Corte europea dei diritti
dell’uomo, 9 dicembre 1994
(requête n. 13427/87)
AFFAIRE RAFFINERIES GRECQUES STRAN ET
STRATIS ANDREADIS c. GRÈCE
En l’affaire Raffineries grecques Stran
et Stratis Andreadis c. Grèce*,
La Cour européenne des Droits de l’Homme,
constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de
sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la
Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A**, en une chambre
composée des juges dont le nom suit:
MM. R. Ryssdal, président,
B. Walsh,
R. Macdonald,
C. Russo,
N. Valticos,
S.K. Martens,
R. Pekkanen,
F. Bigi,
L. Wildhaber,
ainsi que de M. H. Petzold, greffier f.f.,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les
22 avril et 21 novembre 1994,
Rend
l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1.
L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de
l’Homme ("la Commission") le 12 juillet 1993, dans le délai de trois
mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la
Convention. A son origine se trouve une requête (no 13427/87)
dirigée contre la République hellénique et dont une société anonyme grecque,
les Raffineries grecques Stran, ainsi que l’unique actionnaire de celle-ci, M.
Stratis Andreadis, avaient saisi la Commission le 20 novembre 1987 en vertu de
l’article 25 (art. 25). Le second
requérant étant décédé en 1989, son fils et héritier, M. Petros Andreadis,
avait exprimé le souhait de maintenir la requête.
La demande de la Commission renvoie aux articles
44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration grecque reconnaissant la
juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet
d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent
un manquement de l’Etat défendeur aux exigences de l’article 6 (art. 6) de la
Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1).
2. En réponse à l’invitation prévue à
l’article 33 par. 3 d) du règlement A, les requérants ont manifesté le désir de
participer à l’instance et désigné leur conseil (article 30).
3. La chambre à constituer comprenait
de plein droit M. N. Valticos, juge élu de nationalité grecque (article 43 de
la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21
par. 3 b) du règlement A). Le 25 août 1993, celui-ci a tiré au sort le nom des
sept autres membres, à savoir MM. B. Walsh, R. Macdonald, C. Russo, S.K.
Martens, R. Pekkanen, F. Bigi et L. Wildhaber, en présence du greffier
(articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement A) (art. 43).
4. En sa qualité de président de la
chambre (article 21 par. 5 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par
l’intermédiaire du greffier, l’agent du gouvernement grec ("le
Gouvernement"), le conseil des requérants et le délégué de la Commission
au sujet de l’organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38).
Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le
mémoire du Gouvernement le 13 janvier 1994 et celui des requérants le 19
janvier. Le 21 février, le secrétaire de la Commission l’a informé que le délégué
s’exprimerait en plaidoirie.
5.
Ainsi qu’en avait décidé le président, l’audience s’est déroulée en public le
19 avril 1994, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La chambre avait
tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont
comparu:
- pour
le Gouvernement
M. P. Georgakopoulos, assesseur
au Conseil juridique de l’Etat, délégué de l’agent,
Mme K. Grigoriou, auditeur
au Conseil juridique de l’Etat, conseil;
- pour
la Commission
M. C.L. Rozakis, délégué;
- pour les requérants
M. M. Beloff, QC, conseil,
M. P. Martyr, solicitor,
Mme T. Foster, solicitor,
M. K.D. Kerameus, professeur
de droit
à l’université d’Athènes,
conseillers.
La Cour a entendu en leur déclarations, ainsi
qu’en leurs réponses à ses questions, MM. Georgakopoulos, Rozakis et Beloff.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. Les Raffineries grecques Stran
("Stran") sont une société actuellement en liquidation de biens et
dont le siège se trouve à Athènes. M. Stratis Andreadis était son unique
actionnaire.
A. La genèse de l’affaire
7. Aux termes d’un contrat passé le 22
juillet 1972 avec l’Etat grec alors sous régime militaire, M. Andreadis assuma
l’obligation de monter une raffinerie de pétrole brut dans la région de Megara,
près d’Athènes. La construction, dont le coût s’élèverait à 76 000 000 dollars
américains, incomberait à une société à créer, les Raffineries grecques Stran,
dont le requérant serait l’unique propriétaire. Tous les droits et obligations
de ce dernier seraient automatiquement transférés à la société dès sa
constitution.
Le gouvernement ratifia le contrat par le
décret-loi no 1211/1972, publié au Journal officiel du 26 juillet
1972; l’article 21 du contrat stipulait que l’Etat s’engageait à acquérir à
Megara, jusqu’au 31 décembre 1972 au plus tard, un terrain propice à la
construction de la raffinerie. Le 27 juillet 1972, l’Etat autorisa M.
Andreadis, par un décret royal (no 450) adopté en vertu du
décret-loi no 2687/1953 concernant "les investissements et la
protection des capitaux étrangers", à importer 58 millions de dollars
américains pour financer l’investissement.
8. Toutefois, le projet stagna car
l’Etat ne s’acquitta pas de son obligation: le 28 novembre 1973, les ministres
de l’Industrie et de l’Agriculture annoncèrent, lors d’une conférence de presse
à Megara, la décision du gouvernement de rendre à leurs propriétaires les
terrains qui étaient déjà expropriés en exécution de l’article 21 du contrat;
le lendemain la police de Megara interdit la continuation des travaux.
En
décembre 1973, Stran protesta auprès des autorités compétentes et sollicita la
permission de continuer les travaux. Le 27 février 1974, elle assigna même
l’Etat pour qu’il approuve l’acquisition des terrains litigieux mais ce dernier
refusa de révoquer l’interdiction.
9.
Après le rétablissement de la démocratie, le gouvernement estima le contrat et
le décret no 450 préjudiciables à l’économie nationale; il se
prévalait de l’article 2 par. 5 de la loi no 141/1975 sur la
résiliation des contrats de faveur (kharistikes symvasseis) passés pendant le
régime militaire (1967-1974). Promulguée en vertu d’une autorisation spéciale
de la Constitution de 1975 (article 107 - paragraphe 24 ci-dessous), cette loi
avait une valeur supralégislative.
Les
intéressés ne donnèrent aucune suite à une proposition tendant à négocier la
révision ou la résiliation du contrat, que le ministre de la Coordination leur
avait adressée le 19 novembre 1975. Partant, un comité ministériel de
l’Economie résilia ledit contrat le 14 octobre 1977. Les requérants n’engagèrent aucune action en justice contre cette
décision.
B.
La procédure devant le tribunal de grande instance d’Athènes
10. Avant la rupture du contrat, Stran avait
engagé des dépenses relatives à la réalisation du projet; elle avait en particulier
passé des contrats de fournitures et de prestations de services avec des
entreprises grecques et étrangères et souscrit des emprunts.
Un litige s’éleva alors entre elle et l’Etat; le
10 novembre 1978, elle introduisit devant le tribunal de grande instance
d’Athènes une action en déclaration (anagnoristiki agogi) visant à faire
reconnaître que l’Etat devait lui rembourser à titre de dommage les sommes de
251 113 978 drachmes, 22 799 782 dollars américains et 877 466 francs français.
Elle soutenait que l’Etat avait manqué à ses obligations pendant la durée du
contrat, notamment en ayant interdit depuis le 27 novembre 1973 la poursuite
des travaux d’installation de la raffinerie à Megara et en n’ayant pas procédé
depuis le 9 février 1974 à l’expropriation des terrains dans ce but; elle
réclamait en outre la restitution d’un chèque de cautionnement de 240 millions
de drachmes qu’elle avait déposé au ministère de l’Economie nationale pour
garantir la bonne exécution du contrat, ainsi que le remboursement de la
commission et du timbre fiscal versés à la Banque du commerce.
De son
côté, l’Etat contesta la compétence du tribunal. Il alléguait que le litige
devait être soumis à l’arbitrage conformément à l’article 27 du contrat, dont
les paragraphes pertinents se lisaient ainsi:
"1. Tout
différend, litige ou désaccord entre l’Etat et le concessionnaire résultant de
l’application du présent contrat et concernant l’exécution ou l’interprétation
des dispositions de celui-ci, ainsi que sur la portée des droits et obligations
qui en découlent sera résolu exclusivement par l’arbitrage de trois arbitres
conformément à la procédure suivante; aucune autre convention d’arbitrage n’est
requise.
(...)
9. La sentence
arbitrale est définitive et irrévocable. Elle constitue un acte exécutoire ne
nécessitant aucune autre mesure supplémentaire d’exécution ni aucune autre
formalité. Elle n’est susceptible d’aucun
recours judiciaire ordinaire ou extraordinaire, ni d’un recours en annulation
devant les juridictions ordinaires ni d’opposition. La partie qui ne
respectera pas les dispositions de la sentence sera tenue de réparer tout
damnum emergens ou lucrum cessans causé à l’autre partie."
11.
