Corte europea dei diritti dell’uomo
(Quinta Sezione)
8 marzo 2012
DÉFINITIF
08/06/2012
AFFAIRE CÉLICE c. FRANCE
(Requête n.
14166/09)
STRASBOURG
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la
Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Célice c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant
en une chambre composée de :
Dean Spielmann, président,
Elisabet
Fura,
Karel Jungwiert,
Mark Villiger,
Ann Power-Forde,
Ganna
Yudkivska,
André Potocki, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 février 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A
l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 14166/09) dirigée
contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat,
M. Damien Célice (« le requérant »), a
saisi la Cour le 26 février 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la
Convention »).
2. Le
requérant est représenté par Me Bertrand Perier, avocat à Paris. Le
gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son
agent, Mme Edwige Belliard,
directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Le
requérant allègue en particulier une violation de son droit d’accès à un
tribunal.
4. Le
28 mai 2010, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme
le permettait l’ancien article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été
décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la
recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES
CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le
requérant est né en 1970 et réside à Paris.
6. Le
14 juin 2008, la voiture du requérant fut flashée à la vitesse de 76 km/h,
soit 71 km/h après application de la marge de tolérance technique, à un
endroit où la vitesse était limitée à 70 km/h. De tels faits sont constitutifs
d’une contravention de la quatrième classe.
7. Un
avis de contravention au code de la route invitant le requérant à payer une
amende forfaitaire de 68 euros (EUR) lui fut adressé le 19 juin 2008. L’avis
précisait qu’en cas de paiement dans les quinze jours, le montant serait ramené
à 45 EUR et qu’en cas de défaut de paiement dans les quarante-cinq jours, il
serait majoré et porté à 180 EUR.
8. Le
4 juillet 2008, le requérant adressa une requête en exonération à l’officier du
ministère public, usant du formulaire prévu à cet effet, intitulé
« formulaire de requête en exonération (art. 529-10 et R. 49-14 du code de
procédure pénale) ».
9. Ce
formulaire envisage trois situations : 1o le vol ou la
destruction du véhicule ; 2o le prêt, la location ou la cession
du véhicule ; 3o « autre motif ou absence des
justificatifs ou des documents demandés ». Il indique que, dans la
troisième hypothèse, le formulaire doit être accompagné d’un exposé sur papier
libre des raisons de la contestation ou de l’absence des renseignements ou
documents requis, et envoyé dans les quarante-cinq jours suivant la date
d’envoi de l’avis de contravention, et que le montant de l’amende forfaitaire
doit être réglé à titre de consignation. Il précise que cette consignation
n’est pas assimilable au paiement de l’amende forfaitaire et n’entraîne pas de
retrait de points du permis de conduire.
Le formulaire contient au verso les « informations
complémentaires » suivantes : la requête en exonération est transmise
à l’officier du ministère public qui vérifie si les conditions de recevabilité
sont remplies ; si ce n’est pas le cas, le requérant reçoit un avis
d’amende forfaitaire majorée ; si c’est le cas, l’officier du ministère
public examine son bien-fondé et décide, soit de classer la contravention sans
suite, soit de poursuivre l’intéressé devant la juridiction de proximité. Il
est également précisé que la requête est irrecevable si le formulaire n’est pas
envoyé par lettre recommandé avec demande d’avis de réception ou si, s’agissant
de la troisième des situations susmentionnées, il n’est pas accompagné de
l’exposé sur papier libre.
Le formulaire ajoute que, pour obtenir une copie du cliché pris par un
appareil de contrôle automatisé, il faut envoyer une demande écrite « impérativement »
accompagnée d’« une photocopie lisible de la carte grise du véhicule
concerné, [d’]une photocopie lisible d’une pièce d’identité avec photographie,
et [d’]une photocopie lisible de l’avis de contravention ».
10. Le
requérant, qui se plaçait dans la troisième des situations susmentionnées,
régla la consignation et, dans les délais impartis et les formes requises,
envoya sa demande en exonération assortie d’une lettre faisant valoir ce qui
suit :
« (...) Je prends bonne note de ce que des poursuites sont
susceptibles d’être engagées à mon encontre pour un dépassement de la vitesse
maximale limitée de 1 km/h, en ma qualité de titulaire de la carte grise
d’un véhicule DINO immatriculé (...). Il s’agit d’un véhicule de collection
dont la date de première mise en circulation remonte à l’année 1975 et dont,
bien entendu, je n’ai pas un usage quotidien.
Je n’étais pas le conducteur de ce véhicule au moment où les faits ont
été relevés par vos services. Je suis en mesure de le prouver en produisant, si
vous le demandez, six ou sept témoignages de collaborateurs et de clients qui
étaient présents à mon cabinet le 14 juin 2008 entre 16 h et 17 h. J’ignorais
même que ce véhicule circulait ce jour là. Il doit s’agir d’un préposé du
garagiste chez qui le véhicule était en dépôt pour entretien. Je ne suis donc
pas en mesure de vous communiquer une identité.
Je souhaiterais donc, dans un premier temps, recevoir une photocopie
pour éventuellement identifier l’auteur de l’infraction que vous me reprochez.
Je procède par ailleurs à la consignation demandée.
