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Corte europea dei diritti dell’uomo

(Seconda Sezione)

 

 

8 gennaio 2013

 

 

 

 

AFFAIRE TORREGGIANI ET AUTRES c. ITALIE

 

 

(RequĂȘtes nn. 43517/09, 46882/09, 55400/09, 57875/09, 61535/09, 35315/10, 37818/10)

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

STRASBOURG

 

 

 

 

Cet arrĂȘt deviendra dĂ©finitif dans les conditions dĂ©finies Ă  l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


 

En l’affaire Torreggiani et autres c. Italie,

La Cour europĂ©enne des droits de l’homme (deuxiĂšme section), siĂ©geant en une chambre composĂ©e de :

          Danutė Jočienė, prĂ©sidente,
          Guido Raimondi,
          Peer Lorenzen,
          Dragoljub Popović,
          Işıl Karakaş,
          Paulo Pinto de Albuquerque,
          Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 décembre 2012,

Rend l’arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouvent sept requĂȘtes (nos 57875/09, 46882/09, 55400/09, 57875/09, 61535/09, 35315/10 et 37818/10) dirigĂ©es contre la RĂ©publique italienne et dont sept personnes (« les requĂ©rants Â») (dont les donnĂ©es figurent sur la liste annexĂ©e au prĂ©sent arrĂȘt), ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention Â»).

2.  Les requĂ©rants ont Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ©s par les avocats indiquĂ©s dans la liste en annexe. Le gouvernement italien (« le Gouvernement Â») a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par son agente, Mme Spatafora, et par sa coagente, Mme P. Accardo.

3.  Les requĂ©rants se plaignaient en particulier des conditions dans lesquelles ils avaient Ă©tĂ© dĂ©tenus respectivement dans les Ă©tablissements pĂ©nitentiaires de Busto Arsizio et de Piacenza.

4.  Le 2 novembre 2010 et le 5 janvier 2011, les requĂȘtes ont Ă©tĂ© communiquĂ©es au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© que la chambre se prononcerait en mĂȘme temps sur la recevabilitĂ© et sur le fond de l’affaire.

5.  Le 5 juin 2012, la chambre a informĂ© les parties qu’elle estimait opportun d’appliquer la procĂ©dure de « l’arrĂȘt pilote Â», en application de l’article 46 § 1 de la Convention.

6.   Tant le Gouvernement que les requĂ©rants ont dĂ©posĂ© des observations Ă©crites sur l’opportunitĂ© d’appliquer la procĂ©dure en question.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

7.  Lors de l’introduction de leurs requĂȘtes, les requĂ©rants purgeaient des peines de rĂ©clusion dans les Ă©tablissements pĂ©nitentiaires de Busto Arsizio ou de Piacenza.

A.  Les conditions de dĂ©tention dĂ©noncĂ©es par les requĂ©rants

1.   Les requĂ©rants dĂ©tenus Ă  la prison de Busto Arsizio (requĂȘtes nos 43517/09, 46882/09 et 55400/09)

8.  M. Torreggiani (requĂȘte no 43517/09) fut dĂ©tenu Ă  la prison de Busto Arsizio du 13 novembre 2006 au 7 mars 2011, M. Bamba (requĂȘte no 46882/09) du 20 mars 2008 au 23 juin 2011 et M. Biondi (requĂȘte no 55400/09) du 29 juin 2009 au 21 juin 2011. Chacun d’entre eux occupait une cellule de 9 mÂČ avec deux autres personnes, et disposait donc d’un espace personnel de 3 mÂČ. Dans leurs requĂȘtes, les requĂ©rants soutenaient en outre que l’accĂšs Ă  la douche Ă  la prison de Busto Arsizio Ă©tait limitĂ© en raison de la pĂ©nurie d’eau chaude dans l’établissement.

2.   Les requĂ©rants dĂ©tenus Ă  la prison de Piacenza (requĂȘtes nos 57875/09, 35315/10, 37818/10 et 61535/09)

9.  M. Sela (requĂȘte no 57875/09) fut dĂ©tenu Ă  Piacenza du 14 fĂ©vrier 2009 au 19 avril 2010, M. El Haili (requĂȘte no 35315/10) du 15 fĂ©vrier 2008 au 8 juillet 2010 et M. Hajjoubi (requĂȘte no 37818/10) du 19 octobre 2009 au 30 mars 2011. M. Ghisoni (requĂȘte no 61535/09), incarcĂ©rĂ© le 13 septembre 2007, est toujours dĂ©tenu dans cet Ă©tablissement.

10.  Les quatre requĂ©rants affirment avoir occupĂ© des cellules de 9 mÂČ avec deux autres dĂ©tenus. Ils dĂ©noncent Ă©galement un manque d’eau chaude dans l’établissement, qui les aurait empĂȘchĂ©s pendant plusieurs mois de faire usage rĂ©guliĂšrement de la douche, et un Ă©clairage insuffisant des cellules en raison des barreaux mĂ©talliques apposĂ©s aux fenĂȘtres.

11.  Selon le Gouvernement, les cellules occupĂ©es Ă  Piacenza par les requĂ©rants ont une superficie de 11 mÂČ.

B.  Les ordonnances du tribunal d’application des peines de Reggio Emilia

12.  Le 10 avril 2010, M. Ghisoni (no 61535/09) et deux autres dĂ©tenus Ă  la prison de Piacenza saisirent le juge d’application des peines de Reggio Emilia, soutenant que leurs conditions de dĂ©tention Ă©taient mĂ©diocres en raison du surpeuplement dans la prison de Piacenza et dĂ©nonçant une violation du principe de l’égalitĂ© de traitement entre les dĂ©tenus, garanti par l’article 3 de la loi no 354 de 1975 sur l’administration pĂ©nitentiaire.

13.  Par des ordonnances des 16, 20 et 24 aoĂ»t 2010, le magistrat accueillit les rĂ©clamations du requĂ©rant et de ses codĂ©tenus. Il observa que les intĂ©ressĂ©s occupaient des cellules qui avaient Ă©tĂ© conçues pour un seul dĂ©tenu et qui, en raison de la situation de surpeuplement dans la prison de Piacenza, accueillaient alors chacune trois personnes. Le magistrat constata que la quasi-totalitĂ© des cellules de l’établissement avaient une superficie de 9 mÂČ et qu’au cours de l’annĂ©e 2010, l’établissement avait hĂ©bergĂ© entre 411 et 415 personnes, alors qu’il Ă©tait prĂ©vu pour accueillir 178 dĂ©tenus, pour une capacitĂ© maximale tolĂ©rable (capienza tollerabile) de 376 personnes.

14.  Faisant rĂ©fĂ©rence Ă  l’arrĂȘt Sulejmanovic c. Italie (no 22635/03, 16 juillet 2009) et aux principes de jurisprudence concernant la compatibilitĂ© entre les conditions de dĂ©tention et le respect des droits garantis par l’article 3 de la Convention, le juge d’application des peines conclut que les rĂ©clamants Ă©taient exposĂ©s Ă  des traitements inhumains du fait qu’ils devaient partager avec deux autres dĂ©tenus des cellules exigĂŒes, et faisaient l’objet d’une discrimination par rapport aux dĂ©tenus partageant le mĂȘme type de cellule avec une seule personne.

15.  Le magistrat transmit ainsi les rĂ©clamations du requĂ©rant et des autres dĂ©tenus Ă  la direction de la prison de Piacenza, au ministĂšre de la Justice et Ă  l’administration pĂ©nitentiaire compĂ©tente, afin que chacun puisse adopter d’urgence les mesures adĂ©quates dans le cadre de ses compĂ©tences.

16.  En fĂ©vrier 2011, M. Ghisoni fut transfĂ©rĂ© dans une cellule conçue pour deux personnes.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  La loi sur l’administration pĂ©nitentiaire

17.  L’article 6 de la loi no 354 du 26 juillet 1975 (« la loi sur l’administration pĂ©nitentiaire Â»), se lit comme suit :

« Les locaux dans lesquels se dĂ©roule la vie des dĂ©tenus doivent ĂȘtre suffisamment spacieux et Ă©clairĂ©s par la lumiĂšre naturelle ou artificielle de maniĂšre Ă  permettre le travail et la lecture ; [ils doivent ĂȘtre] aĂ©rĂ©s, chauffĂ©s lorsque les conditions climatiques l’exigent et Ă©quipĂ©s de services sanitaires privĂ©s, dĂ©cents et de type rationnel. [Ils] doivent ĂȘtre entretenus et nettoyĂ©s correctement. Les locaux oĂč les prisonniers passent la nuit sont des cellules individuelles ou collectives.

Un soin particulier doit présider au choix des personnes qui sont placées dans des cellules collectives.

Les personnes en dĂ©tention provisoire doivent pouvoir bĂ©nĂ©ficier d’un sĂ©jour en cellule individuelle Ă  moins que la situation particuliĂšre de l’établissement ne le permette pas.

Chaque dĂ©tenu (...) dispose du linge de lit nĂ©cessaire. Â»

18.  Aux termes de l’article 35 de la loi no 354 de 1975, les dĂ©tenus peuvent adresser des demandes ou des rĂ©clamations orales ou Ă©crites, mĂȘme sous pli scellĂ©, au juge de l’application des peines ; au directeur de l’établissement pĂ©nitentiaire, ainsi qu’aux inspecteurs, au directeur gĂ©nĂ©ral des instituts de dĂ©tention et de prĂ©vention et au ministre de la Justice ; aux autoritĂ©s judiciaires et sanitaires qui visitent l’institut ; au prĂ©sident du Conseil rĂ©gional et au chef de l’État.

19.  Selon l’article 69 de cette mĂȘme loi, le juge d’application des peines est compĂ©tent pour contrĂŽler l’organisation des instituts de prĂ©vention et de dĂ©tention et pour communiquer au ministre (de la Justice) les besoins des diffĂ©rents services, notamment en ce qui concerne la mise en place du programme de rĂ©Ă©ducation des personnes dĂ©tenues (alinĂ©a 1). Il veille Ă©galement Ă  ce que la surveillance des prĂ©venus soit exercĂ©e en conformitĂ© avec les lois et les rĂšglements (alinĂ©a 2). Par ailleurs, il a le pouvoir de prescrire des dispositions visant Ă  Ă©liminer d’éventuelles violations des droits des personnes condamnĂ©es et internĂ©es (alinĂ©a 5). Le juge statue sur la rĂ©clamation par une ordonnance, contre laquelle l’intĂ©ressĂ© peut se pourvoir en cassation.

B.  Jurisprudence interne relative Ă  la possibilitĂ© pour les dĂ©tenus de solliciter l’octroi d’une rĂ©paration en cas de mauvaises conditions de dĂ©tention

20.  Par l’ordonnance no 17 du 9 juin 2011, le juge d’application des peines de Lecce accueillit la rĂ©clamation d’A.S., un dĂ©tenu se plaignant de ses conditions de dĂ©tention, inhumaines, en raison du surpeuplement rĂ©gnant Ă  la prison de Lecce. L’intĂ©ressĂ© avait Ă©galement demandĂ© une indemnisation pour le prĂ©judice moral subi.

Le juge constata que le requĂ©rant avait partagĂ© avec deux autres personnes une cellule mal chauffĂ©e et dĂ©pourvue d’eau chaude, qui mesurait 11,5 mÂČ toilettes comprises. En outre, le lit occupĂ© par A.S. Ă©tait Ă  seulement 50 centimĂštres du plafond. Le requĂ©rant Ă©tait obligĂ© de passer 19 heures et demie par jour sur son lit en raison de l’absence d’activitĂ©s sociales organisĂ©es Ă  l’extĂ©rieur de la cellule.

Par son ordonnance, le juge d’application des peines estima que les conditions de dĂ©tention de l’intĂ©ressĂ© Ă©taient contraires Ă  la dignitĂ© humaine et qu’elles emportaient violation tant de la loi italienne sur l’administration pĂ©nitentiaire que des normes fixĂ©es par le CPT du Conseil de l’Europe et par la jurisprudence de la Cour europĂ©enne des droits de l’homme. En outre, pour la premiĂšre fois en Italie, il dĂ©cida que l’administration pĂ©nitentiaire devait indemniser le dĂ©tenu Ă  hauteur de 220 EUR pour le prĂ©judice « existentiel Â» (danno esistenziale) dĂ©coulant de la dĂ©tention.

