de vie familiale ».
47. La
Cour suprĂȘme du New Jersey cita cette dĂ©cision, en l'approuvant, dans l'arrĂȘt J.B.
c. M.B. (2001 WL 909294). En l'occurrence, c'Ă©tait la femme qui demandait
la destruction des embryons alors que le mari voulait en faire don Ă un autre
couple ou les conserver en vue de les utiliser avec une future compagne. Des
arguments d'ordre constitutionnel furent avancés à l'appui de la thÚse de la
femme, mais la Cour suprĂȘme refusa d'envisager la question sous cet angle,
estimant que, en tout état de cause, il n'était pas certain que l'exécution du
contrat sous seing privé supposé avoir été conclu porterait atteinte aux droits
de l'intéressée. Compte tenu du fait que le pÚre n'était pas stérile, la haute
juridiction préféra s'inspirer du raisonnement suivi dans l'affaire A.Z.
concernant l'ordre public, et ordonna que la volonté de la femme fût respectée.
48. Enfin,
dans l'affaire Litowitz c. Litowitz (48 P. 3d 261, 271), la femme, qui
avait eu des enfants avant de subir une hystérectomie, souhaitait que les
embryons conçus avec le sperme de son ex-mari et les ovules d'une donneuse
fussent implantés dans l'utérus d'une mÚre porteuse. L'ex-mari, de son cÎté, voulait faire don des embryons à un autre
couple. En premiĂšre instance et en appel le mari obtint gain de cause, mais en
2002 la Cour suprĂȘme de l'Etat de Washington, Ă la majoritĂ©, opta pour
l'analyse contractuelle et décida qu'il fallait appliquer l'accord que le
couple avait conclu avec la clinique, en vertu duquel la durée de conservation
des embryons ne pouvait excéder cinq ans.
3. Israël
49. L'affaire Nachmani c. Nachmani
(50(4) P.D. 661 (Isr)) concernait un couple israélien sans enfant qui avait
décidé d'entreprendre un traitement par FIV, puis, la femme n'étant pas en
mesure de mener une grossesse Ă terme, d'avoir recours Ă une mĂšre porteuse en
Californie. Le couple avait signé un accord avec la future mÚre porteuse ;
en revanche, il n'avait conclu avec la clinique devant pratiquer la FIV aucun
accord fixant le sort des embryons en cas de séparation. La femme se fit
prélever ses onze derniers ovules, qui furent fécondés avec le sperme de son
mari. Le couple se sépara avant l'implantation des embryons dans l'utérus de la
mĂšre porteuse, et le mari, qui entre-temps avait eu des enfants avec une autre
femme, s'opposa Ă l'utilisation des embryons.
Le
tribunal de district statua en faveur de la femme, estimant que le mari ne
pouvait pas davantage retirer son consentement Ă avoir un enfant qu'un homme
fécondant l'ovule de sa femme au travers d'un rapport sexuel. Un collÚge de
cinq juges de la Cour suprĂȘme infirma cette dĂ©cision en invoquant le droit
fondamental de l'homme Ă ne pas ĂȘtre contraint Ă devenir pĂšre. L'affaire fut rejugĂ©e par la Cour suprĂȘme siĂ©geant en
un collĂšge de onze juges. Par sept voix contre quatre, ceux-ci donnĂšrent gain de
cause à la femme. Chacun des juges rédigea une opinion séparée. Les juges
majoritaires estimĂšrent que les intĂ©rĂȘts de la femme l'emportaient sur ceux de
l'homme, notamment parce qu'elle était privée de toute autre possibilité de
transmettre ses gĂšnes Ă un enfant. Trois des juges minoritaires, dont le
président, arrivÚrent à la conclusion opposée, en soulignant que la femme
savait que le consentement de son mari serait requis Ă chaque Ă©tape du
traitement, et que leur accord ne pouvait plus s'appliquer aprĂšs leur
séparation. Le quatriÚme des juges minoritaires estima qu'une obligation de
paternitĂ© ne pouvait ĂȘtre imposĂ©e Ă l'homme, dont le consentement prĂ©alable
était nécessaire.
C. Les textes internationaux pertinents
50. La rÚgle générale énoncée à l'article 5 de
la Convention du Conseil de l'Europe sur les Droits de l'Homme et la
biomédecine se lit ainsi :
« Une
intervention dans le domaine de la santĂ© ne peut ĂȘtre effectuĂ©e qu'aprĂšs que la
personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé.
Cette personne
reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la nature de
l'intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques.
La personne
concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement. »
51. Toujours
au sein du Conseil de l'Europe, le comité ad hoc d'experts sur les
progrÚs des sciences biomédicales, prédécesseur de l'actuel Comité directeur
pour la bioéthique, a adopté une série de principes (CAHBI, 1989), dont le
quatriĂšme comporte la disposition suivante :
« 1. Les techniques de la procréation artificielle
ne peuvent ĂȘtre utilisĂ©es que si les personnes concernĂ©es ont donnĂ©
explicitement et par Ă©crit, selon les dispositions nationales, leur
consentement libre et éclairé (...) »
52. Enfin,
l'article 6 de la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de
l'homme Ă©nonce :
« Article 6 â
Consentement
a) Toute
intervention médicale de caractÚre préventif, diagnostique ou thérapeutique ne
doit ĂȘtre mise en Ćuvre qu'avec le consentement prĂ©alable, libre et Ă©clairĂ© de
la personne concernée, fondé sur des informations suffisantes.
Le cas échéant, le
consentement devrait ĂȘtre exprĂšs et la personne concernĂ©e peut le retirer Ă
tout moment et pour toute raison sans qu'il en résulte pour elle aucun
désavantage ni préjudice. »
EN DROIT
I. SUR
LA VIOLATION ALLĂGUĂE DE L'ARTICLE 2 DE LA CONVENTION
53. Dans
sa requĂȘte initiale et dans ses observations devant la chambre, la requĂ©rante
soutenait que les dispositions de la loi britannique qui imposaient la
destruction des embryons une fois que J. avait retiré son consentement à leur
conservation s'analysaient en une atteinte au droit Ă la vie des embryons
contraire Ă l'article 2 de la Convention, dont la partie pertinente se lit
ainsi :
« 1. Le
droit de toute personne à la vie est protégé par la loi (...) »
54. Dans
son arrĂȘt du 7 mars 2006, la chambre a rappelĂ© que, dans Vo c. France
([GC], no 53924/00, § 82, CEDH 2004-VIII), la Grande Chambre avait
considéré qu'en l'absence d'un consensus européen sur la définition
scientifique et juridique des débuts de la vie, le point de départ du
droit à la vie relevait de la marge d'appréciation que la Cour estime
gĂ©nĂ©ralement devoir ĂȘtre reconnue aux Etats dans ce domaine. Or, ainsi que
l'ont précisé les juridictions internes dans la présente affaire, le droit
britannique ne reconnaßt pas à l'embryon la qualité de sujet de droit autonome
et ne l'autorise pas Ă se prĂ©valoir â par personne interposĂ©e â du droit Ă la
vie garanti par l'article 2. Partant, la chambre a conclu qu'il n'y avait pas
eu en l'espĂšce violation de cette disposition.
55. La
Grande Chambre relÚve que dans ses observations écrites et orales la requérante
n'a pas maintenu le grief tiré de l'article 2. Toutefois, étant donné que
l'affaire renvoyée devant la Grande Chambre englobe nécessairement tous les
aspects de la requĂȘte prĂ©cĂ©demment examinĂ©e par la chambre (K. et T. c.
Finlance [GC], no 25702/94, § 140, CEDH 2001-VII), il y a lieu
d'examiner la question sous l'angle de l'article 2.