Par un jugement avant dire droit (no 13910/1979) du 29 septembre
1979, le tribunal de grande instance d’Athènes réfuta la thèse principale de
l’Etat: la clause d’arbitrage visait uniquement le règlement des litiges nés de
l’exécution du contrat et non de l’inexécution par l’une des parties des
obligations qui en découlaient; d’autre part, le comité ministériel de
l’Economie avait résilié le contrat litigieux dans sa totalité (paragraphe 9
ci-dessus) et la clause d’arbitrage, faute d’existence autonome, se trouvait
par conséquent annulée. Il repoussa ensuite l’argument de l’Etat selon lequel deux
des conditions résolutoires contenues dans le contrat - le défaut du dépôt d’un
chèque de cautionnement et du versement de la seconde partie du capital social
- se trouvaient remplies. Enfin, il ordonna un complément d’instruction, en
particulier l’examen de cinq témoins, afin de se prononcer sur l’existence et
l’ampleur du préjudice allégué par Stran.
C.
La procédure devant le tribunal arbitral
12.
Le 12 juin 1980 l’Etat déposa une requête d’arbitrage et désigna son arbitre.
Il invitait le tribunal arbitral à déclarer non fondées toutes les demandes en
indemnisation introduites par Stran contre l’Etat devant le tribunal de grande
instance d’Athènes (paragraphe 10 ci-dessus).
Dans son
mémoire du 28 juin 1980, Stran - qui nomma comme arbitre un professeur de droit
de l’université d’Athènes - alléguait à titre principal l’incompétence du
tribunal arbitral et invitait ce dernier à surseoir à statuer jusqu’à ce que la
procédure engagée le 10 novembre 1978 fût terminée; à titre subsidiaire et afin
de réfuter les arguments de l’Etat quant au fond, elle renvoyait à ses
observations devant le tribunal de grande instance d’Athènes.
13. Le tribunal arbitral se constitua le 3
juillet 1980; son président fut choisi d’un commun accord par les deux autres
arbitres (article 27 par. 3 du contrat). Il rendit sa sentence le 27 février
1984.
Pour affirmer sa compétence, il estima que se
trouvaient soumis à l’arbitrage les litiges survenant aussi en raison de la
non-exécution complète du contrat, et pas seulement en raison de celle de
dispositions isolées comme le soutenait l’Etat; la clause d’arbitrage de
l’article 27 (paragraphe 10 ci-dessus) était formulée en des termes généraux et
limpides, ce qui excluait de pareilles distinctions.
Quant
au fond, le tribunal arbitral s’appuya sur le dossier soumis par les parties au
tribunal de grande instance d’Athènes le 10 novembre 1978 (paragraphe 10
ci-dessus). Il admit un partage de responsabilité dans le dommage subi par la
société, à concurrence de 70 % pour l’Etat et 30 % pour Stran; celle-ci avait
en réalité commencé les travaux sur un terrain ayant fait l’objet d’une
expropriation contestée et sans obtenir au préalable le permis de construire
nécessaire. Il déclara donc fondées les réclamations de Stran pour un montant
ne dépassant pas 116 273 442 drachmes, 16 054 165 dollars américains et 614 627
francs français, auquel il faudrait ajouter des intérêts moratoires au taux de
6 % à compter du 10 novembre 1978; toutefois, cette référence à l’attribution
d’intérêts ne figurait pas dans le dispositif de la sentence. Enfin, le
tribunal releva que l’Etat retenait illégalement le chèque de cautionnement
(paragraphe 10 ci-dessus).
14.
Le 24 juillet 1984, la société requérante demanda au tribunal de grande
instance d’Athènes d’enjoindre à l’Etat de restituer le chèque en question,
mais le tribunal décida de surseoir à statuer jusqu’à la fin de la procédure
engagée le 10 novembre 1978 (paragraphe 10 ci-dessus).
D.
Les recours contre la sentence arbitrale du 27 février 1984
1.
Devant le tribunal de grande instance d’Athènes
15.
Le 2 mai 1984, l’Etat avait saisi le tribunal de grande instance d’Athènes en
demandant l’annulation de la sentence arbitrale du 27 février 1984.
Il
soutenait que le tribunal arbitral manquait de la compétence pour connaître des
litiges découlant du contrat litigieux ainsi que des prétentions financières de
Stran à l’encontre de l’Etat. A titre
subsidiaire, il alléguait que les contractants avaient entendu limiter la
compétence du tribunal arbitral aux différends portant sur l’exécution ou
l’interprétation des clauses du contrat, ainsi que sur l’étendue des droits et
obligations qui en découleraient, écartant ainsi ceux concernant sa
non-exécution totale; par conséquent, le litige incriminé devait relever des
juridictions civiles ordinaires, comme l’avait d’ailleurs reconnu le jugement no
13910/1979 du tribunal de grande instance d’Athènes. A titre plus subsidiaire
encore, l’Etat déclarait que l’incompétence du tribunal arbitral se trouvait
confirmée par le fait que les prétentions de Stran contre l’Etat avaient été
prescrites après la résiliation du contrat. Enfin, il soulignait le caractère
déclaratoire de l’action intentée par Stran le 10 novembre 1978 (paragraphe 10
ci-dessus).
16.
Par un jugement (no 5526/1985) du 21 avril 1985, le tribunal débouta
l’Etat au motif que la décision résiliant le contrat n’avait pas rendu caduque
la clause d’arbitrage; celle-ci continuait à produire ses effets à l’égard des
contestations nées pendant la période de validité du contrat.
17.
Le 19 décembre 1986, la société requérante se désista de sa première action
devant le tribunal de grande instance d’Athènes (paragraphe 9 ci-dessus), mais
sollicita la poursuite de celle relative à la restitution du chèque de
cautionnement (paragraphe 14 ci-dessus).
Lors
de l’examen de cette dernière devant le tribunal de grande instance d’Athènes,
le 6 février 1987, l’Etat s’opposa, en vertu de l’article 294 du code de
procédure civile, à l’abandon de la première: il estimait en fait que celle-ci
se terminerait de manière défavorable pour Stran et qu’il avait donc un intérêt
légitime à l’obtention d’un jugement définitif.
Toutefois, le tribunal ajourna de nouveau l’examen
de l’affaire (jugement no 2877/1987) en raison du pourvoi pendant
(paragraphe 19 ci-dessous).
2. Devant la cour d’appel d’Athènes
18. Par un arrêt (no 9336/1986)
du 4 novembre 1986, la cour d’appel d’Athènes confirma par les mêmes motifs le
jugement du 21 avril 1985.
Elle
estima notamment:
"Dans la
législation grecque moderne prédomine le principe de l’autonomie de la clause
compromissoire au regard du contrat. La résiliation de celui-ci, pour quelque
raison que ce soit, ne met pas fin au pouvoir des arbitres appelés à juger les
différends créés pendant la période de validité du contrat (...). La décision
du comité ministériel de l’Economie n’a pas annulé la clause compromissoire de
l’article 27 du contrat et, par conséquent, elle n’empêche pas les arbitres
d’examiner le fond du litige."
3.
Devant la Cour de cassation
19.
Le 15 décembre 1986, l’Etat se pourvut devant la Cour de cassation.
Initialement
fixée au 4 mai 1987, l’audience fut ce jour-là reportée au 1er juin 1987 à la
demande de l’Etat, au motif qu’un projet de loi concernant l’affaire litigieuse
se trouvait devant le Parlement.
En
réponse à une question de la Cour européenne lors de l’audience du 19 avril
1994, le conseil des requérants a affirmé, sans être contredit par le
Gouvernement, que le juge rapporteur de la Cour de cassation avait envoyé son
avis, favorable à la thèse des intéressés, aux parties avant le 4 mai.
20.
Le 22 mai 1987, le Parlement adopta la loi no 1701/1987 relative
"à la participation obligatoire de l’Etat aux entreprises privées (...) et
au rachat de parts", entrée en vigueur dès sa publication au Journal
officiel du 25 mai 1987. Cette loi portait à titre principal sur la
renégociation d’un contrat de concession pour la prospection et l’exploitation
des hydrocarbures liquides et gazeux dans un secteur de la mer de Thrace.
Toutefois, son article 12 se lisait ainsi:
"1. Le sens
authentique des dispositions de l’article 2 par. 1 de la loi no
141/1975 relative à la résiliation des contrats passés entre le 21 avril 1967
et le 24 juillet 1974 est le suivant: la résiliation de ces contrats entraîne
l’annulation de plein droit de toutes leurs conditions et clauses, y compris de
la clause d’arbitrage pour la solution de tout litige; toute compétence de
tribunaux d’arbitrage cesse d’exister.
2. Les sentences arbitrales visées au paragraphe 1 ne
sont plus valides ni exécutoires.
3. Toute prétention principale ou accessoire à
l’encontre de l’Etat, formulée en monnaie étrangère ou nationale, qui découle
des contrats passés entre le 21 avril 1967 et le 24 juillet 1974, ratifiés par
une loi et résiliés en application de la loi no 141/1975, est
prescrite.
4. Toute procédure judiciaire pendante devant une
juridiction de quelque degré que ce soit au moment de l’adoption de la présente
loi et se rapportant aux prétentions mentionnées au paragraphe précédent est
annulée."
21.
Le 10 juillet 1987, après avoir entendu le juge rapporteur qui se prononça pour
le rejet du pourvoi, la première chambre de la Cour de cassation rendit son
arrêt (no 1387/1987); elle concluait à l’inconstitutionnalité de
l’article 12 en ces termes:
"(...)