A ce stade, je souhaiterais juste préciser que, s’agissant d’un véhicule
de 1975, le compteur de vitesse est conçu de telle façon qu’il est en pratique
impossible de déceler un écart aussi réduit que celui de 1 km/h. (...) »
11. Par
une lettre du 29 juillet 2008, l’officier du ministère public répondit au
requérant que, pour obtenir le cliché, il lui fallait impérativement envoyer
des photocopies de ce même courrier, de l’avis de contravention, de la carte
grise du véhicule et d’une pièce d’identité. La lettre fait référence à
l’article 6 de l’arrêté du 27 octobre 2003 « portant création du système
de contrôle sanction automatisé », aux termes duquel « le droit d’accès
au cliché pris par les appareils de contrôle
automatique des infractions (...) s’effectue, par envoi, par courrier simple et
à la demande expresse du titulaire du droit d’accès, sous le contrôle d’un officier ou agent de police
judiciaire ».
En réponse, le requérant fit valoir dans un courrier recommandé du
5 août 2008 que les informations réclamées par l’administration étaient
déjà en la possession de cette dernière et que l’article 6 de l’arrêté du 7
octobre 2003 ne subordonnait pas l’envoi du cliché à la production de tels
documents. Il réitéra par ailleurs sa demande d’accès au cliché, afin d’être
« en mesure de remplir la demande de renseignement concernant l’identité
du conducteur à l’origine de l’infraction ».
12. Dans
un courrier du 3 septembre 2008, l’officier du ministère public informa le
requérant du rejet de sa demande en ces termes :
« (...) Suite au courrier que vous m’avez fait parvenir, je vous
informe du rejet de votre demande en raison du non respect des règles prévues
par l’article 529-10 du code de procédure pénale.
Le motif de rejet est : Demande de cliché sans contestation
explicite de l’infraction.
Conformément aux dispositions de l’article R. 49-18 du Code de Procédure
Pénale, la somme versée est considérée comme un paiement de l’amende
forfaitaire ou de l’amende forfaitaire majorée, sous réserve que ce montant
corresponde à celui de l’amende due. Le cas échéant, vous devez payer le
complément au centre d’encaissement des amendes (...) »
13. Le
requérant s’opposa à cette décision par courrier recommandé du 8 septembre
2008 en faisant valoir qu’il avait bien contesté l’infraction qui lui était
reprochée et que sa demande d’accès au cliché avait pour seul objectif de
déterminer l’identité du conducteur au moment des faits et de pouvoir, en
conséquence, s’exonérer de sa responsabilité.
14. Le
requérant ne reçut pas de réponse à ce courrier.
15. Le
21 novembre 2008, le ministère de l’Intérieur informa le requérant que la
réalité de l’infraction qui lui était reprochée avait été établie par le
paiement de l’amende forfaitaire et qu’en conséquence, un point serait retiré
sur son permis de conduire.
II. LE
DROIT INTERNE PERTINENT
16. Les
dispositions pertinentes du code de procédure pénale (dans leur version
applicable à l’époque des faits) sont les suivantes :
Article 529
« Pour les contraventions des quatre premières classes dont la
liste est fixée par décret en Conseil d’Etat l’action publique est éteinte par
le paiement d’une amende forfaitaire qui est exclusive de l’application des
règles de la récidive (...). »
Article 529-1
« Le montant de l’amende forfaitaire peut être acquitté soit entre
les mains de l’agent verbalisateur au moment de la constatation de
l’infraction, soit auprès du service indiqué dans l’avis de contravention dans
les quarante-cinq jours qui suivent la constatation de l’infraction ou, si cet
avis est ultérieurement envoyé à l’intéressé, dans les quarante-cinq jours qui
suivent cet envoi. »
Article 529-2
« Dans le délai prévu par l’article précédent, le contrevenant doit
s’acquitter du montant de l’amende forfaitaire, à moins qu’il ne formule dans le
même délai une requête tendant à son exonération auprès du service indiqué dans
l’avis de contravention. Dans les cas prévus par l’article 529-10, cette
requête doit être accompagnée de l’un des documents exigés par cet article.
Cette requête est transmise au ministère public.
A défaut de paiement ou d’une requête présentée dans le délai de
quarante-cinq jours, l’amende forfaitaire est majorée de plein droit et
recouvrée au profit du trésor public en vertu d’un titre rendu exécutoire par
le ministère public. »
Article 529-10
« Lorsque l’avis
d’amende forfaitaire concernant une des contraventions mentionnées à l’article
L. 121-3 du code de la route a été adressé au titulaire du certificat
d’immatriculation ou aux personnes visées aux deuxième et troisième alinéas de
l’article L. 121-2 de ce code, la requête en exonération prévue par
l’article 529-2 ou la réclamation prévue par l’article 530 n’est recevable
que si elle est adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de
réception et si elle est accompagnée :
1o Soit
de l’un des documents suivants :
a) Le
récépissé du dépôt de plainte pour vol ou destruction du véhicule ou pour le
délit d’usurpation de plaque d’immatriculation prévu par l’article L. 317-4-1
du code de la route, ou une copie de la déclaration de destruction de véhicule
établie conformément aux dispositions du code de la route ;
b) Une
lettre signée de l’auteur de la requête ou de la réclamation précisant
l’identité, l’adresse, ainsi que la référence du permis de conduire de la
personne qui était présumée conduire le véhicule lorsque la contravention a été
constatée ;
2o Soit
d’un document démontrant qu’il a été acquitté une consignation préalable d’un
montant égal à celui de l’amende forfaitaire dans le cas prévu par le premier
alinéa de l’article 529-2, ou à celui de l’amende forfaitaire majorée dans le
cas prévu par le deuxième alinéa de l’article 530 ; cette consignation n’est
pas assimilable au paiement de l’amende forfaitaire et ne donne pas lieu au
retrait des points du permis de conduire prévu par le quatrième alinéa de
l’article L. 223-1 du code de la route.