56. Pour
les raisons exposées par la chambre, la Grande Chambre estime que les embryons
créés par la requérante et J. ne peuvent se prévaloir du droit à la vie protégé
par l'article 2 et qu'il n'y a pas donc pas violation de cette disposition.
II. SUR
LA VIOLATION ALLĂGUĂE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
57. La
requérante dénonce les dispositions de l'annexe 3 à la loi de 1990, en vertu
desquelles, une fois ses ovules fécondés avec le sperme de J., celui-ci a pu
rétracter son consentement. L'intéressée y voit une violation de son droit au
respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention,
qui Ă©nonce :
« 1. Toute
personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)
2. Il
ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit
que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue
une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité
nationale, Ă la sĂ»retĂ© publique, au bien-ĂȘtre Ă©conomique du pays, Ă la dĂ©fense
de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la
santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés
d'autrui. »
A. L'arrĂȘt
de la chambre
58. Dans
son arrĂȘt du 7 mars 2006, la chambre a dit, en rĂ©sumĂ©, que l'article 8 trouvait
à s'appliquer, la notion de « vie privée » recouvrant également le
droit au respect de la décision d'avoir un enfant ou de ne pas en avoir. La
question qui se posait au regard de l'article 8 était de « savoir si celui-ci
fai[sai]t peser sur l'Etat l'obligation positive de garantir aux femmes se
soumettant Ă ce type de traitement dans le but spĂ©cifique de donner naissance Ă
un enfant de leur sang la possibilitĂ© de se faire implanter un embryon conçu Ă
partir des gamÚtes de leur ex-partenaire en cas de rétractation par celui-ci de
l'engagement pris à cet égard ».
59. Constatant qu'il n'y avait pas, aux
niveaux international et européen, de consensus sur la réglementation des
traitements par FIV, sur l'utilisation des embryons issus de semblables
traitements et sur le point de savoir jusqu'Ă quel moment l'un des participants
Ă un traitement pouvait revenir sur son consentement Ă l'utilisation des
gamÚtes prélevés, et que le recours au traitement par FIV suscitait de délicates
interrogations d'ordre moral et éthique, la chambre a estimé qu'il y avait lieu
d'accorder à l'Etat défendeur une ample marge d'appréciation.
60. La loi de 1990 avait Ă©tĂ© adoptĂ©e Ă
l'issue d'une analyse exceptionnellement minutieuse des implications sociales,
éthiques et juridiques des avancées en matiÚre de fécondation et d'embryologie
humaines. Elle avait pour objectif de garantir un consentement effectif des
intéressés, depuis le début du traitement jusqu'à l'implantation des embryons.
S'il était vrai qu'en raison de la gravité de l'état de santé de la requérante,
celle-ci et son compagnon avaient dû se déterminer sur la fécondation des
ovules de la premiĂšre sans avoir pu consacrer Ă cette question le temps qu'il
était généralement souhaitable de prendre pour y réfléchir et obtenir conseil,
il n'était pas contesté que chacun d'eux avait été informé de la possibilité
qui lui était ouverte, aussi longtemps que les embryons conçus par ce procédé
n'étaient pas implantés, de retirer son consentement. Comme c'était le cas dans
les affaires Pretty c. Royaume-Uni (no 2346/02, CEDH
2002-III) et OdiĂšvre c. France (no 42326/98, CEDH
2003-III), la décision du législateur d'opter pour une rÚgle claire ou
« d'application stricte (« bright line rule ») â qui avait
pour double objectif de favoriser la sécurité juridique et de préserver la
confiance que le droit devait inspirer Ă l'opinion dans un domaine sensible â
s'appuyait sur des considérations d'ordre public impérieuses. Comme les
tribunaux internes, la chambre a considéré que l'absence de dispositions
permettant de passer outre à la révocation par un parent biologique de son
consentement, mĂȘme dans les circonstances exceptionnelles de l'espĂšce, n'Ă©tait
pas de nature à rompre le juste équilibre exigé par l'article 8 ou à excéder
l'ample marge d'appréciation dont bénéficiait l'Etat.
B. Les thĂšses des parties
1. La requérante
61. La
requérante reconnaßt la nécessité d'un cadre réglementaire pour le recours à la
médecine reproductive mais soutient que le principe selon lequel il ne peut
ĂȘtre dĂ©rogĂ© au vĂ©to opposĂ© par l'un ou l'autre donneur de gamĂštes Ă
l'utilisation des embryons n'est ni nécessaire ni proportionné.
62. Le
traitement par FIV impliquerait un investissement personnel et une charge
Ă©motionnelle bien plus importants pour la femme que pour l'homme : en
dehors du don de sperme celui-ci n'aurait aucun rĂŽle physique actif Ă jouer
dans le processus. La femme, en revanche, donnerait des ovules â qui sont en
quantitĂ© limitĂ©e â aprĂšs avoir subi une sĂ©rie d'interventions mĂ©dicales,
parfois douloureuses, destinées à maximiser les chances de prélÚvement. Le
droit en vigueur impliquerait qu'une femme ayant les mĂȘmes antĂ©cĂ©dents mĂ©dicaux
qu'elle n'aurait plus jamais la possibilitĂ© de tenter de concevoir un enfant Ă
partir de ses propres gamĂštes. L'investissement Ă©motionnel et physique de la
femme dans le processus serait bien supérieur à celui de l'homme et
justifierait de favoriser les droits de la femme au regard de l'article 8. Or,
d'aprÚs la requérante, la loi de 1990 aurait pour effet de soumettre ses droits
et libertĂ©s en matiĂšre de procrĂ©ation au caprice de J. Celui-ci, aprĂšs s'ĂȘtre
engagé dans le projet de conception d'embryons avec la requérante, en lui
offrant les assurances nécessaires pour la convaincre d'entreprendre le
traitement, aurait pu abandonner ensuite le projet quand bon lui semblait,
n'assumant aucune responsabilité relativement à sa décision initiale de
s'impliquer, et n'ayant pas mĂȘme l'obligation d'expliquer son comportement.
63. L'impact
des dispositions relatives au consentement figurant dans la loi de 1990 serait
tel qu'une femme dans la situation de la requérante n'aurait aucune garantie
quant Ă ses chances de porter un enfant, le donneur de gamĂštes, connu ou
anonyme, pouvant, par caprice, révoquer son consentement à l'utilisation des
embryons conçus avec son sperme. La médecine
reproductive aurait en partie pour objectif de fournir une solution possible Ă
ceux qui autrement ne pourraient procrĂ©er. Cet objectif se trouverait rĂ©duit Ă
néant si aucune dérogation n'était possible dans des circonstances
exceptionnelles.
64. Que l'on envisage le rĂŽle de l'Etat
sous l'angle d'une obligation positive de prendre des mesures raisonnables et
appropriées pour garantir à l'individu les droits protégés par l'article 8, ou
sous celui d'une ingérence exigeant une justification, il ressortirait
clairement de la jurisprudence qu'il faut ménager un juste équilibre entre les
intĂ©rĂȘts concurrents. Une lĂ©gislation ne reconnaissant pas que peuvent survenir
des situations exceptionnelles, exigeant un traitement différent, ne répondrait
à aucune nécessité. En l'espÚce, le litige opposerait essentiellement les
droits respectifs de deux individus, et non ceux de l'Etat et d'un individu.
Pour régler un conflit entre individus, il y aurait lieu de soumettre les
situations respectives à un examen judiciaire. La requérante indique qu'en
l'espĂšce la clinique est prĂȘte et disposĂ©e Ă la traiter, et estime qu'elle
devrait ĂȘtre autorisĂ©e Ă le faire. Par ailleurs, la chambre aurait exagĂ©rĂ©
l'obligation invoquée par elle : elle n'irait pas jusqu'à soutenir que
l'Etat doit garantir l'obtention par elle de l'autorisation de se faire
implanter les embryons litigieux.