[L’article 107] de
la Constitution attribue non seulement une valeur supralégislative à la loi no
141/1975, mais interdit aussi au législateur ordinaire d’y apporter une
modification ou un ajout ultérieurs ou même une interprétation authentique, car
tant cette valeur supralégislative que l’incitation constitutionnelle de
promulguer une loi unique dans les trois mois de l’entrée en vigueur de la
Constitution visent à instaurer une stabilité législative et une confiance
internationale pour les investissements en Grèce. Cette opinion se fonde sur le
seul sens possible de l’expression ‘une loi unique’ et sur la facilité avec
laquelle cette disposition serait violée si on autorisait des modifications,
ajouts ou interprétation authentique de la loi ainsi adoptée (...)
Par conséquent
(...), les dispositions de l’article 12 de la loi no 1701/1987 qui
donnent une interprétation authentique, modifient et complètent l’article 2
par. 1 de la loi no 141/1975 et qui ont été adoptées après
l’expiration du délai prévu par l’article 107 par. 2 de la Constitution sont
contraires à celle-ci, ce qui oblige le tribunal à ne pas les appliquer en
vertu de l’article 93 par. 4 de la Constitution. La chambre refusant
d’appliquer des dispositions inconstitutionnelles, elle s’estime contrainte, en
vertu de l’article 563 par. 2 du code de procédure civile, de renvoyer
l’affaire à la formation plénière de la Cour de cassation (...)"
22.
Les débats s’ouvrirent devant la Cour de cassation siégeant en formation
plénière le 19 novembre 1987, mais, en raison du décès d’un de ses membres,
Stran demanda une nouvelle audience qui se tint le 25 février 1988.
La Cour
de cassation rendit son arrêt (no 4/1989) le 16 mars 1989; elle
relevait notamment:
"(...) [La
Constitution] a prévu la promulgation ‘d’une loi unique’ qui possède, de par sa
nature, une valeur supralégislative, en ce sens qu’elle ne peut être ni complétée
ni modifiée par une loi ordinaire (...). Toutefois, l’interdiction de compléter
ou de modifier le contenu de [pareilles] lois ne signifie pas que leur
interprétation soit exclue. Leur nature sui generis, qui leur confère la
primauté sur les lois ordinaires, (...) n’exclut pas leur interprétation
lorsque les circonstances l’exigent. En effet, le but de l’interprétation
consiste non pas en la modification du contenu de la loi interprétée, mais en
la révélation de son sens originel et dans le règlement de différends qui ont
surgi dans le cadre de son application ou qui risquent de se présenter à
l’avenir; [le besoin d’une telle interprétation] sera déterminé en dernier lieu
par le tribunal qui sera obligé de vérifier si le sens de la loi interprétée
avait en effet suscité des doutes justifiant l’intervention du législateur
(...). Par conséquent, n’est pas contraire à la Constitution l’interprétation
de la loi no 141/1975 du seul fait que celle-ci possède une valeur
supralégislative. Il faudrait cependant se demander, d’une part, si
l’interprétation s’imposait dans le cas concret et, d’autre part, si les
dispositions non interprétatives de cette loi, qui pèsent pour la solution du
cas d’espèce, sont contraires à la Constitution.(...) La formulation [de l’article
2 par. 5 de la loi no 141/1975] manque de clarté et crée un doute
quant à la survie, après la résiliation du contrat, de la clause d’arbitrage
(...) et quant à la compétence du tribunal arbitral. En l’espèce, le doute
avait d’abord surgi à l’occasion de la procédure engagée par les intéressés
devant le tribunal civil et ensuite - après le jugement avant dire droit du
tribunal de grande instance - avec l’abandon de celle-ci et le recours à
l’arbitrage où des arguments diamétralement opposés furent développés (...).
Indépendamment des doutes qui avaient surgi, la question principale a trait à
l’acceptation ou au rejet du principe de l’autonomie de la clause d’arbitrage
et de sa portée. Cette question a suscité depuis longtemps de graves
divergences au sein de la jurisprudence et de la doctrine internationales; dans
certains pays le principe de la survie de la clause pour le dénouement des
différends surgissant jusqu’à la fin de contrats (...) prévaut; dans d’autres
pays, l’opinion prédominante est que la résiliation du contrat entraîne la
suppression de la clause et, partant, le renvoi de tous les litiges devant les
juridictions ordinaires; enfin, dans d’autres pays, le principe selon lequel
l’autonomie de la clause d’arbitrage vaut uniquement pour des litiges d’un
certain type l’emporte. Dès lors, il était nécessaire de procéder à
l’interprétation de la loi no 141/1975, qui régla le problème dans
l’Etat grec en faveur de la suppression de la clause d’arbitrage (...) et de
l’incompétence du tribunal arbitral. Le fait que l’intervention législative a
eu lieu (...) cinq jours avant les débats devant la première chambre de cette
Cour et à la suite d’un report d’audience n’exclut pas sa nécessité et ne la
rend pas contraire aux articles 26 paras. 1 et 3, 77 et 87 de la Constitution;
l’affaire litigieuse a donné l’occasion de régler un problème qui se posait
déjà. Par conséquent, on ne peut considérer que le législateur, en procédant à
une telle interprétation en l’espèce, se soit immiscé dans la compétence des juridictions
ordinaires et qu’il l’ait usurpée. Il en résulte que l’article 12 par. 1 de la
loi no 1701/1987 n’enfreint pas le cadre constitutionnel comme
l’avait admis la première chambre (...)"
Quant
au paragraphe 2 de l’article 12, la Cour de cassation estima qu’il n’était pas
inconstitutionnel car il complétait pour l’essentiel le paragraphe 1 et visait
à priver d’effet les sentences arbitrales rendues, le cas échéant, après la
résiliation des contrats, et qui ne l’auraient pas été si le sens de la loi no
141/1975 avait été clarifié à temps. En outre, elle refusa d’examiner la
constitutionnalité du paragraphe 3 au motif que celui-ci n’avait aucune
incidence en l’espèce. Enfin, elle jugea que l’adoption du paragraphe 4 juste
avant l’audience tendait à enlever aux cours et tribunaux la possibilité
d’examiner la validité de la sentence contestée; cette disposition violait donc
le principe de la séparation des pouvoirs.
23.
La Cour de cassation renvoya l’affaire devant la première chambre qui, le 11
avril 1990, cassa l’arrêt de la cour d’appel du 4 novembre 1986 (paragraphe 18
ci-dessus) et déclara nulle et non avenue la sentence arbitrale du 27 février
1984 (paragraphe 13 ci-dessus).
II.
LE DROIT INTERNE PERTINENT
A.
La Constitution
24.
Entrent ici en ligne de compte les dispositions suivantes de la Constitution de
1975:
Article 77
"1.
L’interprétation de lois par voie d’autorité incombe au pouvoir législatif.
2. Une loi qui en
réalité n’est pas interprétative ne produit ses effets qu’à partir de sa publication."
Article 93 par. 4
"Les
tribunaux sont tenus de ne pas appliquer une loi dont le contenu est contraire
à la Constitution."
Article 107
"1. La
législation d’avant le 21 avril 1967 portant sur les capitaux étrangers et
ayant une valeur supralégislative, maintient cette valeur et s’applique aussi
dorénavant aux capitaux importés.
2. Une loi unique, promulguée dans les trois mois à
partir de l’entrée en vigueur de la présente Constitution, détermine les
conditions et la procédure de résiliation ou de révision des contrats ou des
actes administratifs de faveur de toute forme conclus ou édictés entre le 21
avril 1967 et le 23 juillet 1974 en application du décret-loi no
2687/1953, pour autant que ces contrats ou actes portent sur les
investissements de capitaux étrangers (...)"
Selon la doctrine, la référence de l’article 107
de la Constitution au décret-loi no 2687/1953 - lequel prévoit entre
autres que l’arbitrage constitue l’unique moyen de règlement de différends
relatifs aux investissements étrangers - confère à l’arbitrage un statut
constitutionnel (Introduction to Greek Law, édité par K.D. Kerameus et P.J.
Kozyris, Deventer/Athènes, Kluwer/Sakkoulas, 1988, p. 263).
B.
Le code de procédure civile
25.
De son côté, le code de procédure civile dispose:
Article 294
"Le demandeur
peut renoncer à l’action sans le consentement du défendeur avant que celui-ci
n’ait plaidé sur le fond de l’affaire. La renonciation ultérieure est irrecevable,
si le défendeur s’y oppose, estimant qu’il a un intérêt légitime à la
conclusion du procès par un jugement définitif."
Article 295 par. 1
"La
renonciation à l’action a pour effet que celle-ci est réputée n’avoir jamais
été intentée (...)"
La VIIe
partie du code de procédure civile (articles 867-903) traite de l’arbitrage;
ses articles pertinents se lisent ainsi:
Article 893 par. 2
"L’arbitre
(...) est tenu, sauf disposition contraire dans la clause d’arbitrage, de
déposer l’original de la sentence arbitrale au greffe du tribunal de grande
instance dans le ressort duquel elle a été prononcée (...)"
Article 895
"1. La sentence arbitrale échappe aux voies de
recours ordinaires.
2. La convention d’arbitrage peut stipuler un recours
contre la sentence arbitrale devant des arbitres différents (...), mais elle
doit en définir en même temps les conditions, le délai et la procédure à suivre
pour son exercice et son jugement."