21.  Le 30 septembre 2011, le ministĂšre de la Justice se pourvut en cassation contre l’ordonnance du juge d’application des peines, soulevant notamment l’incompĂ©tence de ce juge en matiĂšre d’indemnisation des dĂ©tenus. Par un arrĂȘt du 5 juin 2012, la Cour de cassation dĂ©clara le recours de l’administration irrecevable pour tardivetĂ©, Ă©tant donnĂ© qu’il avait Ă©tĂ© introduit au-delĂ  du dĂ©lai de 10 jours prĂ©vu par les dispositions lĂ©gales pertinentes. Par consĂ©quent, l’ordonnance du juge d’application des peines acquit l’autoritĂ© de la chose jugĂ©e.

22.  Cette jurisprudence du juge d’application des peines de Lecce, reconnaissant aux dĂ©tenus une indemnisation pour le prĂ©judice existentiel dĂ©coulant des conditions de dĂ©tention, est restĂ©e isolĂ©e en Italie. D’autres juges d’application des peines ont en effet considĂ©rĂ© qu’il n’entrait pas dans leurs prĂ©rogatives de condamner l’administration Ă  dĂ©dommager les dĂ©tenus pour le prĂ©judice subi pendant la dĂ©tention (voir, en ce sens, par exemple, les ordonnances des juges d’application des peines d’Udine et de Vercelli des 24 dĂ©cembre 2011 et 18 avril 2012 respectivement).

III.  MESURES PRISES PAR L’ETAT POUR REMÉDIER AU PROBLÈME DU  SURPEUPLEMENT CARCÉRAL

23.  En 2010, il y avait 67 961 personnes dĂ©tenues dans les 206 prisons italiennes, pour une capacitĂ© maximale prĂ©vue de 45 000 personnes. Le taux national de surpeuplement Ă©tait de 151 %.

24.  Par un dĂ©cret du 13 janvier 2010, le prĂ©sident du Conseil des ministres dĂ©clara l’état d’urgence au niveau national pour une durĂ©e d’un an en raison du surpeuplement dans les Ă©tablissements pĂ©nitentiaires italiens.

25.  Par l’ordonnance no 3861 du 19 mars 2010, intitulĂ©e « Dispositions urgentes de protection civile du fait du surpeuplement carcĂ©ral Â», le prĂ©sident du Conseil des ministres nomma un Commissaire dĂ©lĂ©guĂ© au ministĂšre de la Justice chargĂ© d’élaborer un plan d’intervention pour les prisons (« Piano carceri Â»).

26.  Le 29 juin 2010, un ComitĂ© constituĂ© du ministre de la Justice, du ministre des Infrastructures Ă©conomiques et du chef du dĂ©partement de la Protection civile approuva le plan d’intervention prĂ©sentĂ© par le Commissaire dĂ©lĂ©guĂ©. Ledit plan prĂ©voyait tout d’abord la construction de 11 nouveaux Ă©tablissements pĂ©nitentiaires et de 20 annexes aux Ă©tablissements dĂ©jĂ  existants, ce qui impliquait la crĂ©ation de 9 150 places de dĂ©tention supplĂ©mentaires et le recrutement de 2 000 nouveaux agents de police pĂ©nitentiaire. Le dĂ©lai pour la fin des travaux de construction Ă©tait fixĂ© au 31 dĂ©cembre 2012.

27.  En outre, par la loi no 199 du 26 novembre 2010 furent adoptĂ©es des dispositions extraordinaires en matiĂšre d’exĂ©cution des peines. Ladite loi prĂ©voit notamment que les peines de dĂ©tention infĂ©rieures Ă  douze mois, mĂȘme si elles reprĂ©sentent des fractions de peines plus sĂ©vĂšres restant Ă  exĂ©cuter, peuvent ĂȘtre purgĂ©es au domicile de la personne condamnĂ©e ou dans un autre lieu d’accueil, public ou privĂ©, hormis pour certaines exceptions liĂ©es Ă  la gravitĂ© des dĂ©lits.

Cette loi restera en vigueur le temps nĂ©cessaire pour la mise en Ɠuvre du plan d’intervention pour les prisons mais en aucun cas au-delĂ  du 31 dĂ©cembre 2013.

28.  L’état d’urgence au niveau national, initialement dĂ©clarĂ© jusqu’au 31 dĂ©cembre 2010, a Ă©tĂ© prorogĂ© Ă  deux reprises. Il est actuellement en vigueur jusqu’au 31 dĂ©cembre 2012.

29.  A la date du 13 avril 2012, les prisons italiennes accueillaient 66 585 dĂ©tenus, soit un taux de surpeuplement de 148 %.

42 % des dĂ©tenus sont en attente d’ĂȘtre jugĂ©s et sont placĂ©s en dĂ©tention provisoire.

IV.  TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS

30.  Les parties pertinentes des rapports gĂ©nĂ©raux du ComitĂ© europĂ©en pour la prĂ©vention de la torture et des traitements inhumains et dĂ©gradants (« CPT Â») se lisent ainsi :

DeuxiĂšme rapport gĂ©nĂ©ral (CPT/Inf (92) 3) :

« 46.  La question du surpeuplement relĂšve directement du mandat du CPT. Tous les services et activitĂ©s Ă  l’intĂ©rieur d’une prison seront touchĂ©s si elle doit prendre en charge plus de prisonniers que le nombre pour lequel elle a Ă©tĂ© prĂ©vue. La qualitĂ© gĂ©nĂ©rale de la vie dans l’établissement s’en ressentira, et peut-ĂȘtre dans une mesure significative. De plus, le degrĂ© de surpeuplement d’une prison, ou dans une partie de celle-ci, peut ĂȘtre tel qu’il constitue, Ă  lui seul, un traitement inhumain ou dĂ©gradant.

47.  Un programme satisfaisant d’activitĂ©s (travail, enseignement et sport) revĂȘt une importance capitale pour le bien-ĂȘtre des prisonniers. Cela est valable pour tous les Ă©tablissements, qu’ils soient d’exĂ©cution des peines ou de dĂ©tention provisoire. Le CPT a relevĂ© que les activitĂ©s dans beaucoup de prisons de dĂ©tention provisoire sont extrĂȘmement limitĂ©es. L’organisation de programmes d’activitĂ©s dans de tels Ă©tablissements, qui connaissent une rotation assez rapide des dĂ©tenus, n’est pas matiĂšre aisĂ©e. Il ne peut, Ă  l’évidence, ĂȘtre question de programmes de traitement individualisĂ© du type de ceux que l’on pourrait attendre d’un Ă©tablissement d’exĂ©cution des peines. Toutefois, les prisonniers ne peuvent ĂȘtre simplement laissĂ©s Ă  leur sort, Ă  languir pendant des semaines, parfois des mois, confinĂ©s dans leur cellule, quand bien mĂȘme les conditions matĂ©rielles seraient bonnes. Le CPT considĂšre que l’objectif devrait ĂȘtre d’assurer que les dĂ©tenus dans les Ă©tablissements de dĂ©tention provisoire soient en mesure de passer une partie raisonnable de la journĂ©e (8 heures ou plus) hors de leur cellule, occupĂ©s Ă  des activitĂ©s motivantes de nature variĂ©e. Dans les Ă©tablissements pour prisonniers condamnĂ©s, Ă©videmment, les rĂ©gimes devraient ĂȘtre d’un niveau encore plus Ă©levĂ©.

48.  L’exercice en plein air demande une mention spĂ©cifique. L’exigence d’aprĂšs laquelle les prisonniers doivent ĂȘtre autorisĂ©s chaque jour Ă  au moins une heure d’exercice en plein air, est largement admise comme une garantie fondamentale (de prĂ©fĂ©rence, elle devrait faire partie intĂ©grante d’un programme plus Ă©tendu d’activitĂ©s). Le CPT souhaite souligner que tous les prisonniers sans exception (y compris ceux soumis Ă  un isolement cellulaire Ă  titre de sanction) devraient bĂ©nĂ©ficier quotidiennement d’un exercice en plein air. Il est Ă©galement Ă©vident que les aires d’exercice extĂ©rieures devraient ĂȘtre raisonnablement spacieuses et, chaque fois que cela est possible, offrir un abri contre les intempĂ©ries.

49.  L’accĂšs, au moment voulu, Ă  des toilettes convenables et le maintien de bonnes conditions d’hygiĂšne sont des Ă©lĂ©ments essentiels d’un environnement humain.

A cet Ă©gard, le CPT doit souligner qu’il n’apprĂ©cie pas la pratique, constatĂ©e dans certains pays, de prisonniers devant satisfaire leurs besoins naturels en utilisant des seaux dans leur cellule, lesquels sont, par la suite, vidĂ©s Ă  heures fixes. Ou bien une toilette devrait ĂȘtre installĂ©e dans les locaux cellulaires (de prĂ©fĂ©rence dans une annexe sanitaire), ou bien des moyens devraient ĂȘtre mis en Ɠuvre qui permettraient aux prisonniers de sortir de leur cellule Ă  tout moment (y compris la nuit) pour se rendre aux toilettes, sans dĂ©lai indu.

Les prisonniers devraient aussi avoir un accĂšs rĂ©gulier aux douches ou aux bains. De plus, il est souhaitable que les locaux cellulaires soient Ă©quipĂ©s de l’eau courante.

50.  Le CPT souhaite ajouter qu’il est particuliĂšrement prĂ©occupĂ© lorsqu’il constate dans un mĂȘme Ă©tablissement une combinaison de surpeuplement, de rĂ©gimes pauvres en activitĂ©s et d’un accĂšs inadĂ©quat aux toilettes ou locaux sanitaires. L’effet cumulĂ© de telles conditions peut s’avĂ©rer extrĂȘmement nĂ©faste pour les prisonniers. Â»

SeptiÚme rapport général (CPT/Inf (97) 10)

« 13.  Ainsi que le CPT l’a soulignĂ© dans son 2e Rapport GĂ©nĂ©ral, la question du surpeuplement relĂšve directement du mandat du ComitĂ© (cf. CPT/Inf (92) 3, paragraphe 46).

Une prison surpeuplĂ©e signifie, pour le dĂ©tenu, ĂȘtre Ă  l’étroit dans des espaces resserrĂ©s et insalubres ; une absence constante d’intimitĂ© (cela mĂȘme lorsqu’il s’agit de satisfaire aux besoins naturels) ; des activitĂ©s hors cellule limitĂ©es Ă  cause d’une demande qui dĂ©passe le personnel et les infrastructures disponibles ; des services de santĂ© surchargĂ©s ; une tension accrue et, partant, plus de violence entre dĂ©tenus comme entre dĂ©tenus et personnel. Cette Ă©numĂ©ration est loin d’ĂȘtre exhaustive.

A plus d’une reprise, le CPT a Ă©tĂ© amenĂ© Ă  conclure que les effets nĂ©fastes du surpeuplement avaient abouti Ă  des conditions de dĂ©tention inhumaines et dĂ©gradantes. Â»

 

31.  Le 30 septembre 1999, le ComitĂ© des Ministres du Conseil de l’Europe adopta la Recommandation Rec(99)22 concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcĂ©rale. Ladite recommandation Ă©tablit en particulier ce qui suit :

«  Le ComitĂ© des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,

ConsidĂ©rant que le surpeuplement des prisons et la croissance de la population carcĂ©rale constituent un dĂ©fi majeur pour les administrations pĂ©nitentiaires et l’ensemble du systĂšme de justice pĂ©nale sous l’angle tant des droits de l’homme que de la gestion efficace des Ă©tablissements pĂ©nitentiaires ;

ConsidĂ©rant que la gestion efficace de la population carcĂ©rale est subordonnĂ©e Ă  certaines circonstances telles que la situation globale de la criminalitĂ©, les prioritĂ©s en matiĂšre de lutte contre la criminalitĂ©, l’éventail des peines prĂ©vues par les textes lĂ©gislatifs, la sĂ©vĂ©ritĂ© des peines prononcĂ©es, la frĂ©quence du recours aux sanctions et mesures appliquĂ©es dans la communautĂ©, l’usage de la dĂ©tention provisoire, l’efficience et l’efficacitĂ© des organes de la justice pĂ©nale et, en particulier, l’attitude du public vis-Ă -vis de la criminalitĂ© et de sa rĂ©pression ; (...)