65. Selon
l'intéressée, un examen objectif de l'affaire Nachmani (paragraphe 48
ci-dessus) et de la jurisprudence des tribunaux américains (paragraphes 42-47
ci-dessus) Ă©taye sa propre thĂšse. L'affaire Nachmani
serait celle dont les faits se rapprochent le plus de l'espĂšce, mais la
requérante estime que ses arguments sont plus solides car elle souhaite faire
implanter les embryons dans son corps, et non avoir recours Ă une mĂšre
porteuse. Toutes les décisions rendues aux Etats-Unis sembleraient soit
appliquer, soit au moins reconnaĂźtre un critĂšre de mise en balance des droits
et/ou intĂ©rĂȘts relativement aux embryons. En outre, une de ces affaires
seulement aurait été tranchée sur la base d'un conflit entre ordre public et
droits individuels ; la jurisprudence viendrait donc Ă©tayer l'argument de
la requĂ©rante selon lequel aucun intĂ©rĂȘt public ne se trouve en jeu. Quant Ă la
situation dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, la requérante relÚve
que la chambre s'est appuyée sur des documents dont les parties n'ont pas eu
connaissance, mais elle reconnaĂźt qu'il n'y a pas de consensus en Europe sur la
question de savoir si, d'une maniÚre générale, l'homme doit pouvoir révoquer
son consentement Ă tout moment avant l'implantation ou uniquement jusqu'au
moment de la fécondation. Elle invite toutefois la Cour à examiner les éléments
dont elle dispose quant à la façon dont les Etats membres du Conseil de
l'Europe trancheraient une affaire dont les faits seraient analogues Ă ceux de
l'espÚce. Elle s'interroge sur la rigidité des rÚgles en vigueur dans ces Etats, y
compris au sein des quatre qui, d'aprĂšs l'arrĂȘt de la chambre, autorisent un
retrait du consentement Ă tout moment avant l'implantation.
66. Si
la requérante admet qu'elle ne peut plus se prétendre victime de l'instruction
donnée par J. à la clinique de mettre fin à la conservation des embryons,
puisque la durée légale maximale de conservation était dépassée au moment de
l'audience devant la Grande Chambre, elle soutient qu'il n'est ni nécessaire ni
proportionné de donner un tel pouvoir à un seul donneur de gamÚtes. Les embryons humains seraient spéciaux : ce
serait la philosophie sous-jacente Ă la loi de 1990. Or celle-ci
permettrait à un seul membre du couple de détruire, par caprice, les embryons
crĂ©Ă©s par le couple ; mĂȘme un animal domestique serait mieux protĂ©gĂ© par
la loi.
2. Le
Gouvernement
67. Le
Gouvernement défend l'idée que la chambre s'est trompée en parlant d'un retrait
par J. d'un consentement qu'il aurait donné à l'utilisation de ses gamÚtes ou
d'une tentative entreprise par la requérante pour obliger J. à tenir parole. En
vérité, J. n'aurait jamais consenti au traitement que la requérante souhaite
suivre, son engagement s'étant toujours limité à un traitement conjoint avec
l'intéressée. En pratique, le consentement reposait sur la poursuite de la
relation du couple. Celle-ci terminée, la requérante aurait émis le souhait de
poursuivre le traitement seule, et le consentement donné par J. ne pourrait
s'Ă©tendre Ă la nouvelle situation.
68. Selon
le Gouvernement, la loi de 1990 visait Ă promouvoir des objectifs et intĂ©rĂȘts
étroitement liés : le droit de la femme à l'autodétermination relativement
à la grossesse une fois l'embryon implanté, la primauté d'un consentement libre
et Ă©clairĂ© Ă toute intervention mĂ©dicale, les intĂ©rĂȘts du ou des enfants pouvant
naßtre du traitement par FIV, l'égalité de traitement entre les parties, la
promotion de l'efficacité et de l'utilisation de la FIV et des techniques
associées, la clarté et la sécurité des rapports entre les partenaires.
69. Il plaide que, compte tenu de la complexité
des questions morales et Ă©thiques que soulĂšvent les traitements par FIV, sur
lesquels des divergences d'opinions marquées peuvent raisonnablement exister
dans une société démocratique, il y a lieu de reconnaßtre aux Etats une ample
marge d'appréciation dans ce domaine. Il n'existerait pas de communauté de vues
aux niveaux international ou européen sur le point de savoir jusqu'à quel
moment un donneur de sperme doit pouvoir ĂȘtre autorisĂ© Ă rĂ©voquer de maniĂšre
effective son consentement et à s'opposer à l'utilisation de son matériel
génétique. L'attribution d'une ample marge d'appréciation aux autorités nationales se
justifierait également par le motif qu'il leur incombe de ménager un équilibre
entre les intĂ©rĂȘts antagonistes de deux individus ayant l'un comme l'autre, en
vertu de la Convention, droit au respect de leur vie privée.
70. Le
fait que la rĂšgle autorisant chacune des parties Ă retirer son consentement
aussi longtemps qu'il n'y a pas eu implantation de l'embryon ne tolĂšre aucune
exception (rÚgle d'application stricte (« bright line rule »))
ne rendrait pas en soi la législation disproportionnée. Si l'on admettait des
exceptions Ă cette rĂšgle, l'objectif lĂ©gitime poursuivi par le Parlement â Ă
savoir garantir que toute implantation repose sur le consentement des deux
parties intĂ©ressĂ©es â ne serait pas atteint. Il en rĂ©sulterait des situations complexes et un risque d'arbitraire, et
les juridictions internes se trouveraient contraintes, comme en l'espĂšce, de
rechercher un Ă©quilibre entre des intĂ©rĂȘts individuels inconciliables.
B. Appréciation
de la Cour
1. La
nature des droits en jeu au regard de l'article 8
71. Les
parties s'accordent à considérer que l'article 8 trouve à s'appliquer et que le
présent litige se rapporte au droit de la requérante au respect de sa vie
privée. La Grande Chambre souscrit au point de vue de la chambre selon lequel
la notion de « vie privée », notion large qui englobe, entre autres,
des aspects de l'identité physique et sociale d'un individu, notamment le droit
à l'autonomie personnelle, le droit au développement personnel et le droit
d'Ă©tablir et entretenir des rapports avec d'autres ĂȘtres humains et le monde
extĂ©rieur (Pretty, arrĂȘt prĂ©citĂ©, § 61), recouvre Ă©galement le droit au
respect des décisions de devenir ou de ne pas devenir parent.
72. Toutefois,
il y a lieu de noter que la requérante n'allÚgue pas qu'elle se trouve en
aucune maniĂšre empĂȘchĂ©e de devenir mĂšre aux sens social, juridique, et mĂȘme
physique du terme, ni le droit ni la pratique internes ne lui interdisant
d'adopter un enfant, voire de donner naissance à un enfant conçu in vitro
avec les gamÚtes d'un donneur. L'intéressée se plaint plus précisément que les
dispositions de la loi de 1990 relatives au consentement l'empĂȘchent d'utiliser
les embryons créés conjointement par elle et J. et donc, vu sa situation
personnelle, d'avoir un enfant avec lequel elle ait un lien génétique. La
Grande Chambre estime que cette question plus restreinte, qui concerne le droit
au respect de la décision de devenir parent au sens génétique du terme, relÚve
Ă©galement de l'article 8.