Article 896
"Si la convention d’arbitrage ne stipule pas le
recours prévu à l’article 895 par. 2 ou si le délai pour exercer ce recours est
écoulé, la sentence arbitrale acquiert force de chose jugée (...)"
Article 897
"La sentence arbitrale peut être annulée, en tout
ou en partie, seulement par décision judiciaire et pour les motifs suivants
1) si la
convention d’arbitrage est nulle;
2) si elle a été
rendue après que la convention d’arbitrage a cessé d’être valide;
3) si les arbitres
ont été désignés en méconnaissance des termes de la convention d’arbitrage ou
des dispositions de la loi (...);
4) si les arbitres
ont excédé le pouvoir que leur attribuait la convention d’arbitrage ou la loi;
5) si les
dispositions des articles 886 par. 2, 891 et 892 ont été violées;
6) si elle est
contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs;
7) si elle est
incompréhensible ou si elle contient des dispositions contradictoires;
(...)"
Article 904
"1. L’exécution forcée peut avoir lieu uniquement
sur la base d’un titre exécutoire.
2. Les titres exécutoires sont:
(...)
b) les sentences arbitrales;
(...)"
Article 918
"1.
L’exécution forcée peut avoir lieu uniquement sur la base de la copie du titre
exécutoire qui porte la grosse (...)
2. La grosse est
apposée:
(...)
d) sur les
sentences arbitrales par le juge du tribunal de grande instance (...)
(...)"
C.
La loi no 141/1975 "relative à (...) la révision ou la
résiliation des contrats (...) conclus pendant la période dictatoriale"
26.
Promulguée en application de l’article 107 par. 2 de la Constitution, la loi no
141/1975 exposait à révision ou résiliation tout acte administratif
d’approbation, édicté entre le 21 avril 1967 et le 23 juillet 1974, ainsi que
tout contrat conclu par l’Etat durant cette période avec une personne physique
ou morale et portant sur les investissements régis par le décret-loi no
2687/1953. Révision ou résiliation seraient
prononcées si de tels actes ou contrats étaient incompatibles avec la
Constitution, les lois ou les bonnes moeurs, et préjudiciables aux intérêts de
l’Etat, des consommateurs et de l’économie nationale.
La résiliation de contrats intervenait lorsqu’il
s’avérait impossible de réviser ces derniers dans leur totalité; elle pouvait
avoir lieu soit sur demande écrite de la personne intéressée, soit par décision
unilatérale du comité ministériel de l’Economie.
L’article 2 par. 5 de la loi décrivait en ces
termes les conséquences de la résiliation:
"A la suite de la résiliation d’un contrat (...),
les privilèges et accords spéciaux prennent fin et l’entreprise ou
l’investissement seront soumis aux lois ordinaires relatives aux entreprises et
aux investissements ordinaires (...)"
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
27. Les Raffineries grecques Stran et M. Stratis
Andreadis ont saisi la Commission le 20 novembre 1987. S’appuyant sur l’article
6 (art. 6) de la Convention, ils prétendaient n’avoir pas bénéficié d’un procès
équitable dans un délai raisonnable. Ils affirmaient en outre qu’en raison de
la durée et du caractère dilatoire de la procédure, ainsi que des dispositions
de l’article 12 de la loi no 1701/1987, ils avaient subi une
atteinte à leur droit de propriété garanti par l’article 1 du Protocole no
1 (P1-1).
28.
La Commission a retenu la requête (no 13427/87) le 4 juillet 1991.
Dans son rapport du 12 mai 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut:
-
qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention en ce
qui concerne le droit à un procès équitable (unanimité), mais non quant à la
durée de la procédure (douze voix contre deux);
-
qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1)
(unanimité).
Le texte intégral de son avis et des deux opinions
séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt*.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
29. Dans son mémoire, le Gouvernement invite
la Cour à
"déclarer la requête des Raffineries grecques
Stran irrecevable, d’une part, et non fondée, d’autre part, en l’absence de
violation des droits des requérants tels que les garantissent l’article 6 par.
1 (art. 6-1) de la Convention (...) et l’article 1 du Protocole no 1
(P1-1)".
30. De leur côté, les requérants prient la
Cour de dire
"- qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1
(art. 6-1) en ce qui concerne le droit des requérants à un procès équitable
devant un tribunal;
- qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art.
6-1) en ce qui concerne le respect de l’exigence du délai raisonnable;
- qu’il y a eu et qu’il y a toujours violation de
l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1);
- que l’Etat défendeur doit payer aux requérants (...)
le montant réclamé à titre de satisfaction équitable".
EN DROIT
I. SUR L’EXCEPTION PRELIMINAIRE DU
GOUVERNEMENT
31. D’après le Gouvernement, les requérants
n’ont pas épuisé les voies de recours internes. Au cas où le tribunal de grande instance
d’Athènes rejetterait la demande de désistement introduite par les intéressés
le 19 décembre 1986 (paragraphe 17 ci-dessus), l’examen de l’action que ceux-ci
ont engagée le 10 novembre 1978 se poursuivrait, et ils seraient alors en
mesure de se prévaloir de l’incompatibilité de l’article 12 par. 3 de la loi no
1701/1987 - dont la constitutionnalité n’aurait pas été tranchée par
l’assemblée plénière de la Cour de cassation (paragraphe 22 ci-dessus) - avec
la Constitution et la Convention. Si, en revanche, le tribunal de grande
instance accueillait ladite demande, rien n’empêcherait les requérants
d’intenter une nouvelle action fondée sur les mêmes griefs; le droit interne,
notamment les articles 4, 5, 20 par. 2, 28 et 93 par. 4 de la Constitution, leur
accorderait une protection juridique suffisante.
32.
La Cour rappelle qu’elle connaît des exceptions préliminaires pour autant que
l’Etat en cause les ait déjà présentées à la Commission au moins en substance
et avec suffisamment de clarté, en principe au stade de l’examen initial de la
recevabilité.
33.
Devant la Commission, le Gouvernement a pour l’essentiel soutenu que les
intéressés auraient dû engager en 1977 une procédure administrative contre la
décision du comité ministériel de l’Economie du 14 octobre 1977 résiliant le
contrat litigieux. La Commission a rejeté l’exception au motif que le
Gouvernement n’avait pas démontré comment un tel recours aurait réparé de
quelque façon que ce soit l’entrée en vigueur de la loi no
1701/1987, son application aux requérants, ainsi que la durée de la procédure
devant les juridictions nationales.
34.
Dans son mémoire à la Cour, le Gouvernement tire argument du passage suivant de
ses observations complémentaires sur la recevabilité du 6 mai 1991: les
intéressés "ont choisi, pour obtenir satisfaction de leurs réclamations,
un recours (...) qui ne serait pas prévu par l’ordre juridique grec -
l’arbitrage - et dès lors la requête est irrecevable car ils n’ont pas épuisé
les recours légaux qui leur sont ouverts dans des cas semblables".
35.
Pareille affirmation ne saurait suffire, d’après la Cour, à étayer l’exception
présentée par le Gouvernement à cette étape de la procédure. Quand un Etat
invoque la règle de l’épuisement, il lui incombe d’indiquer avec une clarté suffisante
quels recours utiles les intéressés n’ont pas introduits; en la matière, les
organes de la Convention n’ont pas à suppléer d’office à l’imprécision ou aux
lacunes des thèses des Etats défendeurs (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt
Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne du 6 décembre 1988, série A no
146, p. 27, par. 56).
Au
demeurant, la Cour note que c’est le Gouvernement qui a contesté initialement
la compétence des juridictions ordinaires et opté pour l’arbitrage afin de
régler le litige (paragraphes 10 et 12 ci-dessus).
36.
L’exception préliminaire se heurte donc à la forclusion.
II. SUR LES VIOLATIONS ALLEGUÉES DE
L’ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1) DE LA CONVENTION
37. Les requérants allèguent deux violations
de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, ainsi libellé:
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit
entendue équitablement (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal
(...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de
caractère civil (...)"
D’abord, l’adoption de l’article 12 de la loi no
1701/1987 et son application dans leur cas par la Cour de cassation les
auraient privés d’un procès équitable. Ensuite, la durée de la procédure visant à
déterminer la validité de la sentence arbitrale du 27 février 1984 aurait
dépassé le "délai raisonnable".
A.
Sur l’applicabilité de l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
38.
A l’audience, le Gouvernement a nié l’applicabilité de l’article 6 (art. 6) en
l’espèce. Selon lui, la "contestation" devant les juridictions
nationales portait sur la validité de la clause d’arbitrage et, par conséquent,
sur celle de la sentence arbitrale elle-même; elle n’avait donc pas trait à un
"droit de caractère civil" au sens de l’article 6 (art. 6). Ladite
clause constituait un privilège accordé dans un cadre législatif bien
particulier et concernait exclusivement les relations contractuelles entre le
régime militaire et les requérants.
Pour produire des effets juridiques, de telles
relations nécessiteraient leur ratification par une loi ad hoc, en l’occurrence
le décret-loi no 1211/1972 (paragraphe 7 ci-dessus). D’autre part,
toute la législation sur les investissements étrangers en Grèce (paragraphe 7
ci-dessus) viserait à réaliser un objectif d’intérêt public: la promotion du développement
économique du pays.
