Corte europea dei diritti dellâuomo
(Seconda Sezione)
8 gennaio 2013
AFFAIRE TORREGGIANI ET AUTRES c. ITALIE
(RequĂȘtes nn. 43517/09, 46882/09, 55400/09,
57875/09, 61535/09, 35315/10, 37818/10)
ARRĂT
STRASBOURG
Cet arrĂȘt deviendra
dĂ©finitif dans les conditions dĂ©finies Ă lâarticle 44 § 2 de la
Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En lâaffaire Torreggiani et autres c. Italie,
La Cour
europĂ©enne des droits de lâhomme (deuxiĂšme section), siĂ©geant en une chambre
composée de :
         Danutė Jočienė,
présidente,
         Guido Raimondi,
         Peer Lorenzen,
         Dragoljub
Popović,
         Işıl
Karakaş,
         Paulo Pinto de Albuquerque,
         Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
AprĂšs en avoir
délibéré en chambre du conseil le 4 décembre 2012,
Rend lâarrĂȘt
que voici, adopté à cette date :
PROCĂDURE
1. A lâorigine de lâaffaire
se trouvent sept requĂȘtes (nos 57875/09, 46882/09, 55400/09,
57875/09, 61535/09, 35315/10 et 37818/10) dirigées contre la République
italienne et dont sept personnes (« les requérants ») (dont les
donnĂ©es figurent sur la liste annexĂ©e au prĂ©sent arrĂȘt), ont saisi la Cour en
vertu de lâarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lâhomme et
des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants ont été
représentés par les avocats indiqués dans la liste en annexe. Le gouvernement
italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme Spatafora, et par sa coagente, Mme P. Accardo.
3. Les requérants se
plaignaient en particulier des conditions dans lesquelles ils avaient été détenus
respectivement dans les établissements pénitentiaires de Busto
Arsizio et de Piacenza.
4. Le 2 novembre 2010 et le
5 janvier 2011, les requĂȘtes ont Ă©tĂ© communiquĂ©es au Gouvernement. Comme le
permet lâarticle 29 § 1 de la Convention, il a en outre Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© que
la chambre se prononcerait en mĂȘme temps sur la recevabilitĂ© et sur le fond de
lâaffaire.
5. Le 5 juin 2012, la chambre a informé
les parties quâelle estimait opportun dâappliquer la procĂ©dure de
« lâarrĂȘt pilote », en application de lâarticle 46 § 1 de la
Convention.
6. Tant le Gouvernement que les
requĂ©rants ont dĂ©posĂ© des observations Ă©crites sur lâopportunitĂ© dâappliquer la
procédure en question.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE LâESPĂCE
7. Lors de lâintroduction
de leurs requĂȘtes, les requĂ©rants purgeaient des peines de rĂ©clusion dans les
établissements pénitentiaires de Busto Arsizio ou de Piacenza.
A. Les
conditions de détention dénoncées par les requérants
1. Les requĂ©rants dĂ©tenus Ă la prison de Busto Arsizio (requĂȘtes nos 43517/09,
46882/09 et 55400/09)
8. M. Torreggiani
(requĂȘte no 43517/09) fut dĂ©tenu Ă la prison de Busto
Arsizio du 13 novembre 2006 au 7 mars 2011,
M. Bamba (requĂȘte no 46882/09) du 20 mars 2008 au 23 juin
2011 et M. Biondi (requĂȘte no 55400/09)
du 29 juin 2009 au 21 juin 2011. Chacun dâentre eux occupait une cellule de
9 mÂČ avec deux autres personnes, et disposait donc dâun espace personnel
de 3 mÂČ. Dans leurs requĂȘtes, les requĂ©rants soutenaient en outre que lâaccĂšs Ă
la douche Ă la prison de Busto Arsizio
Ă©tait limitĂ© en raison de la pĂ©nurie dâeau chaude dans lâĂ©tablissement.
2. Les
requĂ©rants dĂ©tenus Ă la prison de Piacenza (requĂȘtes
nos 57875/09, 35315/10, 37818/10 et 61535/09)
9. M. Sela
(requĂȘte no 57875/09) fut dĂ©tenu Ă Piacenza
du 14 février 2009 au 19 avril 2010, M. El Haili
(requĂȘte no 35315/10) du 15 fĂ©vrier 2008 au 8 juillet 2010 et
M. Hajjoubi (requĂȘte no 37818/10) du
19 octobre 2009 au 30 mars 2011. M. Ghisoni
(requĂȘte no 61535/09), incarcĂ©rĂ© le 13 septembre 2007, est
toujours détenu dans cet établissement.
10. Les quatre requérants affirment
avoir occupĂ© des cellules de 9 mÂČ avec deux autres dĂ©tenus. Ils dĂ©noncent
Ă©galement un manque dâeau chaude dans lâĂ©tablissement, qui les aurait empĂȘchĂ©s
pendant plusieurs mois de faire usage réguliÚrement de la douche, et un
éclairage insuffisant des cellules en raison des barreaux métalliques apposés
aux fenĂȘtres.
11. Selon le Gouvernement,
les cellules occupées à Piacenza par les requérants
ont une superficie de 11 mÂČ.
B. Les ordonnances du tribunal dâapplication des peines de Reggio Emilia
12. Le 10 avril 2010, M. Ghisoni (no 61535/09) et deux autres
détenus à la prison de Piacenza saisirent le juge
dâapplication des peines de Reggio Emilia, soutenant
que leurs conditions de détention étaient médiocres en raison du surpeuplement
dans la prison de Piacenza et dénonçant une violation
du principe de lâĂ©galitĂ© de traitement entre les dĂ©tenus, garanti par lâarticle
3 de la loi no 354 de 1975 sur lâadministration pĂ©nitentiaire.
13. Par des ordonnances des
16, 20 et 24 août 2010, le magistrat accueillit les réclamations du requérant
et de ses codétenus. Il observa que les intéressés occupaient des cellules qui
avaient été conçues pour un seul détenu et qui, en raison de la situation de
surpeuplement dans la prison de Piacenza,
accueillaient alors chacune trois personnes. Le magistrat constata que la
quasi-totalitĂ© des cellules de lâĂ©tablissement avaient une superficie de
9 mÂČ et quâau cours de lâannĂ©e 2010, lâĂ©tablissement avait hĂ©bergĂ© entre
411 et 415 personnes, alors quâil Ă©tait prĂ©vu pour accueillir 178 dĂ©tenus, pour
une capacité maximale tolérable (capienza tollerabile) de 376 personnes.
14. Faisant rĂ©fĂ©rence Ă
lâarrĂȘt Sulejmanovic c. Italie (no
22635/03, 16 juillet 2009) et aux principes de jurisprudence
concernant la compatibilité entre les conditions de détention et le respect des
droits garantis par lâarticle 3 de la Convention, le juge dâapplication des
peines conclut que les réclamants étaient exposés à des traitements inhumains
du fait quâils devaient partager avec deux autres dĂ©tenus des cellules exigĂŒes,
et faisaient lâobjet dâune discrimination par rapport aux dĂ©tenus partageant le
mĂȘme type de cellule avec une seule personne.
15. Le magistrat transmit ainsi les réclamations du requérant et
des autres détenus à la direction de la prison de Piacenza,
au ministĂšre de la Justice et Ă lâadministration pĂ©nitentiaire compĂ©tente, afin
que chacun puisse adopter dâurgence les mesures adĂ©quates dans le cadre de ses
compétences.
16. En février 2011, M. Ghisoni fut
transféré dans une cellule conçue pour deux personnes.
II. LE DROIT
ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La
loi sur lâadministration pĂ©nitentiaire
17. Lâarticle 6 de la
loi no 354 du 26 juillet 1975 (« la loi sur lâadministration
pénitentiaire »), se lit comme suit :
« Les
locaux dans lesquels se dĂ©roule la vie des dĂ©tenus doivent ĂȘtre suffisamment
spacieux et Ă©clairĂ©s par la lumiĂšre naturelle ou artificielle de maniĂšre Ă
permettre le travail et la lecture ; [ils doivent ĂȘtre] aĂ©rĂ©s, chauffĂ©s
lorsque les conditions climatiques lâexigent et Ă©quipĂ©s de services sanitaires
privĂ©s, dĂ©cents et de type rationnel. [Ils] doivent ĂȘtre entretenus et nettoyĂ©s
correctement. Les locaux oĂč les prisonniers passent la nuit sont des cellules
individuelles ou collectives.
Un soin
particulier doit présider au choix des personnes qui sont placées dans des
cellules collectives.
Les personnes
en dĂ©tention provisoire doivent pouvoir bĂ©nĂ©ficier dâun sĂ©jour en cellule
individuelle Ă moins que la situation particuliĂšre de lâĂ©tablissement ne le
permette pas.
Chaque détenu
(...) dispose du linge de lit nécessaire. »
18. Aux termes de lâarticle
35 de la loi no 354 de 1975, les détenus peuvent adresser des
demandes ou des rĂ©clamations orales ou Ă©crites, mĂȘme sous pli scellĂ©, au
juge de lâapplication des peines ; au directeur de lâĂ©tablissement
pĂ©nitentiaire, ainsi quâaux inspecteurs, au directeur gĂ©nĂ©ral des instituts de
détention et de prévention et au ministre de la Justice ; aux autorités
judiciaires et sanitaires qui visitent lâinstitut ; au prĂ©sident du
Conseil rĂ©gional et au chef de lâĂtat.
19. Selon lâarticle 69 de
cette mĂȘme loi, le juge dâapplication des peines est compĂ©tent pour contrĂŽler
lâorganisation des instituts de prĂ©vention et de dĂ©tention et pour communiquer
au ministre (de la Justice) les besoins des différents services, notamment en
ce qui concerne la mise en place du programme de rééducation des personnes
détenues (alinéa 1). Il veille également à ce que la surveillance des prévenus
soit exercée en conformité avec les lois et les rÚglements (alinéa 2). Par
ailleurs, il a le pouvoir de prescrire des dispositions visant Ă Ă©liminer
dâĂ©ventuelles violations des droits des personnes condamnĂ©es et internĂ©es
(alinéa 5). Le juge statue sur la réclamation par une ordonnance, contre laquelle
lâintĂ©ressĂ© peut se pourvoir en cassation.
B. Jurisprudence interne relative Ă la
possibilitĂ© pour les dĂ©tenus de solliciter lâoctroi dâune rĂ©paration en cas de
mauvaises conditions de détention
20. Par lâordonnance no 17 du 9 juin 2011, le juge dâapplication des peines de Lecce accueillit la rĂ©clamation dâA.S., un dĂ©tenu se plaignant de ses conditions de dĂ©tention, inhumaines, en raison du surpeuplement rĂ©gnant Ă la prison de Lecce. LâintĂ©ressĂ© avait Ă©galement demandĂ© une indemnisation pour le prĂ©judice moral subi.
Le juge
constata que le requérant avait partagé avec deux autres personnes une cellule
mal chauffĂ©e et dĂ©pourvue dâeau chaude, qui mesurait 11,5 mÂČ toilettes
comprises. En outre, le lit occupé par A.S. était à seulement 50 centimÚtres du
plafond. Le requérant était obligé de passer 19 heures et demie par jour sur
son lit en raison de lâabsence dâactivitĂ©s sociales organisĂ©es Ă lâextĂ©rieur de
la cellule.