L’officier du ministère
public vérifie si les conditions de recevabilité de la requête ou de la
réclamation prévues par le présent article sont remplies. »
Article 530
« Le titre mentionné au second alinéa de l’article 529-2 ou au
second alinéa de l’article 529-5 est exécuté suivant les règles prévues par le
présent code pour l’exécution des jugements de police. La prescription de la
peine commence à courir à compter de la signature par le ministère public du
titre exécutoire, qui peut être individuel ou collectif.
Dans les trente jours de l’envoi de l’avis invitant le contrevenant à
payer l’amende forfaitaire majorée, l’intéressé peut former auprès du ministère
public une réclamation motivée qui a pour effet d’annuler le titre exécutoire
en ce qui concerne l’amende contestée. Cette réclamation reste recevable tant
que la peine n’est pas prescrite, s’il ne résulte pas d’un acte d’exécution ou
de tout autre moyen de preuve que l’intéressé a eu connaissance de l’amende
forfaitaire majorée. S’il s’agit d’une contravention au code de la route, la
réclamation n’est toutefois plus recevable à l’issue d’un délai de trois mois
lorsque l’avis d’amende forfaitaire majorée est envoyé par lettre recommandée à
l’adresse figurant sur le certificat d’immatriculation du véhicule, sauf si le
contrevenant justifie qu’il a, avant l’expiration de ce délai, déclaré son
changement d’adresse au service d’immatriculation des véhicules ; dans ce
dernier cas, le contrevenant n’est redevable que d’une somme égale au montant
de l’amende forfaitaire s’il s’en acquitte dans un délai de quarante-cinq
jours, ce qui a pour effet d’annuler le titre exécutoire pour le montant de la
majoration.
La réclamation doit être accompagnée de l’avis d’amende forfaitaire
majorée correspondant à l’amende considérée ainsi que, dans le cas prévu par
l’article 529-10, de l’un des documents exigés par cet article, à défaut de
quoi elle est irrecevable. »
Article 530-1
« Au vu de la requête faite en application du premier alinéa de
l’article 529-2, de la protestation formulée en application du premier alinéa
de l’article 529-5 ou de la réclamation faite en application du deuxième alinéa
de l’article 530, le ministère public peut, soit renoncer à l’exercice des
poursuites, soit procéder conformément aux articles 524 à 528-2 ou aux articles
531 et suivants, soit aviser l’intéressé de l’irrecevabilité de la réclamation
non motivée ou non accompagnée de l’avis.
En cas de condamnation, l’amende prononcée ne peut être inférieure au
montant de l’amende ou de l’indemnité forfaitaire dans les cas prévus par le
premier alinéa de l’article 529-2 et le premier alinéa de l’article 529-5, ni
être inférieure au montant de l’amende forfaitaire majorée dans les cas prévus
par le second alinéa de l’article 529-2 et le second alinéa de l’article 529-5.
Dans les cas prévus par l’article 529-10, en cas de classement sans
suite ou de relaxe, s’il a été procédé à la consignation prévue par cet
article, le montant de la consignation est reversé, à sa demande, à la personne
à qui avait été adressé l’avis de paiement de l’amende forfaitaire ou ayant
fait l’objet des poursuites. En cas de condamnation, l’amende prononcée ne peut
être inférieure au montant prévu à l’alinéa précédent augmenté d’une somme de
10 %. »
Article 530-2
« Les incidents contentieux relatifs à l’exécution du titre
exécutoire et à la rectification des erreurs matérielles qu’il peut comporter
sont déférés à la juridiction de proximité, qui statue conformément aux
dispositions de l’article 711. »
Article R. 49-8
« L’officier du ministère public saisi d’une réclamation recevable
informe sans délai le comptable direct du trésor de l’annulation du titre
exécutoire en ce qui concerne l’amende contestée. »
Article R. 49-18 (version en
vigueur jusqu’au 1er octobre 2008)
« Lorsqu’une consignation a été acquittée en application des
dispositions de l’article 529-10, il est fait application des dispositions
suivantes :
Si la consignation n’est pas suivie d’une requête en exonération ou
d’une réclamation formulée conformément aux dispositions des articles 529-2,
529-10 et 530, elle est considérée comme valant paiement de l’amende
forfaitaire ou de l’amende forfaitaire majorée.
Si l’officier du ministère public classe sans suite la contravention, il
notifie sa décision à l’auteur de la requête en exonération en l’informant que
la consignation lui sera remboursée s’il en fait la demande au comptable du
trésor public.
En cas de condamnation à une peine d’amende ou lorsque le prévenu est
déclaré redevable de l’amende en application de l’article L. 121-3 du code de
la route, la juridiction de jugement précise dans sa décision le montant de
l’amende restant dû après déduction du montant de la consignation.
En cas de décision de relaxe et s’il n’est pas fait application de
l’article L. 121-3 du code de la route, la juridiction ordonne le remboursement
de la consignation au prévenu si celui-ci en fait la demande au comptable du
trésor public. »
17. La
« circulaire relative à la politique pénale en matière de contrôle
automatisé de la vitesse » du 7 avril 2006 (CRIM 2006 – 08 E1/07-04-2006)
souligne notamment qu’en application de l’article 530-1 du code de procédure
pénale, une contestation ne peut être considérée comme étant irrecevable que si
elle n’est pas motivée ou si elle n’est pas accompagnée de l’avis correspondant
à l’amende, outre les cas où, en application des dispositions de l’article
529-10, elle doit être accompagnée du versement d’une consignation. Elle ajoute
que l’officier du ministère public ne dispose pas du pouvoir d’apprécier le
caractère bien fondé ou non de la réclamation ou de la requête en exonération,
son pouvoir d’appréciation se limitant à l’examen de la recevabilité formelle
de la contestation : lorsque les conditions de recevabilité sont remplies,
la contestation doit être obligatoirement portée devant la juridiction de
jugement à moins que l’officier du ministère public ne décide de renoncer aux
poursuites.
La circulaire précise
ensuite que, dans un arrêt du 29 octobre 1997 (Cass. Crim., Bull. crim. no
357), la Cour de cassation a ainsi cassé un jugement ayant déclaré irrecevable
une requête présentée sur le fondement de l’article 530-2 du code de procédure
pénale « alors que la réclamation n’avait pas été déclarée irrecevable en
raison de l’absence de motivation ou du défaut d’accompagnement de l’avis
correspondant à l’amende considérée et que, dès lors, l’officier du ministère
public devait, en application de l’article R. 49-8 du même code, informer
le comptable du trésor de l’annulation du titre exécutoire ». Elle ajoute,
renvoyant aux arrêts Peltier c.
France (no 32872/96, 21 mai 2002) et Besseau c. France (no 73893/01, 7 mars 2006), que la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme va dans le même sens.
18. Dans un avis du 5
mars 2007 (no 0070004P), la Cour de cassation à indiqué ce qui
suit :
« Lorsque la
décision d’irrecevabilité de la réclamation du contrevenant est prise par le
ministère public pour un motif autre que l’un des deux seuls prévus par
l’article 530-1, premier alinéa du code de procédure pénale, le
contrevenant, avisé de cette décision, peut élever un incident contentieux
devant la juridiction de proximité, en application de l’article 530-2 du même
code.
Cet incident
contentieux est recevable jusqu’à prescription de la peine.
Si la juridiction de
proximité juge que la réclamation était recevable, le titre exécutoire est
annulé, ce qui a pour effet d’ouvrir un nouveau délai de prescription de
l’action publique. »
Dans les observations
qu’il a formulées dans le cadre de l’examen de la demande d’avis, l’avocat
général L. Davenas a rappelé qu’un incident contentieux
relatif à l’exécution porté devant un tribunal ne permet pas en principe de
remettre en cause le principe de la condamnation ni d’aborder le fond du
litige. Il a toutefois souligné qu’il en va différemment pour le contentieux de
l’amende forfaitaire majorée, en raison du caractère ambivalent du titre
exécutoire – mi-acte de poursuite, mi-acte juridictionnel – qui fait que la
réclamation visée à l’article 530-2 du code de procédure pénale touche à la
fois la forme et le fond de la condamnation et remet en cause sa force de chose
jugée. L’officier du ministère public, en effet, ne dispose pas du pouvoir
d’apprécier le bien-fondé ou non d’une réclamation ; il doit seulement
après avoir vérifié si les conditions de sa recevabilité (articles 530-1 et 529-10
du code de procédure pénale) sont remplies, la porter obligatoirement devant la
juridiction de proximité à moins qu’il ne renonce aux poursuites. Dès lors, une
réclamation régulièrement déposée, rejetée pour des motifs autres que l’absence
de motivation ou d’avis qui donne lieu à un incident contentieux relatif à
l’exécution du titre exécutoire, annule le titre exécutoire et met l’officier
du ministère public dans l’obligation de soumettre la réclamation au juge de
proximité. Il s’agit là, souligne l’avocat général L. Davenas,
du « contrepoids nécessaire au pouvoir exorbitant donné à un agent de
poursuite de rejeter une requête que lui seul juge irrecevable ».
19. Dans une décision
du 29 septembre 2010 (no 2010-38 QPC), le Conseil constitutionnel a
déclaré l’article 529-10 du code de procédure pénale conforme à la
Constitution, sous la réserve suivante :
« 7. Considérant
que le dernier alinéa de l’article 529-10 (...) prévoit que l’officier du
ministère public vérifie si les conditions de recevabilité de la requête en
exonération ou de la réclamation sont remplies ; que le droit à un recours
juridictionnel effectif impose que la décision du ministère public déclarant
irrecevable la réclamation puisse être contestée devant la juridiction de
proximité ; qu’il en va de même de la décision déclarant irrecevable une
requête en exonération lorsque cette décision a pour effet de convertir la
somme consignée en paiement de l’amende forfaitaire ; que, sous cette
réserve, le pouvoir reconnu à l’officier du ministère public de déclarer
irrecevable une requête en exonération ou une réclamation ne méconnaît pas
l’article 16 de la Déclaration de 1789. »
EN DROIT
I. SUR LE CARACTERE PRETENDUMENT
ABUSIF DE LA REQUETE
20. Le
Gouvernement indique que le requérant, qui pouvait s’exonérer de toute
responsabilité en établissant qu’il n’était pas le conducteur du véhicule, n’a
produit devant l’officier du ministère public aucune pièce justificative dans
ce sens. Il se serait borné à exiger la production du cliché, en refusant de
fournir les documents requis à cette fin. Ce faisant, il aurait omis de
satisfaire à la « condition de forme élémentaire » prévue par la loi
du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés –
visée par l’arrêté du 27 octobre 2003 « portant création du système de
contrôle sanction automatisé » –, dont les articles 34 et 39 prescriraient
que des données à caractère personnel ne peuvent être transmises à des
personnes ne justifiant pas de leur identité. Le requérant aurait ainsi
lui-même fait obstacle à la possibilité de dégager sa responsabilité relative à
l’infraction du 14 juin 2008, ce qui aurait eu pour conséquence de rendre la
présente requête sans objet. Soulignant que « la Cour n’[a] pas vocation à
protéger des droits hypothétiques », le Gouvernement lui demande de
conclure au caractère abusif de la requête.
21. Le
requérant invite la Cour à constater la vacuité de ces arguments. Il souligne
tout d’abord que la loi ne fait pas de la production des pièces justificatives
évoquées par le Gouvernement une condition de recevabilité des réclamations, le
pouvoir d’appréciation de l’officier du ministère public étant limité à
l’examen de la recevabilité formelle de la contestation. C’est devant une
juridiction de jugement que de tels éléments auraient dû être produits ;
or, du fait même de la décision de cet officier, sa cause n’a pu être examinée
par un tribunal. Il indique ensuite qu’il s’est conformé à l’arrêté ministériel
du 27 octobre 2003 – dont l’article 6 dispose que le droit d’accès au cliché
pris par les appareils de contrôle automatique s’effectue par envoi, par
courrier simple et à la demande expresse du titulaire du droit d’accès, sous le
contrôle d’un officier ou agent de police judiciaire –, joignant dûment à sa
demande l’avis d’amende forfaitaire permettant son identification en tant que
titulaire du droit d’accès. Enfin, il souligne qu’en tout état de cause, la
communication du cliché est une question distincte de la situation qu’il
dénonce : la décision d’irrecevabilité du ministère public faisait de
toute façon obstacle à l’examen de sa cause par un juge.
22. La
Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 3 a) de la Convention, elle
déclare irrecevable toute requête individuelle introduite en application de
l’article 34 lorsque, notamment, elle estime qu’elle est « abusive ».
Cela étant, renvoyant à sa jurisprudence en la matière (voir en particulier Miroļubovs et autres c. Lettonie, no
798/05, 15 septembre 2009, §§ 62-66, et Petrović c.
Serbie (déc.), nos 56551/11, 56650/11, 56669/11, 56671/11,
56692/11, 56744/11, 56826/11, 56827/11, 56831/11, 56833/11 et 56834/11, 16
novembre 2011) et rappelant qu’il s’agit-là d’une mesure procédurale
exceptionnelle (Miroļubovs et autres précité, § 62), elle constate
que rien ne permet de considérer que la présente requête est abusive au sens de
l’article 35 § 3 a).
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE
L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
23. Le
requérant dénonce une violation de son droit d’accès à un
« tribunal ». Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, aux termes
duquel :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de
toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
A. Sur la recevabilité
24. Le
Gouvernement soutient que la requête est irrecevable, faute pour le requérant
d’avoir épuisé les voies de recours internes. Il indique que, compte tenu des
pouvoirs dont il disposait en application des articles 529-10 et 530-1 du code
de procédure pénale, en estimant les explications du requérant insuffisantes,
l’officier du ministère public s’est « livré, probablement à tort, à
une appréciation du bien fondé de la requête en exonération
motivée » plutôt qu’à une appréciation de la recevabilité de
celle-ci. Or, selon lui, le requérant disposait de deux voies de recours pour
se plaindre de cette décision.
Premièrement, souligne le Gouvernement, le requérant pouvait, en
application de l’article 530-2 du code de procédure pénale, soulever devant la
juridiction de proximité un incident contentieux relatif à l’exécution du titre
exécutoire. Le Gouvernement renvoie à cet égard à quatre arrêts et à un avis de
la Cour de cassation (Cass. crim.
29 octobre 1997, JCP 1998 éd. G, IV, p. 1271 ; Cass.
Crim., 20 mars 2002, bull. no 69 ; Cass. crim., 9 mai 2002, no
01-87396 ; Cass. crim.,
29 mai 2002, bull. no 124 ; Cass.
avis du 5 mars 2007, no 0070004P). Il concède que dans l’arrêt Peltier c. France (21 mai 2002, no
32872/96) la Cour a conclu à l’ineffectivité de ce recours en ce qu’il ne
concerne que la question de l’exécution du titre rendu exécutoire et ne permet
pas au contrevenant de contester le bien-fondé ou la réalité de l’infraction,
mais soutient qu’en l’espèce, le requérant contestait non la réalité de
l’infraction mais sa responsabilité. Deuxièmement, le Gouvernement soutient que
le requérant disposait d’une voie de droit pour obtenir réparation de l’erreur
du ministère public : engager la responsabilité de l’Etat sur le fondement
de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, aux termes duquel
« l’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement
défectueux du service de la justice [ ;] sauf dispositions particulière,
cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de
justice ».
25. Le
requérant expose tout d’abord que, contrairement à ce qu’affirme le
Gouvernement, il ressort de son courrier du 8 septembre 2008 qu’il entendait
contester la décision du ministère public déclarant sa réclamation irrecevable.
Il ajoute que si la Cour a conclu dans l’arrêt Peltier précité que la saisine de la juridiction de proximité en
application de l’article 530-2 du code de procédure pénale n’est pas un recours
à épuiser, ce n’est pas seulement parce qu’elle ne permet pas de contester le
bien-fondé ou la réalité de l’infraction, mais aussi parce qu’elle ne permet de
contester ni le rejet de la demande d’exonération de l’amende forfaitaire ni la
validité de la motivation de cette décision, et qu’elle n’offre pas un remède à
l’entrave au droit de contester la réalité de l’infraction devant un tribunal.
Le requérant soutient ensuite qu’à supposer même qu’il puisse être
considéré qu’il s’agit d’une voie de recours efficace, elle n’était pas ouverte
dans son cas puisque la réclamation qu’il avait formulée dans les quarante-cinq
jours prévus par les textes avait été déclarée irrecevable et n’avait donc pas
donné lieu à une conversion en amende forfaitaire majorée. Or il résulte du
second alinéa de l’article 529-2 du code de procédure pénale que seule l’amende
forfaitaire majorée donne lieu à un titre exécutoire, susceptible de faire
l’objet d’un incident contentieux au sens de l’article 530-2 du même code. Il
ajoute qu’il ressort en réalité de l’avis et des arrêts de la Cour de cassation
auxquels le Gouvernement se réfère, que ce recours n’est possible que lorsque
la décision d’irrecevabilité est prise par le ministère public pour un autre
motif que ceux prévus par le premier alinéa de l’article 530-1 du code de
procédure pénale. Le ministère public ayant déclaré sa réclamation irrecevable
par l’un des motifs prévus par cette disposition – l’absence de motivation
expresse de la réclamation – ce recours ne lui était donc pas accessible.
Le requérant expose en outre qu’il eut été inefficace d’engager la
responsabilité de l’Etat pour déni de justice sur le fondement de
l’article L. 141-1 du code de l’organisation judicaire, cette voie ne
permettant pas de mettre en cause les conséquences de la décision du ministère
public déclarant la réclamation irrecevable. Il ajoute que cette disposition
n’est de toute façon pas applicable à la situation qu’il dénonce puisqu’il
ressort des articles 4 du code civil et 434-7-1 du code pénal qu’un « déni
de justice » ne peut être le fait que de celui dont la fonction est de
juger ; or telle n’est pas la fonction du parquet, dont il est question en
l’espèce.
26. La Cour rappelle tout d’abord que seules les voies de
recours effectives et propres à redresser la violation alléguée doivent être
épuisées. Plus précisément, les dispositions de l’article 35 § 1 de la
Convention ne prescrivent l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux
violations incriminées, disponibles et adéquats ; ils doivent exister à un
degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique,
sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues. Il incombe à
l’Etat défendeur, s’il plaide le non-épuisement, de démontrer que ces
conditions se trouvent réunies (voir, parmi de nombreux autres, Paksas c. Lituanie [GC], no 34932/04, 6 janvier 2011, § 75).
27. S’agissant
de la thèse du Gouvernement selon laquelle, en application de l’article L.
141-1 du code de l’organisation judiciaire, le requérant avait la possibilité
de dénoncer le déni de justice dont il se dit victime dans le cadre d’une
action visant à la réparation du dommage causé par le fonctionnement défectueux
du service de la justice, la Cour rappelle que le requérant se plaint
essentiellement d’une violation du droit de toute personne à ce que la décision
relative au « bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée
contre elle » soit prise par un « tribunal indépendant et
impartial ». Elle estime que dans un tel cas de figure, seule une
procédure permettant d’obtenir un tel examen juridictionnel de l’« accusation »
est propre à redresser la violation alléguée. Tel
n’est pas le cas de la procédure en réparation dont il est question.
28. La
Cour rappelle ensuite que dans l’affaire Peltier
(arrêt précité, §§ 21-24 ; voir aussi la décision sur la recevabilité
du 29 juin 1999), dont les circonstances sont proches de celles de la présente
affaire, elle a conclu que la possibilité prévue par l’article 530-2 du code de
procédure pénale de soulever devant le juge (il s’agissait alors du tribunal de
police) un incident contentieux relatif à l’exécution du titre exécutoire ne
constituait pas un recours effectif. Elle a en effet constaté que ce recours ne
concernait que la question de « l’exécution » du titre rendu exécutoire par le
ministère public pour permettre au trésor public de recouvrer l’amende
forfaitaire majorée : il visait à la mise en œuvre de l’obligation du
ministère public d’informer le comptable du trésor de l’annulation du titre
exécutoire lorsque la réclamation a été déclarée irrecevable pour un autre
motif que l’absence de motivation ou du défaut d’accompagnement des avis
correspondant à l’amende. Elle en a déduit que ce recours ne permettait pas de
remédier au grief du requérant Peltier, qui consistait à mettre en cause le
rejet de sa demande d’exonération de l’amende forfaitaire, la validité de la
motivation de la décision de l’officier du ministère public rejetant sa
réclamation contre l’amende forfaitaire majorée ainsi que l’entrave subséquente
à son droit d’accès à un tribunal pour contester la réalité de l’infraction
reprochée.
29. Certes,
depuis lors, la Cour de cassation a confirmé que le contrevenant peut élever un
incident contentieux en application de l’article 530-2 lorsque la décision
d’irrecevabilité de la réclamation est prise par le ministère public pour un
motif autre que l’un des deux seuls prévus par l’article 530-1 du code de
procédure pénale. La Cour de cassation a précisé qu’il appartient alors au juge
(il s’agit désormais de la juridiction de proximité) de décider si la
réclamation est recevable, la recevabilité entraînant de plein droit
l’annulation du titre exécutoire et mettant l’officier du ministère public dans
l’obligation de soumettre la réclamation au juge de proximité (paragraphe 18
ci-dessus).
En l’espèce toutefois, en application de l’article R.
49-18 du code de procédure pénale, la requête en exonération ayant été déclarée
irrecevable par l’officier du ministère public, la consignation acquittée par
le requérant a été considérée comme valant paiement de l’amende forfaitaire. De
ce fait, la procédure n’a pas donné lieu à l’amende forfaitaire majorée prévue
par l’article 529-2 du code de procédure pénale, seule susceptible aux termes
de cet article d’aboutir à un titre exécutoire. Il n’y a donc pas eu de titre
exécutoire susceptible de fonder l’application de l’article 530-2 susmentionné.
Il s’ensuit qu’en tout état de cause, le requérant n’avait pas accès à la
procédure prévue par cette disposition.
30. Il
convient en conséquence de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.
Constatant par ailleurs que cette partie de la requête n’est pas manifestement
mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se
heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
31. Le
requérant soutient qu’en rejetant sa réclamation au motif qu’il n’avait pas
formulé une « contestation explicite de l’infraction », l’officier du
ministère public a procédé à une appréciation de la pertinence de celle-ci et
s’est illégitimement érigé en juge de la réclamation et en « autorité de
sanction ». Le requérant se serait en conséquence trouvé privé de tout
recours juridictionnel. D’une part, parce que, l’officier du ministère public
n’étant pas indépendant à l’égard du pouvoir exécutif, il ne peut être qualifié
d’« autorité judiciaire » au sens que la jurisprudence de la Cour
donne à cette notion. D’autre part, parce que, lorsque, comme dans son cas, la
décision d’irrecevabilité de cet officier est fondée sur l’un des motifs visés
par l’article 530-1 du code de procédure pénale, le justiciable ne peut même
pas élever un incident contentieux devant la juridiction de proximité.
Le requérant rappelle ensuite que la Cour a conclu à la violation de
l’article 6 § 1 dans les arrêts Peltier
(précité) et Besseau c. France (no 73893/01,
7 mars 2006), qui concernaient des cas de figure comparables.
Il ajoute que, dans sa décision du 29 septembre 2010 (no
2010-38 QPC), le Conseil constitutionnel a jugé que, dans le cas d’une décision
d’irrecevabilité de l’officier du ministère public prise après paiement de la
consignation par le justiciable et ayant pour effet de convertir ce paiement en
paiement de l’amende, il y a méconnaissance du droit d’accès au juge si cette
décision ne peut faire l’objet d’un recours devant la juridiction de proximité.
Or tel est précisément le cas de figure dans lequel il s’est trouvé.
32. Le
Gouvernement n’a pas développé une argumentation au fond distincte de celle
exposée au paragraphe 18 ci-dessus.
2. Appréciation de la Cour
33. Comme
la Cour l’a rappelé dans les arrêts Peltier
et Besseau
précités (paragraphes 35 et 23, respectivement), qui concernaient des
circonstances proches de celles de l’espèce, le droit à un tribunal, dont le
droit d’accès constitue un aspect, n’est pas absolu ; il se prête à des
limitations implicites, notamment en ce qui concerne les conditions de
recevabilité d’un recours. Celles-ci ne peuvent toutefois en restreindre
l’exercice d’une manière ou à un point tels qu’il se trouve atteint dans sa
substance même, elles doivent tendre à un but légitime et il doit exister un
rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but
visé.
34. En
l’espèce, la Cour constate que le requérant a déposé une requête en exonération
au sens de l’article 529-10 du code de procédure pénale. Elle relève en
particulier qu’il a à cette fin adressé à l’officier du ministère public – il
s’agit d’un commissaire de police –, dans les formes et délai prescrits, le
formulaire intitulé « formulaire de requête en exonération (art. 529-10
et R. 49-14 du code de procédure pénale) » joint à l’avis de
contravention. Il a par ailleurs, conformément à l’article 529-10 2o
du code de procédure pénal, indiqué sur ce formulaire qu’il se trouvait dans la
troisième des situations envisagées – précisant de la sorte qu’il sollicitait
l’exonération pour « autre motif ou absence des justificatifs ou des
documents demandés » –, a joint comme requis un exposé sur papier libre
indiquant les raisons de la contestation et de l’absence de justificatifs, et –
cela n’est pas controversé – a justifié du règlement du montant de l’amende
forfaitaire à titre de consignation (paragraphes 8-11 ci-dessus).
La Cour note ensuite qu’il ressort de l’article 530-1 du code de
procédure pénale que, chargé de vérifier les conditions de recevabilité des
requêtes en exonération, l’officier du ministère public, a trois
possibilités : soit renoncer à l’exercice des poursuites, soit saisir la
juridiction compétente, soit, lorsque la requête n’est pas motivée ou n’est pas
accompagnée de l’avis, aviser l’intéressé de son irrecevabilité. En l’espèce,
il a considéré que la requête était irrecevable au motif qu’il s’agissait d’une
« demande de cliché sans contestation explicite de l’infraction »
(paragraphe 12 ci-dessus). Or, d’une part, il résulte de ce qui précède que ce
motif est erroné, le requérant ayant clairement indiqué dans le formulaire
prévu à cet effet contester l’infraction qui lui était reprochée, et précisé
ses motifs dans la lettre accompagnant comme il se doit sa requête en exonération
(paragraphe 10 ci-dessus). Il apparaît en outre – le Gouvernement le concède –
qu’en portant cette appréciation, l’officier du ministère public, dont le
pouvoir d’appréciation se limite à l’examen de la recevabilité formelle de la
contestation, a excédé ses pouvoirs. D’autre part, comme indiqué précédemment
(paragraphe 29 ci-dessus), la décision d’irrecevabilité de l’officier du
ministère public a entraîné l’encaissement de la consignation équivalant au
paiement de l’amende forfaitaire par application de l’article R. 49-18 du code
de procédure pénale. Ainsi, nonobstant la contestation du requérant, l’amende
était payée et l’action publique était éteinte, sans qu’un
« tribunal », au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, ait
examiné le fondement de l’« accusation » dirigée contre lui et
entendu ses arguments relatifs à celle‑ci.
35. La
Cour en déduit que le droit d’accès à un tribunal du requérant s’est trouvé
atteint dans sa substance même.
36. Au
surplus, la Cour prend acte du fait que, dans sa décision no 2010‑38
QPC du 29 septembre 2010, le Conseil Constitutionnel a jugé que, dans le cas où
l’officier du ministère public déclare irrecevable une requête en exonération
contre une amende forfaitaire après que le requérant a payé la consignation et
où la déclaration d’irrecevabilité a pour effet de convertir le paiement de la
consignation en paiement de l’amende, l’impossibilité de saisir la juridiction
de proximité d’un recours contre cette décision est incompatible avec le
« droit à un recours juridictionnel effectif ».
37. Partant,
il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE
L’ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION
38. Le
requérant se plaint du fait qu’en matière d’excès de vitesse notamment, la
requête en exonération ou la réclamation adressée au ministère public n’est
recevable que si elle est accompagnée d’un document démontrant la consignation
préalable d’un montant égal à celui de l’amende forfaitaire ou de l’amende
forfaitaire majorée. Il voit là une méconnaissance de la présomption
d’innocence, consacrée par l’article 6 § 2 de la Convention en ces
termes :
« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente
jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
39. La
Cour a déjà eu l’occasion de juger qu’en tant que telle, la circonstance que la
recevabilité de la requête en exonération et de la réclamation dont il est
question à l’article 529-10 du code de procédure pénale est subordonnée au
paiement préalable d’une consignation d’un montant correspondant à l’amende
forfaitaire n’emporte pas violation de l’article 6 de la Convention (voir Thomas c. France (déc.) no
14279/05, 29 avril 2008, et Schneider
c. France (déc.), no 49852/06, 30 juin 2009). Elle ne voit
aucune raison de s’écarter de cette conclusion en l’espèce. Partant,
manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention, cette
partie de la requête est irrecevable et doit être rejetée en application de
l’article 35 § 4 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE
41 DE LA CONVENTION
40. Aux
termes de l’article 41 de la Convention,
« Si
la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles,
et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer
qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la
partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
41. Le
requérant réclame 68 EUR au titre du préjudice matériel, cette somme
correspondant au montant de l’amende forfaitaire qu’il a acquitté. Il demande en
outre 1 EUR pour préjudice moral.
42. Le
Gouvernement marque son accord avec ces montants.
43. La
Cour estime que l’on ne peut retenir qu’il y a un lien de causalité entre la
violation constatée et le préjudice matériel allégué, sauf à spéculer sur
l’issue qu’aurait eu la procédure si le requérant avait eu accès à un tribunal
pour contester l’infraction qui lui était imputée. Elle rejette donc cette
partie de la demande. Si elle admet en revanche que le requérant a subi un
dommage moral du fait de la méconnaissance de l’article 6 § 1 de la Convention,
elle considère que ce dommage se trouve suffisamment compensé par la conclusion
de violation à laquelle elle est parvenue.
B. Frais et dépens
44. Le
requérant demande 2 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant la
Cour, et 1 000 EUR pour ceux relatifs à une procédure conduite devant le
tribunal administratif de Paris afin de contester le retrait de point
consécutif au paiement de l’amende forfaitaire. Il produit deux notes
d’honoraires correspondant à ces montants.
45. Le
Gouvernement observe que l’entête de l’avocat du requérant ne figure pas sur
les notes d’honoraires produites et que le requérant ne démontre pas avoir
effectivement payé les sommes indiquées. Il souligne qu’en tout état de cause,
il n’y a pas lieu de rembourser les frais et dépens relatifs à la procédure
administrative, dès lors en particulier que cette procédure est sans rapport
avec les griefs dont la Cour est saisie. Il juge en revanche raisonnable le
montant réclamé au titre de la procédure devant la Cour, pour autant que le
requérant apporte la preuve de son paiement.
46. Selon
la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de
ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité,
leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.
En l’espèce, premièrement, la Cour marque son accord avec le
Gouvernement s’agissant des frais et dépens relatifs à la procédure devant le
tribunal administratif dont le requérant fait état. Deuxièmement, compte tenu
en particulier de la note d’honoraires y relative produite par le requérant –
qui émane sans conteste de l’avocat qui le représente – et de sa jurisprudence,
la Cour estime raisonnable d’allouer 1 000 EUR à ce dernier au titre de la
procédure devant elle.
C. Intérêts moratoires
47. La
Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux
d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne
majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À
L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la
requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et
irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu
violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit que le constat de
violation auquel elle parvient constitue une satisfaction équitable suffisante
s’agissant du dommage moral ;
4. Dit,
a) que l’Etat
défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où
l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la
Convention, 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens, plus tout
montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au
versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui
de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable
pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la
demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 mars
2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek Dean
Spielmann
Greffière Président