39. D’après la jurisprudence de la Cour, la
notion de "droits et obligations de caractère civil" ne doit pas
s’interpréter par simple référence au droit interne de l’Etat défendeur.
L’article 6 par. 1 (art. 6-1) s’applique indépendamment de la qualité des
parties comme de la nature de la loi régissant la contestation et de l’autorité
compétente pour trancher; il suffit que l’issue de la procédure soit
déterminante pour des droits et obligations de caractère privé (voir, parmi
beaucoup d’autres, l’arrêt Allan Jacobsson c. Suède du 25 octobre 1989, série A
no 163, p. 20, par. 72).
40. La Cour rappelle qu’à la suite de la
rupture du contrat conclu entre les intéressés et l’Etat grec, les premiers ont
introduit devant le tribunal de grande instance d’Athènes une action tendant à
faire reconnaître que le second devrait leur rembourser les frais qu’ils
avaient engagés jusqu’alors pour l’exécution du contrat (paragraphe 10
ci-dessus). Leur demande, principalement en indemnisation, se fondait surtout
sur l’allégation selon laquelle l’Etat avait déjà failli à ses engagements aux
termes du contrat avant la résiliation de celui-ci. Leur grief devant le
tribunal arbitral reposait sur une base identique. Le tribunal arbitral
accueillit en partie leurs prétentions (paragraphe 13 ci-dessus) par une
sentence définitive, irrévocable et exécutoire tant en vertu du contrat
lui-même (article 27 par. 9 du contrat - paragraphe 10 ci-dessus) que du droit
grec (article 904 du code de procédure civile - paragraphe 25 ci-dessus).
La
Cour note que le droit reconnu aux requérants ainsi que la demande en
indemnisation acceptée aux termes de la sentence arbitrale sont de nature
patrimoniale. Leur droit à toucher les sommes accordées par le tribunal arbitral
revêt donc un "caractère civil" au sens de l’article 6 (art. 6),
quelle que soit la nature du contrat conclu entre les requérants et l’Etat grec
au regard de la loi grecque (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Editions Périscope
c. France du 26 mars 1992, série A no 234-B, p. 66, par. 40). Il
s’ensuit que l’issue de la procédure engagée par l’Etat devant les juridictions
civiles afin d’annuler la sentence arbitrale était déterminante pour un droit
de "caractère civil".
41. Partant, l’article 6 par. 1 (art. 6-1)
entre en jeu.
B. Sur l’observation de l’article 6 par. 1 (art.
6-1)
1. Procès équitable
42. Les intéressés se prétendent privés d’un
procès équitable, et même de leur droit d’accès à un tribunal. Ils s’appuient notamment
sur l’arrêt Golder c. Royaume-Uni du 21 février 1975 (série A no
18).
En adoptant et en appliquant à l’encontre des
intéressés l’article 12 de la loi no 1701/1987, l’Etat aurait en
réalité écarté la compétence des tribunaux appelés à déterminer la validité de
la sentence arbitrale et empêché tout examen judiciaire effectif de l’objet de
la contestation. Pareille ingérence serait, selon les termes mêmes de l’arrêt
Golder c. Royaume-Uni, "inséparable d’un risque d’arbitraire" et
incompatible avec les principes généraux du droit international et la notion de
prééminence du droit inhérents à la Convention. L’Etat aurait jugé par voie
législative une affaire dans laquelle il était partie. Par le biais d’une
"prestidigitation législative", la procédure incriminée se
caractériserait par une complète inégalité des armes.
43.
Le Gouvernement combat cette thèse. Le Parlement, source de tout pouvoir,
aurait de bonnes raisons d’interpréter d’une manière faisant autorité les lois
qu’il édicte lorsque celles-ci sont ambiguës; ce pouvoir lui appartiendrait du
reste expressément en vertu de l’article 77 de la Constitution. A l’évidence une telle interprétation vaudrait pour
toutes les situations existantes, pendantes ou non devant les tribunaux, car
elle n’introduirait pas une nouvelle réglementation et ne modifierait pas la
disposition litigieuse, mais se bornerait à en éclaircir le véritable sens.
Pareille intervention du législateur ne saurait
passer pour une ingérence illicite dans l’exercice du pouvoir judiciaire
surtout quand celui-ci dispose des moyens nécessaires pour s’assurer de
l’absence d’arbitraire. Or tel serait le cas dans l’ordre juridique grec:
l’article 93 de la Constitution défend aux tribunaux d’appliquer les lois dont
le contenu enfreint celle-ci. En l’espèce, lorsque l’article 12 de la loi no
1701/1987 entra en vigueur, le litige relatif à la validité de la sentence
arbitrale était encore pendant devant la Cour de cassation; celle-ci pouvait
donc vérifier si les conditions justifiant l’interprétation authentique par le
législateur de la loi no 141/1975 se trouvaient réunies et si cette
interprétation empiétait sur le principe de la séparation des pouvoirs.
44.
D’après la Cour, un élément décisif, aux fins de son examen, réside dans la
procédure postérieure à l’entrée en vigueur de la loi no 1701/1987
alors que l’affaire se trouvait devant la Cour de cassation. Toutefois, pour
rechercher si les requérants ont bénéficié d’un procès équitable devant
celle-ci, il échet de prendre en considération la procédure antérieure, son
enjeu, ainsi que l’attitude des parties.
Soumis
le 10 novembre 1978 au tribunal de grande instance d’Athènes par les intéressés
(paragraphe 10 ci-dessus), le litige portait sur leur revendication d’un droit
à dédommagement au motif que l’Etat avait failli à ses engagements aux termes
du contrat avant la résiliation de celui-ci. Le litige se poursuivit devant le
tribunal arbitral à l’initiative de l’Etat, lequel avait affirmé que la clause
compromissoire demeurait valable et avait donc contesté la compétence des
juridictions civiles (paragraphe 10 ci-dessus).
Les
requérants se rallièrent à cette ligne de conduite, quoiqu’à titre subsidiaire,
et montrèrent clairement leur intention de respecter le jugement du tribunal
arbitral accueillant en partie leur demande (paragraphe 17 ci-dessus). L’Etat
changea alors de tactique et porta le litige devant les juridictions civiles en
contestant la validité de la clause compromissoire et, partant, de la sentence
arbitrale (paragraphes 15 et 18 ci-dessus).
L’adoption
par le Parlement de la loi no 1701/1987 marqua sans nul doute un
tournant de cette procédure qui jusqu’alors s’était révélée défavorable à
l’Etat.
45. Le Gouvernement souligne que l’adoption
de cette loi s’imposait en raison des opinions opposées d’éminents professeurs
de droit, des décisions judiciaires contradictoires, de l’expression d’opinions
dissidentes parmi les magistrats, ainsi que de l’attitude des parties qui
auraient alternativement soutenu l’un ou l’autre point de vue relatif à la
validité de la clause d’arbitrage. L’ampleur croissante du débat et des motifs
d’ordre public auraient alors exigé la clarification de la volonté du
législateur à ce sujet par l’interprétation authentique - même douze ans plus
tard - de la loi no 141/1975. Le législateur démocratique aurait été
tenu d’éliminer de la vie publique les résidus des actes du régime militaire.
Or M. Andreadis avait été un géant de l’économie et le projet qu’il avait
envisagé était d’une grande envergure à l’époque pour un pays de la dimension
de la Grèce; de plus, l’annonce du projet avait provoqué, avant la chute du
régime militaire, une des plus importantes manifestations antidictatoriales.
46. La Cour ne met pas en doute les
intentions du Gouvernement de répondre au souci du peuple grec de rétablir la
légalité démocratique.
En
redevenant membre du Conseil de l’Europe, le 28 novembre 1974 et en ratifiant
la Convention, la Grèce s’est cependant engagée à respecter le principe de la
prééminence du droit. Consacré par
l’article 3 du Statut du Conseil de l’Europe, ce principe trouve son expression
entre autres dans l’article 6 (art. 6) de la Convention. Protégeant notamment
le droit à un procès équitable, cette disposition expose de manière détaillée
les impératifs inhérents à cette notion pour les affaires concernant des
accusations en matière pénale. Pour ce qui est des litiges relatifs à des
droits et obligations de caractère civil, la Cour a précisé par sa
jurisprudence l’exigence de l’égalité des armes au sens d’un juste équilibre
entre les parties. Dans les différends opposant des intérêts de caractère
privé, ladite égalité implique l’obligation d’offrir à chaque partie une
possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la
placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire
(arrêt Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas du 27 octobre 1993, série A no
274, p. 19, par. 33).
47.
A cet égard, la Cour ne peut perdre de vue ni le calendrier ni les modalités de
l’adoption de l’article 12 de la loi no 1701/1987. Juste avant la
tenue de l’audience devant la Cour de cassation, initialement prévue pour le 4
mai 1987, et après que les parties eurent reçu l’avis du juge rapporteur
suggérant le rejet du pourvoi formé par l’Etat, celui-ci demanda le report des
débats au motif qu’un projet de loi concernant l’affaire litigieuse se trouvait
en cours d’examen devant le Parlement (paragraphe 19 ci-dessus).
