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Corte europea dei diritti dell’uomo (Grande Camera), 10 aprile 2007

(requĂȘte n. 6339/05)

 

 

AFFAIRE EVANS c. ROYAUME-UNI

 

Cet arrĂȘt est dĂ©finitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l'affaire Evans c. Royaume-Uni,

La Cour europĂ©enne des Droits de l'Homme, siĂ©geant en une Grande Chambre composĂ©e de :

MM. C.L. Rozakis, prĂ©sident, 
J.-P. Costa, 
Sir Nicolas Bratza, 
MM. B.M. Zupančič, 
P. Lorenzen, 
R. TĂŒrmen, 
V. Butkevych, 
Mmes N. Vajić, 
M. Tsatsa-Nikolovska, 
MM. A.B. Baka, 
A. Kovler, 
V. Zagrebelsky, 
Mme A. Mularoni, 
M. D. Spielmann, 
Mme R. Jaeger, 
M. David ThĂłr Björgvinsson, 
Mme I. Ziemele, juges, 
et de M. E. Fribergh, greffier,

AprĂšs en avoir dĂ©libĂ©rĂ© en chambre du conseil le 22 novembre 2006 et le 12 mars 2007,

Rend l'arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette derniĂšre date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requĂȘte (no 6339/05) dirigĂ©e contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Natallie Evans (« la requĂ©rante Â»), a saisi la Cour le 11 fĂ©vrier 2005 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des LibertĂ©s fondamentales (« la Convention Â»).

2.  La requĂ©rante, qui a Ă©tĂ© admise au bĂ©nĂ©fice de l'assistance judiciaire, a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ©e par Me M. Lyons, avocat Ă  Londres. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement Â») a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par ses agents, Mmes Emily Willmott et Kate McCleery, du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres et du Commonwealth.

3.  Invoquant les articles 2, 8 et 14 de la Convention, la requĂ©rante se plaignait que le droit interne autorisĂąt son ex-compagnon Ă  rĂ©voquer de maniĂšre effective son consentement Ă  la conservation et Ă  l'utilisation des embryons crĂ©Ă©s par eux conjointement.

4.  La requĂȘte a Ă©tĂ© attribuĂ©e Ă  la quatriĂšme section de la Cour (article 52 § 1 du rĂšglement de la Cour). Au sein de celle-ci, la chambre chargĂ©e d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a Ă©tĂ© constituĂ©e conformĂ©ment Ă  l'article 26 § 1 du rĂšglement.

5.  Le 27 fĂ©vrier 2005, le prĂ©sident de la chambre a dĂ©cidĂ© d'indiquer au Gouvernement, en vertu de l'article 39 du rĂšglement de la Cour, que, sans prĂ©judice d'une Ă©ventuelle dĂ©cision de la Cour sur le fond, il Ă©tait souhaitable, dans l'intĂ©rĂȘt du bon dĂ©roulement de la procĂ©dure, que le Gouvernement prĂźt les mesures nĂ©cessaires pour que les embryons fussent conservĂ©s jusqu'Ă  ce que la Cour eĂ»t terminĂ© d'examiner l'affaire. Le mĂȘme jour, le prĂ©sident a dĂ©cidĂ©, sur le fondement de l'article 41 du rĂšglement, que la requĂȘte devait ĂȘtre traitĂ©e par prioritĂ©, sur le fondement de l'article 29 § 3 de la Convention et de l'article 54A du rĂšglement, que la recevabilitĂ© et le fond de l'affaire seraient examinĂ©s conjointement, et sur le fondement de l'article 54 § 2 b) du rĂšglement, que le Gouvernement devait ĂȘtre invitĂ© Ă  soumettre par Ă©crit des observations sur la recevabilitĂ© et le bien-fondĂ© de la requĂȘte. Le 7 juin 2005, la Chambre a confirmĂ© les dĂ©cisions ci-dessus (article 54 § 3 du rĂšglement).

6.  Le 7 mars 2006, aprĂšs une audience consacrĂ©e Ă  la recevabilitĂ© et au fond de la requĂȘte (article 54 § 3 du rĂšglement), la chambre, composĂ©e de M. J. Casadevall, prĂ©sident, Sir Nicolas Bratza, M. M. PellonpÀÀ, M. R. Maruste, M. K. Traja, Mme L. Mijovic et de M. J. Ć ikuta, juges, ainsi que de M. M. O'Boyle, greffier de section, a rendu un arrĂȘt dĂ©clarant la requĂȘte recevable et concluant, Ă  l'unanimitĂ©, Ă  la non-violation des articles 2 et 14 de la Convention et, par cinq voix contre deux, Ă  la non-violation de l'article 8. A l'arrĂȘt se trouvait joint l'exposĂ© de l'opinion dissidente commune Ă  M. Traja et Mme Mijovic.

7.  Le 5 juin 2006, la requĂ©rante a sollicitĂ© le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre au titre de l'article 43 de la Convention. Le 3 juillet 2006, un collĂšge de la Grande Chambre a fait droit Ă  cette demande. Le mĂȘme jour, le prĂ©sident de la Cour a dĂ©cidĂ© d'inviter le Gouvernement Ă  reconduire les mesures indiquĂ©es le 22 fĂ©vrier 2005 en application de l'article 39 du rĂšglement (paragraphe 5 ci-dessus).

8.  La composition de la Grande Chambre a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e conformĂ©ment aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du rĂšglement.

9.  Tant la requĂ©rante que le Gouvernement ont dĂ©posĂ© des observations sur le fond de l'affaire.

10.  Une audience s'est dĂ©roulĂ©e en public au Palais des Droits de l'Homme, Ă  Strasbourg, le 22 novembre 2006 (article 59 § 3 du rĂšglement).

Ont comparu :

–  pour le Gouvernement 
Mme H. Mulvein, agent
MM. P. Sales, QC
 J. Coppel, conseils
Mmes K. Arnold, 
 G. Skinner, conseillers ;

–  pour la requĂ©rante 
M. R. Tolson, QC
Mme S. Freeborn, conseils
M. M. Lyons, solicitor, 
Mmes A. Murphy O'Reilly, conseiller, 
 N. EvansrequĂ©rante.

 

 

La Cour a entendu M. Sales et M. Tolson en leurs dĂ©clarations ainsi qu'en leurs rĂ©ponses aux questions des juges Spielmann, TĂŒrmen, Myjer, David ThĂłr Björgvinsson, Costa et Zagrebelsky.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

11.  La requĂ©rante est nĂ©e en octobre 1971 et rĂ©side Ă  Wiltshire.

12.  Les faits, tels qu'ils ont Ă©tĂ© Ă©tablis par le juge Wall, qui a entendu les dĂ©positions orales des parties (paragraphe 20 ci-dessous), sont les suivants.

A.  Le traitement par FIV

13.  Le 12 juillet 2000, la requĂ©rante et son compagnon, J. (nĂ© en novembre 1976), entamĂšrent un traitement dans une clinique de Bath spĂ©cialisĂ©e dans la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e (ci-aprĂšs « la clinique Â»). La requĂ©rante avait Ă©tĂ© adressĂ©e Ă  cette clinique pour un traitement cinq ans auparavant, alors qu'elle Ă©tait mariĂ©e, mais, le couple s'Ă©tant sĂ©parĂ©, le traitement n'avait pas Ă©tĂ© poursuivi.

14.  Le 10 octobre 2000, lors d'une consultation Ă  la clinique, la requĂ©rante et J. furent informĂ©s que des tests prĂ©liminaires avaient rĂ©vĂ©lĂ© que la jeune femme prĂ©sentait de graves tumeurs prĂ©cancĂ©reuses aux deux ovaires et qu'elle devrait subir une ovariectomie bilatĂ©rale. On leur indiqua que, les tumeurs se dĂ©veloppant lentement, il serait possible de prĂ©lever quelques ovules avant l'ablation, en vue d'une fĂ©condation in vitro (« FIV Â»), mais que ce prĂ©lĂšvement devrait intervenir Ă  bref dĂ©lai.

15.  La consultation du 10 octobre 2000 dura environ une heure au total. Une infirmiĂšre expliqua Ă  la requĂ©rante et J. qu'ils devraient signer chacun un formulaire pour exprimer leur consentement au traitement par FIV, et que, conformĂ©ment aux dispositions de la loi de 1990 sur la fĂ©condation et l'embryologie humaines (Human Fertilisation and Embryology Act 1990, ci-aprĂšs « la loi de 1990 Â»), chacun d'eux aurait la possibilitĂ© de retirer son consentement Ă  tout moment tant que les embryons n'auraient pas Ă©tĂ© implantĂ©s dans l'utĂ©rus de la requĂ©rante (paragraphe 37 ci-dessous). Celle-ci demanda Ă  l'infirmiĂšre s'il serait possible de congeler ses ovules non fĂ©condĂ©s, mais s'entendit rĂ©pondre que la clinique ne pratiquait pas cette technique, qui se caractĂ©risait par un taux de rĂ©ussite bien moins Ă©levĂ©. J. tenta alors de rassurer la requĂ©rante en lui disant qu'ils n'allaient pas se sĂ©parer, qu'elle n'avait pas besoin d'envisager la congĂ©lation de ses ovules, qu'il ne fallait pas voir les choses de maniĂšre nĂ©gative et qu'il voulait ĂȘtre le pĂšre de l'enfant qu'elle mettrait au monde.

16.  Par la suite, le couple donna les consentements nĂ©cessaires en signant les formulaires prĂ©vus par la loi de 1990 (paragraphe 37 ci-dessous).

Directement sous le titre du formulaire figurait la consigne suivante :

« N.B. – Ne signez le prĂ©sent formulaire que si vous avez reçu des informations sur le sujet et si l'on vous a proposĂ© des conseils. Vous pouvez modifier les conditions de votre consentement Ă  tout moment, sauf s'agissant de sperme ou d'embryons dĂ©jĂ  utilisĂ©s. Veuillez, selon les cas, inscrire un chiffre ou cocher une case. Â»

Par les cases qu'il cocha, J. exprima son consentement Ă  ce que son sperme fĂ»t utilisĂ© pour fĂ©conder les ovules de la requĂ©rante in vitro et Ă  ce que les embryons ainsi crĂ©Ă©s fussent utilisĂ©s aux fins du traitement conjoint de la requĂ©rante et de lui-mĂȘme. Dans la rubrique « conservation Â», il choisit que les embryons obtenus in vitro Ă  partir de son sperme fussent conservĂ©s durant la pĂ©riode maximale de dix ans et que la conservation du sperme et des embryons se poursuivĂźt s'il venait Ă  dĂ©cĂ©der ou Ă  perdre ses facultĂ©s mentales avant l'expiration de ce dĂ©lai. La requĂ©rante signa un formulaire qui Ă©tait pratiquement identique Ă  celui de J., Ă  cette exception prĂšs qu'il concernait non pas le sperme, mais les ovules. Comme J., elle consentit, par les cases qu'elle cocha, Ă  son propre traitement et Ă  son traitement « avec un partenaire nommĂ©ment dĂ©signĂ© Â».

17.  Le 12 novembre 2001, le couple se rendit Ă  la clinique et onze ovules furent prĂ©levĂ©s et fĂ©condĂ©s. Six embryons furent ainsi crĂ©Ă©s et mis en conservation. Le 26 novembre, la requĂ©rante subit l'ablation de ses deux ovaires. On l'informa qu'il lui faudrait attendre deux ans avant de pouvoir tenter d'implanter un embryon dans son utĂ©rus.

B.  La procĂ©dure devant la High Court

18.  En mai 2002, la relation entre J. et la requĂ©rante prit fin. Ils discutĂšrent du devenir des embryons. Le 4 juillet 2002, J. Ă©crivit Ă  la clinique pour l'informer que le couple s'Ă©tait sĂ©parĂ© et qu'il voulait que les embryons soient dĂ©truits.

19.  La clinique avisa la requĂ©rante que J. avait retirĂ© son consentement Ă  l'utilisation ultĂ©rieure des embryons et qu'elle se trouvait par consĂ©quent dans l'obligation lĂ©gale de les dĂ©truire, en application de l'article 8 § 2 de l'annexe 3 Ă  la loi de 1990 (paragraphe 37 ci-dessous). La requĂ©rante entama une procĂ©dure devant la High Court. Elle sollicitait de celle-ci une ordonnance enjoignant Ă  J. de rĂ©tablir son consentement Ă  l'utilisation et Ă  la conservation des embryons, et une dĂ©claration prĂ©cisant, entre autres, que J. n'avait pas modifiĂ© son consentement du 10 octobre 2001 et ne pouvait pas le faire. Elle demandait aussi Ă  la High Court de dire, en vertu de la loi de 1998 sur les droits de l'homme (Human Rights Act 1998), que l'article 12 et l'annexe 3 de la loi de 1990 Ă©taient incompatibles avec la Convention et portaient atteinte Ă  ses droits rĂ©sultant des articles 8, 12 et 14 de celle-ci. En outre, elle allĂ©guait que les embryons avaient droit Ă  la protection prĂ©vue aux articles 2 et 8 de la Convention. La High Court rendit des ordonnances provisoires imposant Ă  la clinique de conserver les embryons jusqu'Ă  la fin de la procĂ©dure.

20.  Avant de statuer au fond, le juge Wall tint une audience qui dura cinq jours, au cours desquels il entendit notamment la requĂ©rante et J. Le 1er octobre 2003, il rejeta les demandes de la requĂ©rante par un jugement de 65 pages (Evans v. Amicus Healthcare Ltd and others, [2003] EWHC 2161 (Fam)).

21.  Il conclut qu'aux termes de la loi de 1990, et pour des motifs d'ordre public, J. n'avait jamais eu la facultĂ© de consentir sans Ă©quivoque Ă  ce que les embryons fussent utilisĂ©s quoi qu'il arrivĂąt. Il observa par ailleurs que J. n'avait consenti qu'Ă  un traitement « conjoint Â» avec la requĂ©rante, et non Ă  un traitement que celle-ci pourrait poursuivre seule en cas de sĂ©paration. Le juge Wall rejeta donc la thĂšse de la requĂ©rante selon laquelle J. Ă©tait forclos Ă  retirer son consentement. Il considĂ©ra en effet que l'intĂ©ressĂ©e et J. avaient tous deux entrepris le traitement dans la conviction que leur relation serait durable. Le 10 octobre 2001, J. avait de son mieux tentĂ© de rassurer la requĂ©rante en lui disant qu'il l'aimait et voulait ĂȘtre le pĂšre des enfants qu'elle mettrait au monde ; il avait ainsi exprimĂ© en toute sincĂ©ritĂ© les sentiments qu'il Ă©prouvait Ă  ce moment-lĂ , mais ne s'Ă©tait pas engagĂ© dĂ©finitivement. Le juge Wall fit observer que les paroles d'affection et de rĂ©confort de ce type Ă©taient chose courante dans le domaine des relations personnelles, mais qu'elles n'avaient – et ne pouvaient avoir – aucun effet juridique permanent. En entreprenant un traitement par FIV avec J., la requĂ©rante avait suivi la seule voie rĂ©aliste qui s'offrait Ă  elle. Le juge Wall poursuivit ainsi :

« Toutefois, mĂȘme si j'ai tort sur ce point, et mĂȘme s'il peut y avoir forclusion en vertu de la loi, je ne pense pas, pour les raisons que j'ai exposĂ©es, qu'il soit abusif d'autoriser [J.] Ă  rĂ©voquer son consentement. C'est un droit que lui confĂšre la loi dans le cadre du rĂ©gime sans ambiguĂŻtĂ© mis en place par le Parlement. C'est sur cette base que l'intĂ©ressĂ© a donnĂ© son consentement le 10 octobre 2001. Il est tout Ă  fait normal, compte tenu du changement de situation, qu'il ne veuille pas ĂȘtre le pĂšre d'un enfant de Mme Evans. Â»

22.  En ce qui concerne les griefs que la requĂ©rante tirait de la Convention, le juge Wall estima en substance qu'un embryon n'Ă©tait pas une personne jouissant de droits protĂ©gĂ©s par la Convention, et que le droit de la requĂ©rante au respect de sa vie familiale ne se trouvait pas en jeu. Il reconnut toutefois que les dispositions litigieuses de la loi de 1990 portaient atteinte au droit des deux parties au respect de leur vie privĂ©e, mais considĂ©ra que les effets n'en Ă©taient pas disproportionnĂ©s, la lĂ©gislation instaurant un rĂ©gime de traitement reposant sur deux piliers d'Ă©gale importance, le consentement des parties et l'intĂ©rĂȘt de l'enfant Ă  naĂźtre. Il jugea parfaitement justifiĂ© que la loi exigeĂąt que les deux personnes formant le couple dĂ©sireux d'entreprendre un traitement par FIV fussent d'accord sur ce traitement et qu'elle permĂźt Ă  chacune de retirer sa participation Ă  tout moment avant le transfert embryonnaire.