Par son
ordonnance, le juge dâapplication des peines estima que les conditions de
dĂ©tention de lâintĂ©ressĂ© Ă©taient contraires Ă la dignitĂ© humaine et quâelles
emportaient violation tant de la loi italienne sur lâadministration
pĂ©nitentiaire que des normes fixĂ©es par le CPT du Conseil de lâEurope et par la
jurisprudence de la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme. En outre, pour la
premiĂšre fois en Italie, il dĂ©cida que lâadministration pĂ©nitentiaire devait
indemniser le détenu à hauteur de 220 EUR pour le préjudice
« existentiel » (danno esistenziale) découlant de la détention.
21. Le 30 septembre 2011, le
ministĂšre de la Justice se pourvut en cassation contre lâordonnance du juge
dâapplication des peines, soulevant notamment lâincompĂ©tence de ce juge en
matiĂšre dâindemnisation des dĂ©tenus. Par un arrĂȘt du 5 juin 2012, la Cour de
cassation dĂ©clara le recours de lâadministration irrecevable pour tardivetĂ©,
Ă©tant donnĂ© quâil avait Ă©tĂ© introduit au-delĂ du dĂ©lai de 10 jours prĂ©vu par
les dispositions lĂ©gales pertinentes. Par consĂ©quent, lâordonnance du juge
dâapplication des peines acquit lâautoritĂ© de la chose jugĂ©e.
22. Cette jurisprudence du
juge dâapplication des peines de Lecce, reconnaissant aux dĂ©tenus une
indemnisation pour le préjudice existentiel découlant des conditions de
dĂ©tention, est restĂ©e isolĂ©e en Italie. Dâautres juges dâapplication des peines
ont en effet considĂ©rĂ© quâil nâentrait pas dans leurs prĂ©rogatives de condamner
lâadministration Ă dĂ©dommager les dĂ©tenus pour le prĂ©judice subi pendant la
détention (voir, en ce sens, par exemple, les ordonnances des juges
dâapplication des peines dâUdine et de Vercelli des 24 dĂ©cembre 2011
et 18 avril 2012 respectivement).
III. MESURES PRISES PAR LâETAT
POUR REMĂDIER AU PROBLĂME DU SURPEUPLEMENT CARCĂRAL
23. En 2010, il y avait
67 961 personnes détenues dans les 206 prisons italiennes, pour une
capacité maximale prévue de 45 000 personnes. Le taux national de
surpeuplement Ă©tait de 151 %.
24. Par un décret du 13 janvier
2010, le prĂ©sident du Conseil des ministres dĂ©clara lâĂ©tat dâurgence au niveau
national pour une durĂ©e dâun an en raison du surpeuplement dans les
établissements pénitentiaires italiens.
25. Par lâordonnance no
3861 du 19 mars 2010, intitulée « Dispositions urgentes de protection
civile du fait du surpeuplement carcéral », le président du Conseil des
ministres nomma un Commissaire délégué au ministÚre de la Justice chargé
dâĂ©laborer un plan dâintervention pour les prisons (« Piano carceri »).
26. Le 29 juin 2010, un
Comité constitué du ministre de la Justice, du ministre des Infrastructures
économiques et du chef du département de la Protection civile approuva le plan
dâintervention prĂ©sentĂ© par le Commissaire dĂ©lĂ©guĂ©. Ledit plan prĂ©voyait tout
dâabord la construction de 11 nouveaux Ă©tablissements pĂ©nitentiaires et de 20
annexes aux établissements déjà existants, ce qui impliquait la création de
9 150 places de détention supplémentaires et le recrutement de 2 000
nouveaux agents de police pénitentiaire. Le délai pour la fin des travaux de
construction était fixé au 31 décembre 2012.
27. En outre, par la loi no
199 du 26 novembre 2010 furent adoptées des dispositions extraordinaires en
matiĂšre dâexĂ©cution des peines. Ladite loi prĂ©voit notamment que les peines de
dĂ©tention infĂ©rieures Ă douze mois, mĂȘme si elles reprĂ©sentent des fractions de
peines plus sĂ©vĂšres restant Ă exĂ©cuter, peuvent ĂȘtre purgĂ©es au domicile de la
personne condamnĂ©e ou dans un autre lieu dâaccueil, public ou privĂ©, hormis
pour certaines exceptions liées à la gravité des délits.
Cette loi restera en
vigueur le temps nĂ©cessaire pour la mise en Ćuvre du plan dâintervention pour
les prisons mais en aucun cas au-delà du 31 décembre 2013.
28. LâĂ©tat dâurgence au
niveau national, initialement dĂ©clarĂ© jusquâau 31 dĂ©cembre 2010, a
Ă©tĂ© prorogĂ© Ă deux reprises. Il est actuellement en vigueur jusquâau 31
décembre 2012.
29. A la date du 13 avril
2012, les prisons italiennes accueillaient 66 585 détenus, soit un taux de
surpeuplement de 148 %.
42 % des
dĂ©tenus sont en attente dâĂȘtre jugĂ©s et sont placĂ©s en dĂ©tention provisoire.
IV. TEXTES
INTERNATIONAUX PERTINENTS
30. Les parties pertinentes
des rapports généraux du Comité européen pour la prévention de la torture et
des traitements inhumains et dégradants (« CPT ») se lisent
ainsi :
DeuxiÚme rapport général
(CPT/Inf (92) 3) :
« 46. La
question du surpeuplement relĂšve directement du mandat du CPT. Tous les
services et activitĂ©s Ă lâintĂ©rieur dâune prison seront touchĂ©s si elle doit
prendre en charge plus de prisonniers que le nombre pour lequel elle a été
prĂ©vue. La qualitĂ© gĂ©nĂ©rale de la vie dans lâĂ©tablissement sâen ressentira, et
peut-ĂȘtre dans une mesure significative. De plus, le degrĂ© de surpeuplement
dâune prison, ou dans une partie de celle-ci, peut ĂȘtre tel quâil constitue, Ă
lui seul, un traitement inhumain ou dégradant.
47. Un
programme satisfaisant dâactivitĂ©s (travail, enseignement et sport) revĂȘt une
importance capitale pour le bien-ĂȘtre des prisonniers. Cela est valable pour
tous les Ă©tablissements, quâils soient dâexĂ©cution des peines ou de dĂ©tention
provisoire. Le CPT a relevé que les activités dans beaucoup de prisons de
dĂ©tention provisoire sont extrĂȘmement limitĂ©es. Lâorganisation de programmes
dâactivitĂ©s dans de tels Ă©tablissements, qui connaissent une rotation assez
rapide des dĂ©tenus, nâest pas matiĂšre aisĂ©e. Il ne peut, Ă lâĂ©vidence, ĂȘtre
question de programmes de traitement individualisĂ© du type de ceux que lâon
pourrait attendre dâun Ă©tablissement dâexĂ©cution des peines. Toutefois, les
prisonniers ne peuvent ĂȘtre simplement laissĂ©s Ă leur sort, Ă languir pendant
des semaines, parfois des mois, confinĂ©s dans leur cellule, quand bien mĂȘme les
conditions matĂ©rielles seraient bonnes. Le CPT considĂšre que lâobjectif devrait
ĂȘtre dâassurer que les dĂ©tenus dans les Ă©tablissements de dĂ©tention provisoire
soient en mesure de passer une partie raisonnable de la journée (8 heures ou
plus) hors de leur cellule, occupés à des activités motivantes de nature
variée. Dans les établissements pour prisonniers condamnés, évidemment, les
rĂ©gimes devraient ĂȘtre dâun niveau encore plus Ă©levĂ©.
48. Lâexercice
en plein air demande une mention spĂ©cifique. Lâexigence dâaprĂšs laquelle les
prisonniers doivent ĂȘtre autorisĂ©s chaque jour Ă au moins une heure dâexercice
en plein air, est largement admise comme une garantie fondamentale (de préférence,
elle devrait faire partie intĂ©grante dâun programme plus Ă©tendu dâactivitĂ©s).
Le CPT souhaite souligner que tous les prisonniers sans exception
(y compris ceux soumis Ă un isolement cellulaire Ă titre de sanction) devraient
bĂ©nĂ©ficier quotidiennement dâun exercice en plein air. Il est Ă©galement Ă©vident
que les aires dâexercice extĂ©rieures devraient ĂȘtre raisonnablement spacieuses
et, chaque fois que cela est possible, offrir un abri contre les intempéries.
49. LâaccĂšs,
au moment voulu, Ă des toilettes convenables et le maintien de bonnes
conditions dâhygiĂšne sont des Ă©lĂ©ments essentiels dâun environnement humain.
A cet Ă©gard, le
CPT doit souligner quâil nâapprĂ©cie pas la pratique, constatĂ©e dans certains
pays, de prisonniers devant satisfaire leurs besoins naturels en utilisant des
seaux dans leur cellule, lesquels sont, par la suite, vidés à heures fixes. Ou
bien une toilette devrait ĂȘtre installĂ©e dans les locaux cellulaires (de
prĂ©fĂ©rence dans une annexe sanitaire), ou bien des moyens devraient ĂȘtre mis en
Ćuvre qui permettraient aux prisonniers de sortir de leur cellule Ă tout moment
(y compris la nuit) pour se rendre aux toilettes, sans délai indu.
Les prisonniers
devraient aussi avoir un accÚs régulier aux douches ou aux bains. De plus, il
est souhaitable que les locaux cellulaires soient Ă©quipĂ©s de lâeau courante.
50. Le
CPT souhaite ajouter quâil est particuliĂšrement prĂ©occupĂ© lorsquâil constate
dans un mĂȘme Ă©tablissement une combinaison de surpeuplement, de rĂ©gimes pauvres
en activitĂ©s et dâun accĂšs inadĂ©quat aux toilettes ou locaux sanitaires.
Lâeffet cumulĂ© de telles conditions peut sâavĂ©rer extrĂȘmement nĂ©faste pour les
prisonniers. »
SeptiÚme rapport général
(CPT/Inf (97) 10)
« 13. Ainsi
que le CPT lâa soulignĂ© dans son 2e Rapport GĂ©nĂ©ral, la
question du surpeuplement relÚve directement du mandat du Comité (cf. CPT/Inf (92) 3, paragraphe 46).
Une prison
surpeuplĂ©e signifie, pour le dĂ©tenu, ĂȘtre Ă lâĂ©troit dans des espaces resserrĂ©s
et insalubres ; une absence constante dâintimitĂ© (cela mĂȘme lorsquâil
sâagit de satisfaire aux besoins naturels) ; des activitĂ©s hors cellule
limitĂ©es Ă cause dâune demande qui dĂ©passe le personnel et les infrastructures
disponibles ; des services de santé surchargés ; une tension accrue
et, partant, plus de violence entre détenus comme entre détenus et personnel.
Cette Ă©numĂ©ration est loin dâĂȘtre exhaustive.
A plus dâune
reprise, le CPT a été amené à conclure que les effets néfastes du surpeuplement
avaient abouti à des conditions de détention inhumaines et dégradantes. »
31. Le 30 septembre 1999, le
ComitĂ© des Ministres du Conseil de lâEurope adopta la Recommandation Rec(99)22 concernant le
surpeuplement des prisons et lâinflation carcĂ©rale. Ladite recommandation
Ă©tablit en particulier ce qui suit :
« Le
ComitĂ© des Ministres, en vertu de lâarticle 15.b du Statut du Conseil de
lâEurope,
Considérant que
le surpeuplement des prisons et la croissance de la population carcérale
constituent un défi majeur pour les administrations pénitentiaires et
lâensemble du systĂšme de justice pĂ©nale sous lâangle tant des droits de lâhomme
que de la gestion efficace des établissements pénitentiaires ;
Considérant que
la gestion efficace de la population carcérale est subordonnée à certaines
circonstances telles que la situation globale de la criminalité, les priorités
en matiĂšre de lutte contre la criminalitĂ©, lâĂ©ventail des peines prĂ©vues par
les textes législatifs, la sévérité des peines prononcées, la fréquence du
recours aux sanctions et mesures appliquĂ©es dans la communautĂ©, lâusage de la
dĂ©tention provisoire, lâefficience et lâefficacitĂ© des organes de la justice
pĂ©nale et, en particulier, lâattitude du public vis-Ă -vis de la criminalitĂ© et
de sa répression ; (...)
Recommande aux
gouvernements des Etats membres :
- de prendre
toutes les mesures appropriĂ©es, lorsquâils revoient leur lĂ©gislation et leur
pratique relatives au surpeuplement des prisons et Ă lâinflation carcĂ©rale, en
vue dâappliquer les principes Ă©noncĂ©s dans lâAnnexe Ă la prĂ©sente
Recommandation ;
Annexe Ă la
Recommandation no R (99) 22
I. Principes de base
1. La
privation de libertĂ© devrait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une sanction ou mesure de
dernier recours et ne devrait dĂšs lors ĂȘtre prĂ©vue que lorsque la gravitĂ© de
lâinfraction rendrait toute autre sanction ou mesure manifestement inadĂ©quate.
2. Lâextension
du parc pĂ©nitentiaire devrait ĂȘtre plutĂŽt une mesure exceptionnelle,
puisquâelle nâest pas, en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, propre Ă offrir une solution durable
au problĂšme du surpeuplement. Les pays dont la capacitĂ© carcĂ©rale pourrait ĂȘtre
globalement suffisante mais mal adaptĂ©e aux besoins locaux devraient sâefforcer
dâaboutir Ă une rĂ©partition plus rationnelle de cette capacitĂ©.
3. Il
convient de prévoir un ensemble approprié de sanctions et de mesures appliquées
dans la communauté, éventuellement graduées en termes de sévérité ; il y a lieu
dâinciter les procureurs et les juges Ă y recourir aussi largement que
possible.
4. Les
Ătats membres devraient examiner lâopportunitĂ© de dĂ©criminaliser certains types
de dĂ©lits ou de les requalifier de façon Ă Ă©viter quâils nâappellent des peines
privatives de liberté.
5. Afin de
concevoir une action cohérente contre le surpeuplement des prisons et
lâinflation carcĂ©rale, une analyse dĂ©taillĂ©e des principaux facteurs
contribuant Ă ces phĂ©nomĂšnes devrait ĂȘtre menĂ©e. Une telle analyse devrait
porter, notamment, sur les catĂ©gories dâinfractions susceptibles dâentraĂźner de
longues peines de prison, les priorités en matiÚre de lutte contre la
criminalité, les attitudes et préoccupations du public ainsi que les pratiques
existantes en matiÚre de prononcé des peines.
(...)
III. Mesures
Ă mettre en Ćuvre avant le procĂšs pĂ©nal
Ăviter lâaction
pĂ©nale â RĂ©duire le recours Ă la dĂ©tention provisoire
10. Des mesures appropriĂ©es devraient ĂȘtre prises en vue de
lâapplication intĂ©grale des principes Ă©noncĂ©s dans la Recommandation no
(87) 18 concernant la simplification de la justice pénale, ce qui implique, en
particulier, que les Ătats membres, tout en tenant compte de leurs principes
constitutionnels ou de leur tradition juridique propres, appliquent le principe
de lâopportunitĂ© des poursuites (ou des mesures ayant le mĂȘme objectif) et
recourent aux procédures simplifiées et aux transactions en tant
quâalternatives aux poursuites dans les cas appropriĂ©s, en vue dâĂ©viter une
procédure pénale complÚte.
11. Lâapplication de la dĂ©tention provisoire et sa durĂ©e
devraient ĂȘtre rĂ©duites au minimum compatible avec les intĂ©rĂȘts de la justice.
Les Ătats membres devraient, Ă cet effet, sâassurer que leur lĂ©gislation et
leur pratique sont conformes aux dispositions pertinentes de la Convention
europĂ©enne des Droits de lâHomme et Ă la jurisprudence de ses organes de
contrÎle et se laisser guider par les principes énoncés dans la Recommandation
no R (80) 11 concernant la dĂ©tention provisoire sâagissant, en
particulier, des motifs permettant dâordonner la mise en dĂ©tention provisoire.
12. Il convient de faire un usage aussi large que possible
des alternatives Ă la dĂ©tention provisoire, telles que lâobligation, pour le
suspect, de rĂ©sider Ă une adresse spĂ©cifiĂ©e, lâinterdiction de quitter ou de
gagner un lieu déterminé sans autorisation, la mise en liberté sous caution, ou
le contrĂŽle et le soutien dâun organisme spĂ©cifiĂ© par lâautoritĂ© judiciaire. A
cet Ă©gard, il convient dâĂȘtre attentif aux possibilitĂ©s de contrĂŽler au moyen
de systĂšmes de surveillance Ă©lectroniques lâobligation de demeurer dans un lieu
stipulé.
13. Il sâimpose, pour soutenir le recours efficace et humain
à la détention provisoire, de dégager les ressources financiÚres et humaines
nécessaires et, le cas échéant, de mettre au point les moyens procéduraux et
les techniques de gestion appropriés.
(...)
V. Mesures Ă mettre en Ćuvre
au-delà du procÚs pénal
La mise en Ćuvre des sanctions et mesures
appliquĂ©es dans la communautĂ© â LâexĂ©cution des peines privatives de libertĂ©
22. Pour
faire des sanctions et des mesures appliquées dans la communauté des
alternatives crĂ©dibles aux peines dâemprisonnement de courte durĂ©e, il convient
dâassurer leur mise en Ćuvre efficiente, notamment :
â en mettant
en place lâinfrastructure requise pour lâexĂ©cution et le suivi de ces sanctions
communautaires, en particulier en vue de rassurer les juges et les procureurs
sur leur efficacité ;
â en mettant
au point et en appliquant des techniques fiables de prĂ©vision et dâĂ©valuation
des risques ainsi que des stratĂ©gies de supervision, afin dâidentifier le
risque de récidive du délinquant et de garantir la protection et la sécurité du
public.
23. Il
conviendrait de favoriser le développement des mesures permettant de réduire la
durée effective de la peine purgée, en préférant les mesures individualisées,
telles la libération conditionnelle, aux mesures collectives de gestion du
surpeuplement carcéral (grùces collectives, amnisties).
24. La
libĂ©ration conditionnelle devrait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une des mesures les
plus efficaces et les plus constructives qui, non seulement, réduit la durée de
la détention mais contribue aussi de maniÚre non négligeable à la réintégration
planifiée du délinquant dans la communauté.
25. Il
faudrait, pour promouvoir et étendre le recours à la libération conditionnelle,
crĂ©er dans la communautĂ© les meilleures conditions de soutien et dâaide au
dĂ©linquant ainsi que de supervision de celui-ci, en particulier en vue dâamener
les instances judiciaires ou administratives compétentes à considérer cette
mesure comme une option valable et responsable.
26. Des
programmes de traitement efficaces en cours de détention ainsi que de contrÎle
et de traitement au-delĂ de la libĂ©ration devraient ĂȘtre conçus et mis en Ćuvre
de façon à faciliter la réinsertion des délinquants, à réduire la récidive, à assurer
la sĂ©curitĂ© et la protection du public et Ă inciter les juges et procureurs Ă
considérer les mesures visant à réduire la durée effective de la peine à purger
ainsi que les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, comme des
options constructives et responsables. »
32. La deuxiĂšme partie de la Recommandation Rec(2006)2 du ComitĂ© des Ministres aux Ătats membres sur les RĂšgles pĂ©nitentiaires europĂ©ennes (adoptĂ©e le 11 janvier 2006, lors de la 952e rĂ©union des DĂ©lĂ©guĂ©s des Ministres) est dĂ©diĂ©e aux conditions de dĂ©tention. Dans ses passages pertinents en lâespĂšce, elle se lit comme suit :
« 18.1 Les
locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement des
détenus pendant la nuit, doivent satisfaire aux exigences de respect de la
dignité humaine et, dans la mesure du possible, de la vie privée, et répondre
aux conditions minimales requises en matiĂšre de santĂ© et dâhygiĂšne, compte tenu
des conditions climatiques, notamment en ce qui concerne lâespace au sol, le
volume dâair, lâĂ©clairage, le chauffage et lâaĂ©ration.
18.2 Dans
tous les bĂątiments oĂč des dĂ©tenus sont appelĂ©s Ă vivre, Ă travailler ou Ă se
réunir :
a. les
fenĂȘtres doivent ĂȘtre suffisamment grandes pour que les dĂ©tenus puissent lire
et travailler Ă la lumiĂšre naturelle dans des conditions normales, et pour
permettre lâentrĂ©e dâair frais, sauf sâil existe un systĂšme de climatisation
approprié ;
b. la
lumiĂšre artificielle doit ĂȘtre conforme aux normes techniques reconnues en la
matiĂšre ; et
c. un systĂšme dâalarme doit
permettre aux détenus de contacter le personnel immédiatement.
18.3 Le
droit interne doit définir les conditions minimales requises concernant les
points répertoriés aux paragraphes 1 et 2.
18.4 Le
droit interne doit prévoir des mécanismes garantissant que le respect de ces
conditions minimales ne soit pas atteint à la suite du surpeuplement carcéral.
18.5 Chaque
dĂ©tenu doit en principe ĂȘtre logĂ© pendant la nuit dans une cellule
individuelle, sauf lorsquâil est considĂ©rĂ© comme prĂ©fĂ©rable pour lui quâil
cohabite avec dâautres dĂ©tenus.
18.6 Une
cellule doit ĂȘtre partagĂ©e uniquement si elle est adaptĂ©e Ă un usage collectif
et doit ĂȘtre occupĂ©e par des dĂ©tenus reconnus aptes Ă cohabiter.
18.7 Dans
la mesure du possible, les dĂ©tenus doivent pouvoir choisir avant dâĂȘtre
contraints de partager une cellule pendant la nuit.
18.8 La
décision de placer un détenu dans une prison ou une partie de prison
particuliÚre doit tenir compte de la nécessité de séparer :
a. les prévenus des détenus
condamnés ;
b. les détenus de sexe masculin des
détenus de sexe féminin ; et
c. les jeunes détenus adultes des
détenus plus ùgés.
18.9 Il
peut ĂȘtre dĂ©rogĂ© aux dispositions du paragraphe 8 en matiĂšre de sĂ©paration des dĂ©tenus
afin de permettre à ces derniers de participer ensemble à des activités
organisĂ©es. Cependant les groupes visĂ©s doivent toujours ĂȘtre sĂ©parĂ©s la nuit,
à moins que les intéressés ne consentent à cohabiter et que les autorités
pĂ©nitentiaires estiment que cette mesure sâinscrit dans lâintĂ©rĂȘt de tous les
détenus concernés.
18.10 Les
conditions de logement des détenus doivent satisfaire aux mesures de sécurité
les moins restrictives possible et compatibles avec le risque que les
intĂ©ressĂ©s sâĂ©vadent, se blessent ou blessent dâautres personnes. »
EN DROIT
I. SUR LA JONCTION DES REQUĂTES
33. Compte tenu de la
similitude des requĂȘtes quant aux dolĂ©ances des requĂ©rants et au problĂšme de
fond quâelles posent, la Cour estime nĂ©cessaire de les joindre et dĂ©cide de les
examiner conjointement dans un seul arrĂȘt.
II. SUR LA VIOLATION ALLĂGUĂE DE
LâARTICLE 3 DE LA CONVENTION
34. Invoquant lâarticle 3 de
la Convention, les requérants soutiennent que leurs conditions de détention
respectives dans les établissements pénitentiaires de Busto
Arsizio et de Piacenza
constituent des traitements inhumains et dĂ©gradants. Lâarticle 3 de la
Convention est ainsi libellé :
« Nul ne
peut ĂȘtre soumis Ă la torture ni Ă des peines ou traitements inhumains ou
dégradants. »
35. Le Gouvernement sâoppose
Ă cette thĂšse.
A. Sur la recevabilité
1. Lâexception
tirée du défaut de qualité de victime
36. Le Gouvernement observe
que tous les requérants sauf M. Ghisoni ont été
libĂ©rĂ©s ou transfĂ©rĂ©s dans dâautres cellules aprĂšs lâintroduction de leurs
requĂȘtes. Il est dâavis que ces requĂ©rants ne peuvent plus se prĂ©tendre
victimes de la violation de la Convention quâils allĂšguent et soutient que leurs
requĂȘtes devraient ĂȘtre rejetĂ©es.
37. Les requérants concernés
sây opposent.
38. La Cour rappelle quâune
décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui
retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont
reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la
Convention (voir, par exemple, Eckle
c. Allemagne, 15 juillet 1982, § 69, série A no
51 ; Amuur
c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil
des arrĂȘts et dĂ©cisions 1996-III ; Dalban
c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH
1999-VI ; et Jensen
c. Danemark (déc.), no 48470/99, CEDH 2001-X).
39. Les requérants se
plaignent devant la Cour dâavoir Ă©tĂ© dĂ©tenus dans les prisons de Busto Arsizio et de Piacenza pendant des pĂ©riodes importantes dans des
conditions contraires Ă la Convention. Or, il est vrai quâaprĂšs lâintroduction
de leurs requĂȘtes respectives, les intĂ©ressĂ©s ont Ă©tĂ© soit libĂ©rĂ©s soit
transfĂ©rĂ©s dans dâautres Ă©tablissements pĂ©nitentiaires. Cependant, on ne
saurait considérer que les autorités internes aient ainsi reconnu les
violations allĂ©guĂ©es par les requĂ©rants et ensuite rĂ©parĂ© le prĂ©judice quâils
auraient pu subir du fait des situations quâils dĂ©crivent dans leurs requĂȘtes.
40. La Cour conclut que tous
les requĂ©rants peuvent toujours se prĂ©tendre « victimes » dâune
violation de leurs droits garantis par lâarticle 3 de la Convention.
2. Lâexception
de non-Ă©puisement des voies de recours internes
41. Le Gouvernement excipe
du non-Ă©puisement des voies de recours internes. Il affirme que toute personne
dĂ©tenue ou internĂ©e dans les prisons italiennes peut saisir le juge dâapplication
des peines dâune rĂ©clamation en vertu des articles 35 et 69 de la loi no
354 de 1975. Cette voie de recours serait accessible et effective et
permettrait dâobtenir des dĂ©cisions ayant valeur contraignante et pouvant
redresser dâĂ©ventuelles violations des droits des dĂ©tenus. Selon le
Gouvernement, la procĂ©dure devant le juge dâapplication des peines constitue un
remĂšde pleinement judiciaire, Ă lâissue duquel lâautoritĂ© saisie peut prescrire
Ă lâadministration pĂ©nitentiaire des mesures obligatoires visant lâamĂ©lioration
des conditions de détention de la personne intéressée.
42. Or, le Gouvernement
observe que seul M. Ghisoni, requĂ©rant de lâaffaire no 61535/09,
sâest prĂ©valu de cette possibilitĂ© en introduisant une rĂ©clamation devant le
juge dâapplication des peines de Reggio Emilia et en
obtenant une ordonnance favorable. DâaprĂšs le Gouvernement, cela constitue la
preuve de lâaccessibilitĂ© et de lâeffectivitĂ© de la voie de recours en
question. Il sâensuivrait que les requĂ©rants qui ne se sont pas prĂ©valus dudit
remĂšde nâont pas Ă©puisĂ© les voies de recours internes.
43. Quant Ă lâinexĂ©cution de
la part de lâadministration pĂ©nitentiaire de ladite ordonnance du juge
dâapplication des peines de Reggio Emilia, le
Gouvernement affirme que M. Ghisoni a omis de
demander la mise en exécution de cette décision aux « autorités
judiciaires internes ». Par consĂ©quent il estime que la requĂȘte de M. Ghisoni doit Ă©galement ĂȘtre dĂ©clarĂ©e irrecevable pour
non-Ă©puisement des voies de recours internes.
44. Les requérants
soutiennent que le systĂšme italien nâoffre aucune voie de recours permettant de
remĂ©dier au surpeuplement des prisons italiennes et dâobtenir une amĂ©lioration
des conditions de détention.
45. En particulier, ils
allĂšguent lâineffectivitĂ© de la procĂ©dure devant le juge dâapplication des
peines. Ils observent tout dâabord que le recours en question ne constitue pas
un remÚde judiciaire mais un recours de type administratif, les décisions du
juge nâĂ©tant nullement contraignantes pour les directions des Ă©tablissements
pénitentiaires. Ils soutiennent par ailleurs que de nombreux détenus ont essayé
dâamĂ©liorer leurs mauvaises conditions carcĂ©rales par le biais de rĂ©clamations
au juge dâapplication des peines, sans toutefois nâobtenir aucun rĂ©sultat. Par
consĂ©quent, ils sâestiment dispensĂ©s de lâobligation dâĂ©puiser ce remĂšde.
46. M. Ghisoni,
quant à lui, soutient avoir épuisé les voies de recours internes en saisissant
le juge dâapplication des peines de Reggio Emilia
dâune rĂ©clamation sur le fondement des articles 35 et 69 de la loi sur
lâadministration pĂ©nitentiaire. Son expĂ©rience serait la preuve de
lâineffectivitĂ© de la voie de recours indiquĂ©e par le Gouvernement.
Il allĂšgue que
lâordonnance rendue par le juge dâapplication des peines le
20 août 2010, reconnaissant que les conditions carcérales à la prison
de Piacenza Ă©taient inhumaines et ordonnant aux
autorités administratives compétentes de mettre en place toutes les mesures
nĂ©cessaires pour y remĂ©dier dâurgence, est restĂ©e lettre morte pendant
plusieurs mois. Il ne voit pas quelle autre démarche il aurait pu accomplir pour
obtenir une exĂ©cution rapide de lâordonnance.
47. La Cour rappelle que la
rĂšgle de lâĂ©puisement des voies de recours internes vise Ă mĂ©nager aux Ătats
contractants lâoccasion de prĂ©venir ou de redresser les violations allĂ©guĂ©es contre
eux avant que ces allégations ne lui soient soumises (voir, parmi beaucoup
dâautres, Remli c. France, 23 avril 1996,
§ 33, Recueil 1996-II,
et Selmouni c. France [GC], no
25803/94, § 74, CEDH 1999-V). Cette rĂšgle se fonde sur lâhypothĂšse, objet de lâarticle 13
de la Convention â et avec lequel elle prĂ©sente dâĂ©troites affinitĂ©s â, que
lâordre interne offre un recours effectif quant Ă la violation allĂ©guĂ©e (Kudła c. Pologne [GC], no
30210/96, § 152, CEDH 2000-XI).
48. Cependant, lâobligation
dĂ©coulant de lâarticle 35
se limite Ă celle de faire un usage normal des recours vraisemblablement
effectifs, suffisants et accessibles (entre autres, Vernillo c. France, 20 février 1991,
§ 27, sĂ©rie A no 198). En particulier, la Convention ne prescrit lâĂ©puisement que des
recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats.
Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie
mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent lâeffectivitĂ© et
lâaccessibilitĂ© voulues (Dalia c. France, 19 fĂ©vrier 1998,
§ 38, Recueil 1998-I).
De plus, selon les « principes de droit international généralement
reconnus », certaines circonstances particuliÚres peuvent dispenser le
requĂ©rant de lâobligation dâĂ©puiser les voies de recours internes qui sâoffrent
Ă lui. Cette rĂšgle ne sâapplique pas non plus lorsquâest prouvĂ©e lâexistence
dâune pratique administrative consistant en la rĂ©pĂ©tition dâactes interdits par
la Convention et la tolĂ©rance officielle de lâEtat, de sorte que toute
procĂ©dure serait vaine ou ineffective (Aksoy c. Turquie, arrĂȘt du
18 décembre 1996, Recueil 1996-VI,
§ 52).
49. Enfin, lâarticle 35 § 1 de la
Convention prévoit une répartition de la charge de la preuve. Pour ce qui
concerne le Gouvernement, lorsquâil excipe du non-Ă©puisement, il doit
convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie
quâen pratique Ă lâĂ©poque des faits, câest-Ă -dire quâil Ă©tait accessible, Ă©tait
susceptible dâoffrir au requĂ©rant le redressement de ses griefs et prĂ©sentait
des perspectives raisonnables de succĂšs (Akdivar et autres c. Turquie, 16
septembre 1996, § 68, Recueil 1996‑IV ; et Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00,
§ 46, CEDH 2006-II).
50. En particulier, la
Cour a dĂ©jĂ eu lâoccasion dâindiquer que dans lâapprĂ©ciation de lâeffectivitĂ©
des remÚdes concernant des allégations de mauvaises conditions de détention, la
question décisive est de savoir si la personne intéressée peut obtenir des juridictions
internes un redressement direct et approprié, et pas simplement une protection
indirecte de ses droits garantis par lâarticle 3 de la Convention (voir, entre
autres, Mandić et Jović c.
Slovénie, nos 5774/10 et 5985/10, § 107, 20 octobre 2011). Ainsi, un recours exclusivement en
rĂ©paration ne saurait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme suffisant sâagissant des allĂ©gations
de conditions dâinternement ou de dĂ©tention prĂ©tendument contraires Ă lâarticle
3, dans la mesure oĂč il nâa pas
un effet « prĂ©ventif » en ce sens quâil nâest pas Ă mĂȘme dâempĂȘcher
la continuation de la violation allĂ©guĂ©e ou de permettre aux dĂ©tenus dâobtenir
une amélioration de leurs conditions matérielles de détention (Cenbauer
c. Croatie (déc), no73786/01,
5 février 2004 ; Norbert
Sikorski c. Pologne, no 17599/05, § 116,
22 octobre 2009 ; Mandić et Jović c. SlovĂ©nie, prĂ©citĂ© § 116 ; Parascineti c. Roumanie, no 32060/05, § 38, 13 mars 2012).
En ce sens, pour quâun systĂšme de protection des
droits des dĂ©tenus garantis par lâarticle 3 de la Convention soit effectif, les
remÚdes préventifs et compensatoires doivent coexister de façon complémentaire
(Ananyev et autres c. Russie, nos
42525/07 et 60800/08, § 98, 10 janvier 2012).
51. En
lâespĂšce, la Cour doit dĂ©terminer si la rĂ©clamation devant le juge italien de
lâapplication des peines constitue une voie de recours rĂ©pondant aux critĂšres
Ă©tablis par elle dans sa jurisprudence. Tout dâabord, elle relĂšve que les
parties ne sâaccordent pas quant Ă la nature du remĂšde en question, le
Gouvernement alléguant la nature pleinement juridictionnelle de la procédure
devant le juge dâapplication des peines, tandis que les requĂ©rants estiment
que, vu sa nature simplement administrative, il ne sâagit pas dâun remĂšde Ă
Ă©puiser. Or, la Cour estime que cette question nâest pas dĂ©terminante dans la
mesure oĂč elle a dĂ©jĂ relevĂ© que, dans certaines circonstances, les voies de nature administrative
peuvent sâavĂ©rer efficaces â et constituer donc des remĂšdes Ă Ă©puiser â
sâagissant de griefs relatifs Ă lâapplication de la rĂ©glementation relative au
régime carcéral (Norbert
Sikorski c. Pologne, précité, §
111).
52. Cela
Ă©tant, il reste Ă trancher la question de lâeffectivitĂ© en pratique de la voie de
recours indiquĂ©e en lâespĂšce par le gouvernement dĂ©fendeur. A cet Ă©gard, la
Cour constate quâen dĂ©pit de lâaffirmation de celui-ci selon laquelle les
dĂ©cisions rendues par les juges dâapplication des peines dans le cadre de la
procĂ©dure prĂ©vue par la loi sur lâadministration pĂ©nitentiaire ont force
obligatoire pour les autoritĂ©s administratives compĂ©tentes, lâordonnance du
juge de Reggio Emilia du 20 août 2010, favorable
Ă M. Ghisoni et Ă ses codĂ©tenus et emportant adoption dâurgence de mesures adĂ©quates, est
restée longtemps inexécutée. Il ressort du dossier que le requérant ne fut
transfĂ©rĂ© dans une cellule pour deux personnes, disposant ainsi dâun espace
compatible avec les normes europĂ©ennes, quâen fĂ©vrier 2011. A cet Ă©gard, le
Gouvernement sâest bornĂ© Ă soutenir que les intĂ©ressĂ©s auraient dĂ» solliciter
lâexĂ©cution rapide de ladite ordonnance auprĂšs des « autoritĂ©s judiciaires
internes », sans par ailleurs préciser lesquelles.
53. Aux
yeux de la Cour, il est difficile de concilier cette derniĂšre affirmation du
Gouvernement avec lâeffectivitĂ© allĂ©guĂ©e de la procĂ©dure de rĂ©clamation devant
le juge dâapplication des peines. Elle observe que, Ă supposer mĂȘme quâil
existe une voie de recours visant lâexĂ©cution des ordonnances des juges
dâapplication des peines, ce qui nâa nullement Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© par le
Gouvernement, on ne saurait prĂ©tendre quâun dĂ©tenu ayant obtenu une dĂ©cision
favorable multiplie les recours afin dâobtenir la reconnaissance de ses droits
fondamentaux au niveau de lâadministration pĂ©nitentiaire.
54. Par ailleurs, la Cour a dĂ©jĂ observĂ© que le dysfonctionnement des remĂšdes « prĂ©ventifs » dans des situations de surpeuplement carcĂ©ral est largement dĂ©pendant de la nature structurelle du phĂ©nomĂšne (Ananyev et autres c. Russie, prĂ©citĂ©, § 111). Or, il ressort des dossiers des prĂ©sentes requĂȘtes, ainsi que des rapports sur la situation du systĂšme pĂ©nitentiaire italien, non remise en cause par le Gouvernement devant la Cour, que les Ă©tablissements pĂ©nitentiaires de Busto Arsizio et de Piacenza sont largement surpeuplĂ©s, Ă lâinstar dâun grand nombre de prisons italiennes, si bien que le surpeuplement carcĂ©ral en Italie sâapparente Ă un phĂ©nomĂšne structurel et ne concerne pas exclusivement le cas particulier des requĂ©rants (voir, notamment, Mamedova c. Russie, no 7064/05, § 56, 1er juin 2006 ; Norbert Sikorski c. Pologne, prĂ©citĂ©, § 121). Dans ces conditions, on peut facilement concevoir que les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires italiennes ne soient pas en mesure dâexĂ©cuter les dĂ©cisions des juges dâapplication des peines et de garantir aux dĂ©tenus des conditions de dĂ©tention conformes Ă la Convention.
55. Au vu de ces
circonstances, la Cour considĂšre quâil nâa pas Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© que la voie de recours indiquĂ©e par le
Gouvernement, compte tenu notamment de la situation actuelle du systĂšme
pĂ©nitentiaire, est effective en pratique, câest-Ă -dire susceptible dâempĂȘcher
la continuation de la violation allĂ©guĂ©e et dâassurer aux requĂ©rants une amĂ©lioration
de leurs conditions matérielles de détention. DÚs lors, ceux-ci
nâĂ©taient pas tenus de lâĂ©puiser avant de saisir la Cour.
56. Partant, la Cour estime
quâil convient de rejeter Ă©galement lâexception de non-Ă©puisement soulevĂ©e par
le Gouvernement. Elle constate que les requĂȘtes ne
sont pas manifestement mal fondĂ©es au sens de lâarticle 35 § 3 a) de la
Convention. Relevant par ailleurs quâelles ne se heurtent Ă aucun autre motif
dâirrecevabilitĂ©, elle les dĂ©clare donc recevables.
B. Sur le fond
1. Arguments
des parties
57. Les requérants se
plaignent du manque dâespace vital dans leurs cellules respectives. Ayant tous
partagĂ© des cellules de 9 mÂČ avec deux autres personnes, ils nâauraient
donc disposĂ© que dâun espace personnel de 3 mÂČ. Cet espace, dĂ©jĂ
insuffisant, était par ailleurs encore restreint par la présence de mobilier
dans les cellules.
58. En outre, les requérants
allĂšguent lâexistence de graves problĂšmes de distribution dâeau chaude dans les
établissements pénitentiaires de Busto Arsizio et de Piacenza. Ils
affirment que la pĂ©nurie dâeau chaude a longtemps limitĂ© Ă trois fois par
semaine lâaccĂšs Ă la douche. Enfin, les requĂ©rants dĂ©tenus Ă Piacenza se plaignent de lâapposition aux fenĂȘtres des
cellules de lourds barreaux mĂ©talliques empĂȘchant lâair et la lumiĂšre du jour
dâentrer dans les locaux.
59. Le Gouvernement sâoppose
aux arguments des requérants, soutenant de maniÚre générale que les conditions
de dĂ©tention dĂ©noncĂ©es par les intĂ©ressĂ©s nâatteignent en aucun cas le seuil
minimum de gravitĂ© requis par lâarticle 3 de la Convention.
60. Concernant
lâĂ©tablissement pĂ©nitentiaire de Busto Arsizio, le Gouvernement affirme que la situation est sous
le contrĂŽle des autoritĂ©s, le surpeuplement dans cet Ă©tablissement nâayant pas
atteint un seuil prĂ©occupant. Il indique quâĂ la date du
8 fĂ©vrier 2011, lâĂ©tablissement, qui est prĂ©vu pour hĂ©berger 297
personnes, accueillait 439 dĂ©tenus. Il reconnaĂźt quâun troisiĂšme lit a Ă©tĂ©
ajouté dans les cellules en raison de la situation de surpeuplement dans
lâĂ©tablissement. Cependant, le fait de partager une cellule de 9 mÂČ avec
deux autres personnes ne constituerait pas un traitement inhumain ou dégradant.
Par ailleurs, le Gouvernement ne soutient que le problĂšme du manque dâeau
chaude dans lâĂ©tablissement dĂ©noncĂ© par les requĂ©rants est Ă prĂ©sent rĂ©solu
grĂące Ă lâinstallation dâun nouveau systĂšme de distribution hydrique.
61. Pour ce qui est des
conditions de détention à la prison de Piacenza, le
Gouvernement soutient que la capacitĂ© maximale de lâĂ©tablissement est de 346
personnes. Or, selon lui, il accueillait 412 personnes le 11 mars 2011. Le
Gouvernement en conclut que le surpeuplement dans cet Ă©tablissement, bien que
rĂ©el, nâatteint pas des proportions prĂ©occupantes.
62. DâaprĂšs le Gouvernement,
les cellules de la prison de Piacenza ont une
superficie de 11 mÂČ, contrairement aux affirmations des requĂ©rants, et
sont gĂ©nĂ©ralement occupĂ©es par deux personnes. NĂ©anmoins, il admet quâun
troisiÚme détenu a été placé dans certaines cellules de la prison pendant des
périodes limitées, dans le but de faire face à la croissance de la population
carcérale.
63. Selon le Gouvernement,
les requĂ©rants nâont ni prouvĂ© avoir disposĂ© dâun espace personnel infĂ©rieur Ă
3 mÂČ, ni prĂ©cisĂ© la durĂ©e de leur maintien dans les conditions allĂ©guĂ©es
devant la Cour. DÚs lors, leurs doléances ne seraient pas suffisamment étayées.
64. Quant aux autres
traitements allégués par les requérants, le Gouvernement affirme que le
problĂšme de la pĂ©nurie dâeau chaude dans la prison de Piacenza
était lié à un dysfonctionnement de la station de pompage et a maintenant été
rĂ©solu par les autoritĂ©s et que, dĂšs lors, il est possible Ă prĂ©sent dâaccĂ©der
Ă la douche tous les jours. Enfin, le Gouvernement soutient que les dĂ©tenus Ă
la prison de Piacenza passent quatre heures par jour
Ă lâextĂ©rieur de leurs cellules et consacrent deux heures supplĂ©mentaires aux
activités sociales.
2. Principes
Ă©tablis dans la jurisprudence de la Cour
65. La Cour relĂšve que les
mesures privatives de liberté impliquent habituellement pour un détenu certains
inconvĂ©nients. Toutefois, elle rappelle que lâincarcĂ©ration ne fait pas perdre
à un détenu le bénéfice des droits garantis par la Convention. Au
contraire, dans certains cas, la personne incarcĂ©rĂ©e peut avoir besoin dâune
protection accrue en raison de la vulnérabilité de sa situation et parce
quâelle se trouve entiĂšrement sous la responsabilitĂ© de lâĂtat. Dans ce
contexte, lâarticle 3
fait peser sur les autoritĂ©s une obligation positive qui consiste Ă sâassurer
que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le
respect de la dignitĂ© humaine, que les modalitĂ©s dâexĂ©cution de la mesure ne
soumettent pas lâintĂ©ressĂ© Ă une dĂ©tresse ou Ă une Ă©preuve dâune intensitĂ©
qui excÚde le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que,
eu Ă©gard aux exigences pratiques de lâemprisonnement, la santĂ© et le bien-ĂȘtre
du prisonnier sont assurĂ©s de maniĂšre adĂ©quate (Kudła
c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH
2000-XI ; Norbert
Sikorski c. Pologne, précité § 131).
66. Sâagissant des
conditions de détention, la Cour prend en compte les effets cumulatifs de
celles-ci ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Dougoz
c. GrĂšce, nÂș 40907/98, CEDH 2001-II). En particulier, le
temps pendant lequel un individu a été détenu dans les conditions incriminées
constitue un facteur important à considérer (Alver
c. Estonie, no 64812/01, 8 novembre 2005).
67. Lorsque la surpopulation
carcĂ©rale atteint un certain niveau, le manque dâespace dans un Ă©tablissement
pĂ©nitentiaire peut constituer lâĂ©lĂ©ment central Ă prendre en compte dans
lâapprĂ©ciation de la conformitĂ© dâune situation donnĂ©e Ă lâarticle 3
(voir, en ce sens, Karalevičius
c. Lituanie, no 53254/99, 7 avril 2005).
68. Ainsi, dĂšs lors quâelle
a été confrontée à des cas de surpopulation sévÚre, la Cour a jugé que cet
Ă©lĂ©ment, Ă lui seul, suffit pour conclure Ă la violation de lâarticle 3 de la
Convention. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, bien que lâespace estimĂ© souhaitable par le CPT
pour les cellules collectives soit de 4 mÂČ, il sâagit de cas de figure oĂč
lâespace personnel accordĂ© Ă un requĂ©rant Ă©tait infĂ©rieur Ă 3 mÂČ (Kantyrev
c. Russie, no 37213/02, §§ 50-51,
21 juin 2007 ; AndreĂŻ
Frolov c. Russie, no
205/02, §§ 47-49, 29 mars 2007 ; Kadikis
c. Lettonie, no 62393/00, § 55, 4 mai
2006 ; Sulejmanovic c. Italie, no 22635/03, § 43, 16 juillet 2009).
69. En revanche, dans des affaires
oĂč la surpopulation nâĂ©tait pas importante au point de soulever Ă elle seule un
problĂšme sous lâangle de lâarticle 3, la Cour a notĂ© que dâautres aspects des
conditions de dĂ©tention Ă©taient Ă prendre en compte dans lâexamen du respect de
cette disposition. Parmi ces Ă©lĂ©ments figurent la possibilitĂ© dâutiliser les
toilettes de maniĂšre privĂ©e, lâaĂ©ration disponible, lâaccĂšs Ă la lumiĂšre et Ă
lâair naturels, la qualitĂ© du chauffage et le respect des exigences sanitaires
de base (voir également les éléments ressortant des rÚgles pénitentiaires
européennes adoptées par le Comité des Ministres, citées au paragraphe 32
ci-dessus). Aussi, mĂȘme dans des affaires oĂč chaque dĂ©tenu disposait de 3 Ă 4
mÂČ, la Cour a conclu Ă la violation de lâarticle 3 dĂšs lors que le manque
dâespace sâaccompagnait dâun manque de ventilation et de lumiĂšre (Moisseiev c. Russie, no
62936/00, 9 octobre 2008 ; voir Ă©galement Vlassov c. Russie, no
78146/01, § 84, 12 juin 2008 ;
Babouchkine c. Russie, no 67253/01, § 44,
18 octobre 2007) ; dâun accĂšs limitĂ© Ă la promenade en plein air (IstvĂĄn GĂĄbor KovĂĄcs c. Hongrie, no 15707/10, § 26, 17 janvier 2012) ou dâun manque total dâintimitĂ© dans les cellules (voir, mutatis mutandis, Belevitskiy c. Russie, no 72967/01,
§§ 73-79, 1er mars 2007 ; Khudoyorov
c. Russie, no 6847/02, §§ 106-107, ECHR 2005-X
(extraits) ; et Novoselov c. Russie, no
66460/01, §§ 32 et 40-43, 2 juin 2005).
3. Application
des principes susmentionnés aux présentes affaires
70. La Cour observe tout dâabord
que le Gouvernement nâa pas contestĂ© que MM. Torreggiani,
Biondi et Bamba ont occupé tout au long de leur
détention à la prison de Busto Arsizio
des cellules de 9 mÂČ, chacun avec deux autres personnes.
71. En revanche, les versions
des parties divergent quant aux dimensions des cellules occupées par les
requérants détenus à la prison de Piacenza et au
nombre dâoccupants de celles-ci. Chacun des cinq requĂ©rants concernĂ©s affirme
partager des cellules de 9 mÂČ avec deux autres personnes, tandis que le
Gouvernement soutient que les cellules en question mesurent 11 mÂČ et sont en
rÚgle générale occupées par deux personnes. La Cour note par ailleurs que le
Gouvernement nâa fourni aucun document au sujet des requĂ©rants concernĂ©s ni nâa
prĂ©sentĂ© dâinformations concernant les dimensions rĂ©elles des cellules occupĂ©s
par ceux-ci. Selon lui, il appartient aux requérants de prouver la réalité de
leurs affirmations concernant lâespace personnel dont ils disposent et la durĂ©e
du traitement allégué devant la Cour.
72. Sensible
à la vulnérabilité particuliÚre des personnes se trouvant sous le contrÎle
exclusif des agents de lâĂtat, telles les personnes dĂ©tenues, la Cour rĂ©itĂšre
que la procédure prévue par la Convention ne se
prĂȘte pas toujours Ă une application rigoureuse du principe affirmanti incumbit probatio (la
preuve incombe Ă celui qui affirme) car,
inévitablement, le gouvernement défendeur est parfois seul à avoir accÚs aux
informations susceptibles de confirmer ou dâinfirmer les affirmations du
requérant (Khoudoyorov
c. Russie, no 6847/02, § 113, CEDH 2005-X
(extraits) ; et Benediktov c. Russie, no
106/02, § 34, 10 mai 2007 ; BrĂąnduşe c. Roumanie, no 6586/03, § 48, 7 avril 2009 ; Ananyev et autres c. Russie, prĂ©citĂ©,
§ 123). Il
sâensuit que le simple fait que la version du Gouvernement contredit celle
fournie par le requĂ©rant ne saurait, en lâabsence de tout document ou
explication pertinents de la part du Gouvernement, amener la Cour Ă rejeter des
allĂ©gations de lâintĂ©ressĂ© comme non Ă©tayĂ©es (Ogică c. Roumanie, no 24708/03, § 43, 27 mai 2010).
73. DĂšs lors, dans la mesure
oĂč le Gouvernement nâa pas soumis Ă la Cour des informations pertinentes
propres Ă justifier ses affirmations, la Cour examinera la question des
conditions de détention des requérants sur la base des allégations des
intĂ©ressĂ©s et Ă la lumiĂšre de lâensemble des informations en sa possession.
74. A cet Ă©gard, elle note
que les versions des requérants détenus à Piacenza
sont unanimes quant aux dimensions de leurs cellules. De plus, la circonstance
que la majoritĂ© des locaux de dĂ©tention dudit Ă©tablissement mesurent 9 mÂČ
est confirmĂ©e par les ordonnances du juge dâapplication des peines de Reggio Emilia (paragraphe 11 ci-dessus). Sâagissant du
nombre de personnes accueillies dans les cellules, le Gouvernement nâa prĂ©sentĂ©
aucun document pertinent extrait des registres de la prison, alors quâil est le
seul Ă avoir accĂšs Ă ce genre dâinformations, tout en reconnaissant que la
situation de surpeuplement Ă la prison de Piacenza a
rendu nĂ©cessaire le placement dâune troisiĂšme personne dans certaines cellules
de lâĂ©tablissement.
75. En lâabsence de tout
document prouvant le contraire et compte tenu de la situation de surpeuplement
gĂ©nĂ©ralisĂ© Ă la prison de Piacenza, la Cour nâa
aucune raison de douter des allégations de MM. Sela, Ghisoni, Hajjoubi et Haili selon lesquelles ils ont partagé leurs cellules avec
deux autres personnes, disposant ainsi, Ă lâinstar de MM. Torreggiani,
Bamba et Biondi (voir paragraphe 70 ci-dessus), dâun
espace vital individuel de 3 mÂČ. Elle observe que cet espace Ă©tait par
ailleurs encore restreint par la présence de mobilier dans les cellules.
76. Au vu de ce qui précÚde,
la Cour considĂšre que les requĂ©rants nâont pas bĂ©nĂ©ficiĂ© dâun espace de vie
conforme aux critĂšres quâelle a jugĂ©s acceptables par sa jurisprudence. Elle
souhaite rappeler encore une fois dans ce contexte que la norme en matiĂšre
dâespace habitable dans les cellules collectives recommandĂ©e par le CPT est de
quatre mÚtres carrés (Ananyev et autres, précité,
§§ 144 et 145).
77. La Cour observe ensuite
que le manque dâespace sĂ©vĂšre dont les sept requĂ©rants ont souffert pendant des
périodes comprises entre quatorze mois et cinquante-quatre mois (paragraphes 6
et 7 ci-dessus), qui représente en soi un traitement contraire à la Convention,
semble avoir Ă©tĂ© encore aggravĂ© par dâautres traitements allĂ©guĂ©s par les
intĂ©ressĂ©s. Le manque dâeau chaude dans les deux Ă©tablissements pendant de
longues pĂ©riodes, qui a Ă©tĂ© reconnu par le Gouvernement, ainsi que lâĂ©clairage
et la ventilation insuffisants dans les cellules de la prison de Piacenza, sur lesquels le Gouvernement ne sâest pas
exprimĂ©, nâont pas manquĂ© dâengendrer chez les requĂ©rants une souffrance
supplémentaire, bien que ne constituant pas en soi un traitement inhumain et
dégradant.
78. MĂȘme si la Cour admet
quâen lâespĂšce rien nâindique quâil y ait eu intention dâhumilier ou de
rabaisser les requĂ©rants, lâabsence dâun tel but ne saurait exclure un constat
de violation de lâarticle 3 (voir, parmi dâautres, Peers c. GrĂšce, no 28524/95, § 74, CEDH 2001‑III). La Cour estime
que les conditions de détention en cause, compte tenu également de la durée
dâincarcĂ©ration des requĂ©rants, ont soumis les intĂ©ressĂ©s Ă une Ă©preuve dâune
intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la
détention.
79. Partant, il y a eu
violation de lâarticle 3 de la Convention.
III. SUR LâAPPLICATION DE
LâARTICLE 46 DE LA CONVENTION
80. Aux termes de lâarticle
46 de la Convention :
« 1. Les
Hautes Parties contractantes sâengagent Ă se conformer aux arrĂȘts dĂ©finitifs de
la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. LâarrĂȘt
définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille
lâexĂ©cution. »
A. Arguments des parties
81. Le Gouvernement ne sâoppose pas Ă
lâapplication de la procĂ©dure de lâarrĂȘt pilote prĂ©vue par lâarticle 46 de la
Convention, tout en faisant observer que les autorités italiennes ont mis en
place une série de mesures importantes visant la résolution du problÚme du
surpeuplement carcéral. Il exhorte la Cour à prendre en considération les
efforts dĂ©ployĂ©s par lâĂtat italien.
82. Les requĂ©rants allĂšguent lâexistence
en Italie dâun problĂšme structurel et se dĂ©clarent favorables Ă lâapplication
de la procédure en question. Seul M. Torreggiani
(requĂȘte no 43517/09) sâest opposĂ© Ă lâapplication de la
procĂ©dure de lâarrĂȘt pilote, au motif quâil nâaccepte pas que son cas reçoive
un traitement similaire Ă celui dâautres requĂ©rants.
B. Appréciation de la Cour
1. Principes
généraux pertinents
83. La Cour rappelle que, tel
quâinterprĂ©tĂ© Ă la lumiĂšre de lâarticle 1 de la Convention, lâarticle 46 crĂ©e
pour lâĂtat dĂ©fendeur lâobligation juridique de mettre en Ćuvre, sous le
contrÎle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou individuelles qui
sâimposent pour sauvegarder le droit du requĂ©rant dont la Cour a constatĂ© la
violation. Des mesures de ce type doivent aussi ĂȘtre prises Ă lâĂ©gard dâautres
personnes dans la mĂȘme situation que lâintĂ©ressĂ©, lâĂtat Ă©tant censĂ© mettre un
terme aux problĂšmes Ă lâorigine des constats opĂ©rĂ©s par la Cour (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98
et 41963/98, § 249, CEDH 2000‑VIII ; S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos
30562/04 et 30566/04, § 134, 4 décembre 2008).
84. Afin de faciliter une mise en Ćuvre
effective de ses arrĂȘts suivant le principe ci-dessus, la Cour peut adopter une
procĂ©dure dâarrĂȘt pilote lui permettant de mettre clairement en lumiĂšre, dans
son arrĂȘt, lâexistence de problĂšmes structurels Ă lâorigine des violations et
dâindiquer les mesures ou actions particuliĂšres que lâĂtat dĂ©fendeur devra
prendre pour y remédier (Hutten-Czapska c. Pologne [GC], no 35014/97, §§
231-239 et son dispositif, CEDH 2006‑VIII, et Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, §§ 189-194 et son dispositif, CEDH
2004‑V). Lorsquâelle adopte pareille dĂ©marche, elle tient cependant
dûment compte des attributions respectives des organes de la Convention :
en vertu de lâarticle 46 § 2 de la Convention, il appartient au
ComitĂ© des Ministres dâĂ©valuer la mise en Ćuvre des mesures individuelles ou
gĂ©nĂ©rales prises en exĂ©cution de lâarrĂȘt de la Cour (voir, mutatis mutandis, Broniowski c. Pologne (rĂšglement amiable) [GC], no 31443/96,
§ 42, CEDH 2005‑IX).
85. Un autre but important poursuivi par
la procĂ©dure dâarrĂȘt pilote est dâinciter lâĂtat dĂ©fendeur Ă trouver, au niveau
national, une solution aux nombreuses affaires individuelles nĂ©es du mĂȘme
problĂšme structurel, donnant ainsi effet au principe de subsidiaritĂ© qui est Ă
la base du systĂšme de la Convention (Bourdov c. Russie
(no 2), no 33509/04, § 127, CEDH 2009). En effet, la Cour
ne sâacquitte pas forcĂ©ment au mieux de sa tĂąche, qui consiste selon lâarticle
19 de la Convention à « assurer le respect des engagements résultant pour les
Hautes Parties contractantes de la (...) Convention et de ses Protocoles », en
rĂ©pĂ©tant les mĂȘmes conclusions dans un grand nombre dâaffaires (ibidem).
86. La procĂ©dure dâarrĂȘt pilote a pour
objet de faciliter la rĂ©solution la plus rapide et la plus effective dâun
dysfonctionnement systémique affectant la protection du droit conventionnel en
cause dans lâordre juridique interne (Wolkenberg et autres
c. Pologne (déc.), no 50003/99, § 34, CEDH 2007
(extraits)). Si elle doit tendre principalement au rĂšglement de ces
dysfonctionnements et à la mise en place, le cas échéant, de recours internes
effectifs permettant de dĂ©noncer les violations commises, lâaction de lâĂtat
dĂ©fendeur peut aussi comprendre lâadoption de solutions ad hoc telles que des rĂšglements amiables avec les requĂ©rants ou
des offres unilatĂ©rales dâindemnisation, en conformitĂ© avec les exigences de la
Convention (Bourdov
(no 2), précité, § 127).
2. Application en lâespĂšce des principes susmentionnĂ©s
a) Sur lâexistence dâune situation incompatible
avec la Convention appelant lâapplication de la procĂ©dure
de lâarrĂȘt pilote en lâespĂšce
87. La Cour vient de
constater que la surpopulation carcérale en Italie ne concerne pas
exclusivement les cas des requérants (paragraphe 54 ci-dessus). Elle relÚve notamment que le caractÚre
structurel et systémique du surpeuplement carcéral en Italie ressort clairement
des données statistiques indiquées plus haut ainsi que des termes de la
dĂ©claration de lâĂ©tat dâurgence au niveau national proclamĂ©e par le prĂ©sident du
Conseil des ministres italien en 2010 (paragraphes 23-29 ci-dessus).
88. Lâensemble de ces
données fait apparaßtre que la violation du droit des requérants de bénéficier
de conditions de dĂ©tention adĂ©quates nâest pas la consĂ©quence dâincidents
isolĂ©s mais tire son origine dâun problĂšme systĂ©mique rĂ©sultant dâun
dysfonctionnement chronique propre au systÚme pénitentiaire italien, qui a
touchĂ© et est susceptible de toucher encore Ă lâavenir de nombreuses personnes
(voir, mutatis mutandis, Broniowski c. Pologne, précité, § 189).
Selon la Cour, la situation constatĂ©e en lâespĂšce est, dĂšs lors, constitutive
dâune pratique incompatible avec la Convention (Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 22,
CEDH 1999‑V ; Bourdov
(no 2), précité, § 135).
89. Par ailleurs, le
caractÚre structurel du problÚme identifié dans les présentes affaires est
confirmĂ© par le fait que plusieurs centaines de requĂȘtes dirigĂ©es contre
lâItalie et soulevant un problĂšme de compatibilitĂ© avec lâarticle 3 de la
Convention des conditions de détention inadéquates liées à la surpopulation
carcérale dans différentes prisons italiennes sont actuellement pendantes
devant elle. Le nombre de ce type de requĂȘtes ne cesse dâaugmenter.
90. Conformément aux critÚres
Ă©tablis dans sa jurisprudence, la Cour dĂ©cide dâappliquer la procĂ©dure de
lâarrĂȘt pilote en lâespĂšce, eu Ă©gard au nombre croissant de personnes
potentiellement concernĂ©es en Italie et aux arrĂȘts de violation auxquels les
requĂȘtes en question pourraient donner lieu (Maria Atanasiu et autres c. Roumanie, nos
30767/05 et 33800/06, §§ 217-218, 12 octobre 2010). Elle relÚve aussi le besoin
urgent dâoffrir aux personnes concernĂ©es un redressement appropriĂ© Ă lâĂ©chelon
national (Bourdov
(no 2), précité, §§ 129-130).
b) Mesures à caractÚre général
91. La Cour rappelle que ses
arrĂȘts ont un caractĂšre essentiellement dĂ©claratoire et quâil appartient en
principe Ă lâĂtat dĂ©fendeur de choisir, sous le contrĂŽle du ComitĂ© des
Ministres, les moyens de sâacquitter de son obligation juridique au regard de
lâarticle 46 de la Convention (Scozzari et Giunta, prĂ©citĂ©, § 249).
92. Elle observe que lâĂtat
italien a récemment pris des mesures susceptibles de contribuer à réduire le
phénomÚne de la surpopulation dans les établissements pénitentiaires et les
conséquences de celle-ci. Elle se félicite des démarches accomplies par les
autoritĂ©s nationales et ne peut quâencourager lâĂtat italien Ă poursuivre ses
efforts.
NĂ©anmoins,
force est de constater que, malgré les efforts à la fois législatifs et
logistiques entrepris par lâItalie en 2010, le taux national de surpeuplement
demeurait trÚs élevé en avril 2012 (celui-ci étant passé de 151 % en
2010 Ă 148 % en 2012). Elle observe que ce bilan mitigĂ© est dâautant plus
prĂ©occupant que le plan dâintervention dâurgence Ă©laborĂ© par les autoritĂ©s
nationales a une durée limitée dans le temps, dÚs lors que la fin des travaux
de construction de nouveaux établissements pénitentiaires est prévue pour la
fin de lâannĂ©e 2012 et que les dispositions en matiĂšre dâexĂ©cution de la peine,
qui ont un caractĂšre extraordinaire, ne sont applicables que jusquâĂ fin 2013
(paragraphe 27 ci-dessus).
93. La Cour est consciente que des efforts consĂ©quents et soutenus sur le long terme sont nĂ©cessaires pour rĂ©soudre le problĂšme structurel du surpeuplement carcĂ©ral. Toutefois, elle rappelle quâau vu du caractĂšre intangible du droit protĂ©gĂ© par lâarticle 3 de la Convention, lâĂtat est tenu dâorganiser son systĂšme pĂ©nitentiaire de telle sorte que la dignitĂ© des dĂ©tenus soit respectĂ©e (Mamedova c. Russie, no 7064/05, § 63, 1er juin 2006).
94. En particulier, lorsque lâĂtat nâest
pas en mesure de garantir à chaque détenu des conditions de détention conformes
Ă lâarticle 3 de la Convention, la Cour lâencourage Ă agir de sorte Ă rĂ©duire
le nombre de personnes incarcérées, notamment en appliquant davantage des
mesures punitives non privatives de liberté (Norbert Sikorski, précité, § 158) et en réduisant au minimum
le recours à la détention provisoire (entre autres, Ananyev et autres, précité, § 197).
Ă ce dernier
égard, la Cour est frappée par le fait que 40 % environ des détenus dans
les prisons italiennes sont des personnes mises en détention provisoire en
attente dâĂȘtre jugĂ©es (paragraphe 29 ci-dessus).
95. Il nâappartient pas Ă la
Cour dâindiquer aux Ătats des dispositions concernant leurs politiques pĂ©nales
et lâorganisation de leur systĂšme pĂ©nitentiaire. Ces processus soulĂšvent un
certain nombre de questions complexes dâordre juridique et pratique qui, en
principe, dépassent la fonction judiciaire de la Cour. Néanmoins, elle souhaite
rappeler dans ce contexte les recommandations du Comité des Ministres du
Conseil de lâEurope invitant les Ătats Ă inciter les procureurs et les juges Ă
recourir aussi largement que possible aux mesures alternatives à la détention
et Ă rĂ©orienter leur politique pĂ©nale vers un moindre recours Ă lâenfermement
dans le but, entre autres, de résoudre le problÚme de la croissance de la
population carcérale (voir, notamment, les recommandations du Comité des
Ministres Rec(99)22 et Rec(2006)13).
96. En ce qui concerne la ou
les voies de recours internes à adopter pour faire face au problÚme systémique
reconnu dans la prĂ©sente affaire, la Cour rappelle quâen matiĂšre de conditions
de détention, les remÚdes « préventifs » et ceux de nature
« compensatoire » doivent coexister de maniÚre complémentaire. Ainsi,
lorsquâun requĂ©rant est dĂ©tenu dans des conditions contraires Ă lâarticle 3 de
la Convention, le meilleur redressement possible est la cessation rapide de la
violation du droit à ne pas subir des traitements inhumains et dégradants. De plus, toute personne ayant subi une
détention portant atteinte à sa
dignité doit pouvoir obtenir une réparation pour la violation subie (Benediktov c. Russie,
précité, § 29; et Ananyev et autres, précité, §§ 97-98 et
210-240).
97. La Cour observe avoir
constaté que le seul recours indiqué par le gouvernement défendeur dans les
prĂ©sentes affaires qui Ă©tait susceptible dâamĂ©liorer les conditions de
dĂ©tention dĂ©noncĂ©es, Ă savoir la rĂ©clamation devant le juge dâapplication des
peines en vertu des articles 35 et 69 de la loi sur lâadministration
pĂ©nitentiaire, est un recours qui, bien quâaccessible, nâest pas effectif en
pratique, dans la mesure oĂč il ne permet pas de mettre rapidement
fin Ă lâincarcĂ©ration dans des conditions contraires Ă lâarticle 3 de la
Convention (paragraphe 55 ci-dessus). Dâautre part, le Gouvernement nâa
pas dĂ©montrĂ© lâexistence dâun recours qui permettrait aux personnes ayant Ă©tĂ©
incarcĂ©rĂ©es dans des conditions ayant portĂ© atteinte Ă leur dignitĂ© dâobtenir
une quelconque forme de réparation pour la violation subie. à cet égard, elle
observe que la jurisprudence rĂ©cente attribuant au juge de lâapplication des
peines le pouvoir de condamner lâadministration Ă payer une indemnisation
pécuniaire est loin de constituer une pratique établie et constante des
autorités nationales (paragraphes 20-22 ci-dessus).
98. La Cour nâa pas Ă
prĂ©ciser quelle serait la meilleure maniĂšre dâinstaurer les voies de recours
internes nĂ©cessaires (Hutten-Czapska, prĂ©citĂ©, § 239). LâEtat peut soit modifier les
recours existants soit en créer de nouveaux de sorte que les violations des
droits tirĂ©s de la Convention puissent ĂȘtre redressĂ©es de maniĂšre rĂ©ellement
effective (Xenides-Arestis
c. Turquie, no 46347/99, § 40, 22 décembre 2005). Il lui
incombe également, sous le contrÎle du Comité des Ministres, de garantir que le
recours ou les recours nouvellement mis en place respectent, tant en théorie
quâen pratique, les exigences de la Convention.
99. Elle en conclut que les autorités
nationales doivent sans retard mettre en place un recours ou une combinaison de
recours ayant des effets préventifs et compensatoires et garantissant réellement
une réparation effective des violations de la Convention résultant du
surpeuplement carcĂ©ral en Italie. Ce ou ces recours devront ĂȘtre conformes aux
principes de la Convention, tels que rappelĂ©s notamment dans le prĂ©sent arrĂȘt
(voir, entre autres, les paragraphes 50 et 95 ci-dessus), et ĂȘtre mis en place
dans un dĂ©lai dâun an Ă compter de la date Ă laquelle celui-ci sera devenu
définitif (voir, à titre de comparaison, Xenides-Arestis, précité, § 40, et point 5 du
dispositif).
c) Procédure à suivre dans les affaires
similaires
100. La Cour rappelle quâelle peut se prononcer dans lâarrĂȘt pilote sur la procĂ©dure Ă suivre dans lâexamen de toutes les affaires similaires (voir, mutatis mutandis, Broniowski, prĂ©citĂ©, § 198 ; et Xenides-Arestis, prĂ©citĂ©, § 50).
101. A cet Ă©gard, la Cour dĂ©cide quâen
attendant que les autorités internes adoptent les mesures nécessaires sur le
plan national, lâexamen des requĂȘtes non communiquĂ©es ayant pour unique objet
le surpeuplement carcĂ©ral en Italie sera ajournĂ© pendant une pĂ©riode dâun an Ă
compter de la date Ă laquelle le prĂ©sent arrĂȘt sera devenu dĂ©finitif. RĂ©serve
est faite de la faculté pour la Cour, à tout moment, de déclarer irrecevable
une affaire de ce type ou de la rayer de son rĂŽle Ă la suite dâun accord
amiable entre les parties ou dâun rĂšglement du litige par dâautres moyens,
conformément aux articles 37 et 39 de la Convention. En revanche, pour ce qui
est des requĂȘtes dĂ©jĂ communiquĂ©es au gouvernement dĂ©fendeur, la Cour pourra
poursuivre leur examen par la voie de la procédure normale.
IV. SUR LâAPPLICATION DE LâARTICLE 41 DE LA CONVENTION
102. Aux termes de lâarticle
41 de la Convention,
« Si la
Cour dĂ©clare quâil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet dâeffacer
quâimparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă la
partie lĂ©sĂ©e, sâil y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. »
A. Dommage
103. Les requérants réclament
les sommes suivantes au titre du prĂ©judice moral quâils auraient subi.
M. Torreggiani
réclame 10 600 EUR pour une détention de 54 mois dans des mauvaises
conditions ; M. Bamba, dĂ©tenu pendant 39 mois, sâen remet Ă la sagesse de
la Cour ; M. Biondi demande 15 000 EUR
pour une détention de 24 mois ; MM. Sela, El Haili et Hajjoubi réclament
15 000 EUR chacun pour des durées respectives de 14, 39 et
16 mois ; M. Ghisoni sollicite un
dédommagement à hauteur de 30 000 EUR pour une période de 17 mois.
104. Le Gouvernement sâoppose
Ă ces demandes.
105. La Cour estime que les
requérants ont subi un préjudice moral certain. Elle considÚre par ailleurs
quâil convient de tenir compte, afin de fixer le montant des dommages-intĂ©rĂȘts
Ă accorder Ă ce titre aux intĂ©ressĂ©s, de la durĂ©e quâils ont passĂ©e en
détention dans de mauvaises conditions. Statuant en équité, comme le veut
lâarticle 41 de la Convention, elle considĂšre quâil y a lieu dâoctroyer Ă MM. Torreggiani, Biondi et El Haili et les sommes quâils demandent au titre du dommage
moral. Par ailleurs, elle dĂ©cide dâallouer 23 500 EUR Ă M. Bamba, 11 000 Ă
M. Sela, 12 000 EUR Ă M. Hajjoubi et 12 500 EUR Ă M. Ghisoni
au mĂȘme titre.
B. Frais et dépens
106. Les requérants demandent
également le remboursement des frais et dépens correspondant à la procédure
devant la Cour. Seuls MM. Sela, El Haili, Hajjoubi et Ghisoni ont fourni des justificatifs Ă lâappui de leurs
prétentions. Ils demandent respectivement, 16 474 EUR,
5 491 EUR, 5 491 EUR et 6 867 EUR.
107. Le Gouvernement sâoppose
Ă ces demandes.
108. Selon la jurisprudence
de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et
dĂ©pens que dans la mesure oĂč se trouvent Ă©tablis leur rĂ©alitĂ©, leur nĂ©cessitĂ©
et le caractĂšre raisonnable de leur taux. En lâespĂšce, et compte tenu des
documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable
dâaccorder Ă MM. Sela, El Haili, Hajjoubi et Ghisoni la somme de 1 500 EUR chacun pour les frais
afférents à la procédure devant elle. En revanche, la Cour décide de rejeter
les demandes des autres requérants, qui avaient été autorisés à se représenter
eux-mĂȘmes devant elle, et qui nâont produit aucune piĂšce justificative Ă
lâappui de leurs prĂ©tentions.
C. IntĂ©rĂȘts moratoires
109. La Cour juge approprié
de calquer le taux des intĂ©rĂȘts moratoires sur le taux dâintĂ©rĂȘt de la facilitĂ©
de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne majorĂ© de trois points de
pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, Ă LâUNANIMITĂ,
1. DĂ©cide de joindre les requĂȘtes ;
2. DĂ©clare les requĂȘtes recevables ;
3. Dit quâil y a eu violation de lâarticle
3 de la Convention ;
4. Dit que lâĂtat dĂ©fendeur devra, dans un
dĂ©lai dâun an Ă compter de la date Ă laquelle le prĂ©sent arrĂȘt sera devenu
dĂ©finitif en vertu de lâarticle 44 § 2 de la Convention, mettre en place
un recours ou un ensemble de recours internes effectifs aptes Ă offrir un
redressement adéquat et suffisant dans les cas de surpeuplement carcéral, et ce
conformĂ©ment aux principes de la Convention tels quâĂ©tablis dans la
jurisprudence de la Cour ;
5. Dit que, en attendant lâadoption des
mesures ci-dessus, la Cour ajournera, pendant une durĂ©e dâun an Ă compter de la
date Ă laquelle le prĂ©sent arrĂȘt sera devenu dĂ©finitif, la procĂ©dure dans
toutes les affaires non encore communiquées ayant pour unique objet le
surpeuplement carcéral en Italie tout en se réservant faculté, à tout moment,
de déclarer irrecevable une affaire de ce type ou de la rayer du rÎle à la
suite dâun accord amiable entre les parties ou dâun rĂšglement du litige par
dâautres moyens, conformĂ©ment aux articles 37 et 39 de la
Convention ;
6. Dit
a) que lâĂtat dĂ©fendeur doit
verser aux requĂ©rants, dans les trois mois Ă compter du jour oĂč lâarrĂȘt sera
devenu dĂ©finitif conformĂ©ment Ă lâarticle 44 § 2 de la
Convention, les sommes suivantes :
i) 10 600 EUR (dix
mille six cents euros) Ă M. Torreggiani ;
23 500 EUR (vingt-trois mille cinq cent euos)
Ă M. Bamba ; 15 000 EUR (quinze mille euros) Ă M. Biondi ; 11 000 EUR (onze mille euros) Ă M. Sela ; 15 000 EUR (quinze mille euros) Ă M. El Haili ; 12 000 EUR (douze mille euros) Ă M. Hajjoubi ; 12 500 EUR (douze mille cinq
cents euros) Ă M. Ghisoni, plus tout montant pouvant
ĂȘtre dĂ» Ă titre dâimpĂŽt, pour dommage moral ;
ii) 1 500 EUR (mille
cinq cents euros) chacun Ă MM. Sela, El Haili, Hajjoubi et Ghisoni, plus tout
montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă titre dâimpĂŽt par les requĂ©rants, pour frais et
dépens ;
b) quâĂ compter de
lâexpiration dudit dĂ©lai et jusquâau versement, ces montants seront Ă majorer
dâun intĂ©rĂȘt simple Ă un taux Ă©gal Ă celui de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de
la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de
trois points de pourcentage ;
7. Rejette la demande de satisfaction
Ă©quitable pour le surplus.
Fait en
français, puis communiqué par écrit le 8 janvier 2013, en application de
lâarticle 77 §§ 2 et 3 du rĂšglement.
      Stanley
Naismith                                                           Danutė Jočienė
             Greffier                                                                      Présidente
Au présent
arrĂȘt se trouve joint, conformĂ©ment aux articles 45 § 2 de la Convention et
74 § 2 du rĂšglement, lâexposĂ© de lâopinion sĂ©parĂ©e de la juge Jočienė.
D.J.
S.H.N.
TABLEAU DES AFFAIRES
OPINION CONCORDANTE DE MME LA JUGE JOČIENĖ
Dans lâaffaire
Sulejmanovic c. Italie (no 22635/03
A compter de
la date de publication de lâarrĂȘt Sulejmanovic
DeuxiĂšmement,
le juge dâapplication des peines a aussi trĂšs clairement reconnu le problĂšme de
la situation des prisons â le juge a conclu que les requĂ©rants Ă©taient exposĂ©s
Ă des traitements inhumains du fait quâils devaient partager des cellules
exiguës avec deux autres détenus
Ce sont les
deux raisons principales qui mâont amenĂ©e Ă modifier mon opinion et Ă voter avec
la majoritĂ© dans cette affaire oĂč la Cour conclut Ă la violation de lâarticle 3
de la Convention et indique les mesures générales à prendre par les autorités
italiennes pour régler le problÚme structurel de la surpopulation des prisons
italiennes.