Ledit
projet fut adopté le 22 mai 1987 et entra en vigueur le 25 mai avec sa
publication au Journal officiel (paragraphe 20 ci-dessus). L’audience eut lieu
le 1er juin (paragraphe 19 ci-dessus). De surcroît, si la loi no
1701/1987 portait à titre principal sur la renégociation des termes d’un
contrat de prospection et d’exploitation d’hydrocarbures - conclu aussi pendant
la dictature entre l’Etat et des sociétés autres que Stran -, son article 12 se
présentait comme une clause additionnelle à cette loi et concernait en réalité
- sans la mentionner - l’entreprise requérante (paragraphe 20 ci-dessus).
La Cour n’ignore pas qu’afin de répondre aux
besoins pressants de réglementation du moment et d’éviter les lenteurs des
rouages législatifs, les législateurs contemporains traitent souvent des
questions similaires dans un même texte de loi.
Force est cependant de constater que
l’intervention du législateur en l’espèce eut lieu à un moment où une instance
judiciaire à laquelle l’Etat était partie se trouvait pendante.
48.
Le Gouvernement tente de minimiser l’impact de cette intervention: d’abord, les
requérants auraient pu demander l’ajournement de la nouvelle audience afin de
mieux préparer leur défense; ensuite, le paragraphe 2 de l’article 12 n’aurait
pas d’existence autonome et ne déclarerait pas nulle par lui-même la sentence
arbitrale car il présupposerait un examen judiciaire préalable de la nullité
énoncée au paragraphe 1; enfin, les intéressés auraient eu la faculté de
formuler leurs arguments devant la première chambre de la Cour de cassation qui
examina le fond de l’affaire à la lumière de la décision de l’assemblée
plénière.
49.
La Cour ne souscrit pas à ce raisonnement. L’exigence d’équité s’applique à
l’ensemble de la procédure et ne se limite pas aux audiences contradictoires. A n’en pas douter, les apparences de la justice
demeurèrent sauves en l’espèce, et du reste les requérants ne se plaignent pas
d’avoir été privés des facilités nécessaires pour préparer leur défense.
Le principe de la prééminence du droit et la
notion de procès équitable consacrés par l’article 6 (art. 6) s’opposent à
toute ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans
le but d’influer sur le dénouement judiciaire d’un litige. Or le libellé des
paragraphes 1 et 2 de l’article 12 pris conjointement excluait en réalité tout
examen effectif de l’affaire par la première chambre de la Cour de cassation;
une fois la constitutionnalité de ces paragraphes affirmée par l’assemblée
plénière, la conclusion de la première chambre devenait inévitable.
50. En conclusion, l’Etat a porté atteinte
aux droits des requérants garantis par l’article 6 par. 1 (art. 6-1) en
intervenant d’une manière décisive pour orienter en sa faveur l’issue -
imminente - de l’instance à laquelle il était partie. Il y a donc eu violation
dudit article (art. 6-1).
2. Durée de la procédure
51. Reste à savoir s’il y a eu dépassement
du "délai raisonnable" comme le prétendent les requérants.
Gouvernement
et Commission répondent par la négative.
a)
Période à prendre en considération
52.
La période à considérer a débuté avec la prise d’effet, le 20 novembre 1985, de
la déclaration grecque d’acceptation du droit de recours individuel. Pour
vérifier le caractère raisonnable du laps de temps écoulé à partir de cette
date, il faut cependant tenir compte de l’état où l’affaire se trouvait alors
(voir, en dernier lieu, l’arrêt Billi c. Italie du 26 février 1993, série A no
257-G, p. 89, par. 16). Seule entre donc en ligne de compte la procédure
relative à la validité de la sentence arbitrale, qui a commencé le 2 mai 1985.
53.
Dans son mémoire, le Gouvernement soutient que le "délai" ne devrait
couvrir que le total des périodes écoulées entre chaque audience et chaque
jugement ou arrêt - deux ans et deux mois et demi environ - car, en raison de
la nature des questions litigieuses, chaque juridiction qui rendait une
décision ne serait plus compétente pour poursuivre l’examen de l’affaire. A
l’audience, le délégué de l’agent a prétendu que le délai s’était achevé le 20
novembre 1987, date à laquelle les requérants avaient saisi la Commission
européenne: la partie contestée de la procédure devant la Cour de cassation se
serait déroulée postérieurement à cette date.
54.
La Cour estime, avec la Commission et les requérants, qu’il faut tenir compte
de la période litigieuse dans son ensemble. Or celle-ci a pris fin le 11 avril
1990, avec le prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation déclarant la sentence
arbitrale nulle et non avenue (paragraphe 23 ci-dessus). Elle s’étend donc sur quatre ans, quatre mois et vingt
jours.
b)
Caractère raisonnable de la durée de la procédure
55.
Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie à l’aide des
critères qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour et suivant les
circonstances de la cause, lesquelles commandent en l’occurrence une évaluation
globale.
La
procédure devant le tribunal de grande instance et la cour d’appel d’Athènes a
duré dix-huit mois, dont six environ avant la déclaration de la Grèce au titre
de l’article 25 (art. 25) de la Convention; elle ne prête pas à critiques.
Quant à l’instance devant la Cour de cassation, elle s’est étalée sur plus de
trois ans; une telle durée se justifie par la nécessité de tenir compte de la
loi no 1701/1987, et surtout par l’obligation faite par l’article
563 par. 2 du code de procédure civile à une chambre de la Cour de cassation de
renvoyer l’affaire à l’assemblée plénière si elle refuse d’appliquer une loi
qu’elle juge inconstitutionnelle (paragraphe 21 ci-dessus in fine).
56. Par conséquent, il n’y a pas eu sur ce
point violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1).
III.
SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 (P1-1)
57.
Les requérants se prétendent aussi victimes d’une violation de l’article 1 du
Protocole no 1 (P1-1), ainsi libellé:
"Toute
personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être
privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions
prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions
précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre
en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des
biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts
ou d’autres contributions ou des amendes."
L’adoption
et l’application de l’article 12 de la loi no 1701/1987 auraient eu
pour effet de les priver de leur droit de propriété, en particulier de la
créance que leur auraient reconnue le jugement no 13910/79 du
tribunal de grande instance d’Athènes et surtout la sentence arbitrale du 27
février 1984 (paragraphes 11 et 13 ci-dessus).
1. Sur l’existence d’un "bien" au sens
de l’article 1 (P1-1)
58.
Le Gouvernement consacre l’essentiel de son argumentation à tenter de prouver
que les intéressés ne disposaient d’aucun "bien" au sens de l’article
1 du Protocole no 1 (P1-1), qui se trouverait atteint par le jeu de
la loi no 1701/1987.
Selon
lui, ni le jugement no 13910/79 ni la sentence arbitrale ne
suffisaient à établir l’existence d’une créance à l’encontre de l’Etat; on ne
saurait assimiler une décision judiciaire non encore revêtue de l’autorité de
la chose jugée, ou une sentence arbitrale, au droit que celles-ci pourraient
reconnaître.
S’agissant
surtout de la sentence arbitrale, un acte de procédure non valide ne produirait
pas des effets valides. Or les requérants savaient parfaitement que ladite
sentence constituait une base légale précaire de leurs réclamations financières
jusqu’à ce que la question de sa validité fût irrévocablement tranchée. Le
jugement no 5526/85 du tribunal de grande instance d’Athènes
(paragraphe 16 ci-dessus) et l’arrêt no 9336/86 de la cour d’appel
d’Athènes (paragraphe 18 ci-dessus), qui donnaient initialement gain de cause
aux intéressés, relevaient du contrôle de la Cour de cassation et ne pouvaient
avant la décision définitive de celle-ci fonder des attentes raisonnables
relatives au droit de propriété. De plus, les
requérants auraient eux-mêmes choisi de saisir les juridictions ordinaires et
auraient contesté avec virulence la compétence du tribunal arbitral.
Enfin, les organes de Strasbourg ne devraient pas
procéder eux-mêmes à une évaluation des griefs des intéressés sans prendre en considération
l’ensemble des arguments des parties ainsi que leur attitude devant le tribunal
arbitral. Or l’Etat ne reconnaîtrait aucun fondement à la prétendue créance de Stran
dont il n’a cessé de combattre le bien-fondé, d’abord devant le tribunal de grande
instance d’Athènes puis devant le tribunal arbitral; même la procédure en
annulation de la sentence contiendrait, de par sa nature, une réprobation
indirecte mais implicite du bien-fondé de la sentence.
59.
Pour déterminer si les requérants disposaient d’un "bien" aux fins de
l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), la Cour doit rechercher si le
jugement no 13910/79 du tribunal de grande instance d’Athènes et la
sentence arbitrale avaient fait naître dans le chef de ceux-ci une créance
suffisamment établie pour être exigible.
60.
Par sa nature même, un jugement interlocutoire préjuge le fond d’un litige en
ordonnant une mesure d’instruction. Si le tribunal de grande instance d’Athènes
semble avoir admis le principe d’une dette de l’Etat envers les intéressés -
comme le relève aussi la Commission -, il ordonna néanmoins une audition de
témoins (paragraphe 11 ci-dessus) avant de se prononcer sur l’existence et
l’ampleur du préjudice allégué. Pareille décision se bornait à procurer aux
requérants l’espoir d’obtenir la reconnaissance de la créance réclamée;
celle-ci ne serait exigible qu’à la suite d’un contrôle éventuel par deux
juridictions supérieures.