23.  Le juge Wall souligna que les dispositions de l'annexe 3 de la loi (paragraphe 37 ci-dessous) s'appliquaient de la mĂȘme façon Ă  tous les patients suivant un traitement par FIV, indĂ©pendamment de leur sexe, et conclut en prenant un exemple pour montrer que l'exigence du consentement conjoint pouvait avoir des consĂ©quences analogues pour un homme stĂ©rile :

« Imaginons qu'un homme soit atteint d'un cancer des testicules et que son sperme, recueilli avant une intervention chirurgicale entraĂźnant une stĂ©rilitĂ© dĂ©finitive, soit utilisĂ© pour crĂ©er des embryons avec les ovules de sa compagne. En cas de sĂ©paration du couple avant le transfert embryonnaire, il ne viendrait Ă  l'idĂ©e de personne de prĂ©tendre que cette femme ne peut pas retirer son consentement au traitement et refuser que les embryons soient implantĂ©s dans son utĂ©rus. Or les dispositions de la loi, tout comme les droits inscrits dans la Convention, s'appliquent de la mĂȘme maniĂšre aux hommes et aux femmes. Â»

C.  L'arrĂȘt de la Cour d'appel

24.  La requĂ©rante saisit la Cour d'appel, qui la dĂ©bouta par un arrĂȘt rendu le 25 juin 2004 (Evans v. Amicus Healthcare Ltd, [2004] EWCA Civ 727).

La Cour d'appel considĂ©ra que l'objectif de la loi de 1990 Ă©tait clairement de n'autoriser l'implantation de l'embryon que si les deux parties Ă©taient toujours consentantes et qu'elle ne pouvait sans d'impĂ©rieuses raisons reconnaĂźtre ou Ă©tablir un principe de dispense qui serait contraire au rĂ©gime instaurĂ© par le Parlement. A l'instar du juge Wall, la Cour d'appel estima que J. n'avait consenti qu'Ă  un « traitement conjoint Â» avec la requĂ©rante, et non Ă  l'utilisation par cette derniĂšre seule des embryons crĂ©Ă©s par le couple. Une fois que la relation entre la requĂ©rante et J. avait pris fin et que J. avait indiquĂ© qu'il ne souhaitait pas que les embryons fussent conservĂ©s ou utilisĂ©s par la requĂ©rante, les intĂ©ressĂ©s ne faisaient plus l'objet d'un traitement « conjoint Â». La Cour d'appel rejeta l'argument de la requĂ©rante selon lequel J. avait dissimulĂ© son ambivalence, conduisant ainsi la jeune femme Ă  opter pour le traitement conjoint des deux membres du couple. La juridiction d'appel estima en effet que cet argument mettait en cause de maniĂšre injustifiĂ©e la conclusion du juge du fond, qui avait eu l'avantage manifeste de pouvoir apprĂ©cier les dĂ©positions orales de la requĂ©rante, de J. et des autres tĂ©moins (paragraphe 20 ci-dessus). Par ailleurs, le conseil de J. avait indiquĂ© Ă  la Cour d'appel que, de toute Ă©vidence, si son client avait retirĂ© son consentement, ce n'Ă©tait pas pour des raisons purement financiĂšres, mais pour des raisons de principe.

25.  Les juges Thorpe et Sedley estimĂšrent que, s'il y avait bien ingĂ©rence dans la vie privĂ©e des parties, cette ingĂ©rence Ă©tait justifiĂ©e et proportionnĂ©e. Ils s'exprimĂšrent comme suit :

« Le moyen moins drastique revendiquĂ© ici est une rĂšgle de droit rendant non concluant le retrait du consentement [de J.]. Cela permettrait [Ă  la requĂ©rante] de demander la poursuite du traitement au motif qu'elle ne peut plus avoir d'enfant autrement. Cependant, Ă  moins de donner aussi du poids au ferme souhait de [J.] de ne pas ĂȘtre pĂšre d'un enfant qui serait mis au monde [par la requĂ©rante], une telle rĂšgle amoindrirait le respect dĂ» Ă  la vie privĂ©e [de J.] dans la mĂȘme proportion qu'elle augmenterait le respect accordĂ© Ă  la vie privĂ©e [de la requĂ©rante]. Par ailleurs, pour donner du poids [Ă  la volontĂ© de J.], la lĂ©gislation devrait imposer Ă  l'Agence de la fĂ©condation et de l'embryologie humaines ou Ă  la clinique, ou aux deux, de porter un jugement basĂ© sur un mĂ©lange de considĂ©rations d'Ă©thique, de politique sociale et de compassion humaine. Cela nĂ©cessiterait aussi l'Ă©tablissement d'un Ă©quilibre entre deux choses parfaitement incommensurables (...)

(...) Ce qui est nĂ©cessaire, selon le Parlement, c'est un consentement bilatĂ©ral Ă  l'implantation, et non pas simplement au prĂ©lĂšvement et Ă  la conservation de matĂ©riel gĂ©nĂ©tique, et cette condition ne peut ĂȘtre remplie si une moitiĂ© du consentement n'est plus effective. Assouplir cette exigence dans l'intĂ©rĂȘt de la proportionnalitĂ©, afin de compenser le handicap biologique [de la requĂ©rante], impossible Ă  surmonter par d'autres moyens, en faisant du retrait du consentement de l'homme un facteur pertinent mais non dĂ©cisif crĂ©erait de nouveaux problĂšmes, encore plus inextricables, d'arbitraire et d'incohĂ©rence. La compassion et la sollicitude que chacun doit Ă©prouver pour [la requĂ©rante] ne suffisent pas Ă  rendre disproportionnĂ© le rĂ©gime mis en place par le lĂ©gislateur (...). Â»

26.  La juge Arden fit les remarques liminaires suivantes :

« La loi de 1990 emploie inĂ©vitablement des termes scientifiques, tels que « gamĂšte Â» et « embryon Â». Mais il est clair que cette loi concerne la question trĂšs Ă©motionnelle de la stĂ©rilitĂ© et la possibilitĂ© de faire naĂźtre un enfant par implantation du matĂ©riel gĂ©nĂ©tique de deux personnes. (...) La stĂ©rilitĂ© peut plonger la personne, homme ou femme, qui en est atteinte dans un profond dĂ©sarroi. Pour beaucoup de femmes, la capacitĂ© de mettre au monde un enfant reprĂ©sente le plein Ă©panouissement et donne un but dans la vie. Elle participe de leur sens de l'identitĂ© ainsi que de leur dignitĂ©. Â»

Elle poursuivit ainsi :

« J'estime, comme les juges Thorpe et Sedley, que le fait que la loi de 1990 Ă©rige le maintien du consentement en condition indispensable Ă  la poursuite du traitement dans des situations comme celle-ci satisfait aux exigences de l'article 8 § 2 de la Convention. (...) Dans ce domaine sensible appelant des dĂ©cisions d'ordre Ă©thique, il doit incomber au premier chef au Parlement de mĂ©nager un Ă©quilibre entre les parties (...). Le Parlement a estimĂ© que nul ne devait pouvoir dĂ©roger au principe selon lequel le consentement des deux parents gĂ©nĂ©tiques est nĂ©cessaire. A mon avis, les circonstances de l'espĂšce montrent bien qu'il Ă©tait sage de poser semblable rĂšgle. La situation personnelle des parties n'est pas la mĂȘme qu'au dĂ©but du traitement, et il serait difficile pour une juridiction de dĂ©terminer si les effets du retrait du consentement [de J.] sur [la requĂ©rante] sont plus importants que les effets que l'invalidation de ce retrait aurait sur [J.]. Il n'existe aucun point de repĂšre qui permettrait Ă  la juridiction de procĂ©der Ă  cette Ă©valuation. Le fait est que toute personne a droit Ă  la protection contre les atteintes Ă  sa vie privĂ©e. C'est lĂ  un aspect du principe de l'autodĂ©termination ou de l'autonomie personnelle. L'atteinte au droit [de J.] ne peut passer pour justifiĂ©e au motif qu'elle est nĂ©cessaire Ă  la protection du droit [de la requĂ©rante], car, rĂ©ciproquement, l'Ă©tendue du droit [de la requĂ©rante] est aussi limitĂ©e par la nĂ©cessitĂ© de protĂ©ger le droit [de J.]. [La requĂ©rante et J.] doivent avoir des droits Ă©quivalents, mĂȘme si l'Ă©tendue de leurs droits au titre de l'article 8 n'est pas dĂ©finie avec prĂ©cision.

L'ingĂ©rence dans la vie privĂ©e [de la requĂ©rante] se justifie Ă©galement sous l'angle de l'article 8 § 2 par le motif que si l'on donnait gain de cause Ă  [la requĂ©rante], cela reviendrait Ă  porter atteinte au droit, pour le pĂšre gĂ©nĂ©tique, de refuser de procrĂ©er. De toute Ă©vidence, on ne pourrait obliger [la requĂ©rante] Ă  devenir mĂšre ; de la mĂȘme maniĂšre, on ne peut obliger [J.] Ă  devenir pĂšre, d'autant moins que, en l'espĂšce, cette paternitĂ© entraĂźnerait probablement aussi une responsabilitĂ© lĂ©gale d'ordre financier Ă  l'Ă©gard de l'enfant. Â»

27.  Concernant la question de la discrimination, les juges Thorpe et Sedley estimĂšrent que ce qu'il fallait comparer c'Ă©tait la situation des femmes souhaitant ĂȘtre traitĂ©es par FIV dont le partenaire avait retirĂ© son consentement et la situation des femmes dont le partenaire ne s'Ă©tait pas rĂ©tractĂ©, la juge Arden estimant quant Ă  elle que la comparaison devait se faire entre les femmes fĂ©condes et les femmes stĂ©riles, puisque, dans le cas d'un traitement par FIV, le pĂšre gĂ©nĂ©tique avait la possibilitĂ© de retirer son consentement Ă  la procrĂ©ation plus tard qu'au moment d'un rapport sexuel normal. Cela dit, les trois juges furent d'accord pour considĂ©rer que, indĂ©pendamment du choix des termes de la comparaison, la diffĂ©rence de traitement Ă©tait justifiĂ©e et proportionnĂ©e au regard de l'article 14 de la Convention, pour les mĂȘmes raisons que celles qui les avaient amenĂ©s Ă  conclure Ă  la non-violation de l'article 8. Par ailleurs, la Cour d'appel refusa Ă  la requĂ©rante l'autorisation de faire appel de la conclusion du juge Wall selon laquelle les embryons ne pouvaient prĂ©tendre Ă  la protection de l'article 2, la lĂ©gislation interne ne reconnaissant ni intĂ©rĂȘts ni droits indĂ©pendants au fƓtus avant la naissance, ni donc, a fortiori, Ă  l'embryon.

28.  Le 29 novembre 2004, la Chambre des lords refusa Ă  la requĂ©rante l'autorisation de se pourvoir contre l'arrĂȘt de la Cour d'appel.

LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS

A.  Le droit interne : la loi de 1990

1.  Le rapport Warnock

29.  La venue au monde, en juillet 1978, du premier bĂ©bĂ© nĂ© par fĂ©condation in vitro suscita au Royaume-Uni de nombreux dĂ©bats Ă©thiques et scientifiques, qui conduisirent Ă  la crĂ©ation, en juillet 1982, d'une commission d'enquĂȘte, prĂ©sidĂ©e par Dame Mary Warnock DBE (philosophe), chargĂ©e « d'examiner les innovations rĂ©centes et potentielles, en mĂ©decine et en science, liĂ©es Ă  la fĂ©condation et Ă  l'embryologie humaines ; de rĂ©flĂ©chir aux politiques et aux garanties Ă  appliquer, en tenant compte des consĂ©quences sociales, Ă©thiques et juridiques de ces innovations ; enfin, de formuler des recommandations Â».

30.  La commission rendit son rapport en juillet 1984 (Cmnd 9314). A l'Ă©poque, la technique de congĂ©lation des embryons humains destinĂ©s Ă  ĂȘtre utilisĂ©s ultĂ©rieurement n'en Ă©tait qu'Ă  ses dĂ©buts. Toutefois, la commission notait dans son rapport que cette technique avait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© appliquĂ©e et avait abouti Ă  la naissance d'un enfant, et recommandait de poursuivre le dĂ©veloppement de l'utilisation clinique d'embryons congelĂ©s sous le contrĂŽle de l'organisme chargĂ© de dĂ©livrer les autorisations (paragraphe 10.3 du rapport). Cela Ă©tant, la commission reconnaissait que la possibilitĂ© de conserver de maniĂšre prolongĂ©e des embryons humains pouvait engendrer des problĂšmes et prĂ©conisait de fixer Ă  dix ans la durĂ©e maximale de conservation des embryons destinĂ©s Ă  l'utilisation personnelle ultĂ©rieure d'un couple ; passĂ© ce dĂ©lai, le droit d'utilisation ou de destruction des embryons devait ĂȘtre confĂ©rĂ© Ă  l'organisme compĂ©tent pour les questions de conservation (paragraphe 10.10). La commission recommandait par ailleurs de confier Ă  l'organisme compĂ©tent pour les questions de conservation le droit de dĂ©cider de l'utilisation ou de la destruction des embryons dans les cas oĂč, Ă  la suite d'une sĂ©paration par exemple, le couple ne s'entendrait pas sur le devenir des embryons crĂ©Ă©s conjointement (paragraphe 10.13). ConformĂ©ment Ă  son point de vue selon lequel il devait n'y avoir aucun droit de propriĂ©tĂ© sur un embryon humain (paragraphe 10.11), la commission n'envisageait pas la possibilitĂ© pour une partie d'exiger l'utilisation de l'embryon contre la volontĂ© de l'autre partie.

2.  Consultation et adoption de la loi

31.  Les recommandations de la commission Warnock concernant le traitement par FIV furent rassemblĂ©es dans un livre vert diffusĂ© aux fins d'une consultation publique. Le document (paragraphe 35) prĂ©cisait que la recommandation de la commission selon laquelle l'organisme compĂ©tent pour les questions de conservation devait se voir confĂ©rer le droit de dĂ©cider de l'utilisation ou de la destruction d'un embryon en cas de dĂ©saccord dans le couple n'avait guĂšre suscitĂ© de commentaires ; il soulignait toutefois que, mĂȘme s'il Ă©tait peu probable que cette situation se prĂ©sentĂąt frĂ©quemment, il importait d'Ă©tablir une « base claire Â» pour la rĂ©soudre.

32.  AprĂšs rĂ©ception des observations des parties intĂ©ressĂ©es, les propositions en matiĂšre de traitement par FIV furent rassemblĂ©es dans un livre blanc (rapport) intitulĂ© « FĂ©condation et embryologie humaines : un cadre pour la lĂ©gislation Â» (Human Fertilisation and Embryology : A Framework for Legislation, Cm 259), qui fut publiĂ© en novembre 1987. Le document rappelait la recommandation de la commission Warnock selon laquelle le droit de dĂ©cider de l'utilisation ou de la destruction d'un embryon congelĂ© devait ĂȘtre confĂ©rĂ© Ă  l'organisme compĂ©tent pour les questions de conservation en cas de dĂ©saccord entre les deux membres du couple concernĂ© (paragraphes 50 et 51), mais poursuivait ainsi :

« D'une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, ceux qui pensent que la conservation doit ĂȘtre autorisĂ©e sont satisfaits des recommandations de la commission Warnock. En revanche, d'autres considĂšrent que, sauf Ă  se l'ĂȘtre vu attribuer de maniĂšre explicite par les donneurs, l'« organisme compĂ©tent pour les questions de conservation Â» ne devrait pas avoir le droit de dĂ©cider de l'utilisation ou de la destruction des embryons. Le gouvernement, qui partage ce point de vue, a conclu que la loi devait s'appuyer sur le principe clair selon lequel la volontĂ© du donneur est primordiale tout au long de la pĂ©riode pendant laquelle les embryons ou les gamĂštes peuvent ĂȘtre conservĂ©s ; Ă  l'expiration de cette pĂ©riode, ceux-ci comme ceux-lĂ  ne devraient pouvoir ĂȘtre utilisĂ©s Ă  d'autres fins par l'organisme agrĂ©Ă© que si le donneur y a consenti. Â»

Le livre blanc mentionnait la dĂ©cision du gouvernement de fixer Ă  cinq ans la durĂ©e maximale de conservation des embryons (paragraphe 54). Puis, dans une partie intitulĂ©e « Consentement du donneur Â», le livre blanc Ă©nonçait le principe selon lequel un donneur devait avoir le droit de modifier ou de rĂ©voquer son consentement Ă  l'implantation d'un embryon dans le corps d'une femme Ă  tout moment aussi longtemps que l'embryon demeurerait inutilisĂ© :

« 55.  Les questions complexes liĂ©es Ă  la conservation font ressortir combien il importe de s'assurer que les couples qui choisissent d'entreprendre un traitement par FIV ou les personnes qui donnent leurs gamĂštes consentent aux utilisations auxquelles leurs gamĂštes ou leurs embryons sont destinĂ©s.

56.  Le projet de loi prĂ©cisera que les gamĂštes ou les embryons ne peuvent ĂȘtre conservĂ©s qu'avec le consentement signĂ© des donneurs et qu'ils ne peuvent ĂȘtre utilisĂ©s que par l'organisme agrĂ©Ă© chargĂ© de leur conservation et aux fins Ă©noncĂ©es dans le consentement (par exemple pour un traitement thĂ©rapeutique [ou pour la recherche]). Les personnes qui donnent leur consentement doivent ĂȘtre informĂ©es des techniques pour lesquelles leurs gamĂštes/embryons peuvent ĂȘtre utilisĂ©s ainsi que des consĂ©quences juridiques de leurs dĂ©cisions. A cet Ă©gard, il est souhaitable que les intĂ©ressĂ©s puissent obtenir des conseils.

57.  Les donneurs auront le droit de modifier ou de rĂ©voquer leur consentement avant l'utilisation de leurs gamĂštes/embryons, mais, en pareil cas, il leur incombera de porter toute modification Ă  la connaissance de l'organisme agrĂ©Ă©, lequel devra alors aviser tout autre organisme agrĂ©Ă© auquel il aura fourni les gamĂštes du donneur. (Cette situation peut se produire, par exemple, si une banque de sperme a fourni des gamĂštes Ă  un ou plusieurs centres de traitement). En l'absence de notification de modification ou de retrait du consentement ou d'avis de dĂ©cĂšs, l'organisme agrĂ©Ă© doit prĂ©sumer que le consentement initial reste valable et doit donc agir en consĂ©quence pendant toute la pĂ©riode de conservation. Lorsque celle-ci prend fin, il ne peut utiliser ou dĂ©truire les embryons ou les gamĂštes qu'en se conformant aux souhaits Ă©mis par les donneurs. Si ceux-ci n'ont pas clairement exprimĂ© leur volontĂ©, il y a lieu de mettre fin Ă  la conservation de l'embryon ou des gamĂštes et de les laisser pĂ©rir.

58.  En ce qui concerne les embryons, ils ne peuvent pas ĂȘtre implantĂ©s dans le corps d'une autre femme, ni ĂȘtre utilisĂ©s Ă  des fins de recherche, ni dĂ©truits (avant l'expiration de la pĂ©riode de conservation) en l'absence du consentement des deux donneurs. En cas de dĂ©saccord entre les donneurs, l'organisme agrĂ©Ă© sera tenu de conserver l'embryon jusqu'Ă  la fin de la pĂ©riode de conservation ; si le dĂ©saccord persiste Ă  l'expiration de celle-ci, il y a lieu de laisser pĂ©rir l'embryon. Â»

33.  A l'issue d'une nouvelle procĂ©dure de consultation fut publiĂ©, en 1989, un projet de loi, qui devint finalement la loi de 1990 sur la fĂ©condation et l'embryologie humaines. Le projet reflĂ©tait pour l'essentiel les termes du livre blanc. Les dispositions relatives au consentement ne suscitĂšrent pas de controverses lors de leur examen par le Parlement.

3.  La loi de 1990

34.  Dans l'affaire R. v. Secretary of State for Health ex parte Quintavalle (on behalf of Pro-Life Alliance) (2003, UKHL 13), Lord Bingham dĂ©crivit le contexte et l'esprit gĂ©nĂ©ral de la loi de 1990 comme suit :

« Le caractĂšre sensible des questions en jeu ne fait aucun doute. D'une part, il y avait ceux qui considĂ©raient la crĂ©ation d'embryons – et donc de la vie – in vitro comme un sacrilĂšge ou comme quelque chose de contestable du point de vue Ă©thique et qui souhaitaient interdire totalement ces pratiques. D'autre part, il y avait ceux qui voyaient dans ces nouvelles techniques, en ce qu'elles offrent aux personnes stĂ©riles la possibilitĂ© d'avoir des enfants et permettent de faire progresser les connaissances sur les maladies congĂ©nitales, des perspectives d'amĂ©liorer la condition humaine, et les arguments religieux et moraux Ă©tayant ce point de vue ne faisaient pas dĂ©faut. On ne peut douter non plus de la difficultĂ© qu'il y a Ă  lĂ©gifĂ©rer sur ces questions, compte tenu de la rapiditĂ© des progrĂšs mĂ©dicaux et scientifiques. Ce n'est pas souvent que le Parlement est appelĂ© Ă  Ă©laborer une lĂ©gislation apte Ă  s'appliquer aux Ă©volutions Ă  la pointe de la science.

La solution recommandĂ©e et consacrĂ©e par la loi de 1990 ne consiste pas Ă  interdire toute crĂ©ation in vitro d'embryons humains vivants et toute utilisation de pareils embryons, mais plutĂŽt, sous rĂ©serve de certaines interdictions expresses, dont quelques unes ont Ă©tĂ© mentionnĂ©es ci-dessus, Ă  autoriser ces pratiques en les soumettant Ă  des conditions, des restrictions et des dĂ©lais particuliers, et Ă  des mĂ©canismes de contrĂŽle (...). Il est Ă©vident (...) que si le Parlement a dĂ©cidĂ© de prohiber certaines pratiques manifestement choquantes (telles que l'implantation d'un embryon animal vivant dans le corps d'une femme ou de celui d'un ĂȘtre humain dans le corps d'un animal), il a pour le reste optĂ© pour un rĂ©gime de contrĂŽle rigoureux. Aucune activitĂ© relevant de ce domaine n'a Ă©tĂ© oubliĂ©e. Il s'agissait de ne pas laisser faire n'importe quoi. Â»

35.  D'aprĂšs l'article 3 § 1 de la loi, nul ne peut crĂ©er un embryon, le conserver ou l'utiliser sans autorisation. La conservation ou l'utilisation de l'embryon ne sont lĂ©gales que si elles satisfont aux conditions de cette autorisation. Tout manquement Ă  l'article 3 § 1 constitue une infraction (dĂ©finie Ă  l'article 41 § 2 a) de la loi).

36.  Aux termes de l'article 14 § 4 de la loi, « la durĂ©e lĂ©gale de conservation pour les embryons est la durĂ©e, obligatoirement infĂ©rieure ou Ă©gale Ă  cinq ans, prĂ©cisĂ©e par l'autorisation Â». Cette disposition a Ă©tĂ© modifiĂ©e par le rĂšglement de 1996 sur la fĂ©condation et l'embryologie humaines (durĂ©e lĂ©gale de conservation des embryons), entrĂ© en vigueur le 1er mai 1996, qui dispose notamment que lorsque, de l'avis de deux mĂ©decins, la femme qui doit recevoir l'embryon ou, si ce ne sont pas ses gamĂštes qui ont Ă©tĂ© utilisĂ©s pour crĂ©er l'embryon, celle des personnes dont les gamĂštes ont Ă©tĂ© utilisĂ©s, est ou risque de devenir totalement stĂ©rile prĂ©maturĂ©ment, la durĂ©e de conservation est prolongĂ©e jusqu'Ă  la date du cinquante-cinquiĂšme anniversaire de l'intĂ©ressĂ©e. Lorsque, de l'avis d'un seul mĂ©decin, la femme qui doit accueillir l'embryon, ou l'une des deux personnes ayant fourni les gamĂštes, a ou risque d'avoir de graves problĂšmes de fĂ©conditĂ© ou souffre d'un problĂšme gĂ©nĂ©tique, la durĂ©e de conservation est portĂ©e Ă  dix ans, ou prolongĂ©e jusqu'Ă  la date du cinquante-cinquiĂšme anniversaire de l'intĂ©ressĂ©e, selon celle de ces Ă©chĂ©ances qui intervient la premiĂšre.

Les deux personnes dont les gamĂštes sont utilisĂ©s pour crĂ©er les embryons doivent confirmer par Ă©crit qu'elles ne s'opposent pas Ă  la prolongation de la conservation aux fins d'un traitement futur. La femme qui doit recevoir un tel embryon doit ĂȘtre ĂągĂ©e de moins de 50 ans au dĂ©but de la conservation.

37.  D'aprĂšs l'article 12 c) de la loi, une autorisation ne peut ĂȘtre accordĂ©e que sous rĂ©serve du respect des dispositions de l'annexe 3 Ă  la loi, qui concernent le consentement Ă  l'utilisation de gamĂštes ou d'embryons. Dans la procĂ©dure engagĂ©e par la requĂ©rante (paragraphes 20-27 ci-dessus), la High Court et la Cour d'appel ont dĂ©clarĂ© qu'aux fins d'interprĂ©tation de l'annexe 3 « l'embryon n'est rĂ©putĂ© utilisĂ© qu'une fois transfĂ©rĂ© dans le corps de la femme Â».

L'annexe 3 se lit ainsi :

« Consentements Ă  l'utilisation de gamĂštes ou d'embryons

Consentement

1.  Tout consentement au sens de la prĂ©sente annexe doit ĂȘtre donnĂ© par Ă©crit, et, dans la prĂ©sente annexe, l'expression « consentement effectif Â» s'entend d'un consentement qui n'a pas Ă©tĂ© rĂ©voquĂ©.

2. 1)  Tout consentement Ă  l'utilisation d'un embryon doit prĂ©ciser une ou plusieurs des finalitĂ©s suivantes :

a)  utilisation aux fins du traitement de la personne donnant son consentement, ou du traitement conjoint de cette personne et d'une autre, nommĂ©ment dĂ©signĂ©e,

b)  utilisation aux fins du traitement de personnes autres que l'auteur du consentement, ou

c)  utilisation aux fins d'un projet de recherche,

et peut prĂ©ciser les conditions dans lesquelles l'embryon peut ĂȘtre ainsi utilisĂ©.

2)  Tout consentement Ă  la conservation de gamĂštes ou d'un embryon doit :

a)  prĂ©ciser la durĂ©e maximale de conservation (si elle est infĂ©rieure Ă  la durĂ©e lĂ©gale) et

b)  indiquer quel sera le sort des gamĂštes ou de l'embryon si la personne ayant donnĂ© son consentement dĂ©cĂšde ou si, pour cause d'incapacitĂ©, elle n'est pas en mesure de modifier ou de rĂ©voquer ce consentement,

et peut prĂ©ciser dans quelles conditions les gamĂštes ou l'embryon peuvent continuer Ă  ĂȘtre conservĂ©s.

3)  Tout consentement au sens de la prĂ©sente annexe doit comporter toutes autres prĂ©cisions pouvant ĂȘtre exigĂ©es par l'Agence dans des directives.

4)  Un consentement au sens de la prĂ©sente annexe peut s'appliquer :

a)  Ă  l'utilisation ou Ă  la conservation d'un embryon particulier ou,

b)  dans le cas d'une personne fournissant des gamĂštes, Ă  l'utilisation ou Ă  la conservation de tout embryon qui pourrait ĂȘtre conçu Ă  partir de ces gamĂštes,

et, dans le cas prĂ©vu Ă  l'alinĂ©a b), le consentement peut ĂȘtre modifiĂ© ou rĂ©voquĂ©, dans le respect des dispositions de la prĂ©sente annexe, soit de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, soit en ce qui concerne un ou plusieurs embryons particuliers.

Procédure d'expression du consentement

3. 1)  Avant qu'une personne n'exprime un consentement au sens de la prĂ©sente annexe :

a)  elle doit disposer d'une rĂ©elle possibilitĂ© de se faire indiquer les implications des mesures envisagĂ©es, et

b)  elle doit recevoir toutes les informations utiles.

2)  Avant qu'une personne n'exprime un consentement au sens de la prĂ©sente annexe, elle doit ĂȘtre informĂ©e des effets de l'article 4 ci-dessous.

Modification et révocation du consentement

4. 1)  Quiconque a donnĂ© un consentement au sens de la prĂ©sente annexe peut y apporter des modifications successives ou le rĂ©voquer, par notification Ă  la personne responsable de la conservation des gamĂštes ou de l'embryon concernĂ©s.

2)  Un consentement Ă  l'utilisation d'un embryon ne peut plus ĂȘtre modifiĂ© ni rĂ©voquĂ© une fois que l'embryon a Ă©tĂ© utilisĂ© :

a)  aux fins d'un traitement ou

b)  aux fins d'un projet de recherche.

Utilisation de gamĂštes aux fins du traitement d'autrui

5. 1)  Il est interdit d'utiliser les gamĂštes d'une personne aux fins du traitement d'autrui, sauf si cette personne est l'auteur d'un consentement effectif Ă  ce qu'ils soient utilisĂ©s ainsi et s'ils sont utilisĂ©s dans les conditions prĂ©vues par ce consentement.

2)  Il est interdit de recevoir les gamĂštes d'une personne pour les utiliser Ă  ces fins, sauf si cette personne est l'auteur d'un consentement effectif Ă  ce qu'ils soient utilisĂ©s ainsi.

3)  Le prĂ©sent paragraphe ne s'applique pas Ă  l'utilisation des gamĂštes d'une personne aux fins du traitement de cette personne, ou du traitement conjoint de celle-ci et d'une autre.

Fécondation in vitro et utilisation ultérieure de l'embryon

6. 1)  Il est interdit d'utiliser les gamĂštes d'une personne pour concevoir un embryon in vitro, sauf si cette personne est l'auteur d'un consentement effectif Ă  ce que tout embryon qui serait conçu Ă  partir de ces gamĂštes soit utilisĂ© Ă  une ou plusieurs des fins mentionnĂ©es Ă  l'article 2 § 1) ci-dessus.

2)  Nul ne peut recevoir un embryon conçu in vitro, sauf si chacune des personnes dont les gamĂštes ont servi Ă  concevoir l'embryon est l'auteur d'un consentement effectif Ă  ce que cet embryon soit utilisĂ© Ă  une ou plusieurs des fins mentionnĂ©es Ă  l'article 2 § 1) ci-dessus.

3)  Il est interdit d'utiliser, Ă  quelque fin que ce soit, un embryon conçu in vitro, sauf si chacune des personnes dont les gamĂštes ont servi Ă  concevoir l'embryon est l'auteur d'un consentement effectif Ă  ce que cet embryon soit utilisĂ© pour la fin envisagĂ©e et si l'embryon est utilisĂ© conformĂ©ment Ă  ces consentements.

4)  Tout consentement requis en vertu du prĂ©sent article s'ajoute Ă  tout consentement pouvant ĂȘtre requis en vertu de l'article 5 ci-dessus.

Embryons obtenus par lavage, etc.

(...)

Conservation des gamĂštes et des embryons

8. 1)  Il est interdit de conserver les gamĂštes d'une personne, sauf si cette personne est l'auteur d'un consentement effectif Ă  leur conservation et s'ils sont conservĂ©s conformĂ©ment Ă  ce consentement.

2)  Il est interdit de conserver un embryon conçu in vitro, sauf si chacune des personnes dont les gamĂštes ont servi Ă  concevoir l'embryon est l'auteur d'un consentement effectif Ă  la conservation de cet embryon et si celui-ci est conservĂ© conformĂ©ment Ă  ces consentements.

3)  Il est interdit de conserver un embryon prĂ©levĂ© chez une femme, sauf si celle-ci est l'auteur d'un consentement effectif Ă  cette conservation et si l'embryon est conservĂ© conformĂ©ment Ă  ce consentement. Â»

38.  Dans l'arrĂȘt de la Cour d'appel, les juges Thorpe et Sedley ont rĂ©sumĂ© ainsi les effets matĂ©riels de l'annexe 3 (paragraphe 25 ci-dessus) :

« i.  Les personnes qui envisagent de conserver et/ou d'utiliser des embryons crĂ©Ă©s avec leurs gamĂštes doivent d'abord se voir offrir la possibilitĂ© de discuter avec des spĂ©cialistes ; ii.  elles doivent en particulier ĂȘtre informĂ©es des conditions dans lesquelles le consentement Ă  la conservation ou Ă  l'utilisation d'un embryon peut ĂȘtre modifiĂ© ou rĂ©voquĂ© ; iii.  dans le consentement Ă  l'utilisation d'un embryon, il doit ĂȘtre prĂ©cisĂ© si l'embryon sera utilisĂ© aux fins du traitement de l'auteur du consentement, du traitement conjoint de cette personne et d'une autre, ou du traitement de personnes autres que l'auteur du consentement ; iv.  un embryon peut ĂȘtre conservĂ© uniquement tant qu'il existe un consentement effectif de ses deux gĂ©niteurs Ă  sa conservation et conformĂ©ment Ă  ce consentement ; v.  un embryon peut ĂȘtre utilisĂ© uniquement tant qu'il existe un consentement effectif de ses deux gĂ©niteurs Ă  son utilisation et conformĂ©ment Ă  ce consentement ; vi.  chacune des personnes dont les gamĂštes ont servi Ă  la conception d'un embryon peut modifier ou rĂ©voquer Ă  tout moment son consentement Ă  la conservation de cet embryon ; vii.  il n'est plus possible de modifier ou de rĂ©voquer le consentement Ă  l'utilisation d'un embryon une fois que celui-ci a Ă©tĂ© utilisĂ© Ă  des fins de traitement. Â»

B.  La situation dans les Etats membres du Conseil de l'Europe et dans d'autres pays

1.  Les Etats membres du Conseil de l'Europe

39.  D'aprĂšs les documents Ă  la disposition de la Cour, dont un rapport intitulĂ© « Assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation et protection de l'embryon humain – Ă©tude comparative sur la situation dans 39 pays Â» (Conseil de l'Europe, 1998), et les rĂ©ponses des Etats membres du Conseil de l'Europe au « Questionnaire sur l'accĂšs Ă  la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e Â» prĂ©parĂ© par le ComitĂ© directeur pour la bioĂ©thique (Conseil de l'Europe, 2005), le traitement par FIV est encadrĂ© par des lois ou des rĂšglements dans les pays suivants : Allemagne, Autriche, AzerbaĂŻdjan, Bulgarie, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, FĂ©dĂ©ration de Russie, France, GĂ©orgie, GrĂšce, Hongrie, Islande, Italie, Lettonie, NorvĂšge, Pays-Bas, SlovĂ©nie, SuĂšde, Suisse, Turquie, Ukraine et Royaume-Uni. La situation se prĂ©sente diffĂ©remment en Belgique, en Finlande, en Irlande, Ă  Malte, en Lituanie, en Pologne, en RĂ©publique tchĂšque, en Serbie et en Slovaquie, oĂč ce traitement est rĂ©gi par la pratique clinique, par des directives professionnelles, par des dĂ©crets royaux ou administratifs ou par des principes constitutionnels gĂ©nĂ©raux.

40.  Il apparaĂźt que la conservation des embryons est autorisĂ©e, pour des durĂ©es variables, dans tous les Etats susmentionnĂ©s oĂč le traitement par FIV est encadrĂ© par des lois ou des rĂšglements, sauf en Allemagne et en Suisse, oĂč l'on ne peut, pendant un cycle de traitement, crĂ©er plus de trois embryons, et oĂč les embryons crĂ©Ă©s doivent, en principe, ĂȘtre implantĂ©s immĂ©diatement et ensemble, et en Italie, oĂč la loi ne permet la congĂ©lation des embryons que pour des motifs mĂ©dicaux exceptionnels et imprĂ©vus.

41.  Au Danemark, en France, en GrĂšce, aux Pays-Bas et en Suisse, le droit, pour chacune des parties, de retirer librement son consentement Ă  tout moment, tant que l'embryon n'a pas Ă©tĂ© implantĂ© dans l'utĂ©rus de la femme, est expressĂ©ment prĂ©vu par la loi. Il apparaĂźt que la Belgique, la Finlande et l'Islande reconnaissent, dans leur lĂ©gislation ou en pratique, Ă  chacune des personnes ayant fourni des gamĂštes la mĂȘme libertĂ© de retirer son consentement avant l'implantation.

42.  Cependant, un certain nombre de pays envisagent diffĂ©remment la question du consentement. Ainsi, la Hongrie autorise la femme Ă  poursuivre le traitement malgrĂ© le dĂ©cĂšs de son partenaire ou le divorce du couple, sauf disposition expresse contraire formulĂ©e par le couple. En Autriche et en Estonie, l'homme ne peut rĂ©voquer son consentement que jusqu'au moment de la fĂ©condation, aprĂšs quoi c'est la femme qui dĂ©cide seule si elle poursuit le traitement et quand. L'Espagne ne reconnaĂźt Ă  l'homme le droit de retirer son consentement que s'il est mariĂ© Ă  la femme souhaitant procrĂ©er et s'il vit avec elle. En Allemagne et en Italie, aucune des parties ne peut normalement retirer son consentement aprĂšs la fĂ©condation des ovules. En Islande, les embryons doivent ĂȘtre dĂ©truits si les donneurs de gamĂštes se sĂ©parent ou divorcent avant l'expiration de la pĂ©riode maximale de conservation.

2.  Les Etats-Unis d'AmĂ©rique

43.  Les parties renvoient en outre la Cour Ă  la jurisprudence amĂ©ricaine et israĂ©lienne. Aux Etats-Unis, l'assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation ne fait pas partie des domaines rĂ©gis par la lĂ©gislation fĂ©dĂ©rale, et seuls quelques Etats se sont dotĂ©s de lois concernant le retrait ultĂ©rieur du consentement par l'un des membres du couple. C'est donc aux tribunaux qu'il incombe de rĂ©gler les conflits en la matiĂšre et il existe un certain nombre de dĂ©cisions dans lesquelles les Cours suprĂȘmes de divers Etats se sont prononcĂ©es sur le sort d'embryons conçus par FIV.

44.  Dans l'affaire Davis c. Davis, (842 S.W.2d 588, 597 ; Tenn. 1992), jugĂ©e en 1992, la Cour suprĂȘme du Tennessee statua ainsi :

« (...) pour statuer sur les conflits concernant le sort de prĂ©-embryons conçus in vitro, il faut d'abord examiner les prĂ©fĂ©rences de leurs gĂ©niteurs. Si celles-ci ne peuvent ĂȘtre dĂ©terminĂ©es, ou si elles sont incompatibles, il y a lieu d'appliquer l'accord prĂ©alable des parties concernant le sort des prĂ©-embryons. En l'absence de pareil accord, il convient de peser les intĂ©rĂȘts relatifs des parties Ă  l'utilisation ou Ă  la non-utilisation des prĂ©-embryons. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, c'est la volontĂ© de la partie souhaitant Ă©viter la procrĂ©ation qui prĂ©vaut lorsqu'on peut supposer que l'autre partie a une possibilitĂ© raisonnable de devenir parent par un moyen autre que l'utilisation des prĂ©-embryons en question. Si tel n'est pas le cas, il faut prendre en considĂ©ration les arguments en faveur de l'utilisation des prĂ©-embryons aux fins d'une grossesse. Toutefois, si la partie qui cherche Ă  se voir reconnaĂźtre le droit de dĂ©cider du sort des prĂ©-embryons a simplement l'intention d'en faire don Ă  un autre couple, c'est Ă©videmment l'intĂ©rĂȘt de la partie opposĂ©e Ă  leur utilisation qui est supĂ©rieur et qui doit donc prĂ©valoir.

Mais la rĂšgle n'envisage pas l'institution d'un vĂ©to automatique Â»

45.  Dans l'affaire Kass c. Kass (98 N.Y. Int. 0049), le couple avait signĂ© avec la clinique un accord stipulant que, « dans le cas oĂč nous (...) serions dans l'impossibilitĂ© de prendre une dĂ©cision concernant le sort de nos embryons congelĂ©s Â», ceux-ci pourraient ĂȘtre utilisĂ©s Ă  des fins de recherche. Lorsque le couple se sĂ©para, Mme Kass voulut passer outre Ă  cet accord et se faire implanter les embryons. Elle obtint gain de cause en premiĂšre instance (le tribunal ayant estimĂ© que, de la mĂȘme maniĂšre qu'elle pouvait seule dĂ©cider de procrĂ©er ou non, une femme devait avoir le dernier mot en matiĂšre de FIV), mais la cour d'appel de l'Etat de New York dĂ©cida que l'accord existant Ă©tait suffisamment clair et devait ĂȘtre respectĂ©.

46.  L'affaire A.Z. c. B.Z (2000, 431 Mass. 150 ; 725 N.E. 2d 1051) concernait un litige oĂč la femme voulait poursuivre le traitement alors que son mari y Ă©tait opposĂ©. Les Ă©poux avaient, lĂ  aussi, prĂ©alablement conclu un accord Ă©crit, qui stipulait qu'en cas de sĂ©paration, les embryons seraient donnĂ©s Ă  la femme. La Cour suprĂȘme du Massachusetts estima toutefois qu'il ne fallait pas faire exĂ©cuter l'accord, notamment parce que, pour des motifs d'ordre public, « la procrĂ©ation forcĂ©e ne peut faire l'objet d'une procĂ©dure d'exĂ©cution judiciaire Â». Elle conclut que devait prĂ©valoir « la libertĂ© du choix personnel en matiĂšre de mariage et de vie familiale Â».

47.  La Cour suprĂȘme du New Jersey cita cette dĂ©cision, en l'approuvant, dans l'arrĂȘt J.B. c. M.B. (2001 WL 909294). En l'occurrence, c'Ă©tait la femme qui demandait la destruction des embryons alors que le mari voulait en faire don Ă  un autre couple ou les conserver en vue de les utiliser avec une future compagne. Des arguments d'ordre constitutionnel furent avancĂ©s Ă  l'appui de la thĂšse de la femme, mais la Cour suprĂȘme refusa d'envisager la question sous cet angle, estimant que, en tout Ă©tat de cause, il n'Ă©tait pas certain que l'exĂ©cution du contrat sous seing privĂ© supposĂ© avoir Ă©tĂ© conclu porterait atteinte aux droits de l'intĂ©ressĂ©e. Compte tenu du fait que le pĂšre n'Ă©tait pas stĂ©rile, la haute juridiction prĂ©fĂ©ra s'inspirer du raisonnement suivi dans l'affaire A.Z. concernant l'ordre public, et ordonna que la volontĂ© de la femme fĂ»t respectĂ©e.

48.  Enfin, dans l'affaire Litowitz c. Litowitz (48 P. 3d 261, 271), la femme, qui avait eu des enfants avant de subir une hystĂ©rectomie, souhaitait que les embryons conçus avec le sperme de son ex-mari et les ovules d'une donneuse fussent implantĂ©s dans l'utĂ©rus d'une mĂšre porteuse. L'ex-mari, de son cĂŽtĂ©, voulait faire don des embryons Ă  un autre couple. En premiĂšre instance et en appel le mari obtint gain de cause, mais en 2002 la Cour suprĂȘme de l'Etat de Washington, Ă  la majoritĂ©, opta pour l'analyse contractuelle et dĂ©cida qu'il fallait appliquer l'accord que le couple avait conclu avec la clinique, en vertu duquel la durĂ©e de conservation des embryons ne pouvait excĂ©der cinq ans.

3.  IsraĂ«l

49.  L'affaire Nachmani c. Nachmani (50(4) P.D. 661 (Isr)) concernait un couple israĂ©lien sans enfant qui avait dĂ©cidĂ© d'entreprendre un traitement par FIV, puis, la femme n'Ă©tant pas en mesure de mener une grossesse Ă  terme, d'avoir recours Ă  une mĂšre porteuse en Californie. Le couple avait signĂ© un accord avec la future mĂšre porteuse ; en revanche, il n'avait conclu avec la clinique devant pratiquer la FIV aucun accord fixant le sort des embryons en cas de sĂ©paration. La femme se fit prĂ©lever ses onze derniers ovules, qui furent fĂ©condĂ©s avec le sperme de son mari. Le couple se sĂ©para avant l'implantation des embryons dans l'utĂ©rus de la mĂšre porteuse, et le mari, qui entre-temps avait eu des enfants avec une autre femme, s'opposa Ă  l'utilisation des embryons.

Le tribunal de district statua en faveur de la femme, estimant que le mari ne pouvait pas davantage retirer son consentement Ă  avoir un enfant qu'un homme fĂ©condant l'ovule de sa femme au travers d'un rapport sexuel. Un collĂšge de cinq juges de la Cour suprĂȘme infirma cette dĂ©cision en invoquant le droit fondamental de l'homme Ă  ne pas ĂȘtre contraint Ă  devenir pĂšre. L'affaire fut rejugĂ©e par la Cour suprĂȘme siĂ©geant en un collĂšge de onze juges. Par sept voix contre quatre, ceux-ci donnĂšrent gain de cause Ă  la femme. Chacun des juges rĂ©digea une opinion sĂ©parĂ©e. Les juges majoritaires estimĂšrent que les intĂ©rĂȘts de la femme l'emportaient sur ceux de l'homme, notamment parce qu'elle Ă©tait privĂ©e de toute autre possibilitĂ© de transmettre ses gĂšnes Ă  un enfant. Trois des juges minoritaires, dont le prĂ©sident, arrivĂšrent Ă  la conclusion opposĂ©e, en soulignant que la femme savait que le consentement de son mari serait requis Ă  chaque Ă©tape du traitement, et que leur accord ne pouvait plus s'appliquer aprĂšs leur sĂ©paration. Le quatriĂšme des juges minoritaires estima qu'une obligation de paternitĂ© ne pouvait ĂȘtre imposĂ©e Ă  l'homme, dont le consentement prĂ©alable Ă©tait nĂ©cessaire.

C.  Les textes internationaux pertinents

50.  La rĂšgle gĂ©nĂ©rale Ă©noncĂ©e Ă  l'article 5 de la Convention du Conseil de l'Europe sur les Droits de l'Homme et la biomĂ©decine se lit ainsi :

« Une intervention dans le domaine de la santĂ© ne peut ĂȘtre effectuĂ©e qu'aprĂšs que la personne concernĂ©e y a donnĂ© son consentement libre et Ă©clairĂ©.

Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la nature de l'intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques.

La personne concernĂ©e peut, Ă  tout moment, librement retirer son consentement. Â»

51.  Toujours au sein du Conseil de l'Europe, le comitĂ© ad hoc d'experts sur les progrĂšs des sciences biomĂ©dicales, prĂ©dĂ©cesseur de l'actuel ComitĂ© directeur pour la bioĂ©thique, a adoptĂ© une sĂ©rie de principes (CAHBI, 1989), dont le quatriĂšme comporte la disposition suivante :

« 1.  Les techniques de la procrĂ©ation artificielle ne peuvent ĂȘtre utilisĂ©es que si les personnes concernĂ©es ont donnĂ© explicitement et par Ă©crit, selon les dispositions nationales, leur consentement libre et Ă©clairĂ© (...) Â»

52.  Enfin, l'article 6 de la DĂ©claration universelle sur la bioĂ©thique et les droits de l'homme Ă©nonce :

« Article 6 – Consentement

a)  Toute intervention mĂ©dicale de caractĂšre prĂ©ventif, diagnostique ou thĂ©rapeutique ne doit ĂȘtre mise en Ɠuvre qu'avec le consentement prĂ©alable, libre et Ă©clairĂ© de la personne concernĂ©e, fondĂ© sur des informations suffisantes.

Le cas Ă©chĂ©ant, le consentement devrait ĂȘtre exprĂšs et la personne concernĂ©e peut le retirer Ă  tout moment et pour toute raison sans qu'il en rĂ©sulte pour elle aucun dĂ©savantage ni prĂ©judice. Â»

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

53.  Dans sa requĂȘte initiale et dans ses observations devant la chambre, la requĂ©rante soutenait que les dispositions de la loi britannique qui imposaient la destruction des embryons une fois que J. avait retirĂ© son consentement Ă  leur conservation s'analysaient en une atteinte au droit Ă  la vie des embryons contraire Ă  l'article 2 de la Convention, dont la partie pertinente se lit ainsi :

« 1.  Le droit de toute personne Ă  la vie est protĂ©gĂ© par la loi (...) Â»

54.  Dans son arrĂȘt du 7 mars 2006, la chambre a rappelĂ© que, dans Vo c. France ([GC], no 53924/00, § 82, CEDH 2004-VIII), la Grande Chambre avait considĂ©rĂ© qu'en l'absence d'un consensus europĂ©en sur la dĂ©finition scientifique et juridique des dĂ©buts de la vie, le point de dĂ©part du droit Ă  la vie relevait de la marge d'apprĂ©ciation que la Cour estime gĂ©nĂ©ralement devoir ĂȘtre reconnue aux Etats dans ce domaine. Or, ainsi que l'ont prĂ©cisĂ© les juridictions internes dans la prĂ©sente affaire, le droit britannique ne reconnaĂźt pas Ă  l'embryon la qualitĂ© de sujet de droit autonome et ne l'autorise pas Ă  se prĂ©valoir – par personne interposĂ©e – du droit Ă  la vie garanti par l'article 2. Partant, la chambre a conclu qu'il n'y avait pas eu en l'espĂšce violation de cette disposition.

55.  La Grande Chambre relĂšve que dans ses observations Ă©crites et orales la requĂ©rante n'a pas maintenu le grief tirĂ© de l'article 2. Toutefois, Ă©tant donnĂ© que l'affaire renvoyĂ©e devant la Grande Chambre englobe nĂ©cessairement tous les aspects de la requĂȘte prĂ©cĂ©demment examinĂ©e par la chambre (K. et T. c. Finlance [GC], no 25702/94, § 140, CEDH 2001-VII), il y a lieu d'examiner la question sous l'angle de l'article 2.

56.  Pour les raisons exposĂ©es par la chambre, la Grande Chambre estime que les embryons crĂ©Ă©s par la requĂ©rante et J. ne peuvent se prĂ©valoir du droit Ă  la vie protĂ©gĂ© par l'article 2 et qu'il n'y a pas donc pas violation de cette disposition.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

57.  La requĂ©rante dĂ©nonce les dispositions de l'annexe 3 Ă  la loi de 1990, en vertu desquelles, une fois ses ovules fĂ©condĂ©s avec le sperme de J., celui-ci a pu rĂ©tracter son consentement. L'intĂ©ressĂ©e y voit une violation de son droit au respect de sa vie privĂ©e et familiale garanti par l'article 8 de la Convention, qui Ă©nonce :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privĂ©e et familiale (...)

2.  Il ne peut y avoir ingĂ©rence d'une autoritĂ© publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingĂ©rence est prĂ©vue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, est nĂ©cessaire Ă  la sĂ©curitĂ© nationale, Ă  la sĂ»retĂ© publique, au bien-ĂȘtre Ă©conomique du pays, Ă  la dĂ©fense de l'ordre et Ă  la prĂ©vention des infractions pĂ©nales, Ă  la protection de la santĂ© ou de la morale, ou Ă  la protection des droits et libertĂ©s d'autrui. Â»

A.  L'arrĂȘt de la chambre

58.  Dans son arrĂȘt du 7 mars 2006, la chambre a dit, en rĂ©sumĂ©, que l'article 8 trouvait Ă  s'appliquer, la notion de « vie privĂ©e Â» recouvrant Ă©galement le droit au respect de la dĂ©cision d'avoir un enfant ou de ne pas en avoir. La question qui se posait au regard de l'article 8 Ă©tait de « savoir si celui-ci fai[sai]t peser sur l'Etat l'obligation positive de garantir aux femmes se soumettant Ă  ce type de traitement dans le but spĂ©cifique de donner naissance Ă  un enfant de leur sang la possibilitĂ© de se faire implanter un embryon conçu Ă  partir des gamĂštes de leur ex-partenaire en cas de rĂ©tractation par celui-ci de l'engagement pris Ă  cet Ă©gard Â».

59.  Constatant qu'il n'y avait pas, aux niveaux international et europĂ©en, de consensus sur la rĂ©glementation des traitements par FIV, sur l'utilisation des embryons issus de semblables traitements et sur le point de savoir jusqu'Ă  quel moment l'un des participants Ă  un traitement pouvait revenir sur son consentement Ă  l'utilisation des gamĂštes prĂ©levĂ©s, et que le recours au traitement par FIV suscitait de dĂ©licates interrogations d'ordre moral et Ă©thique, la chambre a estimĂ© qu'il y avait lieu d'accorder Ă  l'Etat dĂ©fendeur une ample marge d'apprĂ©ciation.

60.  La loi de 1990 avait Ă©tĂ© adoptĂ©e Ă  l'issue d'une analyse exceptionnellement minutieuse des implications sociales, Ă©thiques et juridiques des avancĂ©es en matiĂšre de fĂ©condation et d'embryologie humaines. Elle avait pour objectif de garantir un consentement effectif des intĂ©ressĂ©s, depuis le dĂ©but du traitement jusqu'Ă  l'implantation des embryons. S'il Ă©tait vrai qu'en raison de la gravitĂ© de l'Ă©tat de santĂ© de la requĂ©rante, celle-ci et son compagnon avaient dĂ» se dĂ©terminer sur la fĂ©condation des ovules de la premiĂšre sans avoir pu consacrer Ă  cette question le temps qu'il Ă©tait gĂ©nĂ©ralement souhaitable de prendre pour y rĂ©flĂ©chir et obtenir conseil, il n'Ă©tait pas contestĂ© que chacun d'eux avait Ă©tĂ© informĂ© de la possibilitĂ© qui lui Ă©tait ouverte, aussi longtemps que les embryons conçus par ce procĂ©dĂ© n'Ă©taient pas implantĂ©s, de retirer son consentement. Comme c'Ă©tait le cas dans les affaires Pretty c. Royaume-Uni (no 2346/02, CEDH 2002-III) et OdiĂšvre c. France (no 42326/98, CEDH 2003-III), la dĂ©cision du lĂ©gislateur d'opter pour une rĂšgle claire ou « d'application stricte (« bright line rule Â») – qui avait pour double objectif de favoriser la sĂ©curitĂ© juridique et de prĂ©server la confiance que le droit devait inspirer Ă  l'opinion dans un domaine sensible – s'appuyait sur des considĂ©rations d'ordre public impĂ©rieuses. Comme les tribunaux internes, la chambre a considĂ©rĂ© que l'absence de dispositions permettant de passer outre Ă  la rĂ©vocation par un parent biologique de son consentement, mĂȘme dans les circonstances exceptionnelles de l'espĂšce, n'Ă©tait pas de nature Ă  rompre le juste Ă©quilibre exigĂ© par l'article 8 ou Ă  excĂ©der l'ample marge d'apprĂ©ciation dont bĂ©nĂ©ficiait l'Etat.

B.  Les thĂšses des parties

1.  La requĂ©rante

61.  La requĂ©rante reconnaĂźt la nĂ©cessitĂ© d'un cadre rĂ©glementaire pour le recours Ă  la mĂ©decine reproductive mais soutient que le principe selon lequel il ne peut ĂȘtre dĂ©rogĂ© au vĂ©to opposĂ© par l'un ou l'autre donneur de gamĂštes Ă  l'utilisation des embryons n'est ni nĂ©cessaire ni proportionnĂ©.

62.  Le traitement par FIV impliquerait un investissement personnel et une charge Ă©motionnelle bien plus importants pour la femme que pour l'homme : en dehors du don de sperme celui-ci n'aurait aucun rĂŽle physique actif Ă  jouer dans le processus. La femme, en revanche, donnerait des ovules – qui sont en quantitĂ© limitĂ©e – aprĂšs avoir subi une sĂ©rie d'interventions mĂ©dicales, parfois douloureuses, destinĂ©es Ă  maximiser les chances de prĂ©lĂšvement. Le droit en vigueur impliquerait qu'une femme ayant les mĂȘmes antĂ©cĂ©dents mĂ©dicaux qu'elle n'aurait plus jamais la possibilitĂ© de tenter de concevoir un enfant Ă  partir de ses propres gamĂštes. L'investissement Ă©motionnel et physique de la femme dans le processus serait bien supĂ©rieur Ă  celui de l'homme et justifierait de favoriser les droits de la femme au regard de l'article 8. Or, d'aprĂšs la requĂ©rante, la loi de 1990 aurait pour effet de soumettre ses droits et libertĂ©s en matiĂšre de procrĂ©ation au caprice de J. Celui-ci, aprĂšs s'ĂȘtre engagĂ© dans le projet de conception d'embryons avec la requĂ©rante, en lui offrant les assurances nĂ©cessaires pour la convaincre d'entreprendre le traitement, aurait pu abandonner ensuite le projet quand bon lui semblait, n'assumant aucune responsabilitĂ© relativement Ă  sa dĂ©cision initiale de s'impliquer, et n'ayant pas mĂȘme l'obligation d'expliquer son comportement.

63.  L'impact des dispositions relatives au consentement figurant dans la loi de 1990 serait tel qu'une femme dans la situation de la requĂ©rante n'aurait aucune garantie quant Ă  ses chances de porter un enfant, le donneur de gamĂštes, connu ou anonyme, pouvant, par caprice, rĂ©voquer son consentement Ă  l'utilisation des embryons conçus avec son sperme. La mĂ©decine reproductive aurait en partie pour objectif de fournir une solution possible Ă  ceux qui autrement ne pourraient procrĂ©er. Cet objectif se trouverait rĂ©duit Ă  nĂ©ant si aucune dĂ©rogation n'Ă©tait possible dans des circonstances exceptionnelles.

64.  Que l'on envisage le rĂŽle de l'Etat sous l'angle d'une obligation positive de prendre des mesures raisonnables et appropriĂ©es pour garantir Ă  l'individu les droits protĂ©gĂ©s par l'article 8, ou sous celui d'une ingĂ©rence exigeant une justification, il ressortirait clairement de la jurisprudence qu'il faut mĂ©nager un juste Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts concurrents. Une lĂ©gislation ne reconnaissant pas que peuvent survenir des situations exceptionnelles, exigeant un traitement diffĂ©rent, ne rĂ©pondrait Ă  aucune nĂ©cessitĂ©. En l'espĂšce, le litige opposerait essentiellement les droits respectifs de deux individus, et non ceux de l'Etat et d'un individu. Pour rĂ©gler un conflit entre individus, il y aurait lieu de soumettre les situations respectives Ă  un examen judiciaire. La requĂ©rante indique qu'en l'espĂšce la clinique est prĂȘte et disposĂ©e Ă  la traiter, et estime qu'elle devrait ĂȘtre autorisĂ©e Ă  le faire. Par ailleurs, la chambre aurait exagĂ©rĂ© l'obligation invoquĂ©e par elle : elle n'irait pas jusqu'Ă  soutenir que l'Etat doit garantir l'obtention par elle de l'autorisation de se faire implanter les embryons litigieux.

65.  Selon l'intĂ©ressĂ©e, un examen objectif de l'affaire Nachmani (paragraphe 48 ci-dessus) et de la jurisprudence des tribunaux amĂ©ricains (paragraphes 42-47 ci-dessus) Ă©taye sa propre thĂšse. L'affaire Nachmani serait celle dont les faits se rapprochent le plus de l'espĂšce, mais la requĂ©rante estime que ses arguments sont plus solides car elle souhaite faire implanter les embryons dans son corps, et non avoir recours Ă  une mĂšre porteuse. Toutes les dĂ©cisions rendues aux Etats-Unis sembleraient soit appliquer, soit au moins reconnaĂźtre un critĂšre de mise en balance des droits et/ou intĂ©rĂȘts relativement aux embryons. En outre, une de ces affaires seulement aurait Ă©tĂ© tranchĂ©e sur la base d'un conflit entre ordre public et droits individuels ; la jurisprudence viendrait donc Ă©tayer l'argument de la requĂ©rante selon lequel aucun intĂ©rĂȘt public ne se trouve en jeu. Quant Ă  la situation dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, la requĂ©rante relĂšve que la chambre s'est appuyĂ©e sur des documents dont les parties n'ont pas eu connaissance, mais elle reconnaĂźt qu'il n'y a pas de consensus en Europe sur la question de savoir si, d'une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, l'homme doit pouvoir rĂ©voquer son consentement Ă  tout moment avant l'implantation ou uniquement jusqu'au moment de la fĂ©condation. Elle invite toutefois la Cour Ă  examiner les Ă©lĂ©ments dont elle dispose quant Ă  la façon dont les Etats membres du Conseil de l'Europe trancheraient une affaire dont les faits seraient analogues Ă  ceux de l'espĂšce. Elle s'interroge sur la rigiditĂ© des rĂšgles en vigueur dans ces Etats, y compris au sein des quatre qui, d'aprĂšs l'arrĂȘt de la chambre, autorisent un retrait du consentement Ă  tout moment avant l'implantation.

66.  Si la requĂ©rante admet qu'elle ne peut plus se prĂ©tendre victime de l'instruction donnĂ©e par J. Ă  la clinique de mettre fin Ă  la conservation des embryons, puisque la durĂ©e lĂ©gale maximale de conservation Ă©tait dĂ©passĂ©e au moment de l'audience devant la Grande Chambre, elle soutient qu'il n'est ni nĂ©cessaire ni proportionnĂ© de donner un tel pouvoir Ă  un seul donneur de gamĂštes. Les embryons humains seraient spĂ©ciaux : ce serait la philosophie sous-jacente Ă  la loi de 1990. Or celle-ci permettrait Ă  un seul membre du couple de dĂ©truire, par caprice, les embryons crĂ©Ă©s par le couple ; mĂȘme un animal domestique serait mieux protĂ©gĂ© par la loi.

2.  Le Gouvernement

67.  Le Gouvernement dĂ©fend l'idĂ©e que la chambre s'est trompĂ©e en parlant d'un retrait par J. d'un consentement qu'il aurait donnĂ© Ă  l'utilisation de ses gamĂštes ou d'une tentative entreprise par la requĂ©rante pour obliger J. Ă  tenir parole. En vĂ©ritĂ©, J. n'aurait jamais consenti au traitement que la requĂ©rante souhaite suivre, son engagement s'Ă©tant toujours limitĂ© Ă  un traitement conjoint avec l'intĂ©ressĂ©e. En pratique, le consentement reposait sur la poursuite de la relation du couple. Celle-ci terminĂ©e, la requĂ©rante aurait Ă©mis le souhait de poursuivre le traitement seule, et le consentement donnĂ© par J. ne pourrait s'Ă©tendre Ă  la nouvelle situation.

68.  Selon le Gouvernement, la loi de 1990 visait Ă  promouvoir des objectifs et intĂ©rĂȘts Ă©troitement liĂ©s : le droit de la femme Ă  l'autodĂ©termination relativement Ă  la grossesse une fois l'embryon implantĂ©, la primautĂ© d'un consentement libre et Ă©clairĂ© Ă  toute intervention mĂ©dicale, les intĂ©rĂȘts du ou des enfants pouvant naĂźtre du traitement par FIV, l'Ă©galitĂ© de traitement entre les parties, la promotion de l'efficacitĂ© et de l'utilisation de la FIV et des techniques associĂ©es, la clartĂ© et la sĂ©curitĂ© des rapports entre les partenaires.

69.  Il plaide que, compte tenu de la complexitĂ© des questions morales et Ă©thiques que soulĂšvent les traitements par FIV, sur lesquels des divergences d'opinions marquĂ©es peuvent raisonnablement exister dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, il y a lieu de reconnaĂźtre aux Etats une ample marge d'apprĂ©ciation dans ce domaine. Il n'existerait pas de communautĂ© de vues aux niveaux international ou europĂ©en sur le point de savoir jusqu'Ă  quel moment un donneur de sperme doit pouvoir ĂȘtre autorisĂ© Ă  rĂ©voquer de maniĂšre effective son consentement et Ă  s'opposer Ă  l'utilisation de son matĂ©riel gĂ©nĂ©tique. L'attribution d'une ample marge d'apprĂ©ciation aux autoritĂ©s nationales se justifierait Ă©galement par le motif qu'il leur incombe de mĂ©nager un Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts antagonistes de deux individus ayant l'un comme l'autre, en vertu de la Convention, droit au respect de leur vie privĂ©e.

70.  Le fait que la rĂšgle autorisant chacune des parties Ă  retirer son consentement aussi longtemps qu'il n'y a pas eu implantation de l'embryon ne tolĂšre aucune exception (rĂšgle d'application stricte (« bright line rule Â»)) ne rendrait pas en soi la lĂ©gislation disproportionnĂ©e. Si l'on admettait des exceptions Ă  cette rĂšgle, l'objectif lĂ©gitime poursuivi par le Parlement – Ă  savoir garantir que toute implantation repose sur le consentement des deux parties intĂ©ressĂ©es – ne serait pas atteint. Il en rĂ©sulterait des situations complexes et un risque d'arbitraire, et les juridictions internes se trouveraient contraintes, comme en l'espĂšce, de rechercher un Ă©quilibre entre des intĂ©rĂȘts individuels inconciliables.

B.  ApprĂ©ciation de la Cour

1.  La nature des droits en jeu au regard de l'article 8

71.  Les parties s'accordent Ă  considĂ©rer que l'article 8 trouve Ă  s'appliquer et que le prĂ©sent litige se rapporte au droit de la requĂ©rante au respect de sa vie privĂ©e. La Grande Chambre souscrit au point de vue de la chambre selon lequel la notion de « vie privĂ©e Â», notion large qui englobe, entre autres, des aspects de l'identitĂ© physique et sociale d'un individu, notamment le droit Ă  l'autonomie personnelle, le droit au dĂ©veloppement personnel et le droit d'Ă©tablir et entretenir des rapports avec d'autres ĂȘtres humains et le monde extĂ©rieur (Pretty, arrĂȘt prĂ©citĂ©, § 61), recouvre Ă©galement le droit au respect des dĂ©cisions de devenir ou de ne pas devenir parent.

72.  Toutefois, il y a lieu de noter que la requĂ©rante n'allĂšgue pas qu'elle se trouve en aucune maniĂšre empĂȘchĂ©e de devenir mĂšre aux sens social, juridique, et mĂȘme physique du terme, ni le droit ni la pratique internes ne lui interdisant d'adopter un enfant, voire de donner naissance Ă  un enfant conçu in vitro avec les gamĂštes d'un donneur. L'intĂ©ressĂ©e se plaint plus prĂ©cisĂ©ment que les dispositions de la loi de 1990 relatives au consentement l'empĂȘchent d'utiliser les embryons crĂ©Ă©s conjointement par elle et J. et donc, vu sa situation personnelle, d'avoir un enfant avec lequel elle ait un lien gĂ©nĂ©tique. La Grande Chambre estime que cette question plus restreinte, qui concerne le droit au respect de la dĂ©cision de devenir parent au sens gĂ©nĂ©tique du terme, relĂšve Ă©galement de l'article 8.

73.  Le dilemme au cƓur de la prĂ©sente affaire tient au fait que se trouvent en conflit les droits puisĂ©s dans l'article 8 par deux individus : la requĂ©rante et J. En outre, l'intĂ©rĂȘt de chacun est totalement inconciliable avec celui de l'autre, puisque si la requĂ©rante est autorisĂ©e Ă  recevoir les embryons, J. sera contraint de devenir pĂšre, et que si le refus ou la rĂ©vocation par J. de son consentement est confirmĂ©, la requĂ©rante se verra privĂ©e de la possibilitĂ© de devenir parent au sens gĂ©nĂ©tique du terme. Dans les circonstances difficiles de l'espĂšce, quelle que soit la solution adoptĂ©e par les autoritĂ©s nationales, les intĂ©rĂȘts de l'une des parties au traitement par FIV seront entiĂšrement déçus (OdiĂšvre, arrĂȘt prĂ©citĂ©, § 44).

74.  En outre, la Grande Chambre, Ă  l'instar de la chambre, souscrit Ă  l'argument du Gouvernement (paragraphe 68 ci-dessus) selon lequel l'affaire ne concerne pas simplement un conflit entre individus : la lĂ©gislation en question poursuit Ă©galement un certain nombre d'intĂ©rĂȘts plus vastes, d'ordre gĂ©nĂ©ral, puisque, par exemple, elle protĂšge le principe de la primautĂ© du consentement et tend Ă  promouvoir la clartĂ© et la sĂ©curitĂ© juridiques (OdiĂšvre, arrĂȘt prĂ©citĂ©, § 45). La Grande Chambre examinera ci-aprĂšs dans quelle mesure l'Etat pouvait, au regard de l'article 8, accorder du poids Ă  ces considĂ©rations.

2.  Sur le point de savoir si l'affaire concerne une obligation positive ou une ingĂ©rence

75.  Si l'article 8 tend pour l'essentiel Ă  prĂ©munir l'individu contre des ingĂ©rences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander Ă  l'Etat de s'abstenir de pareilles ingĂ©rences : Ă  cet engagement plutĂŽt nĂ©gatif peuvent s'ajouter des obligations positives inhĂ©rentes Ă  un respect effectif de la vie privĂ©e. Elles peuvent impliquer l'adoption de mesures visant au respect de la vie privĂ©e, jusque dans les relations des individus entre eux. La frontiĂšre entre les obligations positives et nĂ©gatives de l'Etat au titre de l'article 8 ne se prĂȘte pas Ă  une dĂ©finition prĂ©cise ; les principes applicables sont nĂ©anmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut avoir Ă©gard au juste Ă©quilibre Ă  mĂ©nager entre les intĂ©rĂȘts concurrents ; de mĂȘme, dans les deux hypothĂšses, l'Etat jouit d'une certaine marge d'apprĂ©ciation (OdiĂšvre, arrĂȘt prĂ©citĂ©, § 40).

76.  Dans le cadre de la procĂ©dure interne, les parties et les juges ont analysĂ© le litige comme mettant en cause une ingĂ©rence de l'Etat dans l'exercice par la requĂ©rante de son droit au respect de sa vie privĂ©e, les dispositions pertinentes de la loi de 1990 empĂȘchant la clinique de poursuivre le traitement de l'intĂ©ressĂ©e dĂšs lors que J. l'avait avisĂ©e qu'il n'Ă©tait pas consentant. Pour sa part, la Grande Chambre, comme la chambre, juge plus appropriĂ© d'examiner la cause sous l'angle des obligations positives, la question principale Ă©tant, comme dans l'affaire OdiĂšvre prĂ©citĂ©e, de savoir si l'application faite en l'espĂšce des dispositions lĂ©gislatives incriminĂ©es a mĂ©nagĂ© un juste Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts publics et privĂ©s concurrents en jeu. A ce propos, la Grande Chambre souscrit aux conclusions des juridictions nationales selon lesquelles J. n'avait jamais consenti Ă  ce que la requĂ©rante utilisĂąt seule les embryons crĂ©Ă©s par le couple – son consentement s'Ă©tant limitĂ© Ă  un « traitement conjoint Â» avec la requĂ©rante (paragraphe 24 ci-dessus). Contrairement au Gouvernement (paragraphe 67 ci-dessus), elle estime que le point de savoir si dans ces conditions J. doit passer pour avoir « refusĂ© Â» et non « retirĂ© Â» son consentement Ă  l'implantation des embryons n'est pas important pour les questions Ă  trancher au regard de la Convention.

3.  La marge d'apprĂ©ciation

77.  Pour dĂ©terminer l'ampleur de la marge d'apprĂ©ciation reconnue Ă  l'Etat dans une affaire soulevant des questions au regard de l'article 8, il y a lieu de prendre en compte un certain nombre de facteurs. Lorsqu'un aspect particuliĂšrement important de l'existence ou de l'identitĂ© d'un individu se trouve en jeu, la marge laissĂ©e Ă  l'Etat est restreinte (voir, par exemple, X. et Y. c. Pays-Bas, arrĂȘt du 26 mars 1985, sĂ©rie A no 91, §§ 24 et 27 ; Dudgeon c. Royaume-Uni, arrĂȘt du 22 octobre 1981, sĂ©rie A no 45 ; Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 90, CEDH 2002-VI ; voir Ă©galement Pretty, arrĂȘt prĂ©citĂ©, § 71). Par contre, lorsqu'il n'y a pas de consensus au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe, que ce soit sur l'importance relative de l'intĂ©rĂȘt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protĂ©ger, en particulier lorsque l'affaire soulĂšve des questions morales ou Ă©thiques dĂ©licates, la marge d'apprĂ©ciation est plus large (X., Y. et Z. c. Royaume-Uni, arrĂȘt du 22 avril 1997, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1997-II, § 44 ; FrettĂ© c. France, no 36515/97, § 41, CEDH 2002-I ; Christine Goodwin, arrĂȘt prĂ©citĂ©, § 85 ; voir Ă©galement, mutatis mutandis, l'arrĂȘt Vo prĂ©citĂ©, § 82). La marge d'apprĂ©ciation est de façon gĂ©nĂ©rale Ă©galement ample lorsque l'Etat doit mĂ©nager un Ă©quilibre entre des intĂ©rĂȘts privĂ©s et publics concurrents ou diffĂ©rents droits protĂ©gĂ©s par la Convention (OdiĂšvre, arrĂȘt prĂ©citĂ©, §§ 44-49, et FrettĂ©, arrĂȘt prĂ©citĂ©, § 42).

78.  Les questions soulevĂ©es par la prĂ©sente affaire revĂȘtent sans conteste un caractĂšre moralement et Ă©thiquement dĂ©licat et, Ă  cet Ă©gard, la Cour renvoie aux commentaires formulĂ©s par Lord Bingham dans l'affaire Quintavalle (paragraphe 34 ci-dessus).

79.  En outre, si la Cour tient compte de l'argument de la requĂ©rante selon lequel il faut traiter les donnĂ©es de droit comparĂ© avec prudence, il est clair au moins, et l'intĂ©ressĂ©e ne le conteste pas, qu'il n'existe pas une approche europĂ©enne uniforme dans ce domaine. Certains Etats ont adoptĂ© des lois ou des rĂšglements pour encadrer le recours au traitement par FIV, alors que d'autres s'en remettent en la matiĂšre Ă  la pratique et Ă  des directives mĂ©dicales. Le Royaume-Uni n'est certes pas le seul Etat Ă  permettre la conservation d'embryons et Ă  autoriser les deux donneurs de gamĂštes Ă  revenir librement et effectivement sur leur consentement tant qu'il n'y a pas eu implantation des embryons, mais d'autres rĂšgles et pratiques se rencontrent ailleurs en Europe. On ne peut dire qu'il existe un consensus sur le point de savoir Ă  partir de quel moment du traitement par FIV le consentement des donneurs de gamĂštes doit ĂȘtre rĂ©putĂ© irrĂ©vocable (paragraphes 39-42 ci-dessus).

80.  La requĂ©rante soutient qu'eu Ă©gard Ă  la plus grande ampleur de son investissement physique et Ă©motionnel durant le traitement par FIV et Ă  sa stĂ©rilitĂ© ultĂ©rieure ses droits garantis par l'article 8 doivent primer ceux de J., mais il apparaĂźt Ă  la Cour que, sur ce point non plus, il n'y a pas de consensus clair. La Cour d'appel a Ă©voquĂ© la difficultĂ© de comparer les effets qu'emporterait pour J. le fait d'ĂȘtre contraint de devenir pĂšre d'un enfant de la requĂ©rante et les effets qui rĂ©sulteraient pour la requĂ©rante du fait d'ĂȘtre privĂ©e de toute chance d'avoir un enfant biologique (paragraphes 25-26 ci-dessus) ; cette difficultĂ© se reflĂšte Ă©galement dans la diversitĂ© des avis exprimĂ©s par les deux collĂšges de la Cour suprĂȘme israĂ©lienne dans l'affaire Nachmani et dans la jurisprudence des tribunaux amĂ©ricains (paragraphes 43-49 ci-dessus).

81.  En conclusion, dĂšs lors que le recours au traitement par FIV suscite de dĂ©licates interrogations d'ordre moral et Ă©thique, qui s'inscrivent dans un contexte d'Ă©volution rapide de la science et de la mĂ©decine, et que les questions soulevĂ©es en l'espĂšce se rapportent Ă  des domaines sur lesquels il n'y a pas, de maniĂšre claire, communautĂ© de vues entre les Etats membres, la Cour estime qu'il y a lieu d'accorder Ă  l'Etat dĂ©fendeur une ample marge d'apprĂ©ciation (X, Y et Z, arrĂȘt prĂ©citĂ©, § 44).

82.  Comme la chambre, la Grande Chambre estime que cette marge d'apprĂ©ciation doit en principe s'appliquer tant Ă  la dĂ©cision de l'Etat d'adopter ou non une loi rĂ©gissant le recours au traitement par FIV, que, le cas Ă©chĂ©ant, aux rĂšgles dĂ©taillĂ©es Ă©dictĂ©es par lui pour mĂ©nager un Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts publics et privĂ©s en conflit.

4.  Respect de l'article 8

83.  Il reste Ă  la Cour Ă  dĂ©terminer si, dans les circonstances particuliĂšres de l'espĂšce, l'application d'une loi autorisant J. Ă  rĂ©voquer de maniĂšre effective ou Ă  refuser son consentement Ă  l'implantation dans l'utĂ©rus de la requĂ©rante des embryons conçus conjointement par les deux membres du couple a mĂ©nagĂ© un juste Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts concurrents en jeu.

84.  Le fait qu'il soit aujourd'hui techniquement possible de conserver des embryons humains Ă  l'Ă©tat congelĂ© a pour consĂ©quence qu'il existe dĂ©sormais une diffĂ©rence essentielle entre une fĂ©condation in vitro et une fĂ©condation consĂ©cutive Ă  un rapport sexuel, Ă  savoir la possibilitĂ© de laisser s'Ă©couler un laps de temps, qui peut ĂȘtre important, entre la crĂ©ation d'embryons et leur implantation dans l'utĂ©rus. Pour la Cour, il est lĂ©gitime  
– et d'ailleurs souhaitable – qu'un Etat mette en place un cadre juridique tenant compte de cette possibilitĂ© de diffĂ©rer le transfert d'un embryon.
La solution adoptĂ©e au Royaume-Uni dans la loi de 1990 consistait Ă  limiter Ă  cinq ans la durĂ©e lĂ©gale de conservation d'un embryon. En 1996, un texte rĂ©glementaire a portĂ© cette durĂ©e Ă  dix ans et plus dans les cas oĂč l'un des donneurs de gamĂštes ou la future mĂšre est stĂ©rile ou risque de le devenir prĂ©maturĂ©ment, tout en prĂ©cisant que les embryons ne peuvent jamais ĂȘtre conservĂ©s aprĂšs que la femme qui doit les recevoir a dĂ©passĂ© l'Ăąge de 55 ans (paragraphe 36 ci-dessus).

85.  Ces dispositions sont complĂ©tĂ©es par une obligation faite Ă  la clinique dispensant le traitement de solliciter de chaque donneur de gamĂštes un consentement Ă©crit prĂ©alable prĂ©cisant notamment le type de traitement pour lequel l'embryon est censĂ© ĂȘtre utilisĂ© (annexe 3, article 2 § 1, de la loi de 1990), la durĂ©e maximale de conservation et les mesures Ă  prendre en cas de dĂ©cĂšs ou d'incapacitĂ© du donneur (annexe 3, article 2 § 2). En outre, l'article 4 de l'annexe 3 Ă©nonce que « quiconque a donnĂ© un consentement au sens de la prĂ©sente annexe peut y apporter des modifications successives ou le rĂ©voquer, par notification Ă  la personne responsable de la conservation des gamĂštes ou de l'embryon concernĂ©s (...) Â» tant que l'embryon n'a pas Ă©tĂ© « utilisĂ© Â» (c'est-Ă -dire implantĂ© dans l'utĂ©rus ; paragraphe 37 ci-dessus). Certains Etats, qui ont des cultures religieuses, sociales et politiques diffĂ©rentes, ont adoptĂ© d'autres solutions pour tenir compte de la possibilitĂ© technique d'un dĂ©calage entre la fĂ©condation et l'implantation (paragraphes 39-42 ci-dessus). Pour les motifs exposĂ©s ci-dessus (paragraphes 77-82), la Grande Chambre estime que c'est d'abord Ă  chaque Etat qu'il appartient de dĂ©cider des principes et politiques Ă  appliquer dans ce domaine sensible.

86.  A cet Ă©gard, la Grande Chambre partage l'avis de la chambre selon lequel il importe de noter que la loi de 1990 a Ă©tĂ© adoptĂ©e aprĂšs une analyse exceptionnellement minutieuse des implications sociales, Ă©thiques et juridiques des avancĂ©es en matiĂšre de fĂ©condation et d'embryologie humaines et qu'elle est le fruit d'un vaste ensemble de rĂ©flexions, de consultations et de dĂ©bats (voir, mutatis mutandis, Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97, § 128, CEDH 2003-VIII).

87.  Les problĂšmes pouvant dĂ©couler des progrĂšs scientifiques enregistrĂ©s dans la conservation des embryons humains ont Ă©tĂ© abordĂ©s dĂšs 1984, dans le rapport de la commission Warnock, qui prĂ©conisait de fixer Ă  dix ans la durĂ©e maximale de conservation des embryons destinĂ©s Ă  l'utilisation personnelle d'un couple ; passĂ© ce dĂ©lai, le droit d'utilisation ou de destruction devait ĂȘtre confĂ©rĂ© Ă  un organisme compĂ©tent pour les questions de conservation. En cas de dĂ©saccord dans un couple sur l'utilisation d'embryons crĂ©Ă©s conjointement, le droit de dĂ©cider de l'utilisation ou de la destruction des embryons devait ĂȘtre confĂ©rĂ© Ă  l'« organisme compĂ©tent pour les questions de conservation Â». Le livre vert Ă©laborĂ© Ă  la suite du rapport Warnock invitait prĂ©cisĂ©ment les secteurs intĂ©ressĂ©s de l'opinion publique Ă  se prononcer sur le sort qu'il fallait rĂ©server Ă  un embryon en cas de dĂ©saccord dans un couple quant Ă  son utilisation ou sa destruction. Le livre blanc publiĂ© en 1987 relevait que ceux qui avaient rĂ©pondu et qui estimaient que la conservation devait ĂȘtre autorisĂ©e souscrivaient pour l'essentiel aux recommandations de la commission, mais que certains d'entre eux rejetaient l'idĂ©e de confĂ©rer Ă  l'« organisme compĂ©tent pour les questions de conservation Â» le droit de dĂ©cider du sort de l'embryon en cas de conflit entre les donneurs. Le Gouvernement proposa alors de fonder la loi sur les principes clairs suivants : « les souhaits du donneur priment pendant la pĂ©riode de conservation autorisĂ©e des embryons ou des gamĂštes, et Ă  l'expiration de cette pĂ©riode les embryons ne peuvent ĂȘtre utilisĂ©s Ă  d'autres fins par l'organisme agrĂ©Ă© que si le donneur y a consenti Â». Le livre blanc exposait Ă©galement dans le dĂ©tail les propositions quant au consentement, lesquelles, aprĂšs de nouvelles consultations, furent adoptĂ©es par le lĂ©gislateur et incorporĂ©es Ă  l'annexe 3 Ă  la loi de 1990 (paragraphes 29-39 ci-dessus).

88.  En vertu de cette annexe, toutes les cliniques qui proposent des traitements par FIV ont l'obligation lĂ©gale d'expliquer les dispositions relatives au consentement aux personnes entreprenant un tel traitement et de recueillir leur consentement par Ă©crit (paragraphe 37 ci-dessus). Nul ne conteste que cette obligation a Ă©tĂ© respectĂ©e en l'espĂšce et que la requĂ©rante et J. ont tous deux signĂ© les formulaires de consentement prĂ©vus par la loi. Si, en raison de l'urgence liĂ©e Ă  sa situation mĂ©dicale, la requĂ©rante a dĂ» se dĂ©terminer rapidement et dans une situation d'anxiĂ©tĂ© extrĂȘme, elle savait, lorsqu'elle consentit Ă  ce que tous ses ovules fussent fĂ©condĂ©s avec le sperme de J., qu'elle n'en aurait plus d'autres, qu'elle ne pourrait faire implanter les embryons avant un certain temps, dĂšs lors qu'il lui fallait d'abord terminer le traitement de son cancer, et que, en vertu de la loi, J. pourrait Ă  tout moment retirer son consentement Ă  l'implantation.

89.  Si la requĂ©rante critique les dispositions du droit national relatives au consentement en ce qu'elles ne souffrent aucune dĂ©rogation, la Cour estime que le caractĂšre absolu de la loi n'est pas, en soi, nĂ©cessairement incompatible avec l'article 8 (voir, Ă©galement, Pretty et OdĂšvre, arrĂȘts prĂ©citĂ©s au paragraphe 60 ci-dessus). La dĂ©cision du lĂ©gislateur d'adopter des dispositions ne permettant aucune exception, afin que toute personne donnant des gamĂštes aux fins d'un traitement par FIV puisse avoir la certitude qu'ils ne pourront pas ĂȘtre utilisĂ©s sans son consentement, procĂšde du souci de faire prĂ©valoir le respect de la dignitĂ© humaine et de la libre volontĂ© ainsi que du souhait de mĂ©nager un juste Ă©quilibre entre les parties au traitement par FIV. Au-delĂ  du principe en jeu, le caractĂšre absolu de la rĂšgle en cause vise Ă  promouvoir la sĂ©curitĂ© juridique et Ă  Ă©viter les problĂšmes d'arbitraire et d'incohĂ©rence inhĂ©rents Ă  la mise en balance, au cas par cas, de ce que la Cour d'appel a dĂ©crit comme Ă©tant des intĂ©rĂȘts « parfaitement incommensurables Â» (paragraphes 25-26 ci-dessus). Pour la Cour, les intĂ©rĂȘts gĂ©nĂ©raux poursuivis par la loi sont lĂ©gitimes et compatibles avec l'article 8.

90.  Quant Ă  l'Ă©quilibre mĂ©nagĂ© entre les droits conflictuels que les parties Ă  un traitement par FIV peuvent puiser dans l'article 8, la Grande Chambre, tout comme les autres juridictions ayant eu Ă  connaĂźtre de l'affaire, compatit Ă  la situation de la requĂ©rante, qui dĂ©sire manifestement par-dessus tout un enfant de son sang. Toutefois, eu Ă©gard Ă  ce qui prĂ©cĂšde, et notamment Ă  l'absence de consensus europĂ©en sur la question, la Grande Chambre estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder davantage de poids au droit de la requĂ©rante au respect de son choix de devenir parent au sens gĂ©nĂ©tique du terme qu'Ă  celui de J. au respect de sa volontĂ© de ne pas avoir un enfant biologique avec elle.

91.  La Cour reconnaĂźt que le Parlement aurait pu rĂ©gler la situation diffĂ©remment. Toutefois, comme la chambre l'a fait observer, la question centrale qui se pose au regard de l'article 8 n'est pas de savoir s'il Ă©tait loisible au lĂ©gislateur d'opter pour d'autres dispositions, mais de dĂ©terminer si, dans l'Ă©tablissement de l'Ă©quilibre requis, le Parlement a excĂ©dĂ© la marge d'apprĂ©ciation qui est la sienne en la matiĂšre.

92.  Eu Ă©gard Ă  l'absence de consensus europĂ©en, au fait que les dispositions du droit interne Ă©taient dĂ©pourvues d'ambiguĂŻtĂ©, qu'elles avaient Ă©tĂ© portĂ©es Ă  la connaissance de la requĂ©rante et qu'elles mĂ©nageaient un juste Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts en conflit, la Grande Chambre estime qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 8

93.  Dans sa requĂȘte et dans la procĂ©dure devant la chambre, la requĂ©rante se plaignait en outre d'une discrimination contraire Ă  l'article 14 combinĂ© avec l'article 8, dans la mesure oĂč une femme apte Ă  procrĂ©er sans assistance mĂ©dicale pourrait choisir en toute libertĂ© et en-dehors de toute influence le sort devant ĂȘtre rĂ©servĂ© Ă  ses ovules fĂ©condĂ©s, alors qu'une femme dans sa situation, c'est-Ă -dire incapable de procrĂ©er sans avoir recours Ă  une FIV, se trouverait, du fait de la loi de 1990, Ă  la merci du donneur de sperme.

94.  Dans ses observations Ă  la Grande Chambre toutefois, la requĂ©rante a indiquĂ© que ses griefs sur le terrain des articles 8 et 14 Ă©taient inextricablement liĂ©s et que si la Cour devait estimer que la disposition contestĂ©e du droit interne est proportionnĂ©e sous l'angle de l'article 8, il lui faudrait conclure Ă©galement qu'elle est raisonnablement et objectivement justifiĂ©e au regard de l'article 14.

95.  La Grande Chambre, Ă  l'instar de la chambre et des parties, estime qu'elle n'a pas Ă  statuer sur la question de savoir si la requĂ©rante peut se plaindre d'une diffĂ©rence de traitement par rapport Ă  une autre femme qui se trouverait dans une situation analogue Ă  la sienne. Elle considĂšre en effet que les motifs qui l'ont amenĂ©e Ă  conclure Ă  l'absence de violation de l'article 8 constituent Ă©galement une justification objective et raisonnable aux fins de l'article 14 (voir, mutatis mutandis, l'arrĂȘt Pretty, prĂ©citĂ©, § 89).

96.  Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 14 de la Convention en l'espĂšce.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Dit, Ă  l'unanimitĂ©, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 2 de la Convention ;

2.  Dit, par treize voix contre quatre, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention ;

3.  Dit, par treize voix contre quatre, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 de la Convention combinĂ© avec l'article 8 ;

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 10 avril 2007.

Erik Fribergh Christos Rozakis 
 Greffier PrĂ©sident 
  
 

Au prĂ©sent arrĂȘt se trouve joint, conformĂ©ment aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du rĂšglement, l'exposĂ© de l'opinion dissidente commune aux juges TĂŒrmen, Tsatsa-Nikolovska, Spielmann et Ziemele.

C.L.R. 
E.F.

 

OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES TÜRMEN, TSATSA-NIKOLOVSKA, SPIELMANN ET ZIEMELE

(Traduction)

1.  Nous avons votĂ© contre les constats de non-violation de l'article 8 de la Convention et de l'article 14 de la Convention combinĂ© avec l'article 8.

2.  La requĂ©rante en l'espĂšce se plaignait que l'impact des dispositions relatives au consentement figurant dans la loi de 1990 Ă©tait tel qu'une femme dans sa situation n'avait aucun moyen de garantir ses chances de porter un enfant de son sang. Selon elle, la mĂ©decine reproductive a en partie pour objectif de fournir une solution possible Ă  ceux qui autrement ne pourraient procrĂ©er. Or cet objectif se trouverait rĂ©duit Ă  nĂ©ant si aucune dĂ©rogation n'Ă©tait possible dans des circonstances exceptionnelles (paragraphes 62-64 de l'arrĂȘt).

3.  Pour la Cour comme pour les parties, l'article 8 est applicable et l'affaire concerne le droit de la requĂ©rante au respect de sa vie privĂ©e (paragraphe 71). La Cour prĂ©cise (paragraphe 72) que la question plus restreinte du droit au respect de la dĂ©cision de devenir parent au sens gĂ©nĂ©tique du terme relĂšve Ă©galement de l'article 8. Nous souscrivons au raisonnement de la Cour concernant l'applicabilitĂ© de l'article 8 et la question plus spĂ©cifique en jeu. Nous tenons toutefois Ă  souligner l'importance de la prĂ©cision donnĂ©e par la Cour quant Ă  l'applicabilitĂ© de l'article 8 dans les circonstances de l'espĂšce.

4.  Dans son arrĂȘt, la Cour examine la nature des droits en jeu au regard de l'article 8 (paragraphes 71-74) et le point de savoir si l'affaire concerne une obligation positive ou une ingĂ©rence (paragraphes 75-76). Au sujet de la premiĂšre question, elle indique que l'affaire a trait Ă  un conflit entre les droits puisĂ©s dans l'article 8 par deux individus (paragraphe 73) et ajoute que la lĂ©gislation en cause poursuit Ă©galement un certain nombre d'intĂ©rĂȘts plus vastes, d'ordre gĂ©nĂ©ral, en protĂ©geant le principe de la primautĂ© du consentement et en cherchant Ă  promouvoir la clartĂ© et la sĂ©curitĂ© juridiques (paragraphe 74). Jugeant plus appropriĂ© d'examiner la cause sous l'angle des obligations positives, la Cour indique que la question principale consiste Ă  savoir si l'application faite en l'espĂšce des dispositions lĂ©gislatives incriminĂ©es a mĂ©nagĂ© un juste Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts publics et privĂ©s concurrents en jeu (paragraphe 76). Par ailleurs, la Cour considĂšre que, dĂšs lors que le recours au traitement par fĂ©condation in vitro FIV suscite de dĂ©licates interrogations d'ordre moral et Ă©thique qui s'inscrivent dans un contexte d'Ă©volution rapide de la science et de la mĂ©decine et que les questions soulevĂ©es en l'espĂšce se rapportent Ă  des domaines sur lesquels il n'y a pas, de maniĂšre claire, communautĂ© de vues entre les Etats membres, il y a lieu d'accorder Ă  l'Etat dĂ©fendeur une ample marge d'apprĂ©ciation (paragraphe 81). Cette marge d'apprĂ©ciation doit en principe, d'aprĂšs la  

Cour, s'appliquer tant Ă  la dĂ©cision de l'Etat d'adopter ou non une loi rĂ©gissant le recours au traitement par FIV que, le cas Ă©chĂ©ant, aux rĂšgles dĂ©taillĂ©es Ă©dictĂ©es par lui pour mĂ©nager un Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts publics et privĂ©s en conflit (paragraphe 82).

5.  Nous ne pouvons souscrire Ă  l'apprĂ©ciation de la Cour selon laquelle il est plus appropriĂ© d'examiner la question sous l'angle des obligations positives.