Recommande aux gouvernements des Etats membres :

- de prendre toutes les mesures appropriĂ©es, lorsqu’ils revoient leur lĂ©gislation et leur pratique relatives au surpeuplement des prisons et Ă  l’inflation carcĂ©rale, en vue d’appliquer les principes Ă©noncĂ©s dans l’Annexe Ă  la prĂ©sente Recommandation ;

Annexe Ă  la Recommandation no R (99) 22

I.  Principes de base

1.  La privation de libertĂ© devrait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une sanction ou mesure de dernier recours et ne devrait dĂšs lors ĂȘtre prĂ©vue que lorsque la gravitĂ© de l’infraction rendrait toute autre sanction ou mesure manifestement inadĂ©quate.

2.  L’extension du parc pĂ©nitentiaire devrait ĂȘtre plutĂŽt une mesure exceptionnelle, puisqu’elle n’est pas, en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, propre Ă  offrir une solution durable au problĂšme du surpeuplement. Les pays dont la capacitĂ© carcĂ©rale pourrait ĂȘtre globalement suffisante mais mal adaptĂ©e aux besoins locaux devraient s’efforcer d’aboutir Ă  une rĂ©partition plus rationnelle de cette capacitĂ©.

3.  Il convient de prĂ©voir un ensemble appropriĂ© de sanctions et de mesures appliquĂ©es dans la communautĂ©, Ă©ventuellement graduĂ©es en termes de sĂ©vĂ©ritĂ© ; il y a lieu d’inciter les procureurs et les juges Ă  y recourir aussi largement que possible.

4.  Les États membres devraient examiner l’opportunitĂ© de dĂ©criminaliser certains types de dĂ©lits ou de les requalifier de façon Ă  Ă©viter qu’ils n’appellent des peines privatives de libertĂ©.

5.  Afin de concevoir une action cohĂ©rente contre le surpeuplement des prisons et l’inflation carcĂ©rale, une analyse dĂ©taillĂ©e des principaux facteurs contribuant Ă  ces phĂ©nomĂšnes devrait ĂȘtre menĂ©e. Une telle analyse devrait porter, notamment, sur les catĂ©gories d’infractions susceptibles d’entraĂźner de longues peines de prison, les prioritĂ©s en matiĂšre de lutte contre la criminalitĂ©, les attitudes et prĂ©occupations du public ainsi que les pratiques existantes en matiĂšre de prononcĂ© des peines.

(...)

III.  Mesures Ă  mettre en Ɠuvre avant le procĂšs pĂ©nal

Éviter l’action pĂ©nale – RĂ©duire le recours Ă  la dĂ©tention provisoire

10.  Des mesures appropriĂ©es devraient ĂȘtre prises en vue de l’application intĂ©grale des principes Ă©noncĂ©s dans la Recommandation no (87) 18 concernant la simplification de la justice pĂ©nale, ce qui implique, en particulier, que les États membres, tout en tenant compte de leurs principes constitutionnels ou de leur tradition juridique propres, appliquent le principe de l’opportunitĂ© des poursuites (ou des mesures ayant le mĂȘme objectif) et recourent aux procĂ©dures simplifiĂ©es et aux transactions en tant qu’alternatives aux poursuites dans les cas appropriĂ©s, en vue d’éviter une procĂ©dure pĂ©nale complĂšte.

11.  L’application de la dĂ©tention provisoire et sa durĂ©e devraient ĂȘtre rĂ©duites au minimum compatible avec les intĂ©rĂȘts de la justice. Les États membres devraient, Ă  cet effet, s’assurer que leur lĂ©gislation et leur pratique sont conformes aux dispositions pertinentes de la Convention europĂ©enne des Droits de l’Homme et Ă  la jurisprudence de ses organes de contrĂŽle et se laisser guider par les principes Ă©noncĂ©s dans la Recommandation no R (80) 11 concernant la dĂ©tention provisoire s’agissant, en particulier, des motifs permettant d’ordonner la mise en dĂ©tention provisoire.

12.  Il convient de faire un usage aussi large que possible des alternatives Ă  la dĂ©tention provisoire, telles que l’obligation, pour le suspect, de rĂ©sider Ă  une adresse spĂ©cifiĂ©e, l’interdiction de quitter ou de gagner un lieu dĂ©terminĂ© sans autorisation, la mise en libertĂ© sous caution, ou le contrĂŽle et le soutien d’un organisme spĂ©cifiĂ© par l’autoritĂ© judiciaire. A cet Ă©gard, il convient d’ĂȘtre attentif aux possibilitĂ©s de contrĂŽler au moyen de systĂšmes de surveillance Ă©lectroniques l’obligation de demeurer dans un lieu stipulĂ©.

13.  Il s’impose, pour soutenir le recours efficace et humain Ă  la dĂ©tention provisoire, de dĂ©gager les ressources financiĂšres et humaines nĂ©cessaires et, le cas Ă©chĂ©ant, de mettre au point les moyens procĂ©duraux et les techniques de gestion appropriĂ©s.

(...)

V.  Mesures Ă  mettre en Ɠuvre au-delĂ  du procĂšs pĂ©nal

La mise en Ɠuvre des sanctions et mesures appliquĂ©es dans la communautĂ© – L’exĂ©cution des peines privatives de libertĂ©

22.  Pour faire des sanctions et des mesures appliquĂ©es dans la communautĂ© des alternatives crĂ©dibles aux peines d’emprisonnement de courte durĂ©e, il convient d’assurer leur mise en Ɠuvre efficiente, notamment :

–  en mettant en place l’infrastructure requise pour l’exĂ©cution et le suivi de ces sanctions communautaires, en particulier en vue de rassurer les juges et les procureurs sur leur efficacitĂ© ;

–  en mettant au point et en appliquant des techniques fiables de prĂ©vision et d’évaluation des risques ainsi que des stratĂ©gies de supervision, afin d’identifier le risque de rĂ©cidive du dĂ©linquant et de garantir la protection et la sĂ©curitĂ© du public.

23.  Il conviendrait de favoriser le dĂ©veloppement des mesures permettant de rĂ©duire la durĂ©e effective de la peine purgĂ©e, en prĂ©fĂ©rant les mesures individualisĂ©es, telles la libĂ©ration conditionnelle, aux mesures collectives de gestion du surpeuplement carcĂ©ral (grĂąces collectives, amnisties).

24.  La libĂ©ration conditionnelle devrait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une des mesures les plus efficaces et les plus constructives qui, non seulement, rĂ©duit la durĂ©e de la dĂ©tention mais contribue aussi de maniĂšre non nĂ©gligeable Ă  la rĂ©intĂ©gration planifiĂ©e du dĂ©linquant dans la communautĂ©.

25.  Il faudrait, pour promouvoir et Ă©tendre le recours Ă  la libĂ©ration conditionnelle, crĂ©er dans la communautĂ© les meilleures conditions de soutien et d’aide au dĂ©linquant ainsi que de supervision de celui-ci, en particulier en vue d’amener les instances judiciaires ou administratives compĂ©tentes Ă  considĂ©rer cette mesure comme une option valable et responsable.

26.  Des programmes de traitement efficaces en cours de dĂ©tention ainsi que de contrĂŽle et de traitement au-delĂ  de la libĂ©ration devraient ĂȘtre conçus et mis en Ɠuvre de façon Ă  faciliter la rĂ©insertion des dĂ©linquants, Ă  rĂ©duire la rĂ©cidive, Ă  assurer la sĂ©curitĂ© et la protection du public et Ă  inciter les juges et procureurs Ă  considĂ©rer les mesures visant Ă  rĂ©duire la durĂ©e effective de la peine Ă  purger ainsi que les sanctions et mesures appliquĂ©es dans la communautĂ©, comme des options constructives et responsables. Â»

32.  La deuxiĂšme partie de la Recommandation Rec(2006)2 du ComitĂ© des Ministres aux États membres sur les RĂšgles pĂ©nitentiaires europĂ©ennes (adoptĂ©e le 11 janvier 2006, lors de la 952e rĂ©union des DĂ©lĂ©guĂ©s des Ministres) est dĂ©diĂ©e aux conditions de dĂ©tention. Dans ses passages pertinents en l’espĂšce, elle se lit comme suit :

« 18.1  Les locaux de dĂ©tention et, en particulier, ceux qui sont destinĂ©s au logement des dĂ©tenus pendant la nuit, doivent satisfaire aux exigences de respect de la dignitĂ© humaine et, dans la mesure du possible, de la vie privĂ©e, et rĂ©pondre aux conditions minimales requises en matiĂšre de santĂ© et d’hygiĂšne, compte tenu des conditions climatiques, notamment en ce qui concerne l’espace au sol, le volume d’air, l’éclairage, le chauffage et l’aĂ©ration.

18.2  Dans tous les bĂątiments oĂč des dĂ©tenus sont appelĂ©s Ă  vivre, Ă  travailler ou Ă  se rĂ©unir :

a.  les fenĂȘtres doivent ĂȘtre suffisamment grandes pour que les dĂ©tenus puissent lire et travailler Ă  la lumiĂšre naturelle dans des conditions normales, et pour permettre l’entrĂ©e d’air frais, sauf s’il existe un systĂšme de climatisation appropriĂ© ;

b.  la lumiĂšre artificielle doit ĂȘtre conforme aux normes techniques reconnues en la matiĂšre ; et

c.  un systĂšme d’alarme doit permettre aux dĂ©tenus de contacter le personnel immĂ©diatement.

18.3  Le droit interne doit dĂ©finir les conditions minimales requises concernant les points rĂ©pertoriĂ©s aux paragraphes 1 et 2.

18.4  Le droit interne doit prĂ©voir des mĂ©canismes garantissant que le respect de ces conditions minimales ne soit pas atteint Ă  la suite du surpeuplement carcĂ©ral.

18.5  Chaque dĂ©tenu doit en principe ĂȘtre logĂ© pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considĂ©rĂ© comme prĂ©fĂ©rable pour lui qu’il cohabite avec d’autres dĂ©tenus.

18.6  Une cellule doit ĂȘtre partagĂ©e uniquement si elle est adaptĂ©e Ă  un usage collectif et doit ĂȘtre occupĂ©e par des dĂ©tenus reconnus aptes Ă  cohabiter.

18.7  Dans la mesure du possible, les dĂ©tenus doivent pouvoir choisir avant d’ĂȘtre contraints de partager une cellule pendant la nuit.

18.8  La dĂ©cision de placer un dĂ©tenu dans une prison ou une partie de prison particuliĂšre doit tenir compte de la nĂ©cessitĂ© de sĂ©parer :

a.  les prĂ©venus des dĂ©tenus condamnĂ©s ;

b.  les dĂ©tenus de sexe masculin des dĂ©tenus de sexe fĂ©minin ; et

c.  les jeunes dĂ©tenus adultes des dĂ©tenus plus ĂągĂ©s.

18.9  Il peut ĂȘtre dĂ©rogĂ© aux dispositions du paragraphe 8 en matiĂšre de sĂ©paration des dĂ©tenus afin de permettre Ă  ces derniers de participer ensemble Ă  des activitĂ©s organisĂ©es. Cependant les groupes visĂ©s doivent toujours ĂȘtre sĂ©parĂ©s la nuit, Ă  moins que les intĂ©ressĂ©s ne consentent Ă  cohabiter et que les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires estiment que cette mesure s’inscrit dans l’intĂ©rĂȘt de tous les dĂ©tenus concernĂ©s.

18.10  Les conditions de logement des dĂ©tenus doivent satisfaire aux mesures de sĂ©curitĂ© les moins restrictives possible et compatibles avec le risque que les intĂ©ressĂ©s s’évadent, se blessent ou blessent d’autres personnes. Â»

EN DROIT

I.  SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

33.  Compte tenu de la similitude des requĂȘtes quant aux dolĂ©ances des requĂ©rants et au problĂšme de fond qu’elles posent, la Cour estime nĂ©cessaire de les joindre et dĂ©cide de les examiner conjointement dans un seul arrĂȘt.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

34.  Invoquant l’article 3 de la Convention, les requĂ©rants soutiennent que leurs conditions de dĂ©tention respectives dans les Ă©tablissements pĂ©nitentiaires de Busto Arsizio et de Piacenza constituent des traitements inhumains et dĂ©gradants. L’article 3 de la Convention est ainsi libellĂ© :

« Nul ne peut ĂȘtre soumis Ă  la torture ni Ă  des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants. Â»

35.  Le Gouvernement s’oppose Ă  cette thĂšse.

A.  Sur la recevabilitĂ©

1.  L’exception tirĂ©e du dĂ©faut de qualitĂ© de victime

36.  Le Gouvernement observe que tous les requĂ©rants sauf M. Ghisoni ont Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s ou transfĂ©rĂ©s dans d’autres cellules aprĂšs l’introduction de leurs requĂȘtes. Il est d’avis que ces requĂ©rants ne peuvent plus se prĂ©tendre victimes de la violation de la Convention qu’ils allĂšguent et soutient que leurs requĂȘtes devraient ĂȘtre rejetĂ©es.

37.  Les requĂ©rants concernĂ©s s’y opposent.

38.  La Cour rappelle qu’une dĂ©cision ou une mesure favorable au requĂ©rant ne suffit en principe Ă  lui retirer la qualitĂ© de « victime Â» que si les autoritĂ©s nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis rĂ©parĂ© la violation de la Convention (voir, par exemple, Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, § 69, sĂ©rie A no 51 ; Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1996-III ; Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI ; et Jensen c. Danemark (dĂ©c.), no 48470/99, CEDH 2001-X).

39.  Les requĂ©rants se plaignent devant la Cour d’avoir Ă©tĂ© dĂ©tenus dans les prisons de Busto Arsizio et de Piacenza pendant des pĂ©riodes importantes dans des conditions contraires Ă  la Convention. Or, il est vrai qu’aprĂšs l’introduction de leurs requĂȘtes respectives, les intĂ©ressĂ©s ont Ă©tĂ© soit libĂ©rĂ©s soit transfĂ©rĂ©s dans d’autres Ă©tablissements pĂ©nitentiaires. Cependant, on ne saurait considĂ©rer que les autoritĂ©s internes aient ainsi reconnu les violations allĂ©guĂ©es par les requĂ©rants et ensuite rĂ©parĂ© le prĂ©judice qu’ils auraient pu subir du fait des situations qu’ils dĂ©crivent dans leurs requĂȘtes.

40.  La Cour conclut que tous les requĂ©rants peuvent toujours se prĂ©tendre « victimes Â» d’une violation de leurs droits garantis par l’article 3 de la Convention.

2.  L’exception de non-Ă©puisement des voies de recours internes

41.  Le Gouvernement excipe du non-Ă©puisement des voies de recours internes. Il affirme que toute personne dĂ©tenue ou internĂ©e dans les prisons italiennes peut saisir le juge d’application des peines d’une rĂ©clamation en vertu des articles 35 et 69 de la loi no 354 de 1975. Cette voie de recours serait accessible et effective et permettrait d’obtenir des dĂ©cisions ayant valeur contraignante et pouvant redresser d’éventuelles violations des droits des dĂ©tenus. Selon le Gouvernement, la procĂ©dure devant le juge d’application des peines constitue un remĂšde pleinement judiciaire, Ă  l’issue duquel l’autoritĂ© saisie peut prescrire Ă  l’administration pĂ©nitentiaire des mesures obligatoires visant l’amĂ©lioration des conditions de dĂ©tention de la personne intĂ©ressĂ©e.

42.  Or, le Gouvernement observe que seul M. Ghisoni, requĂ©rant de l’affaire no 61535/09, s’est prĂ©valu de cette possibilitĂ© en introduisant une rĂ©clamation devant le juge d’application des peines de Reggio Emilia et en obtenant une ordonnance favorable. D’aprĂšs le Gouvernement, cela constitue la preuve de l’accessibilitĂ© et de l’effectivitĂ© de la voie de recours en question. Il s’ensuivrait que les requĂ©rants qui ne se sont pas prĂ©valus dudit remĂšde n’ont pas Ă©puisĂ© les voies de recours internes.

43.  Quant Ă  l’inexĂ©cution de la part de l’administration pĂ©nitentiaire de ladite ordonnance du juge d’application des peines de Reggio Emilia, le Gouvernement affirme que M. Ghisoni a omis de demander la mise en exĂ©cution de cette dĂ©cision aux « autoritĂ©s judiciaires internes Â». Par consĂ©quent il estime que la requĂȘte de M. Ghisoni doit Ă©galement ĂȘtre dĂ©clarĂ©e irrecevable pour non-Ă©puisement des voies de recours internes.

44.  Les requĂ©rants soutiennent que le systĂšme italien n’offre aucune voie de recours permettant de remĂ©dier au surpeuplement des prisons italiennes et d’obtenir une amĂ©lioration des conditions de dĂ©tention.

45.  En particulier, ils allĂšguent l’ineffectivitĂ© de la procĂ©dure devant le juge d’application des peines. Ils observent tout d’abord que le recours en question ne constitue pas un remĂšde judiciaire mais un recours de type administratif, les dĂ©cisions du juge n’étant nullement contraignantes pour les directions des Ă©tablissements pĂ©nitentiaires. Ils soutiennent par ailleurs que de nombreux dĂ©tenus ont essayĂ© d’amĂ©liorer leurs mauvaises conditions carcĂ©rales par le biais de rĂ©clamations au juge d’application des peines, sans toutefois n’obtenir aucun rĂ©sultat. Par consĂ©quent, ils s’estiment dispensĂ©s de l’obligation d’épuiser ce remĂšde.

46.  M. Ghisoni, quant Ă  lui, soutient avoir Ă©puisĂ© les voies de recours internes en saisissant le juge d’application des peines de Reggio Emilia d’une rĂ©clamation sur le fondement des articles 35 et 69 de la loi sur l’administration pĂ©nitentiaire. Son expĂ©rience serait la preuve de l’ineffectivitĂ© de la voie de recours indiquĂ©e par le Gouvernement.

Il allĂšgue que l’ordonnance rendue par le juge d’application des peines le 20 aoĂ»t 2010, reconnaissant que les conditions carcĂ©rales Ă  la prison de Piacenza Ă©taient inhumaines et ordonnant aux autoritĂ©s administratives compĂ©tentes de mettre en place toutes les mesures nĂ©cessaires pour y remĂ©dier d’urgence, est restĂ©e lettre morte pendant plusieurs mois. Il ne voit pas quelle autre dĂ©marche il aurait pu accomplir pour obtenir une exĂ©cution rapide de l’ordonnance.

47.  La Cour rappelle que la rĂšgle de l’épuisement des voies de recours internes vise Ă  mĂ©nager aux États contractants l’occasion de prĂ©venir ou de redresser les violations allĂ©guĂ©es contre eux avant que ces allĂ©gations ne lui soient soumises (voir, parmi beaucoup d’autres, Remli c. France, 23 avril 1996, § 33, Recueil 1996-II, et Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V). Cette rĂšgle se fonde sur l’hypothĂšse, objet de l’article 13 de la Convention – et avec lequel elle prĂ©sente d’étroites affinitĂ©s –, que l’ordre interne offre un recours effectif quant Ă  la violation allĂ©guĂ©e (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI).

48.  Cependant, l’obligation dĂ©coulant de l’article 35 se limite Ă  celle de faire un usage normal des recours vraisemblablement effectifs, suffisants et accessibles (entre autres, Vernillo c. France, 20 fĂ©vrier 1991, § 27, sĂ©rie A no 198). En particulier, la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours Ă  la fois relatifs aux violations incriminĂ©es, disponibles et adĂ©quats. Ils doivent exister Ă  un degrĂ© suffisant de certitude non seulement en thĂ©orie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivitĂ© et l’accessibilitĂ© voulues (Dalia c. France, 19 fĂ©vrier 1998, § 38, Recueil 1998-I). De plus, selon les « principes de droit international gĂ©nĂ©ralement reconnus Â», certaines circonstances particuliĂšres peuvent dispenser le requĂ©rant de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes qui s’offrent Ă  lui. Cette rĂšgle ne s’applique pas non plus lorsqu’est prouvĂ©e l’existence d’une pratique administrative consistant en la rĂ©pĂ©tition d’actes interdits par la Convention et la tolĂ©rance officielle de l’Etat, de sorte que toute procĂ©dure serait vaine ou ineffective (Aksoy c. Turquie, arrĂȘt du 18 dĂ©cembre 1996, Recueil 1996-VI, § 52).

49.  Enfin, l’article 35 § 1 de la Convention prĂ©voit une rĂ©partition de la charge de la preuve. Pour ce qui concerne le Gouvernement, lorsqu’il excipe du non-Ă©puisement, il doit convaincre la Cour que le recours Ă©tait effectif et disponible tant en thĂ©orie qu’en pratique Ă  l’époque des faits, c’est-Ă -dire qu’il Ă©tait accessible, Ă©tait susceptible d’offrir au requĂ©rant le redressement de ses griefs et prĂ©sentait des perspectives raisonnables de succĂšs (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil 1996‑IV ; et Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006-II).

50.  En particulier, la Cour a dĂ©jĂ  eu l’occasion d’indiquer que dans l’apprĂ©ciation de l’effectivitĂ© des remĂšdes concernant des allĂ©gations de mauvaises conditions de dĂ©tention, la question dĂ©cisive est de savoir si la personne intĂ©ressĂ©e peut obtenir des juridictions internes un redressement direct et appropriĂ©, et pas simplement une protection indirecte de ses droits garantis par l’article 3 de la Convention (voir, entre autres, Mandić et Jović c. SlovĂ©nie, nos 5774/10 et 5985/10, § 107, 20 octobre 2011). Ainsi, un recours exclusivement en rĂ©paration ne saurait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme suffisant s’agissant des allĂ©gations de conditions d’internement ou de dĂ©tention prĂ©tendument contraires Ă  l’article 3, dans la mesure oĂč il n’a pas un effet « prĂ©ventif Â» en ce sens qu’il n’est pas Ă  mĂȘme d’empĂȘcher la continuation de la violation allĂ©guĂ©e ou de permettre aux dĂ©tenus d’obtenir une amĂ©lioration de leurs conditions matĂ©rielles de dĂ©tention (Cenbauer c. Croatie (dĂ©c), no73786/01, 5 fĂ©vrier 2004 ; Norbert Sikorski c. Pologne, no 17599/05, § 116, 22 octobre 2009 ; Mandić et Jović c. SlovĂ©nie, prĂ©citĂ© § 116 ; Parascineti c. Roumanie, no 32060/05, § 38, 13 mars 2012).

En ce sens, pour qu’un systĂšme de protection des droits des dĂ©tenus garantis par l’article 3 de la Convention soit effectif, les remĂšdes prĂ©ventifs et compensatoires doivent coexister de façon complĂ©mentaire (Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, § 98, 10 janvier 2012).

51.  En l’espĂšce, la Cour doit dĂ©terminer si la rĂ©clamation devant le juge italien de l’application des peines constitue une voie de recours rĂ©pondant aux critĂšres Ă©tablis par elle dans sa jurisprudence. Tout d’abord, elle relĂšve que les parties ne s’accordent pas quant Ă  la nature du remĂšde en question, le Gouvernement allĂ©guant la nature pleinement juridictionnelle de la procĂ©dure devant le juge d’application des peines, tandis que les requĂ©rants estiment que, vu sa nature simplement administrative, il ne s’agit pas d’un remĂšde Ă  Ă©puiser. Or, la Cour estime que cette question n’est pas dĂ©terminante dans la mesure oĂč elle a dĂ©jĂ  relevĂ© que, dans certaines circonstances, les voies de nature administrative peuvent s’avĂ©rer efficaces – et constituer donc des remĂšdes Ă  Ă©puiser – s’agissant de griefs relatifs Ă  l’application de la rĂ©glementation relative au rĂ©gime carcĂ©ral (Norbert Sikorski c. Pologne, prĂ©citĂ©, § 111).

52.  Cela Ă©tant, il reste Ă  trancher la question de l’effectivitĂ© en pratique de la voie de recours indiquĂ©e en l’espĂšce par le gouvernement dĂ©fendeur. A cet Ă©gard, la Cour constate qu’en dĂ©pit de l’affirmation de celui-ci selon laquelle les dĂ©cisions rendues par les juges d’application des peines dans le cadre de la procĂ©dure prĂ©vue par la loi sur l’administration pĂ©nitentiaire ont force obligatoire pour les autoritĂ©s administratives compĂ©tentes, l’ordonnance du juge de Reggio Emilia du 20 aoĂ»t 2010, favorable Ă  M. Ghisoni et Ă  ses codĂ©tenus et emportant adoption d’urgence de mesures adĂ©quates, est restĂ©e longtemps inexĂ©cutĂ©e. Il ressort du dossier que le requĂ©rant ne fut transfĂ©rĂ© dans une cellule pour deux personnes, disposant ainsi d’un espace compatible avec les normes europĂ©ennes, qu’en fĂ©vrier 2011. A cet Ă©gard, le Gouvernement s’est bornĂ© Ă  soutenir que les intĂ©ressĂ©s auraient dĂ» solliciter l’exĂ©cution rapide de ladite ordonnance auprĂšs des « autoritĂ©s judiciaires internes Â», sans par ailleurs prĂ©ciser lesquelles.

53.  Aux yeux de la Cour, il est difficile de concilier cette derniĂšre affirmation du Gouvernement avec l’effectivitĂ© allĂ©guĂ©e de la procĂ©dure de rĂ©clamation devant le juge d’application des peines. Elle observe que, Ă  supposer mĂȘme qu’il existe une voie de recours visant l’exĂ©cution des ordonnances des juges d’application des peines, ce qui n’a nullement Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© par le Gouvernement, on ne saurait prĂ©tendre qu’un dĂ©tenu ayant obtenu une dĂ©cision favorable multiplie les recours afin d’obtenir la reconnaissance de ses droits fondamentaux au niveau de l’administration pĂ©nitentiaire.

54.  Par ailleurs, la Cour a dĂ©jĂ  observĂ© que le dysfonctionnement des remĂšdes « prĂ©ventifs Â» dans des situations de surpeuplement carcĂ©ral est largement dĂ©pendant de la nature structurelle du phĂ©nomĂšne (Ananyev et autres c. Russie, prĂ©citĂ©, § 111). Or, il ressort des dossiers des prĂ©sentes requĂȘtes, ainsi que des rapports sur la situation du systĂšme pĂ©nitentiaire italien, non remise en cause par le Gouvernement devant la Cour, que les Ă©tablissements pĂ©nitentiaires de Busto Arsizio et de Piacenza sont largement surpeuplĂ©s, Ă  l’instar d’un grand nombre de prisons italiennes, si bien que le surpeuplement carcĂ©ral en Italie s’apparente Ă  un phĂ©nomĂšne structurel et ne concerne pas exclusivement le cas particulier des requĂ©rants (voir, notamment, Mamedova c. Russie, no 7064/05, § 56, 1er juin 2006 ; Norbert Sikorski c. Pologne, prĂ©citĂ©, § 121). Dans ces conditions, on peut facilement concevoir que les autoritĂ©s pĂ©nitentiaires italiennes ne soient pas en mesure d’exĂ©cuter les dĂ©cisions des juges d’application des peines et de garantir aux dĂ©tenus des conditions de dĂ©tention conformes Ă  la Convention.

55.  Au vu de ces circonstances, la Cour considĂšre qu’il n’a pas Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© que la voie de recours indiquĂ©e par le Gouvernement, compte tenu notamment de la situation actuelle du systĂšme pĂ©nitentiaire, est effective en pratique, c’est-Ă -dire susceptible d’empĂȘcher la continuation de la violation allĂ©guĂ©e et d’assurer aux requĂ©rants une amĂ©lioration de leurs conditions matĂ©rielles de dĂ©tention. DĂšs lors, ceux-ci n’étaient pas tenus de l’épuiser avant de saisir la Cour.

56.  Partant, la Cour estime qu’il convient de rejeter Ă©galement l’exception de non-Ă©puisement soulevĂ©e par le Gouvernement. Elle constate que les requĂȘtes ne sont pas manifestement mal fondĂ©es au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Relevant par ailleurs qu’elles ne se heurtent Ă  aucun autre motif d’irrecevabilitĂ©, elle les dĂ©clare donc recevables.

B.  Sur le fond

1.  Arguments des parties

57.  Les requĂ©rants se plaignent du manque d’espace vital dans leurs cellules respectives. Ayant tous partagĂ© des cellules de 9 mÂČ avec deux autres personnes, ils n’auraient donc disposĂ© que d’un espace personnel de 3 mÂČ. Cet espace, dĂ©jĂ  insuffisant, Ă©tait par ailleurs encore restreint par la prĂ©sence de mobilier dans les cellules.

58.  En outre, les requĂ©rants allĂšguent l’existence de graves problĂšmes de distribution d’eau chaude dans les Ă©tablissements pĂ©nitentiaires de Busto Arsizio et de Piacenza. Ils affirment que la pĂ©nurie d’eau chaude a longtemps limitĂ© Ă  trois fois par semaine l’accĂšs Ă  la douche. Enfin, les requĂ©rants dĂ©tenus Ă  Piacenza se plaignent de l’apposition aux fenĂȘtres des cellules de lourds barreaux mĂ©talliques empĂȘchant l’air et la lumiĂšre du jour d’entrer dans les locaux.

59.  Le Gouvernement s’oppose aux arguments des requĂ©rants, soutenant de maniĂšre gĂ©nĂ©rale que les conditions de dĂ©tention dĂ©noncĂ©es par les intĂ©ressĂ©s n’atteignent en aucun cas le seuil minimum de gravitĂ© requis par l’article 3 de la Convention.

60.  Concernant l’établissement pĂ©nitentiaire de Busto Arsizio, le Gouvernement affirme que la situation est sous le contrĂŽle des autoritĂ©s, le surpeuplement dans cet Ă©tablissement n’ayant pas atteint un seuil prĂ©occupant. Il indique qu’à la date du 8 fĂ©vrier 2011, l’établissement, qui est prĂ©vu pour hĂ©berger 297 personnes, accueillait 439 dĂ©tenus. Il reconnaĂźt qu’un troisiĂšme lit a Ă©tĂ© ajoutĂ© dans les cellules en raison de la situation de surpeuplement dans l’établissement. Cependant, le fait de partager une cellule de 9 mÂČ avec deux autres personnes ne constituerait pas un traitement inhumain ou dĂ©gradant. Par ailleurs, le Gouvernement ne soutient que le problĂšme du manque d’eau chaude dans l’établissement dĂ©noncĂ© par les requĂ©rants est Ă  prĂ©sent rĂ©solu grĂące Ă  l’installation d’un nouveau systĂšme de distribution hydrique.

61.  Pour ce qui est des conditions de dĂ©tention Ă  la prison de Piacenza, le Gouvernement soutient que la capacitĂ© maximale de l’établissement est de 346 personnes. Or, selon lui, il accueillait 412 personnes le 11 mars 2011. Le Gouvernement en conclut que le surpeuplement dans cet Ă©tablissement, bien que rĂ©el, n’atteint pas des proportions prĂ©occupantes.

62.  D’aprĂšs le Gouvernement, les cellules de la prison de Piacenza ont une superficie de 11 mÂČ, contrairement aux affirmations des requĂ©rants, et sont gĂ©nĂ©ralement occupĂ©es par deux personnes. NĂ©anmoins, il admet qu’un troisiĂšme dĂ©tenu a Ă©tĂ© placĂ© dans certaines cellules de la prison pendant des pĂ©riodes limitĂ©es, dans le but de faire face Ă  la croissance de la population carcĂ©rale.

63.  Selon le Gouvernement, les requĂ©rants n’ont ni prouvĂ© avoir disposĂ© d’un espace personnel infĂ©rieur Ă  3 mÂČ, ni prĂ©cisĂ© la durĂ©e de leur maintien dans les conditions allĂ©guĂ©es devant la Cour. DĂšs lors, leurs dolĂ©ances ne seraient pas suffisamment Ă©tayĂ©es.

64.  Quant aux autres traitements allĂ©guĂ©s par les requĂ©rants, le Gouvernement affirme que le problĂšme de la pĂ©nurie d’eau chaude dans la prison de Piacenza Ă©tait liĂ© Ă  un dysfonctionnement de la station de pompage et a maintenant Ă©tĂ© rĂ©solu par les autoritĂ©s et que, dĂšs lors, il est possible Ă  prĂ©sent d’accĂ©der Ă  la douche tous les jours. Enfin, le Gouvernement soutient que les dĂ©tenus Ă  la prison de Piacenza passent quatre heures par jour Ă  l’extĂ©rieur de leurs cellules et consacrent deux heures supplĂ©mentaires aux activitĂ©s sociales.

2.  Principes Ă©tablis dans la jurisprudence de la Cour

65.  La Cour relĂšve que les mesures privatives de libertĂ© impliquent habituellement pour un dĂ©tenu certains inconvĂ©nients. Toutefois, elle rappelle que l’incarcĂ©ration ne fait pas perdre Ă  un dĂ©tenu le bĂ©nĂ©fice des droits garantis par la Convention. Au contraire, dans certains cas, la personne incarcĂ©rĂ©e peut avoir besoin d’une protection accrue en raison de la vulnĂ©rabilitĂ© de sa situation et parce qu’elle se trouve entiĂšrement sous la responsabilitĂ© de l’État. Dans ce contexte, l’article 3 fait peser sur les autoritĂ©s une obligation positive qui consiste Ă  s’assurer que tout prisonnier est dĂ©tenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignitĂ© humaine, que les modalitĂ©s d’exĂ©cution de la mesure ne soumettent pas l’intĂ©ressĂ© Ă  une dĂ©tresse ou Ă  une Ă©preuve d’une intensitĂ© qui excĂšde le niveau inĂ©vitable de souffrance inhĂ©rent Ă  la dĂ©tention et que, eu Ă©gard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santĂ© et le bien-ĂȘtre du prisonnier sont assurĂ©s de maniĂšre adĂ©quate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI ; Norbert Sikorski c. Pologne, prĂ©citĂ© § 131).

66.  S’agissant des conditions de dĂ©tention, la Cour prend en compte les effets cumulatifs de celles-ci ainsi que les allĂ©gations spĂ©cifiques du requĂ©rant (Dougoz c. GrĂšce, nÂș 40907/98, CEDH 2001-II). En particulier, le temps pendant lequel un individu a Ă©tĂ© dĂ©tenu dans les conditions incriminĂ©es constitue un facteur important Ă  considĂ©rer (Alver c. Estonie, no 64812/01, 8 novembre 2005).

67.  Lorsque la surpopulation carcĂ©rale atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un Ă©tablissement pĂ©nitentiaire peut constituer l’élĂ©ment central Ă  prendre en compte dans l’apprĂ©ciation de la conformitĂ© d’une situation donnĂ©e Ă  l’article 3 (voir, en ce sens, Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, 7 avril 2005).

68.  Ainsi, dĂšs lors qu’elle a Ă©tĂ© confrontĂ©e Ă  des cas de surpopulation sĂ©vĂšre, la Cour a jugĂ© que cet Ă©lĂ©ment, Ă  lui seul, suffit pour conclure Ă  la violation de l’article 3 de la Convention. En rĂšgle gĂ©nĂ©rale, bien que l’espace estimĂ© souhaitable par le CPT pour les cellules collectives soit de 4 mÂČ, il s’agit de cas de figure oĂč l’espace personnel accordĂ© Ă  un requĂ©rant Ă©tait infĂ©rieur Ă  3 mÂČ (Kantyrev c. Russie, no 37213/02, §§ 50-51, 21 juin 2007 ; AndreĂŻ Frolov c. Russie, no 205/02, §§ 47-49, 29 mars 2007 ; Kadikis c. Lettonie, no 62393/00, § 55, 4 mai 2006 ; Sulejmanovic c. Italie, no 22635/03, § 43, 16 juillet 2009).

69.  En revanche, dans des affaires oĂč la surpopulation n’était pas importante au point de soulever Ă  elle seule un problĂšme sous l’angle de l’article 3, la Cour a notĂ© que d’autres aspects des conditions de dĂ©tention Ă©taient Ă  prendre en compte dans l’examen du respect de cette disposition. Parmi ces Ă©lĂ©ments figurent la possibilitĂ© d’utiliser les toilettes de maniĂšre privĂ©e, l’aĂ©ration disponible, l’accĂšs Ă  la lumiĂšre et Ă  l’air naturels, la qualitĂ© du chauffage et le respect des exigences sanitaires de base (voir Ă©galement les Ă©lĂ©ments ressortant des rĂšgles pĂ©nitentiaires europĂ©ennes adoptĂ©es par le ComitĂ© des Ministres, citĂ©es au paragraphe 32 ci-dessus). Aussi, mĂȘme dans des affaires oĂč chaque dĂ©tenu disposait de 3 Ă  4 mÂČ, la Cour a conclu Ă  la violation de l’article 3 dĂšs lors que le manque d’espace s’accompagnait d’un manque de ventilation et de lumiĂšre (Moisseiev c. Russie, no 62936/00, 9 octobre 2008 ; voir Ă©galement Vlassov c. Russie, no 78146/01, § 84, 12 juin 2008 ; Babouchkine c. Russie, no 67253/01, § 44, 18 octobre 2007) ; d’un accĂšs limitĂ© Ă  la promenade en plein air (IstvĂĄn GĂĄbor KovĂĄcs c. Hongrie, no 15707/10, § 26, 17 janvier 2012) ou d’un manque total d’intimitĂ© dans les cellules (voir, mutatis mutandis, Belevitskiy c. Russie, no 72967/01, §§ 73-79, 1er mars 2007 ; Khudoyorov c. Russie, no 6847/02, §§ 106-107, ECHR 2005-X (extraits) ; et Novoselov c. Russie, no 66460/01, §§ 32 et 40-43, 2 juin 2005).

3.  Application des principes susmentionnĂ©s aux prĂ©sentes affaires

70.  La Cour observe tout d’abord que le Gouvernement n’a pas contestĂ© que MM. Torreggiani, Biondi et Bamba ont occupĂ© tout au long de leur dĂ©tention Ă  la prison de Busto Arsizio des cellules de 9 mÂČ, chacun avec deux autres personnes.

71.  En revanche, les versions des parties divergent quant aux dimensions des cellules occupĂ©es par les requĂ©rants dĂ©tenus Ă  la prison de Piacenza et au nombre d’occupants de celles-ci. Chacun des cinq requĂ©rants concernĂ©s affirme partager des cellules de 9 mÂČ avec deux autres personnes, tandis que le Gouvernement soutient que les cellules en question mesurent 11 mÂČ et sont en rĂšgle gĂ©nĂ©rale occupĂ©es par deux personnes. La Cour note par ailleurs que le Gouvernement n’a fourni aucun document au sujet des requĂ©rants concernĂ©s ni n’a prĂ©sentĂ© d’informations concernant les dimensions rĂ©elles des cellules occupĂ©s par ceux-ci. Selon lui, il appartient aux requĂ©rants de prouver la rĂ©alitĂ© de leurs affirmations concernant l’espace personnel dont ils disposent et la durĂ©e du traitement allĂ©guĂ© devant la Cour.

72.  Sensible Ă  la vulnĂ©rabilitĂ© particuliĂšre des personnes se trouvant sous le contrĂŽle exclusif des agents de l’État, telles les personnes dĂ©tenues, la Cour rĂ©itĂšre que la procĂ©dure prĂ©vue par la Convention ne se prĂȘte pas toujours Ă  une application rigoureuse du principe affirmanti incumbit probatio (la preuve incombe Ă  celui qui affirme) car, inĂ©vitablement, le gouvernement dĂ©fendeur est parfois seul Ă  avoir accĂšs aux informations susceptibles de confirmer ou d’infirmer les affirmations du requĂ©rant (Khoudoyorov c. Russie, no 6847/02, § 113, CEDH 2005-X (extraits) ; et Benediktov c. Russie, no 106/02, § 34, 10 mai 2007 ; BrĂąnduşe c. Roumanie, no 6586/03, § 48, 7 avril 2009 ; Ananyev et autres c. Russie, prĂ©citĂ©, § 123). Il s’ensuit que le simple fait que la version du Gouvernement contredit celle fournie par le requĂ©rant ne saurait, en l’absence de tout document ou explication pertinents de la part du Gouvernement, amener la Cour Ă  rejeter des allĂ©gations de l’intĂ©ressĂ© comme non Ă©tayĂ©es (Ogică c. Roumanie, no 24708/03, § 43, 27 mai 2010).

73.  DĂšs lors, dans la mesure oĂč le Gouvernement n’a pas soumis Ă  la Cour des informations pertinentes propres Ă  justifier ses affirmations, la Cour examinera la question des conditions de dĂ©tention des requĂ©rants sur la base des allĂ©gations des intĂ©ressĂ©s et Ă  la lumiĂšre de l’ensemble des informations en sa possession.

74.  A cet Ă©gard, elle note que les versions des requĂ©rants dĂ©tenus Ă  Piacenza sont unanimes quant aux dimensions de leurs cellules. De plus, la circonstance que la majoritĂ© des locaux de dĂ©tention dudit Ă©tablissement mesurent 9 mÂČ est confirmĂ©e par les ordonnances du juge d’application des peines de Reggio Emilia (paragraphe 11 ci-dessus). S’agissant du nombre de personnes accueillies dans les cellules, le Gouvernement n’a prĂ©sentĂ© aucun document pertinent extrait des registres de la prison, alors qu’il est le seul Ă  avoir accĂšs Ă  ce genre d’informations, tout en reconnaissant que la situation de surpeuplement Ă  la prison de Piacenza a rendu nĂ©cessaire le placement d’une troisiĂšme personne dans certaines cellules de l’établissement.

75.  En l’absence de tout document prouvant le contraire et compte tenu de la situation de surpeuplement gĂ©nĂ©ralisĂ© Ă  la prison de Piacenza, la Cour n’a aucune raison de douter des allĂ©gations de MM. Sela, Ghisoni, Hajjoubi et Haili selon lesquelles ils ont partagĂ© leurs cellules avec deux autres personnes, disposant ainsi, Ă  l’instar de MM. Torreggiani, Bamba et Biondi (voir paragraphe 70 ci-dessus), d’un espace vital individuel de 3 mÂČ. Elle observe que cet espace Ă©tait par ailleurs encore restreint par la prĂ©sence de mobilier dans les cellules.

76.  Au vu de ce qui prĂ©cĂšde, la Cour considĂšre que les requĂ©rants n’ont pas bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un espace de vie conforme aux critĂšres qu’elle a jugĂ©s acceptables par sa jurisprudence. Elle souhaite rappeler encore une fois dans ce contexte que la norme en matiĂšre d’espace habitable dans les cellules collectives recommandĂ©e par le CPT est de quatre mĂštres carrĂ©s (Ananyev et autres, prĂ©citĂ©, §§ 144 et 145).

77.  La Cour observe ensuite que le manque d’espace sĂ©vĂšre dont les sept requĂ©rants ont souffert pendant des pĂ©riodes comprises entre quatorze mois et cinquante-quatre mois (paragraphes 6 et 7 ci-dessus), qui reprĂ©sente en soi un traitement contraire Ă  la Convention, semble avoir Ă©tĂ© encore aggravĂ© par d’autres traitements allĂ©guĂ©s par les intĂ©ressĂ©s. Le manque d’eau chaude dans les deux Ă©tablissements pendant de longues pĂ©riodes, qui a Ă©tĂ© reconnu par le Gouvernement, ainsi que l’éclairage et la ventilation insuffisants dans les cellules de la prison de Piacenza, sur lesquels le Gouvernement ne s’est pas exprimĂ©, n’ont pas manquĂ© d’engendrer chez les requĂ©rants une souffrance supplĂ©mentaire, bien que ne constituant pas en soi un traitement inhumain et dĂ©gradant.

78.  MĂȘme si la Cour admet qu’en l’espĂšce rien n’indique qu’il y ait eu intention d’humilier ou de rabaisser les requĂ©rants, l’absence d’un tel but ne saurait exclure un constat de violation de l’article 3 (voir, parmi d’autres, Peers c. GrĂšce, no 28524/95, § 74, CEDH 2001‑III). La Cour estime que les conditions de dĂ©tention en cause, compte tenu Ă©galement de la durĂ©e d’incarcĂ©ration des requĂ©rants, ont soumis les intĂ©ressĂ©s Ă  une Ă©preuve d’une intensitĂ© qui excĂ©dait le niveau inĂ©vitable de souffrance inhĂ©rent Ă  la dĂ©tention.

79.  Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION

80.  Aux termes de l’article 46 de la Convention :

« 1.  Les Hautes Parties contractantes s’engagent Ă  se conformer aux arrĂȘts dĂ©finitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2.  L’arrĂȘt dĂ©finitif de la Cour est transmis au ComitĂ© des Ministres qui en surveille l’exĂ©cution. Â»

A.  Arguments des parties

81.  Le Gouvernement ne s’oppose pas Ă  l’application de la procĂ©dure de l’arrĂȘt pilote prĂ©vue par l’article 46 de la Convention, tout en faisant observer que les autoritĂ©s italiennes ont mis en place une sĂ©rie de mesures importantes visant la rĂ©solution du problĂšme du surpeuplement carcĂ©ral. Il exhorte la Cour Ă  prendre en considĂ©ration les efforts dĂ©ployĂ©s par l’État italien.

82.  Les requĂ©rants allĂšguent l’existence en Italie d’un problĂšme structurel et se dĂ©clarent favorables Ă  l’application de la procĂ©dure en question. Seul M. Torreggiani (requĂȘte n43517/09) s’est opposĂ© Ă  l’application de la procĂ©dure de l’arrĂȘt pilote, au motif qu’il n’accepte pas que son cas reçoive un traitement similaire Ă  celui d’autres requĂ©rants.

B.  ApprĂ©ciation de la Cour

1.  Principes gĂ©nĂ©raux pertinents

83.  La Cour rappelle que, tel qu’interprĂ©tĂ© Ă  la lumiĂšre de l’article 1 de la Convention, l’article 46 crĂ©e pour l’État dĂ©fendeur l’obligation juridique de mettre en Ɠuvre, sous le contrĂŽle du ComitĂ© des Ministres, les mesures gĂ©nĂ©rales et/ou individuelles qui s’imposent pour sauvegarder le droit du requĂ©rant dont la Cour a constatĂ© la violation. Des mesures de ce type doivent aussi ĂȘtre prises Ă  l’égard d’autres personnes dans la mĂȘme situation que l’intĂ©ressĂ©, l’État Ă©tant censĂ© mettre un terme aux problĂšmes Ă  l’origine des constats opĂ©rĂ©s par la Cour (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000‑VIII ; S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 134, 4 dĂ©cembre 2008).

84.  Afin de faciliter une mise en Ɠuvre effective de ses arrĂȘts suivant le principe ci-dessus, la Cour peut adopter une procĂ©dure d’arrĂȘt pilote lui permettant de mettre clairement en lumiĂšre, dans son arrĂȘt, l’existence de problĂšmes structurels Ă  l’origine des violations et d’indiquer les mesures ou actions particuliĂšres que l’État dĂ©fendeur devra prendre pour y remĂ©dier (Hutten-Czapska c. Pologne [GC], no 35014/97, §§ 231-239 et son dispositif, CEDH 2006‑VIII, et Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, §§ 189-194 et son dispositif, CEDH 2004‑V). Lorsqu’elle adopte pareille dĂ©marche, elle tient cependant dĂ»ment compte des attributions respectives des organes de la Convention : en vertu de l’article 46 Â§ 2 de la Convention, il appartient au ComitĂ© des Ministres d’évaluer la mise en Ɠuvre des mesures individuelles ou gĂ©nĂ©rales prises en exĂ©cution de l’arrĂȘt de la Cour (voir, mutatis mutandis, Broniowski c. Pologne (rĂšglement amiable) [GC], no 31443/96, § 42, CEDH 2005‑IX).

85.  Un autre but important poursuivi par la procĂ©dure d’arrĂȘt pilote est d’inciter l’État dĂ©fendeur Ă  trouver, au niveau national, une solution aux nombreuses affaires individuelles nĂ©es du mĂȘme problĂšme structurel, donnant ainsi effet au principe de subsidiaritĂ© qui est Ă  la base du systĂšme de la Convention (Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, § 127, CEDH 2009). En effet, la Cour ne s’acquitte pas forcĂ©ment au mieux de sa tĂąche, qui consiste selon l’article 19 de la Convention Ă  « assurer le respect des engagements rĂ©sultant pour les Hautes Parties contractantes de la (...) Convention et de ses Protocoles », en rĂ©pĂ©tant les mĂȘmes conclusions dans un grand nombre d’affaires (ibidem).

86.  La procĂ©dure d’arrĂȘt pilote a pour objet de faciliter la rĂ©solution la plus rapide et la plus effective d’un dysfonctionnement systĂ©mique affectant la protection du droit conventionnel en cause dans l’ordre juridique interne (Wolkenberg et autres c. Pologne (dĂ©c.), no 50003/99, § 34, CEDH 2007 (extraits)). Si elle doit tendre principalement au rĂšglement de ces dysfonctionnements et Ă  la mise en place, le cas Ă©chĂ©ant, de recours internes effectifs permettant de dĂ©noncer les violations commises, l’action de l’État dĂ©fendeur peut aussi comprendre l’adoption de solutions ad hoc telles que des rĂšglements amiables avec les requĂ©rants ou des offres unilatĂ©rales d’indemnisation, en conformitĂ© avec les exigences de la Convention (Bourdov (no 2), prĂ©citĂ©, § 127).

2.  Application en l’espĂšce des principes susmentionnĂ©s

a)   Sur l’existence d’une situation incompatible avec la Convention appelant l’application de la procĂ©dure de l’arrĂȘt pilote en l’espĂšce

87.  La Cour vient de constater que la surpopulation carcĂ©rale en Italie ne concerne pas exclusivement les cas des requĂ©rants (paragraphe 54 ci-dessus). Elle relĂšve notamment que le caractĂšre structurel et systĂ©mique du surpeuplement carcĂ©ral en Italie ressort clairement des donnĂ©es statistiques indiquĂ©es plus haut ainsi que des termes de la dĂ©claration de l’état d’urgence au niveau national proclamĂ©e par le prĂ©sident du Conseil des ministres italien en 2010 (paragraphes 23-29 ci-dessus).

88.  L’ensemble de ces donnĂ©es fait apparaĂźtre que la violation du droit des requĂ©rants de bĂ©nĂ©ficier de conditions de dĂ©tention adĂ©quates n’est pas la consĂ©quence d’incidents isolĂ©s mais tire son origine d’un problĂšme systĂ©mique rĂ©sultant d’un dysfonctionnement chronique propre au systĂšme pĂ©nitentiaire italien, qui a touchĂ© et est susceptible de toucher encore Ă  l’avenir de nombreuses personnes (voir, mutatis mutandis, Broniowski c. Pologne, prĂ©citĂ©, § 189). Selon la Cour, la situation constatĂ©e en l’espĂšce est, dĂšs lors, constitutive d’une pratique incompatible avec la Convention (Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 22, CEDH 1999‑V ; Bourdov (no 2), prĂ©citĂ©, § 135).

89.  Par ailleurs, le caractĂšre structurel du problĂšme identifiĂ© dans les prĂ©sentes affaires est confirmĂ© par le fait que plusieurs centaines de requĂȘtes dirigĂ©es contre l’Italie et soulevant un problĂšme de compatibilitĂ© avec l’article 3 de la Convention des conditions de dĂ©tention inadĂ©quates liĂ©es Ă  la surpopulation carcĂ©rale dans diffĂ©rentes prisons italiennes sont actuellement pendantes devant elle. Le nombre de ce type de requĂȘtes ne cesse d’augmenter.

90 ConformĂ©ment aux critĂšres Ă©tablis dans sa jurisprudence, la Cour dĂ©cide d’appliquer la procĂ©dure de l’arrĂȘt pilote en l’espĂšce, eu Ă©gard au nombre croissant de personnes potentiellement concernĂ©es en Italie et aux arrĂȘts de violation auxquels les requĂȘtes en question pourraient donner lieu (Maria Atanasiu et autres c. Roumanie, nos 30767/05 et 33800/06, §§ 217-218, 12 octobre 2010). Elle relĂšve aussi le besoin urgent d’offrir aux personnes concernĂ©es un redressement appropriĂ© Ă  l’échelon national (Bourdov (n2), prĂ©citĂ©, §§ 129-130).

b)  Mesures Ă  caractĂšre gĂ©nĂ©ral

91.  La Cour rappelle que ses arrĂȘts ont un caractĂšre essentiellement dĂ©claratoire et qu’il appartient en principe Ă  l’État dĂ©fendeur de choisir, sous le contrĂŽle du ComitĂ© des Ministres, les moyens de s’acquitter de son obligation juridique au regard de l’article 46 de la Convention (Scozzari et Giunta, prĂ©citĂ©, § 249).

92.  Elle observe que l’État italien a rĂ©cemment pris des mesures susceptibles de contribuer Ă  rĂ©duire le phĂ©nomĂšne de la surpopulation dans les Ă©tablissements pĂ©nitentiaires et les consĂ©quences de celle-ci. Elle se fĂ©licite des dĂ©marches accomplies par les autoritĂ©s nationales et ne peut qu’encourager l’État italien Ă  poursuivre ses efforts.

NĂ©anmoins, force est de constater que, malgrĂ© les efforts Ă  la fois lĂ©gislatifs et logistiques entrepris par l’Italie en 2010, le taux national de surpeuplement demeurait trĂšs Ă©levĂ© en avril 2012 (celui-ci Ă©tant passĂ© de 151 % en 2010 Ă  148 % en 2012). Elle observe que ce bilan mitigĂ© est d’autant plus prĂ©occupant que le plan d’intervention d’urgence Ă©laborĂ© par les autoritĂ©s nationales a une durĂ©e limitĂ©e dans le temps, dĂšs lors que la fin des travaux de construction de nouveaux Ă©tablissements pĂ©nitentiaires est prĂ©vue pour la fin de l’annĂ©e 2012 et que les dispositions en matiĂšre d’exĂ©cution de la peine, qui ont un caractĂšre extraordinaire, ne sont applicables que jusqu’à fin 2013 (paragraphe 27 ci-dessus).

93.  La Cour est consciente que des efforts consĂ©quents et soutenus sur le long terme sont nĂ©cessaires pour rĂ©soudre le problĂšme structurel du surpeuplement carcĂ©ral. Toutefois, elle rappelle qu’au vu du caractĂšre intangible du droit protĂ©gĂ© par l’article 3 de la Convention, l’État est tenu d’organiser son systĂšme pĂ©nitentiaire de telle sorte que la dignitĂ© des dĂ©tenus soit respectĂ©e (Mamedova c. Russie, no 7064/05, § 63, 1er juin 2006).

94.  En particulier, lorsque l’État n’est pas en mesure de garantir Ă  chaque dĂ©tenu des conditions de dĂ©tention conformes Ă  l’article 3 de la Convention, la Cour l’encourage Ă  agir de sorte Ă  rĂ©duire le nombre de personnes incarcĂ©rĂ©es, notamment en appliquant davantage des mesures punitives non privatives de libertĂ© (Norbert Sikorski, prĂ©citĂ©, § 158) et en rĂ©duisant au minimum le recours Ă  la dĂ©tention provisoire (entre autres, Ananyev et autres, prĂ©citĂ©, § 197).

À ce dernier Ă©gard, la Cour est frappĂ©e par le fait que 40 % environ des dĂ©tenus dans les prisons italiennes sont des personnes mises en dĂ©tention provisoire en attente d’ĂȘtre jugĂ©es (paragraphe 29 ci-dessus).

95.  Il n’appartient pas Ă  la Cour d’indiquer aux États des dispositions concernant leurs politiques pĂ©nales et l’organisation de leur systĂšme pĂ©nitentiaire. Ces processus soulĂšvent un certain nombre de questions complexes d’ordre juridique et pratique qui, en principe, dĂ©passent la fonction judiciaire de la Cour. NĂ©anmoins, elle souhaite rappeler dans ce contexte les recommandations du ComitĂ© des Ministres du Conseil de l’Europe invitant les États Ă  inciter les procureurs et les juges Ă  recourir aussi largement que possible aux mesures alternatives Ă  la dĂ©tention et Ă  rĂ©orienter leur politique pĂ©nale vers un moindre recours Ă  l’enfermement dans le but, entre autres, de rĂ©soudre le problĂšme de la croissance de la population carcĂ©rale (voir, notamment, les recommandations du ComitĂ© des Ministres Rec(99)22 et Rec(2006)13).

96.  En ce qui concerne la ou les voies de recours internes Ă  adopter pour faire face au problĂšme systĂ©mique reconnu dans la prĂ©sente affaire, la Cour rappelle qu’en matiĂšre de conditions de dĂ©tention, les remĂšdes « prĂ©ventifs Â» et ceux de nature « compensatoire Â» doivent coexister de maniĂšre complĂ©mentaire. Ainsi, lorsqu’un requĂ©rant est dĂ©tenu dans des conditions contraires Ă  l’article 3 de la Convention, le meilleur redressement possible est la cessation rapide de la violation du droit Ă  ne pas subir des traitements inhumains et dĂ©gradants. De plus, toute personne ayant subi une dĂ©tention portant atteinte Ă  sa dignitĂ© doit pouvoir obtenir une rĂ©paration pour la violation subie (Benediktov c. Russie, prĂ©citĂ©, § 29; et Ananyev et autres, prĂ©citĂ©, §§ 97-98 et 210-240).

97.  La Cour observe avoir constatĂ© que le seul recours indiquĂ© par le gouvernement dĂ©fendeur dans les prĂ©sentes affaires qui Ă©tait susceptible d’amĂ©liorer les conditions de dĂ©tention dĂ©noncĂ©es, Ă  savoir la rĂ©clamation devant le juge d’application des peines en vertu des articles 35 et 69 de la loi sur l’administration pĂ©nitentiaire, est un recours qui, bien qu’accessible, n’est pas effectif en pratique, dans la mesure oĂč il ne permet pas de mettre rapidement fin Ă  l’incarcĂ©ration dans des conditions contraires Ă  l’article 3 de la Convention (paragraphe 55 ci-dessus). D’autre part, le Gouvernement n’a pas dĂ©montrĂ© l’existence d’un recours qui permettrait aux personnes ayant Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ©es dans des conditions ayant portĂ© atteinte Ă  leur dignitĂ© d’obtenir une quelconque forme de rĂ©paration pour la violation subie. À cet Ă©gard, elle observe que la jurisprudence rĂ©cente attribuant au juge de l’application des peines le pouvoir de condamner l’administration Ă  payer une indemnisation pĂ©cuniaire est loin de constituer une pratique Ă©tablie et constante des autoritĂ©s nationales (paragraphes 20-22 ci-dessus).

98.  La Cour n’a pas Ă  prĂ©ciser quelle serait la meilleure maniĂšre d’instaurer les voies de recours internes nĂ©cessaires (Hutten-Czapska, prĂ©citĂ©, § 239). L’Etat peut soit modifier les recours existants soit en crĂ©er de nouveaux de sorte que les violations des droits tirĂ©s de la Convention puissent ĂȘtre redressĂ©es de maniĂšre rĂ©ellement effective (Xenides-Arestis c. Turquie, no 46347/99, § 40, 22 dĂ©cembre 2005). Il lui incombe Ă©galement, sous le contrĂŽle du ComitĂ© des Ministres, de garantir que le recours ou les recours nouvellement mis en place respectent, tant en thĂ©orie qu’en pratique, les exigences de la Convention.

99.  Elle en conclut que les autoritĂ©s nationales doivent sans retard mettre en place un recours ou une combinaison de recours ayant des effets prĂ©ventifs et compensatoires et garantissant rĂ©ellement une rĂ©paration effective des violations de la Convention rĂ©sultant du surpeuplement carcĂ©ral en Italie. Ce ou ces recours devront ĂȘtre conformes aux principes de la Convention, tels que rappelĂ©s notamment dans le prĂ©sent arrĂȘt (voir, entre autres, les paragraphes 50 et 95 ci-dessus), et ĂȘtre mis en place dans un dĂ©lai d’un an Ă  compter de la date Ă  laquelle celui-ci sera devenu dĂ©finitif (voir, Ă  titre de comparaison, Xenides-Arestis, prĂ©citĂ©, § 40, et point 5 du dispositif).

c)  ProcĂ©dure Ă  suivre dans les affaires similaires

100.  La Cour rappelle qu’elle peut se prononcer dans l’arrĂȘt pilote sur la procĂ©dure Ă  suivre dans l’examen de toutes les affaires similaires (voir, mutatis mutandis, Broniowski, prĂ©citĂ©, § 198 ; et Xenides-Arestis, prĂ©citĂ©, § 50).

101.  A cet Ă©gard, la Cour dĂ©cide qu’en attendant que les autoritĂ©s internes adoptent les mesures nĂ©cessaires sur le plan national, l’examen des requĂȘtes non communiquĂ©es ayant pour unique objet le surpeuplement carcĂ©ral en Italie sera ajournĂ© pendant une pĂ©riode d’un an Ă  compter de la date Ă  laquelle le prĂ©sent arrĂȘt sera devenu dĂ©finitif. RĂ©serve est faite de la facultĂ© pour la Cour, Ă  tout moment, de dĂ©clarer irrecevable une affaire de ce type ou de la rayer de son rĂŽle Ă  la suite d’un accord amiable entre les parties ou d’un rĂšglement du litige par d’autres moyens, conformĂ©ment aux articles 37 et 39 de la Convention. En revanche, pour ce qui est des requĂȘtes dĂ©jĂ  communiquĂ©es au gouvernement dĂ©fendeur, la Cour pourra poursuivre leur examen par la voie de la procĂ©dure normale.

IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

102.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour dĂ©clare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă  la partie lĂ©sĂ©e, s’il y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. Â»

A.  Dommage

103.  Les requĂ©rants rĂ©clament les sommes suivantes au titre du prĂ©judice moral qu’ils auraient subi.

M. Torreggiani rĂ©clame 10 600 EUR pour une dĂ©tention de 54 mois dans des mauvaises conditions ; M. Bamba, dĂ©tenu pendant 39 mois, s’en remet Ă  la sagesse de la Cour ; M. Biondi demande 15 000 EUR pour une dĂ©tention de 24 mois ; MM. Sela, El Haili et Hajjoubi rĂ©clament 15 000 EUR chacun pour des durĂ©es respectives de 14, 39 et 16 mois ; M. Ghisoni sollicite un dĂ©dommagement Ă  hauteur de 30 000 EUR pour une pĂ©riode de 17 mois.

104.  Le Gouvernement s’oppose Ă  ces demandes.

105.  La Cour estime que les requĂ©rants ont subi un prĂ©judice moral certain. Elle considĂšre par ailleurs qu’il convient de tenir compte, afin de fixer le montant des dommages-intĂ©rĂȘts Ă  accorder Ă  ce titre aux intĂ©ressĂ©s, de la durĂ©e qu’ils ont passĂ©e en dĂ©tention dans de mauvaises conditions. Statuant en Ă©quitĂ©, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle considĂšre qu’il y a lieu d’octroyer Ă  MM. Torreggiani, Biondi et El Haili et les sommes qu’ils demandent au titre du dommage moral. Par ailleurs, elle dĂ©cide d’allouer 23 500 EUR Ă  M. Bamba, 11 000 Ă  M. Sela, 12 000 EUR Ă  M. Hajjoubi et 12 500 EUR Ă  M. Ghisoni au mĂȘme titre.

B.  Frais et dĂ©pens

106.  Les requĂ©rants demandent Ă©galement le remboursement des frais et dĂ©pens correspondant Ă  la procĂ©dure devant la Cour. Seuls MM. Sela, El Haili, Hajjoubi et Ghisoni ont fourni des justificatifs Ă  l’appui de leurs prĂ©tentions. Ils demandent respectivement, 16 474 EUR, 5 491 EUR, 5 491 EUR et 6 867 EUR.

107.  Le Gouvernement s’oppose Ă  ces demandes.

108.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requĂ©rant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dĂ©pens que dans la mesure oĂč se trouvent Ă©tablis leur rĂ©alitĂ©, leur nĂ©cessitĂ© et le caractĂšre raisonnable de leur taux. En l’espĂšce, et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder Ă  MM. Sela, El Haili, Hajjoubi et Ghisoni la somme de 1 500 EUR chacun pour les frais affĂ©rents Ă  la procĂ©dure devant elle. En revanche, la Cour dĂ©cide de rejeter les demandes des autres requĂ©rants, qui avaient Ă©tĂ© autorisĂ©s Ă  se reprĂ©senter eux-mĂȘmes devant elle, et qui n’ont produit aucune piĂšce justificative Ă  l’appui de leurs prĂ©tentions.

C.  IntĂ©rĂȘts moratoires

109.  La Cour juge appropriĂ© de calquer le taux des intĂ©rĂȘts moratoires sur le taux d’intĂ©rĂȘt de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne majorĂ© de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  DĂ©cide de joindre les requĂȘtes ;

 

2.  DĂ©clare les requĂȘtes recevables ;

 

3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

 

4.  Dit que l’État dĂ©fendeur devra, dans un dĂ©lai d’un an Ă  compter de la date Ă  laquelle le prĂ©sent arrĂȘt sera devenu dĂ©finitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, mettre en place un recours ou un ensemble de recours internes effectifs aptes Ă  offrir un redressement adĂ©quat et suffisant dans les cas de surpeuplement carcĂ©ral, et ce conformĂ©ment aux principes de la Convention tels qu’établis dans la jurisprudence de la Cour ;

 

5.  Dit que, en attendant l’adoption des mesures ci-dessus, la Cour ajournera, pendant une durĂ©e d’un an Ă  compter de la date Ă  laquelle le prĂ©sent arrĂȘt sera devenu dĂ©finitif, la procĂ©dure dans toutes les affaires non encore communiquĂ©es ayant pour unique objet le surpeuplement carcĂ©ral en Italie tout en se rĂ©servant facultĂ©, Ă  tout moment, de dĂ©clarer irrecevable une affaire de ce type ou de la rayer du rĂŽle Ă  la suite d’un accord amiable entre les parties ou d’un rĂšglement du litige par d’autres moyens, conformĂ©ment aux articles 37 et 39 de la Convention ;

 

6.  Dit

a)   que l’État dĂ©fendeur doit verser aux requĂ©rants, dans les trois mois Ă  compter du jour oĂč l’arrĂȘt sera devenu dĂ©finitif conformĂ©ment Ă  l’article 44 Â§ 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i)  10 600 EUR (dix mille six cents euros) Ă  M. Torreggiani ; 23 500 EUR (vingt-trois mille cinq cent euos) Ă  M. Bamba ; 15 000 EUR (quinze mille euros) Ă  M. Biondi ; 11 000 EUR (onze mille euros) Ă  M. Sela ; 15 000 EUR (quinze mille euros) Ă  M. El Haili ; 12 000 EUR (douze mille euros) Ă  M. Hajjoubi ; 12 500 EUR (douze mille cinq cents euros) Ă  M. Ghisoni, plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d’impĂŽt, pour dommage moral ;

ii)    1 500 EUR (mille cinq cents euros) chacun Ă  MM. Sela, El Haili, Hajjoubi et Ghisoni, plus tout montant pouvant ĂȘtre dĂ» Ă  titre d’impĂŽt par les requĂ©rants, pour frais et dĂ©pens ;

b)   qu’à compter de l’expiration dudit dĂ©lai et jusqu’au versement, ces montants seront Ă  majorer d’un intĂ©rĂȘt simple Ă  un taux Ă©gal Ă  celui de la facilitĂ© de prĂȘt marginal de la Banque centrale europĂ©enne applicable pendant cette pĂ©riode, augmentĂ© de trois points de pourcentage ;

7.  Rejette la demande de satisfaction Ă©quitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiquĂ© par Ă©crit le 8 janvier 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du rĂšglement.

       Stanley Naismith                                                            Danutė Jočienė
              Greffier                                                                       Présidente

 

 

Au prĂ©sent arrĂȘt se trouve joint, conformĂ©ment aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 Â§ 2 du rĂšglement, l’exposĂ© de l’opinion sĂ©parĂ©e de la juge Jočienė.

D.J.
S.H.N.

 


TABLEAU DES AFFAIRES

 

 

 

 

NumĂ©ro de requĂȘte

 

Date d’introduction

 

Prénom et nom du requérant,

date de naissance

et nationalité

 

 

Prénom et nom du représentant

 

1.

43517/09

06/08/2009

Fermo-Mino TORREGGIANI

09/05/1948

Italienne

Le requĂ©rant a Ă©tĂ© autorisĂ© Ă  se reprĂ©senter lui-mĂȘme devant la Cour.

 

2.

 

46882/09

12/08/2009

Bazoumana BAMBA

18/12/1972

Ivoirienne

Le requĂ©rant a Ă©tĂ© autorisĂ© Ă  se reprĂ©senter lui-mĂȘme devant la Cour.

 

3.

 

55400/09

19/09/2009

Raoul Riccardo BIONDI

22/12/1967

Italienne

Le requĂ©rant a Ă©tĂ© autorisĂ© Ă  se reprĂ©senter lui-mĂȘme devant la Cour.

 

4.

 

57875/09

20/10/2009

Afrim SELA

02/02/1979

Albanaise

Me Flavia Urciuoli

 

5.

 

61535/09

29/10/2009

Tarcisio GHISONI

26/09/1952

Italienne

Me Patrizia Rodi

 

6.

 

35315/10

10/06/2010

Mohamed EL HAILI

01/01/1977

Marocaine

Me Giuseppe Rossodivita

 

7.

 

37818/10

01/07/2010

Radouane HAJJOUBI

01/01/1975

Marocaine

Me Giuseppe Rossodivita



OPINION CONCORDANTE DE MME LA JUGE JOČIENĖ

Dans l’affaire Sulejmanovic c. Italie (no 22635/03, arrĂȘt du 16 juillet 2009), j’ai votĂ© contre la violation de l’article 3 de la Convention pour les raisons indiquĂ©es dans l’opinion dissidente du juge Zagrebelsky, Ă  laquelle je me suis ralliĂ©e.

A compter de la date de publication de l’arrĂȘt Sulejmanovic, la Cour a reçu un flot croissant de requĂȘtes concernant la surpopulation dans les prisons italiennes. Les autoritĂ©s italiennes ont elles-mĂȘmes clairement reconnu au niveau national (§ 24 de l’arrĂȘt) ce problĂšme structurel des prisons italiennes et ont envisagĂ© des mesures concrĂštes et effectives en 2010 pour remĂ©dier au problĂšme de la surpopulation carcĂ©rale (§§ 23 – 29 de l’arrĂȘt). Par ailleurs, l’état d’urgence au niveau national a mĂȘme Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© et dĂ©jĂ  prolongĂ© Ă  deux reprises (§ 28 du jugement). Les engagements politiques de l’État italien sont trĂšs importants pour Ă©laborer un plan d’action et finalement rĂ©gler le problĂšme de la surpopulation dans les Ă©tablissements pĂ©nitentiaires italiens.

DeuxiĂšmement, le juge d’application des peines a aussi trĂšs clairement reconnu le problĂšme de la situation des prisons – le juge a conclu que les requĂ©rants Ă©taient exposĂ©s Ă  des traitements inhumains du fait qu’ils devaient partager des cellules exiguĂ«s avec deux autres dĂ©tenus, et qu’ils faisaient l’objet d’une discrimination par rapport aux dĂ©tenus partageant le mĂȘme type de cellule avec une seule personne ; il est clair que, en rĂ©alitĂ©, l’espace vital habitable dans les cellules collectives recommandĂ© par le CPT n’a pas Ă©tĂ© respectĂ© dans le cas des requĂ©rants (§ 14, §§ 74 et 76 de l’arrĂȘt).

Ce sont les deux raisons principales qui m’ont amenĂ©e Ă  modifier mon opinion et Ă  voter avec la majoritĂ© dans cette affaire oĂč la Cour conclut Ă  la violation de l’article 3 de la Convention et indique les mesures gĂ©nĂ©rales Ă  prendre par les autoritĂ©s italiennes pour rĂ©gler le problĂšme structurel de la surpopulation des prisons italiennes.