61.
Il n’en va pas de même de la sentence arbitrale qui reconnut clairement
l’obligation de l’Etat à concurrence des montants définis de façon détaillée en
trois monnaies différentes (paragraphe 13 ci-dessus).
La
Cour convient avec le Gouvernement qu’il ne lui appartient pas de confirmer ou
d’infirmer le contenu de cette sentence. Elle ne peut cependant se dispenser de
constater la situation juridique établie par elle entre les parties.
Or,
selon son libellé, la sentence était définitive et obligatoire; elle n’exigeait
aucune autre mesure d’exécution et ne se prêtait à aucun recours ordinaire ou
extraordinaire (paragraphe 10 ci-dessus). De son côté, la législation grecque
accorde aux sentences arbitrales l’autorité de la chose jugée et les considère
comme un titre exécutoire; elle prévoit à leur encontre des recours pour des
motifs limitativement énumérés dans l’article 897 du code de procédure civile
(paragraphe 25 ci-dessus) et non pour en contester le bien-fondé.
62.
Au moment de la promulgation de la loi no 1701/1987, la sentence
arbitrale du 27 février 1984 conférait donc aux requérants un droit aux sommes
accordées. Ce droit était certes révocable, puisque la sentence pouvait se voir
annuler mais les juridictions civiles avaient déjà jugé à deux reprises - en
première instance et en appel - qu’il n’y avait pas lieu de procéder à une
annulation. C’est pourquoi la Cour considère que ce droit constitue un
"bien" au sens de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1).
2.
Sur l’existence d’une ingérence
63.
Selon les requérants, bien qu’aucun transfert de propriété n’ait eu lieu au
profit de l’Etat, l’effet combiné des paragraphes 2 et 3 de l’article 12 a
entraîné une privation de fait de leurs biens car il a littéralement écarté la
créance née d’une sentence arbitrale définitive et obligatoire.
64.
Pour la Commission, il s’agit d’une atteinte au respect de biens au sens de la
première phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1
(P1-1).
65.
Le Gouvernement ne souscrit à aucune de ces deux appréciations. Il affirme que
le paragraphe 2 de l’article 12 se contente de décrire une conséquence évidente
du paragraphe 1 et n’a aucune signification autonome; il renvoie sur ce point à
son argumentation sur l’article 6 (art. 6) de la Convention (paragraphe 48
ci-dessus) en déclarant plus précisément que le paragraphe 2 de l’article 12
n’a pas d’existence autonome car il présuppose un examen judiciaire de la
nullité mentionnée dans le paragraphe 1 et ne fait que préciser les
conséquences évidentes de cette nullité. Il ajoute que le paragraphe 3 introduit une mesure dont la
constitutionnalité n’a pas été évaluée par les juridictions internes devant
lesquelles une action des requérants se trouve encore pendante, et qu’une
nouvelle action est toujours possible si la renonciation des intéressés à la
première entraînait son abandon (paragraphe 17 ci-dessus); toutefois, dans
cette seconde hypothèse, les requérants se heurteraient au non-épuisement des
voies de recours internes.
66.
La Cour estime qu’il y a eu ingérence dans le droit de propriété des requérants
tel que l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) le garantit: le paragraphe
2 de l’article 12 de la loi no 1701/1987 déclarait la sentence
arbitrale non valide et dépourvue d’effet exécutoire; le paragraphe 3 disposait
que toute prétention à l’encontre de l’Etat qui découlerait des contrats comme
ceux conclus par les intéressés serait prescrite. Certes, la Cour de cassation
laissa en suspens la question de la constitutionnalité du paragraphe 3, et les
requérants ont théoriquement la possibilité, comme le soutient le Gouvernement,
de poursuivre leur action de 1978 ou d’en intenter une nouvelle. Toutefois, les
chances de succès de pareille démarche apparaissent bien réduites; on peut en
effet se demander si un tribunal de première instance irait jusqu’à juger ce
paragraphe inconstitutionnel en se fondant sur des dispositions générales et
abstraites de la Constitution (paragraphe 31 in fine ci-dessus), eu égard
surtout à la décision du 16 mars 1989 de l’assemblée plénière de la Cour de
cassation quant aux paragraphes 1 et 2 de l’article 12 (paragraphe 22
ci-dessus). Tant cette décision que l’arrêt de la Cour de cassation du 11 avril
1990 (paragraphe 23 ci-dessus) eurent pour effet de clore une fois pour toutes
la procédure litigieuse, ce qui correspondait en réalité à l’objectif du
législateur lorsque celui-ci adopta l’article 12; en témoignent la formulation
même du paragraphe 4, qui visait à mettre un terme au seul litige d’une telle
nature pendant devant les tribunaux à cette époque - celui des requérants
contre l’Etat -, ainsi que celle du paragraphe 3 destinée à empêcher toute
action future.
67.
Par conséquent, les intéressés se trouvent dans l’impossibilité d’obtenir
l’exécution d’une sentence arbitrale définitive enjoignant à l’Etat de leur
verser certains montants pour les frais qu’ils avaient engagés afin d’honorer
leur contrat ou au moins de revendiquer à nouveau ces montants par la voie
judiciaire.
En
conclusion, il y a eu ingérence dans le droit de propriété des requérants.
3.
Sur la justification de l’ingérence
68.
L’ingérence en question ne constitue ni une expropriation ni une réglementation
de l’usage des biens, mais relève de la première phrase du premier alinéa de
l’article 1 (P1-1).
69.
La Cour doit dès lors rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les
exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la
sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (arrêt Sporrong et Lönnroth c.
Suède du 23 septembre 1982, série A no 52, p. 26, par. 69).
70.
Selon le Gouvernement, les lois no 141/1975 et no
1701/1987 visaient à servir l’intérêt général qui revêtirait en l’occurrence
une portée plus vaste que le seul effacement des conséquences économiques de la
dictature; elles faisaient plutôt partie d’un ensemble de dispositions visant à
purifier la vie publique de l’opprobre lié au régime militaire ainsi qu’à
affirmer le pouvoir et la volonté du peuple grec de défendre les institutions
démocratiques. Les griefs des requérants tireraient leur origine d’un contrat
de faveur, préjudiciable à l’économie nationale, qui tendait à soutenir le régime
dictatorial et à donner l’impression sur les plans national et international
que celui-ci bénéficiait du soutien de personnalités éminentes du monde grec
des affaires. Le laps de temps écoulé entre la restauration de la démocratie et
l’adoption de la loi no 1701/1987, le renvoi à l’initiative de
l’Etat du litige à l’arbitrage - acte à caractère purement technique - et le
fait que les réclamations de Stran portaient uniquement sur le remboursement de
ses frais ne sauraient tirer à conséquence.
71. Les requérants ne critiquent pas
l’allégation du Gouvernement selon laquelle les pratiques brutales du régime
militaire pèseraient plus lourd dans la balance de l’intérêt public que des
griefs fondés sur des transactions conclues avec ce régime. Toutefois, il ne s’agirait
pas là de l’intérêt public que la Cour devrait évaluer en l’espèce. Il ne serait pas
équitable que toute relation juridique nouée avec un régime dictatorial pût
passer pour non valable à la fin de celui-ci. De plus, le contrat litigieux
avait trait à la construction d’une raffinerie de pétrole, ce qui serait
bénéfique pour l’infrastructure économique du pays.
72.
La Cour ne doute pas de la nécessité pour l’Etat démocratique grec de mettre
fin à un contrat qu’il jugerait préjudiciable à ses intérêts économiques. La jurisprudence internationale, juridictionnelle ou
arbitrale, reconnaît d’ailleurs à tout Etat un pouvoir souverain pour modifier,
voire résilier, moyennant compensation, un contrat conclu avec des particuliers
(sentence arbitrale Shufeldt du 24 juillet 1930, Recueil des sentences
arbitrales, Société des Nations, vol. II, p. 1095); ainsi le veulent la
prééminence des intérêts supérieurs de l’Etat sur les obligations
contractuelles et la nécessité de sauvegarder l’équilibre du contrat. Toutefois,
la résiliation unilatérale d’un contrat reste sans effet à l’égard de certaines
clauses essentielles de celui-ci, telle la clause d’arbitrage: modifier le
mécanisme mis en place par un changement apporté d’autorité à une telle clause
permettrait à l’une des parties d’échapper à la juridiction dans un différend
pour lequel l’arbitrage a précisément été prévu (arrêt Losinger du 11 octobre
1935, Cour permanente de justice internationale, série C no 78, p.
110, et sentences arbitrales Lena Goldfields Company Ltd c. gouvernement
soviétique, Annual Digest and Reports of Public International Law Cases, vol. 5
(1929-1930) (affaire no 258) et Texaco Overseas Petroleum Company et
California Asiatic Oil Company c. gouvernement de la République arabe de Libye,
décision préliminaire du 27 novembre 1975, International Law Reports, vol. 53,
1979, p. 393).
73.
A cet égard, la Cour relève que le système juridique grec admet le principe de
l’autonomie de la clause d’arbitrage (paragraphe 18 ci-dessus) et que le
tribunal de grande instance d’Athènes (paragraphe 16 ci-dessus), la cour
d’appel d’Athènes (paragraphe 18 ci-dessus) et, semble-t-il, le rapporteur de
la Cour de cassation (paragraphe 19 ci-dessus) ont appliqué en l’espèce ce
principe. Les deux juridictions avaient
d’autre part estimé que les prétentions des intéressés nées avant la
résiliation du contrat ne se trouvaient pas annulées de ce fait.