6.  L'affaire concerne selon nous une atteinte au droit de la requĂ©rante au respect de sa dĂ©cision de devenir parent au sens gĂ©nĂ©tique du terme. Nous pouvons admettre que l'ingĂ©rence Ă©tait prĂ©vue par la loi et qu'elle poursuivait des buts lĂ©gitimes, Ă  savoir la dĂ©fense de l'ordre public et de la morale et la protection des droits d'autrui. Mais cette ingĂ©rence Ă©tait-elle nĂ©cessaire et proportionnĂ©e, eu Ă©gard aux circonstances particuliĂšres de l'espĂšce ? Pour les raisons que nous exposons ci-dessous, nous estimons quant Ă  nous que le droit pour la requĂ©rante de dĂ©cider de devenir parent, au sens gĂ©nĂ©tique du terme, pĂšse plus lourd que le droit pour M. J. de dĂ©cider de ne pas devenir parent.

i) La loi de 1990 ne prĂ©voit pas la possibilitĂ© de prendre en considĂ©ration la situation mĂ©dicale trĂšs particuliĂšre de la requĂ©rante. Nous admettons, avec la majoritĂ©, que notamment lorsqu'une question revĂȘt une nature moralement et Ă©thiquement dĂ©licate, une rĂšgle d'interprĂ©tation stricte est peut-ĂȘtre la plus appropriĂ©e pour servir au mieux les divers intĂ©rĂȘts, souvent conflictuels, en jeu. On dit que « l'avantage d'une loi claire est qu'elle offre de la sĂ©curitĂ© Â». Mais on admet Ă©galement que « son dĂ©savantage est que si elle est trop claire – catĂ©gorique – elle offre trop de sĂ©curitĂ© et aucune flexibilitĂ© Â»1. DĂšs lors, eu Ă©gard aux circonstances particuliĂšres de l'espĂšce, le problĂšme principal rĂ©side dans la nature absolue de la « rĂšgle d'interprĂ©tation stricte Â» en cause.

ii)  En l'espĂšce, la dĂ©marche suivie par la majoritĂ© n'a pas simplement pour consĂ©quence de contrecarrer la dĂ©cision prise par la requĂ©rante d'avoir un enfant de son sang, elle emporte suppression effective de toute possibilitĂ© pour elle d'avoir un tel enfant, privant de toute effectivitĂ© pareille dĂ©cision qui serait prise maintenant ou Ă  quelque moment que ce soit dans l'avenir.

7.  Aussi jugeons-nous disproportionnĂ©e l'application faite de la loi de 1990 dans les circonstances particuliĂšres de la cause. Du fait de sa nature absolue, la lĂ©gislation incriminĂ©e empĂȘche dans un cas tel celui de l'espĂšce la mise en balance des intĂ©rĂȘts en conflit. En fait, mĂȘme si la majoritĂ© admet qu'il s'agit de mĂ©nager un Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts conflictuels que les  
parties Ă  un traitement par FIV peuvent puiser dans l'article 8 (paragraphe 90), aucune mise en balance n'est possible dans les circonstances de la cause, puisque la dĂ©cision entĂ©rinant le choix fait par M. J. de ne pas devenir pĂšre implique une annulation absolue et dĂ©finitive de la dĂ©cision de la requĂ©rante. Le fait de vider de sa substance ou de son sens la dĂ©cision de l'une des deux parties ne peut s'analyser en une mise en balance des intĂ©rĂȘts. Il convient de noter que l'affaire ne concerne pas la possibilitĂ© d'adopter un enfant ni celle de donner naissance Ă  un enfant conçu in vitro avec les gamĂštes d'un donneur. Incidemment, M. J. sera toujours capable de prendre la dĂ©cision de devenir pĂšre d'un enfant biologique, tandis que pour la requĂ©rante c'Ă©tait sa derniĂšre chance.

8.  Par ailleurs, la requĂ©rante a subi le 26 novembre 2001 l'ablation de ses ovaires. En consĂ©quence, les ovules prĂ©levĂ©s sur elle aux fins d'un traitement par FIV Ă©taient sa derniĂšre chance d'avoir un enfant de son sang. Non seulement J. en Ă©tait parfaitement conscient, mais il donna Ă  sa compagne de l'Ă©poque l'assurance qu'il souhaitait ĂȘtre le pĂšre de son enfant. Sans pareille assurance, la requĂ©rante aurait pu chercher Ă  avoir un enfant biologique en utilisant d'autres mĂ©thodes. Au paragraphe 90 de l'arrĂȘt, oĂč la majoritĂ© tente de mĂ©nager un Ă©quilibre entre les droits et intĂ©rĂȘts de la requĂ©rante et ceux de J., aucun poids n'est accordĂ© Ă  cet aspect « assurance Â», au fait que la requĂ©rante a agi de bonne foi en se fondant sur l'assurance reçue de J. La date dĂ©cisive est le 12 novembre 2001 : c'est la date Ă  laquelle les ovules de la requĂ©rante ont Ă©tĂ© fĂ©condĂ©s et six embryons crĂ©Ă©s. A compter de cette date, J. n'Ă©tait plus maĂźtre de son sperme. Un embryon est une production conjointe de deux personnes qui, une fois implantĂ©e dans un utĂ©rus, se transforme pour finalement donner un enfant. Un acte consistant Ă  dĂ©truire un embryon implique donc Ă©galement la destruction de l'ovule de la femme. De ce point de vue Ă©galement, la lĂ©gislation britannique est restĂ©e en dĂ©faut de mĂ©nager le juste Ă©quilibre requis.

9.  Les circonstances particuliĂšres de l'espĂšce nous amĂšnent Ă  considĂ©rer que les intĂ©rĂȘts de la requĂ©rante pĂšsent plus lourd que les intĂ©rĂȘts de J. et que le fait que les autoritĂ©s britanniques en ont jugĂ© autrement doit s'analyser en une violation de l'article 8.

10.  LĂ  encore, nous tenons Ă  souligner que, comme la majoritĂ©, nous estimons que la loi de 1990 n'est pas, en soi, contraire Ă  l'article 8 et que le principe du consentement est important pour le traitement par FIV. Nous admettons que, lorsque l'on regarde les lĂ©gislations pertinentes dans les autres Etats, diffĂ©rentes approches s'en dĂ©gagent et que la Cour a raison de dire qu'il n'existe pas, au niveau europĂ©en, de consensus sur les dĂ©tails de l'encadrement juridique du traitement par FIV. Comme nous l'avons dit ci-dessus, toutefois, nous faisons de la prĂ©sente espĂšce une analyse diffĂ©rente de la majoritĂ© car les circonstances qui la caractĂ©risent nous font regarder au-delĂ  de la simple question du consentement au sens contractuel du terme. Les valeurs et questions en jeu, du point de vue de la situation de la requĂ©rante, revĂȘtent un poids important, nĂ©gligĂ© par l'approche purement contractuelle adoptĂ©e en l'espĂšce..

11.  Compte tenu de l'importance de la question et de la nature extrĂȘme de la situation de la requĂ©rante, il nous paraĂźt difficile d'infĂ©rer quoi que ce soit du fait que celle-ci savait que « en vertu de la loi, J. pourrait Ă  tout moment retirer son consentement Ă  l'implantation Â» (paragraphe 88). Il n'est Ă©videmment pas possible que l'on suggĂšre que Mme Evans, aprĂšs toutes ses Ă©preuves, aurait dĂ» envisager l'Ă©ventualitĂ© de voir M. J. retirer son consentement. LĂ  encore il est manifeste que l'affaire ne pouvait guĂšre se traiter par une application formaliste des rĂšgles juridiques qui encadraient le traitement par FIV.

12.  Une affaire aussi sensible que celle-ci ne peut ĂȘtre tranchĂ©e sur une base simpliste et mĂ©canique consistant Ă  dire qu'il n'y a aucun consensus en Europe et que, dĂšs lors, l'Etat dĂ©fendeur bĂ©nĂ©ficie d'une ample marge d'apprĂ©ciation, qui s'Ă©tend aux rĂšgles adoptĂ©es aux fins de mĂ©nager un Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts publics et privĂ©s en conflit.

Certes, les Etats disposent d'une ample marge d'apprĂ©ciation lorsqu'il s'agit d'adopter des rĂšgles rĂ©gissant le recours Ă  la FIV. La marge d'apprĂ©ciation ne doit toutefois pas empĂȘcher la Cour d'exercer son contrĂŽle, en particulier relativement Ă  la question de savoir si un juste Ă©quilibre a Ă©tĂ© mĂ©nagĂ© entre tous les intĂ©rĂȘts conflictuels en jeu au niveau interne2.

La Cour ne devrait pas utiliser le principe de la marge d'appréciation comme un simple substitut pragmatique à une approche réfléchie du problÚme de la portée adéquate de son contrÎle3.

13.  Pour conclure, contrairement Ă  la majoritĂ© nous estimons que la lĂ©gislation incriminĂ©e n'a pas permis de mĂ©nager un juste Ă©quilibre dans les circonstances particuliĂšres de l'espĂšce. Si les effets de la lĂ©gislation sont tels que d'une part ils donnent Ă  une femme le droit de dĂ©cider d'avoir un enfant de son sang mais que d'autre part ils la privent de toute possibilitĂ© de se retrouver en position de faire ce choix, ils font supporter Ă  l'intĂ©ressĂ©e une charge morale et physique d'aprĂšs nous disproportionnĂ©e qui ne peut guĂšre ĂȘtre compatible avec l'article 8 et avec les buts mĂȘmes de la Convention, qui sont de protĂ©ger la dignitĂ© et l'autonomie humaines.

14.  En ce qui concerne l'article 14 de la Convention, nous tenons Ă  prĂ©ciser ce qui suit.

15.  Il se peut qu'aux fins de l'article 14 la comparaison doive se faire avec un homme stĂ©rile (voir, au paragraphe 23 de l'arrĂȘt, l'exemple invoquĂ© dans la procĂ©dure interne par le juge Wall). Toutefois, mĂȘme cette comparaison n'illustre pas toute la complexitĂ© du problĂšme soulevĂ© par la prĂ©sente espĂšce. Les institutions internationales spĂ©cialement investies de la mission de promouvoir les droits des femmes reconnaissent qu'il est justifiĂ© et nĂ©cessaire d'« expliquer comment les politiques et mesures relatives aux soins de santĂ© tiennent compte des droits des femmes et prennent en compte leurs intĂ©rĂȘts et leurs spĂ©cificitĂ©s par rapport aux hommes, notamment : a)  Les caractĂ©ristiques biologiques des femmes, telles que (...) leur fonction en matiĂšre de procrĂ©ation (...) (CEDAW recommandation gĂ©nĂ©rale no 24 (20e session, 1999)) Â». Une femme se trouve placĂ©e dans une situation diffĂ©rente d'un homme du point de vue de la naissance d'un enfant, y compris lorsque la lĂ©gislation autorise des mĂ©thodes de fĂ©condation artificielle. En consĂ©quence, nous estimons que la dĂ©marche qui s'imposait en l'espĂšce est celle qui fut adoptĂ©e relativement Ă  l'article 14 dans l'affaire Thlimmenos c. GrĂšce, dans laquelle la Cour a reconnu que des situations diffĂ©rentes doivent entraĂźner un traitement diffĂ©rent4. Si nous apprĂ©hendons la situation personnelle de la requĂ©rante Ă  la lumiĂšre de ce principe, c'est notamment Ă  raison de l'ampleur de la charge physique et Ă©motionnelle et des consĂ©quences5 qu'emporte cette situation, et c'est sur cette base que nous avons votĂ© en faveur de la violation de l'article 14 combinĂ© avec l'article 8.

1.  Voir M.-B. Dembour, Who Believes in Human Rights? Reflections on the European Convention, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 93.

 

2.  Nous tenons Ă  souligner que dans son rĂ©cent arrĂȘt Associated Society of Locomotive Engineers & Firemen (ASLEF) c. Royaume-Uni, no 11002/05, § 46, 27 fĂ©vrier 2007 la Cour a redit clairement comment elle conçoit le rĂŽle de la marge d’apprĂ©ciation : « Enfin, dans l’établissement d’un juste Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts en conflit, l’Etat dispose d’une certaine marge d’apprĂ©ciation pour dĂ©terminer les mesures propres Ă  garantir le respect de la Convention (voir, parmi d’autres, Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97, § 98, CEDH 2003-VIII). DĂšs lors toutefois qu’il ne s’agit pas ici d’une question relevant de la politique gĂ©nĂ©rale, sur laquelle de larges divergences d’opinion peuvent raisonnablement rĂ©gner au sein d’une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, un poids spĂ©cial devant ainsi Ăštre accordĂ© au rĂŽle des responsables politiques internes (voir, par exemple, James et autres c. Royaume-Uni, arrĂȘt du 21 fĂ©vrier 1986, sĂ©rie A no 98, p. 32, § 46, oĂč la Cour a estimĂ© qu’il Ă©tait « normal que le lĂ©gislateur dispose d’une grande latitude pour mener une politique Ă©conomique et sociale »), la marge d’apprĂ©ciation ne joue qu’un rĂŽle limitĂ©.

La dĂ©marche adoptĂ©e dans ASLEF prend en compte les conceptions des parlements nationaux dans une « saine Â» mesure (en lui confĂ©rant un poids spĂ©cial) s’agissant de dĂ©finir une politique gĂ©nĂ©rale ; il y a lieu de distinguer les questions de politique gĂ©nĂ©rale et les dĂ©cisions concernant les droits fondamentaux de tel ou tel individu (dans le contexte d’une requĂȘte individuelle), lesquelles, en vertu de ce qui a Ă©tĂ© dit ci-dessus, appellent un rĂŽle restreint de la marge d’apprĂ©ciation. Dans l’affaire Evans, la majoritĂ©, tout en accordant Ă  l’Etat dĂ©fendeur une ample marge d'apprĂ©ciation, se rĂ©fĂšre largement aux questions de politique gĂ©nĂ©rale et Ă©tend cette ample marge d'apprĂ©ciation aux rĂšgles dĂ©taillĂ©es adoptĂ©es pour Ă©tablir un Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts publics et privĂ©s en conflit (paragraphes 81-82 de l’arrĂȘt et paragraphe 4 in fine de notre opinion dissidente). Comme la plupart de celles portĂ©es devant la Cour, l’affaire Evans n’a pas trait uniquement Ă  des questions de politique gĂ©nĂ©rale : elle concerne aussi des intĂ©rĂȘts individuels importants. D’aprĂšs nous, la majoritĂ© a donnĂ© un poids excessif Ă  celles-ci, qui en rĂ©alitĂ© ne sont que la toile de fond de la prĂ©sente affaire (voir la section 3 de l’arrĂȘt (la marge d’apprĂ©ciation), en particulier le paragraphe 81), et elle ne s’est pas suffisamment livrĂ©e, dans la section 4 de son arrĂȘt (observation de l’article 8 ; paragraphes 83-92), Ă  un exercice de mise en balance ad hoc.

 

3.  R. St. J. Macdonald, « The Margin of Appreciation Â», dans The European System for the Protection of Human Rights, (R. St. J. Macdonald et al. [eds.], 1993), p. 84, citĂ© par E. Brems, « The Margin of Appreciation Doctrine in the Case-Law of the European Court of Human Rights Â», Zeitschrift fĂŒr auslĂ€ndisches öffentliches Recht und Völkerrecht, 1996, p. 313. Voir Ă©galement l’apprĂ©ciation critique de la doctrine de la « marge d’apprĂ©ciation Â» faite par M. R. Hutchinson in « The Margin of Appreciation Doctrine in the European Court of Human Rights Â», International and Comparative Law Quarterly, 1996, 638-650.

 

4.  Thlimmenos c. GrĂšce [GC], no 34369/97, CEDH 2000-IV.

 

5.  C. Packer, « Defining and Delineating the Right to Reproductive Choice Â», Nordic Journal of International Law, 1998, pp. 77-95, Ă  la p. 95.