73. Le
dilemme au cĆur de la prĂ©sente affaire tient au fait que se trouvent en conflit
les droits puisés dans l'article 8 par deux individus : la requérante et
J. En outre, l'intĂ©rĂȘt de chacun est totalement inconciliable avec celui de
l'autre, puisque si la requérante est autorisée à recevoir les embryons, J.
sera contraint de devenir pÚre, et que si le refus ou la révocation par J. de
son consentement est confirmé, la requérante se verra privée de la possibilité
de devenir parent au sens génétique du terme. Dans les circonstances difficiles de l'espÚce, quelle que soit la
solution adoptĂ©e par les autoritĂ©s nationales, les intĂ©rĂȘts de l'une des
parties au traitement par FIV seront entiĂšrement déçus (OdiĂšvre, arrĂȘt
précité, § 44).
74. En
outre, la Grande Chambre, Ă l'instar de la chambre, souscrit Ă l'argument du
Gouvernement (paragraphe 68 ci-dessus) selon lequel l'affaire ne concerne pas
simplement un conflit entre individus : la législation en question
poursuit Ă©galement un certain nombre d'intĂ©rĂȘts plus vastes, d'ordre gĂ©nĂ©ral,
puisque, par exemple, elle protÚge le principe de la primauté du consentement
et tend Ă promouvoir la clartĂ© et la sĂ©curitĂ© juridiques (OdiĂšvre, arrĂȘt
précité, § 45). La Grande Chambre examinera ci-aprÚs dans quelle mesure l'Etat
pouvait, au regard de l'article 8, accorder du poids à ces considérations.
2. Sur
le point de savoir si l'affaire concerne une obligation positive ou une
ingérence
75. Si
l'article 8 tend pour l'essentiel à prémunir l'individu contre des ingérences
arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander Ă l'Etat
de s'abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutÎt négatif
peuvent s'ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de
la vie privée. Elles peuvent impliquer
l'adoption de mesures visant au respect de la vie privée, jusque dans les
relations des individus entre eux. La frontiĂšre entre les obligations positives
et nĂ©gatives de l'Etat au titre de l'article 8 ne se prĂȘte pas Ă une dĂ©finition
précise ; les principes applicables sont néanmoins comparables. En
particulier, dans les deux cas, il faut avoir Ă©gard au juste Ă©quilibre Ă
mĂ©nager entre les intĂ©rĂȘts concurrents ; de mĂȘme, dans les deux
hypothÚses, l'Etat jouit d'une certaine marge d'appréciation (OdiÚvre,
arrĂȘt prĂ©citĂ©, § 40).
76. Dans le cadre de la procédure
interne, les parties et les juges ont analysé le litige comme mettant en cause une
ingérence de l'Etat dans l'exercice par la requérante de son droit au respect
de sa vie privĂ©e, les dispositions pertinentes de la loi de 1990 empĂȘchant la
clinique de poursuivre le traitement de l'intéressée dÚs lors que J. l'avait
avisée qu'il n'était pas consentant. Pour sa part, la Grande Chambre, comme la
chambre, juge plus approprié d'examiner la cause sous l'angle des obligations
positives, la question principale Ă©tant, comme dans l'affaire OdiĂšvre
précitée, de savoir si l'application faite en l'espÚce des dispositions
lĂ©gislatives incriminĂ©es a mĂ©nagĂ© un juste Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts publics
et privés concurrents en jeu. A ce propos, la Grande Chambre souscrit aux
conclusions des juridictions nationales selon lesquelles J. n'avait jamais consenti
Ă ce que la requĂ©rante utilisĂąt seule les embryons crĂ©Ă©s par le couple â son
consentement s'étant limité à un « traitement conjoint » avec la
requérante (paragraphe 24 ci-dessus). Contrairement au Gouvernement (paragraphe
67 ci-dessus), elle estime que le point de savoir si dans ces conditions J.
doit passer pour avoir « refusé » et non « retiré » son
consentement Ă l'implantation des embryons n'est pas important pour les
questions Ă trancher au regard de la Convention.
3. La marge d'appréciation
77. Pour déterminer l'ampleur de la
marge d'appréciation reconnue à l'Etat dans une affaire soulevant des questions
au regard de l'article 8, il y a lieu de prendre en compte un certain nombre de
facteurs. Lorsqu'un aspect particuliĂšrement important de l'existence ou de
l'identité d'un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l'Etat est
restreinte (voir, par exemple, X. et Y. c. Pays-Bas, arrĂȘt du 26 mars
1985, série A no 91, §§ 24 et 27 ; Dudgeon c. Royaume-Uni,
arrĂȘt du 22 octobre 1981, sĂ©rie A no 45 ; Christine Goodwin
c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 90, CEDH 2002-VI ; voir
Ă©galement Pretty, arrĂȘt prĂ©citĂ©, § 71). Par contre, lorsqu'il n'y a pas
de consensus au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe, que ce soit sur
l'importance relative de l'intĂ©rĂȘt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le
protéger, en particulier lorsque l'affaire soulÚve des questions morales ou
éthiques délicates, la marge d'appréciation est plus large (X., Y. et Z.
c. Royaume-Uni, arrĂȘt du 22 avril 1997, Recueil des arrĂȘts et
décisions 1997-II, § 44 ; Fretté c. France, no
36515/97, § 41, CEDH 2002-I ; Christine Goodwin, arrĂȘt prĂ©citĂ©, §
85 ; voir Ă©galement, mutatis mutandis, l'arrĂȘt Vo prĂ©citĂ©, §
82). La marge d'appréciation est de façon générale également ample lorsque l'Etat
doit mĂ©nager un Ă©quilibre entre des intĂ©rĂȘts privĂ©s et publics concurrents ou
diffĂ©rents droits protĂ©gĂ©s par la Convention (OdiĂšvre, arrĂȘt prĂ©citĂ©, §§
44-49, et FrettĂ©, arrĂȘt prĂ©citĂ©, § 42).
78. Les questions soulevées par la
prĂ©sente affaire revĂȘtent sans conteste un caractĂšre moralement et Ă©thiquement
délicat et, à cet égard, la Cour renvoie aux commentaires formulés par Lord
Bingham dans l'affaire Quintavalle (paragraphe 34 ci-dessus).
79. En outre, si la Cour tient compte
de l'argument de la requérante selon lequel il faut traiter les données de
droit comparé avec prudence, il est clair au moins, et l'intéressée ne le
conteste pas, qu'il n'existe pas une approche européenne uniforme dans ce
domaine. Certains Etats ont adopté des lois ou des rÚglements pour encadrer le
recours au traitement par FIV, alors que d'autres s'en remettent en la matiĂšre
à la pratique et à des directives médicales. Le Royaume-Uni n'est certes pas le
seul Etat Ă permettre la conservation d'embryons et Ă autoriser les deux donneurs
de gamĂštes Ă revenir librement et effectivement sur leur consentement tant
qu'il n'y a pas eu implantation des embryons, mais d'autres rĂšgles et pratiques
se rencontrent ailleurs en Europe. On ne peut dire qu'il existe un consensus
sur le point de savoir Ă partir de quel moment du traitement par FIV le
consentement des donneurs de gamĂštes doit ĂȘtre rĂ©putĂ© irrĂ©vocable (paragraphes
39-42 ci-dessus).
80. La requérante soutient qu'eu égard
Ă la plus grande ampleur de son investissement physique et Ă©motionnel durant le
traitement par FIV et à sa stérilité ultérieure ses droits garantis par
l'article 8 doivent primer ceux de J., mais il apparaĂźt Ă la Cour que, sur ce
point non plus, il n'y a pas de consensus clair. La Cour d'appel a évoqué la
difficultĂ© de comparer les effets qu'emporterait pour J. le fait d'ĂȘtre
contraint de devenir pÚre d'un enfant de la requérante et les effets qui
rĂ©sulteraient pour la requĂ©rante du fait d'ĂȘtre privĂ©e de toute chance d'avoir
un enfant biologique (paragraphes 25-26 ci-dessus) ; cette difficulté se
reflÚte également dans la diversité des avis exprimés par les deux collÚges de
la Cour suprĂȘme israĂ©lienne dans l'affaire Nachmani et dans la
jurisprudence des tribunaux américains (paragraphes 43-49 ci-dessus).
81. En conclusion, dĂšs lors que le
recours au traitement par FIV suscite de délicates interrogations d'ordre moral
et Ă©thique, qui s'inscrivent dans un contexte d'Ă©volution rapide de la science
et de la mĂ©decine, et que les questions soulevĂ©es en l'espĂšce se rapportent Ă
des domaines sur lesquels il n'y a pas, de maniÚre claire, communauté de vues
entre les Etats membres, la Cour estime qu'il y a lieu d'accorder Ă l'Etat
dĂ©fendeur une ample marge d'apprĂ©ciation (X, Y et Z, arrĂȘt prĂ©citĂ©, §
44).
82. Comme la chambre, la Grande Chambre
estime que cette marge d'appréciation doit en principe s'appliquer tant à la
décision de l'Etat d'adopter ou non une loi régissant le recours au traitement
par FIV, que, le cas échéant, aux rÚgles détaillées édictées par lui pour
mĂ©nager un Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts publics et privĂ©s en conflit.
4. Respect de l'article 8
83. Il reste à la Cour à déterminer si,
dans les circonstances particuliĂšres de l'espĂšce, l'application d'une loi
autorisant J. Ă rĂ©voquer de maniĂšre effective ou Ă refuser son consentement Ă
l'implantation dans l'utérus de la requérante des embryons conçus conjointement
par les deux membres du couple a mĂ©nagĂ© un juste Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts
concurrents en jeu.
84. Le fait qu'il soit aujourd'hui
techniquement possible de conserver des embryons humains à l'état congelé a
pour conséquence qu'il existe désormais une différence essentielle entre une
fécondation in vitro et une fécondation consécutive à un rapport sexuel,
Ă savoir la possibilitĂ© de laisser s'Ă©couler un laps de temps, qui peut ĂȘtre
important, entre la création d'embryons et leur implantation dans l'utérus.
Pour la Cour, il est légitime
â et d'ailleurs souhaitable â qu'un Etat mette en place un cadre juridique
tenant compte de cette possibilité de différer le transfert d'un embryon. La solution
adoptée au Royaume-Uni dans la loi de 1990 consistait à limiter à cinq ans la
durée légale de conservation d'un embryon. En 1996, un texte réglementaire a
portĂ© cette durĂ©e Ă dix ans et plus dans les cas oĂč l'un des donneurs de
gamÚtes ou la future mÚre est stérile ou risque de le devenir prématurément,
tout en prĂ©cisant que les embryons ne peuvent jamais ĂȘtre conservĂ©s aprĂšs que
la femme qui doit les recevoir a dépassé l'ùge de 55 ans (paragraphe 36
ci-dessus).
85. Ces
dispositions sont complétées par une obligation faite à la clinique dispensant
le traitement de solliciter de chaque donneur de gamĂštes un consentement Ă©crit
préalable précisant notamment le type de traitement pour lequel l'embryon est
censĂ© ĂȘtre utilisĂ© (annexe 3, article 2 § 1, de la loi de 1990), la durĂ©e
maximale de conservation et les mesures à prendre en cas de décÚs ou
d'incapacité du donneur (annexe 3, article 2 § 2). En outre, l'article 4 de
l'annexe 3 énonce que « quiconque a donné un consentement au sens de la
présente annexe peut y apporter des modifications successives ou le révoquer,
par notification Ă la personne responsable de la conservation des gamĂštes ou de
l'embryon concernés (...) » tant que l'embryon n'a pas été « utilisé »
(c'est-à -dire implanté dans l'utérus ; paragraphe 37 ci-dessus). Certains Etats, qui ont des cultures religieuses,
sociales et politiques différentes, ont adopté d'autres solutions pour tenir
compte de la possibilité technique d'un décalage entre la fécondation et
l'implantation (paragraphes 39-42 ci-dessus). Pour les motifs exposés ci-dessus
(paragraphes 77-82), la Grande Chambre estime que c'est d'abord Ă chaque Etat
qu'il appartient de décider des principes et politiques à appliquer dans ce
domaine sensible.
86. A cet Ă©gard, la Grande Chambre
partage l'avis de la chambre selon lequel il importe de noter que la loi de
1990 a été adoptée aprÚs une analyse exceptionnellement minutieuse des
implications sociales, éthiques et juridiques des avancées en matiÚre de fécondation
et d'embryologie humaines et qu'elle est le fruit d'un vaste ensemble de
réflexions, de consultations et de débats (voir, mutatis mutandis, Hatton
et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97, § 128, CEDH
2003-VIII).
87. Les problÚmes pouvant découler des
progrÚs scientifiques enregistrés dans la conservation des embryons humains ont
été abordés dÚs 1984, dans le rapport de la commission Warnock, qui préconisait
de fixer Ă dix ans la durĂ©e maximale de conservation des embryons destinĂ©s Ă
l'utilisation personnelle d'un couple ; passé ce délai, le droit
d'utilisation ou de destruction devait ĂȘtre confĂ©rĂ© Ă un organisme compĂ©tent
pour les questions de conservation. En cas de désaccord dans un couple sur
l'utilisation d'embryons créés conjointement, le droit de décider de
l'utilisation ou de la destruction des embryons devait ĂȘtre confĂ©rĂ© Ă
l'« organisme compétent pour les questions de conservation ». Le
livre vert élaboré à la suite du rapport Warnock invitait précisément les
secteurs intéressés de l'opinion publique à se prononcer sur le sort qu'il
fallait réserver à un embryon en cas de désaccord dans un couple quant à son
utilisation ou sa destruction. Le livre blanc publié en 1987 relevait que ceux
qui avaient rĂ©pondu et qui estimaient que la conservation devait ĂȘtre autorisĂ©e
souscrivaient pour l'essentiel aux recommandations de la commission, mais que
certains d'entre eux rejetaient l'idée de conférer à l'« organisme
compétent pour les questions de conservation » le droit de décider du sort
de l'embryon en cas de conflit entre les donneurs. Le Gouvernement proposa
alors de fonder la loi sur les principes clairs suivants : « les
souhaits du donneur priment pendant la période de conservation autorisée des
embryons ou des gamÚtes, et à l'expiration de cette période les embryons ne
peuvent ĂȘtre utilisĂ©s Ă d'autres fins par l'organisme agrĂ©Ă© que si le donneur y
a consenti ». Le livre blanc exposait également dans le détail les
propositions quant au consentement, lesquelles, aprĂšs de nouvelles consultations,
furent adoptées par le législateur et incorporées à l'annexe 3 à la loi de 1990
(paragraphes 29-39 ci-dessus).
88. En vertu de cette annexe, toutes
les cliniques qui proposent des traitements par FIV ont l'obligation légale
d'expliquer les dispositions relatives au consentement aux personnes
entreprenant un tel traitement et de recueillir leur consentement par Ă©crit
(paragraphe 37 ci-dessus). Nul ne conteste que cette obligation a été respectée
en l'espÚce et que la requérante et J. ont tous deux signé les formulaires de
consentement prévus par la loi. Si, en raison de l'urgence liée à sa situation
médicale, la requérante a dû se déterminer rapidement et dans une situation
d'anxiĂ©tĂ© extrĂȘme, elle savait, lorsqu'elle consentit Ă ce que tous ses ovules
fussent fécondés avec le sperme de J., qu'elle n'en aurait plus d'autres,
qu'elle ne pourrait faire implanter les embryons avant un certain temps, dĂšs
lors qu'il lui fallait d'abord terminer le traitement de son cancer, et que, en
vertu de la loi, J. pourrait Ă tout moment retirer son consentement Ă
l'implantation.
89. Si la requérante critique les
dispositions du droit national relatives au consentement en ce qu'elles ne
souffrent aucune dérogation, la Cour estime que le caractÚre absolu de la loi
n'est pas, en soi, nécessairement incompatible avec l'article 8 (voir,
Ă©galement, Pretty et OdĂšvre, arrĂȘts prĂ©citĂ©s au paragraphe 60
ci-dessus). La décision du législateur d'adopter des dispositions ne permettant
aucune exception, afin que toute personne donnant des gamĂštes aux fins d'un
traitement par FIV puisse avoir la certitude qu'ils ne pourront pas ĂȘtre
utilisés sans son consentement, procÚde du souci de faire prévaloir le respect
de la dignité humaine et de la libre volonté ainsi que du souhait de ménager un
juste Ă©quilibre entre les parties au traitement par FIV. Au-delĂ du principe en
jeu, le caractÚre absolu de la rÚgle en cause vise à promouvoir la sécurité
juridique et Ă Ă©viter les problĂšmes d'arbitraire et d'incohĂ©rence inhĂ©rents Ă
la mise en balance, au cas par cas, de ce que la Cour d'appel a décrit comme
Ă©tant des intĂ©rĂȘts « parfaitement incommensurables » (paragraphes
25-26 ci-dessus). Pour la Cour, les intĂ©rĂȘts gĂ©nĂ©raux poursuivis par la loi
sont légitimes et compatibles avec l'article 8.
90. Quant à l'équilibre ménagé entre
les droits conflictuels que les parties Ă un traitement par FIV peuvent puiser
dans l'article 8, la Grande Chambre, tout comme les autres juridictions ayant
eu à connaßtre de l'affaire, compatit à la situation de la requérante, qui désire
manifestement par-dessus tout un enfant de son sang. Toutefois, eu Ă©gard Ă ce
qui précÚde, et notamment à l'absence de consensus européen sur la question, la
Grande Chambre estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder davantage de poids au
droit de la requérante au respect de son choix de devenir parent au sens
génétique du terme qu'à celui de J. au respect de sa volonté de ne pas avoir un
enfant biologique avec elle.
91. La
Cour reconnaßt que le Parlement aurait pu régler la situation différemment.
Toutefois, comme la chambre l'a fait observer, la question centrale qui se pose
au regard de l'article 8 n'est pas de savoir s'il était loisible au législateur
d'opter pour d'autres dispositions, mais de déterminer si, dans l'établissement
de l'équilibre requis, le Parlement a excédé la marge d'appréciation qui est la
sienne en la matiĂšre.
92. Eu
égard à l'absence de consensus européen, au fait que les dispositions du droit
interne étaient dépourvues d'ambiguïté, qu'elles avaient été portées à la
connaissance de la requérante et qu'elles ménageaient un juste équilibre entre
les intĂ©rĂȘts en conflit, la Grande Chambre estime qu'il n'y a pas eu violation
de l'article 8 de la Convention.
III. SUR
LA VIOLATION ALLĂGUĂE DE L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINĂ AVEC L'ARTICLE 8
93. Dans
sa requĂȘte et dans la procĂ©dure devant la chambre, la requĂ©rante se plaignait
en outre d'une discrimination contraire à l'article 14 combiné avec l'article
8, dans la mesure oĂč une femme apte Ă procrĂ©er sans assistance mĂ©dicale
pourrait choisir en toute liberté et en-dehors de toute influence le sort
devant ĂȘtre rĂ©servĂ© Ă ses ovules fĂ©condĂ©s, alors qu'une femme dans sa
situation, c'est-à -dire incapable de procréer sans avoir recours à une FIV, se
trouverait, du fait de la loi de 1990, Ă la merci du donneur de sperme.
94. Dans
ses observations à la Grande Chambre toutefois, la requérante a indiqué que ses
griefs sur le terrain des articles 8 et 14 étaient inextricablement liés et que
si la Cour devait estimer que la disposition contestée du droit interne est
proportionnée sous l'angle de l'article 8, il lui faudrait conclure également
qu'elle est raisonnablement et objectivement justifiée au regard de l'article
14.
95. La
Grande Chambre, Ă l'instar de la chambre et des parties, estime qu'elle n'a pas
à statuer sur la question de savoir si la requérante peut se plaindre d'une
différence de traitement par rapport à une autre femme qui se trouverait dans
une situation analogue Ă la sienne. Elle
considÚre en effet que les motifs qui l'ont amenée à conclure à l'absence de
violation de l'article 8 constituent Ă©galement une justification objective et
raisonnable aux fins de l'article 14 (voir, mutatis mutandis, l'arrĂȘt Pretty,
précité, § 89).
96. Partant,
il n'y a pas eu violation de l'article 14 de la Convention en l'espĂšce.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, à l'unanimité,
qu'il n'y a pas eu violation de l'article 2 de la Convention ;
2. Dit, par treize voix contre quatre,
qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention ;
3. Dit, par treize voix contre quatre,
qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 de la Convention combiné avec
l'article 8 ;
Fait en français et en
anglais, puis prononcĂ© en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, Ă
Strasbourg, le 10 avril 2007.
Erik Fribergh Christos Rozakis
Greffier Président
Au prĂ©sent arrĂȘt se trouve
joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du
rĂšglement, l'exposĂ© de l'opinion dissidente commune aux juges TĂŒrmen,
Tsatsa-Nikolovska, Spielmann et Ziemele.
C.L.R.
E.F.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES TĂRMEN,
TSATSA-NIKOLOVSKA, SPIELMANN ET ZIEMELE
(Traduction)
1. Nous
avons voté contre les constats de non-violation de l'article 8 de la Convention
et de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8.
2. La
requérante en l'espÚce se plaignait que l'impact des dispositions relatives au
consentement figurant dans la loi de 1990 Ă©tait tel qu'une femme dans sa
situation n'avait aucun moyen de garantir ses chances de porter un enfant de
son sang. Selon elle, la médecine reproductive a en partie pour objectif de
fournir une solution possible à ceux qui autrement ne pourraient procréer. Or cet objectif se trouverait réduit à néant si aucune
dérogation n'était possible dans des circonstances exceptionnelles (paragraphes
62-64 de l'arrĂȘt).
3. Pour la Cour comme pour les parties,
l'article 8 est applicable et l'affaire concerne le droit de la requérante au
respect de sa vie privée (paragraphe 71). La Cour précise (paragraphe 72) que
la question plus restreinte du droit au respect de la décision de devenir
parent au sens génétique du terme relÚve également de l'article 8. Nous
souscrivons au raisonnement de la Cour concernant l'applicabilité de l'article
8 et la question plus spécifique en jeu. Nous tenons toutefois à souligner
l'importance de la précision donnée par la Cour quant à l'applicabilité de
l'article 8 dans les circonstances de l'espĂšce.
4. Dans son arrĂȘt, la Cour examine la
nature des droits en jeu au regard de l'article 8 (paragraphes 71-74) et le
point de savoir si l'affaire concerne une obligation positive ou une ingérence
(paragraphes 75-76). Au sujet de la premiĂšre question, elle indique que
l'affaire a trait à un conflit entre les droits puisés dans l'article 8 par
deux individus (paragraphe 73) et ajoute que la législation en cause poursuit
Ă©galement un certain nombre d'intĂ©rĂȘts plus vastes, d'ordre gĂ©nĂ©ral, en
protĂ©geant le principe de la primautĂ© du consentement et en cherchant Ă
promouvoir la clarté et la sécurité juridiques (paragraphe 74). Jugeant plus
approprié d'examiner la cause sous l'angle des obligations positives, la Cour
indique que la question principale consiste Ă savoir si l'application faite en
l'espÚce des dispositions législatives incriminées a ménagé un juste équilibre
entre les intĂ©rĂȘts publics et privĂ©s concurrents en jeu (paragraphe 76). Par
ailleurs, la Cour considÚre que, dÚs lors que le recours au traitement par fécondation
in vitro FIV suscite de délicates interrogations d'ordre moral et
Ă©thique qui s'inscrivent dans un contexte d'Ă©volution rapide de la science et
de la médecine et que les questions soulevées en l'espÚce se rapportent à des
domaines sur lesquels il n'y a pas, de maniÚre claire, communauté de vues
entre les Etats membres, il y a lieu d'accorder à l'Etat défendeur une ample
marge d'appréciation (paragraphe 81). Cette marge d'appréciation doit en
principe, d'aprĂšs la
Cour, s'appliquer tant à la décision de l'Etat
d'adopter ou non une loi régissant le recours au traitement par FIV que, le cas
échéant, aux rÚgles détaillées édictées par lui pour ménager un équilibre entre
les intĂ©rĂȘts publics et privĂ©s en conflit (paragraphe 82).
5. Nous ne pouvons souscrire Ă
l'appréciation de la Cour selon laquelle il est plus approprié d'examiner la
question sous l'angle des obligations positives.
6. L'affaire concerne selon nous une
atteinte au droit de la requérante au respect de sa décision de devenir parent
au sens génétique du terme. Nous pouvons admettre que l'ingérence était prévue
par la loi et qu'elle poursuivait des buts légitimes, à savoir la défense de
l'ordre public et de la morale et la protection des droits d'autrui. Mais cette
ingérence était-elle nécessaire et proportionnée, eu égard aux circonstances
particuliĂšres de l'espĂšce ? Pour les raisons que nous exposons ci-dessous,
nous estimons quant à nous que le droit pour la requérante de décider de
devenir parent, au sens génétique du terme, pÚse plus lourd que le droit pour
M. J. de décider de ne pas devenir parent.
i) La
loi de 1990 ne prévoit pas la possibilité de prendre en considération la
situation médicale trÚs particuliÚre de la requérante. Nous admettons, avec la
majoritĂ©, que notamment lorsqu'une question revĂȘt une nature moralement et
Ă©thiquement dĂ©licate, une rĂšgle d'interprĂ©tation stricte est peut-ĂȘtre la plus
appropriĂ©e pour servir au mieux les divers intĂ©rĂȘts, souvent conflictuels, en
jeu. On dit que « l'avantage d'une loi claire est qu'elle offre de la
sécurité ». Mais on admet également que « son désavantage est que si
elle est trop claire â catĂ©gorique â elle offre trop de sĂ©curitĂ© et aucune
flexibilité »1.
DĂšs lors, eu Ă©gard aux circonstances particuliĂšres de l'espĂšce, le problĂšme
principal réside dans la nature absolue de la « rÚgle d'interprétation
stricte » en cause.
ii) En
l'espÚce, la démarche suivie par la majorité n'a pas simplement pour
conséquence de contrecarrer la décision prise par la requérante d'avoir un
enfant de son sang, elle emporte suppression effective de toute possibilité
pour elle d'avoir un tel enfant, privant de toute effectivité pareille décision
qui serait prise maintenant ou Ă quelque moment que ce soit dans l'avenir.
7. Aussi
jugeons-nous disproportionnée l'application faite de la loi de 1990 dans les
circonstances particuliĂšres de la cause. Du fait de sa nature absolue, la
lĂ©gislation incriminĂ©e empĂȘche dans un cas tel celui de l'espĂšce la mise en
balance des intĂ©rĂȘts en conflit. En fait, mĂȘme si la majoritĂ© admet qu'il
s'agit de mĂ©nager un Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts conflictuels que les
parties Ă un traitement par FIV peuvent puiser dans l'article 8 (paragraphe
90), aucune mise en balance n'est possible dans les circonstances de la cause,
puisque la décision entérinant le choix fait par M. J. de ne pas devenir pÚre
implique une annulation absolue et définitive de la décision de la requérante.
Le fait de vider de sa substance ou de son sens la décision de l'une des deux
parties ne peut s'analyser en une mise en balance des intĂ©rĂȘts. Il convient de
noter que l'affaire ne concerne pas la possibilité d'adopter un enfant ni celle
de donner naissance à un enfant conçu in vitro avec les gamÚtes d'un
donneur. Incidemment, M. J. sera toujours capable de prendre la décision de
devenir pÚre d'un enfant biologique, tandis que pour la requérante c'était sa
derniĂšre chance.
8. Par
ailleurs, la requérante a subi le 26 novembre 2001 l'ablation de ses ovaires. En conséquence, les ovules prélevés sur elle aux fins
d'un traitement par FIV Ă©taient sa derniĂšre chance d'avoir un enfant de son
sang. Non seulement J. en Ă©tait parfaitement conscient, mais il donna Ă sa
compagne de l'Ă©poque l'assurance qu'il souhaitait ĂȘtre le pĂšre de son enfant.
Sans pareille assurance, la requérante aurait pu chercher à avoir un enfant
biologique en utilisant d'autres mĂ©thodes. Au paragraphe 90 de l'arrĂȘt, oĂč la
majoritĂ© tente de mĂ©nager un Ă©quilibre entre les droits et intĂ©rĂȘts de la
requérante et ceux de J., aucun poids n'est accordé à cet aspect
« assurance », au fait que la requérante a agi de bonne foi en se
fondant sur l'assurance reçue de J. La date décisive est le 12 novembre
2001 : c'est la date à laquelle les ovules de la requérante ont été
fécondés et six embryons créés. A compter de cette
date, J. n'Ă©tait plus maĂźtre de son sperme. Un embryon est une production
conjointe de deux personnes qui, une fois implantée dans un utérus, se
transforme pour finalement donner un enfant. Un acte consistant à détruire un
embryon implique donc également la destruction de l'ovule de la femme. De ce point de vue également, la législation
britannique est restée en défaut de ménager le juste équilibre requis.
9. Les circonstances particuliĂšres de
l'espĂšce nous amĂšnent Ă considĂ©rer que les intĂ©rĂȘts de la requĂ©rante pĂšsent
plus lourd que les intĂ©rĂȘts de J. et que le fait que les autoritĂ©s britanniques
en ont jugé autrement doit s'analyser en une violation de l'article 8.
10. LĂ encore, nous tenons Ă souligner
que, comme la majorité, nous estimons que la loi de 1990 n'est pas, en soi,
contraire Ă l'article 8 et que le principe du consentement est important pour
le traitement par FIV. Nous admettons que, lorsque l'on regarde les
législations pertinentes dans les autres Etats, différentes approches s'en
dégagent et que la Cour a raison de dire qu'il n'existe pas, au niveau
européen, de consensus sur les détails de l'encadrement juridique du traitement
par FIV. Comme nous l'avons dit ci-dessus, toutefois, nous faisons de la
présente espÚce une analyse différente de la majorité car les circonstances qui
la caractérisent nous font regarder au-delà de la simple question du
consentement au sens contractuel du terme. Les valeurs et questions en jeu, du
point de vue de la situation de la requĂ©rante, revĂȘtent un poids important,
négligé par l'approche purement contractuelle adoptée en l'espÚce..
11. Compte
tenu de l'importance de la question et de la nature extrĂȘme de la situation de
la requérante, il nous paraßt difficile d'inférer quoi que ce soit du fait que
celle-ci savait que « en vertu de la loi, J. pourrait à tout moment retirer
son consentement à l'implantation » (paragraphe 88). Il n'est évidemment pas possible que l'on suggÚre que
Mme Evans,
aprÚs toutes ses épreuves, aurait dû envisager l'éventualité de voir M. J.
retirer son consentement. LĂ encore il est manifeste que l'affaire ne pouvait
guĂšre se traiter par une application formaliste des rĂšgles juridiques qui
encadraient le traitement par FIV.
12. Une
affaire aussi sensible que celle-ci ne peut ĂȘtre tranchĂ©e sur une base
simpliste et mécanique consistant à dire qu'il n'y a aucun consensus en
Europe et que, dÚs lors, l'Etat défendeur bénéficie d'une ample marge
d'appréciation, qui s'étend aux rÚgles adoptées aux fins de ménager un
Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts publics et privĂ©s en conflit.
Certes,
les Etats disposent d'une ample marge d'appréciation lorsqu'il s'agit d'adopter
des rÚgles régissant le recours à la FIV. La marge d'appréciation ne doit
toutefois pas empĂȘcher la Cour d'exercer son contrĂŽle, en particulier
relativement à la question de savoir si un juste équilibre a été ménagé entre
tous les intĂ©rĂȘts conflictuels en jeu au niveau interne2.
La
Cour ne devrait pas utiliser le principe de la marge d'appréciation comme un
simple substitut pragmatique à une approche réfléchie du problÚme de la portée
adéquate de son contrÎle3.
13. Pour
conclure, contrairement à la majorité nous estimons que la législation
incriminée n'a pas permis de ménager un juste équilibre dans les circonstances
particuliÚres de l'espÚce. Si les effets de la législation sont tels que d'une
part ils donnent à une femme le droit de décider d'avoir un enfant de son sang
mais que d'autre part ils la privent de toute possibilité de se retrouver en
position de faire ce choix, ils font supporter à l'intéressée une charge morale
et physique d'aprĂšs nous disproportionnĂ©e qui ne peut guĂšre ĂȘtre compatible
avec l'article 8 et avec les buts mĂȘmes de la Convention, qui sont de protĂ©ger
la dignité et l'autonomie humaines.
14. En
ce qui concerne l'article 14 de la Convention, nous tenons à préciser ce qui
suit.
15. Il
se peut qu'aux fins de l'article 14 la comparaison doive se faire avec un homme
stĂ©rile (voir, au paragraphe 23 de l'arrĂȘt, l'exemple invoquĂ© dans la procĂ©dure
interne par le juge Wall). Toutefois, mĂȘme cette comparaison n'illustre pas
toute la complexité du problÚme soulevé par la présente espÚce. Les institutions internationales spécialement
investies de la mission de promouvoir les droits des femmes reconnaissent qu'il
est justifié et nécessaire d'« expliquer comment les politiques et mesures
relatives aux soins de santé tiennent compte des droits des femmes et prennent
en compte leurs intĂ©rĂȘts et leurs spĂ©cificitĂ©s par rapport aux hommes,
notamment : a) Les caractéristiques biologiques des femmes,
telles que (...) leur fonction en matiÚre de procréation (...) (CEDAW
recommandation générale no 24 (20e session,
1999)) ». Une femme se trouve placée dans une situation différente d'un
homme du point de vue de la naissance d'un enfant, y compris lorsque la
législation autorise des méthodes de fécondation artificielle. En conséquence,
nous estimons que la démarche qui s'imposait en l'espÚce est celle qui fut
adoptée relativement à l'article 14 dans l'affaire Thlimmenos c. GrÚce,
dans laquelle la Cour a reconnu que des situations différentes doivent
entraßner un traitement différent4. Si nous appréhendons la situation personnelle de la requérante à la
lumiĂšre de ce principe, c'est notamment Ă raison de l'ampleur de la charge
physique et émotionnelle et des conséquences5
qu'emporte cette situation, et c'est sur cette base que nous avons voté en
faveur de la violation de l'article 14 combiné avec l'article 8.
1. Voir M.-B. Dembour, Who
Believes in Human Rights? Reflections on the European Convention,
Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 93.
2. Nous tenons Ă
souligner que dans son rĂ©cent arrĂȘt Associated Society of Locomotive
Engineers & Firemen (ASLEF) c. Royaume-Uni, no 11002/05, §
46, 27 février 2007 la Cour a redit clairement comment elle conçoit le rÎle de
la marge dâapprĂ©ciation : « Enfin, dans lâĂ©tablissement dâun juste
Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts en conflit, lâEtat dispose dâune certaine marge
dâapprĂ©ciation pour dĂ©terminer les mesures propres Ă garantir le respect de la
Convention (voir, parmi dâautres, Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC],
no 36022/97, § 98, CEDH 2003-VIII). DĂšs lors toutefois quâil ne
sâagit pas ici dâune question relevant de la politique gĂ©nĂ©rale, sur laquelle
de larges divergences dâopinion peuvent raisonnablement rĂ©gner au sein dâune
société démocratique, un poids spécial devant ainsi Útre accordé au rÎle des
responsables politiques internes (voir, par exemple, James et autres c.
Royaume-Uni, arrĂȘt du 21 fĂ©vrier 1986, sĂ©rie A no 98, p. 32, §
46, oĂč la Cour a estimĂ© quâil Ă©tait « normal que le lĂ©gislateur dispose
dâune grande latitude pour mener une politique Ă©conomique et sociale »), la
marge dâapprĂ©ciation ne joue quâun rĂŽle limitĂ©.
La démarche adoptée dans ASLEF prend en compte
les conceptions des parlements nationaux dans une « saine » mesure
(en lui confĂ©rant un poids spĂ©cial) sâagissant de dĂ©finir une politique
générale ; il y a lieu de distinguer les questions de politique générale
et les décisions concernant les droits fondamentaux de tel ou tel individu
(dans le contexte dâune requĂȘte individuelle), lesquelles, en vertu de ce qui a
Ă©tĂ© dit ci-dessus, appellent un rĂŽle restreint de la marge dâapprĂ©ciation. Dans
lâaffaire Evans,
la majoritĂ©, tout en accordant Ă lâEtat dĂ©fendeur une ample marge
d'appréciation, se réfÚre largement aux questions de politique générale et
étend cette ample marge d'appréciation aux rÚgles détaillées adoptées pour
Ă©tablir un Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts publics et privĂ©s en conflit
(paragraphes 81-82 de lâarrĂȘt et paragraphe 4 in fine de notre opinion
dissidente). Comme la plupart de celles portĂ©es devant la Cour, lâaffaire Evans nâa
pas trait uniquement à des questions de politique générale : elle concerne
aussi des intĂ©rĂȘts individuels importants. DâaprĂšs nous, la majoritĂ© a donnĂ© un
poids excessif à celles-ci, qui en réalité ne sont que la toile de fond de la
prĂ©sente affaire (voir la section 3 de lâarrĂȘt (la marge dâapprĂ©ciation), en
particulier le paragraphe 81), et elle ne sâest pas suffisamment livrĂ©e, dans
la section 4 de son arrĂȘt (observation de lâarticle 8 ; paragraphes
83-92), Ă un exercice de mise en balance ad hoc.
3. R. St. J. Macdonald,
« The Margin of Appreciation », dans The European System
for the Protection of Human Rights, (R. St. J. Macdonald et al. [eds.],
1993), p. 84, cité par E. Brems, « The Margin of Appreciation
Doctrine in the Case-Law of the European Court of Human Rights », Zeitschrift
fĂŒr auslĂ€ndisches öffentliches Recht und Völkerrecht, 1996, p. 313. Voir
Ă©galement lâapprĂ©ciation critique de la doctrine de la « marge
dâapprĂ©ciation » faite par M. R. Hutchinson in « The Margin
of Appreciation Doctrine in the European Court of Human Rights », International
and Comparative Law Quarterly, 1996, 638-650.
4. Thlimmenos c.
GrĂšce [GC], no 34369/97, CEDH 2000-IV.
5. C. Packer, « Defining
and Delineating the Right to Reproductive Choice », Nordic Journal
of International Law, 1998, pp. 77-95, Ă la p. 95.