L’Etat était donc tenu de verser aux requérants
les montants auxquels il avait été condamné à l’issue de la procédure d’arbitrage,
une procédure qu’il avait lui-même voulue et dont la validité avait été admise
jusqu’au jour de l’audience devant la Cour de cassation.
74.
En choisissant d’intervenir à cette étape de la procédure devant la Cour de
cassation par une loi qui se prévalait de la résiliation du contrat litigieux
pour déclarer caduque la clause compromissoire et nulle la sentence arbitrale
du 27 février 1984, le législateur a rompu, au détriment des requérants,
l’équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit de propriété et les
exigences de l’intérêt général.
75.
Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1
(P1-1).
IV.
SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50) DE LA CONVENTION
76.
D’après l’article 50 (art. 50) de la Convention,
"Si la décision
de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une
autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve
entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la
(...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet
qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette
mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une
satisfaction équitable."
Les requérants sollicitent la réparation d’un
dommage matériel et le remboursement de frais et dépens.
A. Dommage matériel
77. Les intéressés soutiennent que seul le
paiement intégral du montant reconnu par la sentence arbitrale constituerait la
restitutio in integrum voulue par l’article 50 (art. 50).
Ils réclament ainsi pour dommage matériel ce
"montant principal" majoré de 6 % d’intérêts - alloués selon eux par
la sentence elle-même - et courant du 10 novembre 1978 jusqu’au jour de la
violation: 175 869 155,78 drachmes, 24 282 694,28 dollars américains et 929
652,81 francs français. Ils demandent aussi des intérêts sur la somme octroyée pour
dommage matériel, de la date de la violation à celle du prononcé de l’arrêt de
la Cour.
A
titre subsidiaire, ils sollicitent pour dommage matériel le montant principal
majoré de 6 % d’intérêts pour la période allant du 10 novembre 1978 à la date
du prononcé de l’arrêt de la Cour, qui s’élèveraient au jour de l’audience
devant celle-ci à environ 106 898 000 drachmes, 14 790 000 dollars américains
et 567 000 francs français.
78. D’après le Gouvernement, les intéressés
n’ont droit à aucun dédommagement au titre de l’article 50 (art. 50) puisqu’il
existe des recours internes leur permettant d’obtenir satisfaction. A supposer
même que l’application de l’article 12 de la loi no 1701/1987 eût
violé le droit des requérants à un procès équitable, elle n’affecterait en rien
leurs prétentions financières; l’annulation de la sentence ne les empêcherait
ni de poursuivre leur action de 1978 ni d’en intenter une nouvelle.
De toute manière, ladite sentence ne fournirait
aucun fondement satisfaisant pour l’estimation de la réparation réclamée car
elle aurait traité de façon erronée le fond du litige; la procédure en
annulation intentée par l’Etat traduirait un reproche explicite envers l’équité
de la sentence.
Si en revanche la Cour concluait à la
méconnaissance de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), son constat
constituerait une satisfaction équitable suffisante; celle-ci ne devrait
cependant en aucun cas excéder un million de drachmes pour préjudice moral.
Enfin, le Gouvernement combat les allégations des
requérants relatives aux intérêts. En s’appuyant sur la législation grecque et
une jurisprudence constante en ce sens, il affirme que ni le jugement no
13910/1987 ni la sentence arbitrale ne peuvent donner lieu au paiement
d’intérêts car ils revêtent un caractère déclaratoire. Plus particulièrement,
la mention de l’intérêt de 6 % figurerait uniquement dans les motifs de la
sentence (paragraphe 13 ci-dessus) et serait un simple obiter dictum totalement
erroné. Le tribunal arbitral ne l’aurait pas reprise dans le dispositif de sa
sentence et pour cause: il n’aurait pas été saisi d’une telle demande et, la
procédure ayant été engagée à l’initiative de l’Etat, n’aurait pu condamner ce
dernier à l’attribution d’intérêts.
79. Le délégué de la Commission insiste sur
le fait, d’une part, que l’article 50 (art. 50) exige une satisfaction
équitable et pas nécessairement intégrale et, d’autre part, que les montants
mentionnés dans la sentence n’ont subi aucun examen par les tribunaux internes.
Il invite la Cour à vérifier minutieusement les sommes réclamées.
80. La Cour rappelle qu’elle n’accorde une
"satisfaction équitable" que "s’il y a lieu", sans être
liée en la matière par une norme juridique nationale (arrêt Sunday Times c.
Royaume-Uni (no 1) du 6 novembre 1980, série A no 38, p.
9, par. 15).
81. Elle relève que le dispositif de la
sentence arbitrale déclarait non fondées les prétentions de Stran contre l’Etat
dans la mesure où celles-ci dépassaient 116 273 442 drachmes, 16 054 165
dollars américains et 614 627 francs français. Eu égard au constat figurant au
paragraphe 75, elle conclut que les requérants ont droit au remboursement de
ces sommes.
82.
Quant à l’octroi d’intérêts, la Cour considère que le tribunal arbitral ne l’a
pas jugé nécessaire à la solution du litige (paragraphe 13 ci-dessus); il ne
faisait donc pas partie du droit à indemnisation reconnu par le dispositif.
Cependant,
le caractère adéquat du dédommagement diminuerait si le paiement de celui-ci
faisait abstraction d’éléments susceptibles d’en réduire la valeur, tel
l’écoulement de dix ans depuis le prononcé de la sentence arbitrale.
83.
Il y a donc lieu d’accueillir en partie la demande des requérants et de leur
accorder un intérêt non capitalisable de 6 % sur les sommes susmentionnées
(paragraphe 81 ci-dessus), pour la période allant du 27 février 1984 à la date
du prononcé du présent arrêt.
B. Frais et dépens
84. Les requérants renoncent à réclamer le
remboursement des frais pour les procédures qui se sont déroulées devant la
Cour de cassation après l’entrée en vigueur de la loi no 1701/1987.
Ils sollicitent en revanche celui des frais et
dépens exposés devant les organes de la Convention, qui s’élèveraient à 171 041
livres sterling, montant à majorer d’intérêts pour la période écoulée entre la
date de l’arrêt de la Cour et celle du paiement effectif.
Une semaine après l’audience du 19 avril 1994, les
conseils des requérants ont présenté à la Cour une demande visant à obtenir de
surcroît 34 709,05 livres sterling, correspondant à des frais supplémentaires
engagés entre la date du dépôt de leur mémoire et celle de l’audience.
85.
Le Gouvernement conteste le caractère nécessaire et raisonnable des frais
demandés; il se déclare prêt à verser 2 800 000 drachmes.
86.
Pour sa part, le délégué de la Commission ne se prononce pas à ce sujet.
87.
La Cour relève qu’aux termes de l’article 50 de son règlement A les demandes
doivent lui parvenir un mois au moins avant la date d’ouverture de la procédure
orale. Dans les affaires récentes, elle s’est résolue à appliquer cette règle
de manière stricte (arrêt Vendittelli c. Italie du 18 juillet 1994, série A no
293-A, p. 13, paras. 42-43).
En
l’espèce, elle ne décèle dans le mémoire des requérants et dans le compte rendu
de l’audience aucune trace de la demande additionnelle ni même de l’intention
d’en exprimer une après les débats. Partant, elle la rejette pour tardiveté.
Statuant
en équité et à l’aide des critères qu’elle applique en la matière, elle estime
indiqué d’opérer un abattement sur la demande initiale des requérants. Elle leur alloue 125 000 livres sterling, sans qu’il
faille assortir d’intérêts cette somme.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,
1. Rejette
l’exception préliminaire du Gouvernement;
2. Dit que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la
Convention s’applique en l’espèce;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6
par. 1 (art. 6-1) de la Convention en ce qui concerne le droit à un procès
équitable;
4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de
l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention quant à la durée de la
procédure;
5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du
Protocole no 1 (P1-1);
6. Dit que l’Etat
défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois,
a) pour dommage matériel, 116
273 442 (cent seize millions deux cent soixante-treize mille quatre cent
quarante-deux) drachmes, 16 054 165 (seize millions cinquante-quatre mille cent
soixante-cinq) dollars américains et 614 627 (six cent quatorze mille six cent
vingt-sept) francs français, montants à majorer d’un intérêt non capitalisable
de 6 % pour la période allant du 27 février 1984 à la date du prononcé du
présent arrêt (paragraphe 83 des motifs);
b) pour frais et dépens à
Strasbourg, 125 000 (cent vingt-cinq mille) livres sterling;
7. Rejette la
demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en
anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à
Strasbourg, le 9 décembre 1994.
Rolv RYSSDAL
Président
Herbert PETZOLD
Greffier f.f.
L'affaire porte le n° 22/1993/417/496. Les deux
premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux
derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur
celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
Le règlement A s'applique à toutes les affaires
déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) et, depuis
celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole
(P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et
amendé à plusieurs reprises depuis lors.
Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique
il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 301-B de la série A des
publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe.