Corte europea dei diritti dell’uomo
(Grande Camera), 6 ottobre 2005
Cet
arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
La Cour européenne des Droits de l’Homme, siégeant
en une Grande Chambre composée de :
MM. L. Wildhaber, président,
C.L. Rozakis,
J.-P. Costa,
Sir Nicolas Bratza,
MM. G. Bonello,
L. Caflisch,
L. Loucaides,
C. Bîrsan,
P. Lorenzen,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
A.B. Baka,
M. Ugrekhelidze,
V. Zagrebelsky,
K. Hajiyev,
Mmes R. Jaeger,
D. Jočienė, juges,
et de M.T.L. Early, adjoint au greffier de la Grande Chambre,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les
23 mars et 31 août 2005,
Rend
l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A
l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 1513/03) dirigée
contre la République française et dont deux ressortissants de cet Etat,
M. Lionel Draon
et Mme Christine Draon (« les requérants »), ont saisi la Cour le 2
janvier 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits
de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par
Me F. Nativi et Me H. Rousseau-Nativi,
avocats à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est
représenté par son agent, Mme Edwige Belliard,
Directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. La
requête concerne la naissance d’un enfant avec un handicap non décelé pendant
la grossesse en raison d’une faute commise dans l’établissement du diagnostic
prénatal. Alors que les requérants avaient
introduit une demande en réparation du préjudice subi, une nouvelle loi,
applicable aux instances en cours, leur fut opposée. Invoquant en particulier
les articles 6 § 1, 8, 13, et 14 de la Convention et l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention, les requérants
alléguaient le caractère rétroactif de la loi et contestaient ses dispositions
de fond.
4. La
requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour
(article 52 § 1 du règlement). Le 9 septembre 2003, une chambre
de cette section a décidé de communiquer la requête au gouvernement défendeur
(article 54 § 2 b) du règlement) et de traiter la requête en priorité (article
41 du règlement).
5. Le
6 juillet 2004, la requête a été déclarée partiellement recevable par une
chambre de ladite section, qui était ainsi composée : MM. A.B. Baka, J.-P.
Costa, L. Loucaides, K. Jungwiert, V. Butkevych, Mme W. Thomassen,
M. M. Ugrekhelidze, juges, et Mme S. Dollé,
greffière de section.
6. Le
19 octobre 2004, la même chambre s’est dessaisie au profit de la Grande
Chambre, sans qu’aucune des parties ne s’y oppose (articles 30 de la Convention
et 72 du règlement).
7. La
composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 27 §§
2 et 3 de la Convention et 24 du règlement. M. David Thór
Björgvinsson, qui devait à l’origine participer à la Grande Chambre ainsi
composée, a été remplacé par M. G. Bonello, juge suppléant. Lors de la
délibération finale, M. L. Caflisch et Mme D. Jočienė,
suppléants, ont remplacé M. B. Zupančič et Mme E.
Steiner, empêchés (article 24 § 3 du règlement).
8. Après
avoir consulté les parties, le président a décidé qu’il soit procédé à l’examen
simultané de la présente affaire et de l’affaire Maurice c. France (no
11810/03), également pendante devant la Grande Chambre (article 42 § 2 du
règlement).
9. Tant les requérants que le
Gouvernement ont soumis des observations écrites sur le fond de l’affaire.
10. Une audience, consacrée à la
présente requête ainsi qu’à l’affaire Maurice précitée, s’est déroulée
en public au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 23 mars 2005
(article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour le Gouvernement
M. J.-L. Florent, directeur-adjoint des affaires juridiques du
ministère des Affaires étrangères,
agent,
Mme L. Notarianni, conseiller de tribunal administratif, détachée à
la direction juridique du ministère des
Affaires étrangères, sous-direction des droits de l’homme, conseil,
M. P. Didier-Courbin, sous-directeur des personnes handicapées de la
direction générale de l’action sociale du ministère de la Santé,
Mme J. Villigier, attachée d’administration centrale, direction générale de l’action sociale du ministère de
la Santé (bureau de l’enfance
handicapée),
MM. S. Picard et C. Simon, conseillers juridiques à la direction de
l’administration générale du personnel et du budget, division juridique et
contentieuse du
ministère de la Santé,
M. F. Amegadjie, juriste au service des affaires européennes et
internationales du ministère de la Justice,
conseillers ;
– pour les requérants
Me H. Rousseau-Nativi, avocate au barreau de Paris,
Me A. Lyon-Caen, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation,
conseils.
M. L. Draon, requérant, était également présent à l’audience.
11. La Cour a entendu en leurs déclarations Me Rousseau-Nativi,
Me Lyon-Caen et M. Florent, ainsi qu’en leurs réponses aux
questions des juges.
EN FAIT
I. LES
CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
12. Les requérants sont nés
respectivement en 1961 et 1962 et résident à Rosny-sous-Bois.
13. Au
printemps 1996, la requérante débuta sa première grossesse. La seconde
échographie, pratiquée au cinquième mois de grossesse, permit de déceler une
anomalie dans le développement du fœtus.
14. Le
20 août 1996, une amniocentèse fut pratiquée à l’hôpital Saint-Antoine,
dépendant de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP). Le liquide
prélevé fut confié pour analyse au laboratoire de cytogénétique de
l’établissement (service du professeur T.), avec demande de caryotype et enzyme
digestive. En septembre 1996, T. informa les requérants que les résultats de
l’amniocentèse montraient « une formule chromosomique fœtale masculine
sans anomalie décelée ».
15. R. naquit le 10 décembre 1996. Très
rapidement, des anomalies multiples furent constatées, notamment un défaut
d’évolution psychomotrice. Les examens pratiqués permirent de conclure à une
cardiopathie congénitale due à une « anomalie chromosomique ».
16. Alerté, T. reconnut l’erreur de
diagnostic commise par son service, l’anomalie étant déjà à l’époque de
l’amniocentèse, tout à fait décelable. Il précisa : « concernant
l’enfant Draon R.
(...) nous sommes au regret de dire qu’il existait effectivement une asymétrie
entre les deux chromosomes 11 du fœtus, anomalie ou particularité qui a échappé
à notre attention ».
17. Selon les rapports médicaux, R.
présente des malformations cérébrales causant des troubles graves, une
infirmité majeure et une invalidité totale et définitive, ainsi qu’une cassure
de la croissance pondérale. Cela implique la nécessité d’organiser une vie
matérielle pour son entretien, sa surveillance et son éducation, incluant des
soins spécialisés et non spécialisés permanents.
18. Le 10 décembre 1998, les requérants
adressèrent à l’AP-HP une réclamation tendant à l’indemnisation des préjudices
subis du fait du handicap de R.
19. Par lettre du 8 février 1999,
l’AP-HP répondit qu’elle « n’entend[ait] pas contester sa responsabilité
dans cette affaire », mais invita les requérants à « saisir d’un
recours le tribunal administratif de Paris, qui dans sa sagesse, procédera à
l’évaluation des préjudices indemnisables ».
20. Le 29 mars 1999, les requérants
saisirent le tribunal administratif de Paris d’une requête introductive
d’instance au fond dirigée contre l’AP-HP et demandant l’évaluation des
préjudices subis.
21. Parallèlement, les requérants
saisirent le juge des référés du même tribunal d’une demande tendant à la
désignation d’un expert et à l’allocation d’une provision.
22. Par une ordonnance rendue le 10 mai
1999, le juge des référés du tribunal administratif de Paris alloua aux
requérants une première provision de 250 000 francs français (FRF)
(38 112,25 euros (EUR)) et désigna un expert. Il releva notamment
que :
« [l’AP-HP] ne conteste pas que l’absence de
diagnostic de l’anomalie chromosomique dont est atteint le jeune R. engage sa
responsabilité ; (...) eu égard au préjudice moral, aux troubles dans les
conditions d’existence et aux charges particulières qui résultent pour les
époux Draon de
l’infirmité de leur enfant, l’obligation de l’AP-HP envers les intéressés peut
être regardée, en l’état de l’instruction, comme non sérieusement contestable
pour un montant de 250 000 francs ».
23. L’expert déposa son rapport le 16
juillet 1999 et confirma la gravité de l’état de santé de R.
24. Le 14 décembre 1999, les
requérants, par un mémoire complémentaire au fond, demandèrent au tribunal
administratif d’évaluer le quantum de l’indemnisation devant être mise à
la charge de l’AP-HP.
25. Le
mémoire en réponse de l’AP-HP fut enregistré le 19 juillet 2000. Les requérants versèrent ensuite aux débats un mémoire
en réplique ainsi que de nouvelles pièces concernant les aménagements
domotiques et les appareillages rendus nécessaires par l’état de santé de R.
26. Par ailleurs, ils saisirent le juge
des référés d’une nouvelle requête aux fins d’allocation d’une provision. Par
une ordonnance rendue le 11 août 2001, le juge des référés du tribunal
administratif de Paris alloua aux requérants une provision complémentaire de
750 000 FRF (114 336,76 EUR) « compte tenu de la gravité
des troubles dont demeure atteint le jeune R. et des coûts élevés occasionnés
par son éducation et son entretien depuis 1996 ».
27. Après plusieurs relances verbales
et écrites de la part des requérants, le tribunal administratif de Paris les
informa de l’inscription de l’affaire à l’audience du 19 mars 2002.
28. Le 5 mars 2002, la loi no
2002-303 du 4 mars 2002 fut publiée au Journal officiel de la République
française. L’article 1er de cette loi, applicable aux instances en
cours, intervint dans le cadre de celle des requérants.
29. Par lettre du 15 mars 2002, le
tribunal administratif de Paris informa les requérants du report de l’audience
à une date ultérieure et leur indiqua que la décision était susceptible d’être
fondée sur un moyen relevé d’office, tiré de l’incidence sur la requête de
l’article 1er de la loi du 4 mars 2002.
30. Par un jugement rendu le 3
septembre 2002, le tribunal administratif de Paris, faisant suite à une
observation formulée par le commissaire du gouvernement, sursit à statuer et
saisit le Conseil d’Etat d’une demande d’avis portant sur l’interprétation des
dispositions de la loi du 4 mars 2002 et leur compatibilité avec les
conventions internationales.
31. Le
6 décembre 2002, le Conseil d’Etat rendit un avis contentieux dont le texte
figure ci-dessous (voir paragraphe 51).
32. Se
fondant sur cet avis, le 2 septembre 2003, le tribunal administratif de Paris
statua sur le fond de l’affaire. Il releva d’abord :
« Sur la
responsabilité :
(...) considérant
que les dispositions de l’article 1er de la loi du 4
mars 2002 en l’absence de dispositions dans la loi prévoyant une entrée en
vigueur différée sont applicables dans les conditions du droit commun à la
suite de la publication de la loi au Journal officiel de la République
française ; que le régime qu’elle définit décidé par le législateur pour des
motifs d’intérêt général, tenant à des raisons d’ordre éthique, à la bonne
organisation du système de santé et au traitement équitable de l’ensemble des
personnes handicapées, n’est incompatible ni avec les stipulations de l’article
6 de la Convention (...) ni avec celles des articles 5, 8, 13 et 14 de cette
Convention, ni avec celles de l’article 1er du premier Protocole
additionnel à [la] Convention (...) ; qu’enfin les motifs d’intérêt général que
le législateur a pris en compte pour édicter les règles des trois premiers
alinéas du I justifient leur application aux situations apparues antérieurement
aux instances en cours ; qu’il suit de là que lesdites dispositions sont
applicables à la présente instance introduite le 29 mars 1999 ;
Considérant que le
juge administratif n’est pas juge de la constitutionnalité des lois ; que,
par suite, les conclusions par lesquelles [les requérants] demandent au
tribunal de vérifier la constitutionnalité de la loi du 4 mars 2002 précitée
doivent être rejetées ;
Considérant qu’il
résulte de l’instruction qu’il a été proposé à M. et Mme Draon, à cinq mois de grossesse de celle-ci, un caryotype du fœtus
après amniocentèse avec interruption volontaire de grossesse en cas d’anomalie
chromosomique décelable, en raison d’un défaut manifeste de croissance constaté
lors d’une échographie ; que M. et Mme Draon décident alors de réaliser ce
caryotype à l’hôpital Saint-Antoine qui les informera le 13 septembre 1996
qu’aucune anomalie de la formule chromosomique fœtale masculine n’a été décelée
; que toutefois, rapidement après la naissance survenue le 10 décembre 1996,
une I.R.M. révèle une malformation cérébrale grave due à une anomalie
cariotypique ;
Considérant, qu’il
ressort du rapport de l’expert nommé par le tribunal que cette anomalie était
tout à fait décelable ; que, par suite, l’AP-HP a commis une faute caractérisée
ayant privé M. et Mme Draon de la possibilité de recourir à
une interruption volontaire de grossesse pour motif thérapeutique, ouvrant
droit à réparation en application de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 ».
33. Le tribunal procéda ensuite en ces
termes à l’évaluation du préjudice subi par les requérants :
« (...) en premier lieu, (...) les sommes demandées
au titre des soins non spécialisés et des frais spécifiques non pris en charge
par la sécurité sociale ainsi que les frais de construction d’une maison
adaptée aux besoins de l’enfant avec un certain nombre d’aménagements
domotiques et d’achat d’un véhicule spécialement adapté sont relatives à des
charges particulières découlant tout au long de la vie de l’enfant de son
handicap et ne peuvent, par suite, engager la responsabilité de [l’AP-HP] ;
(...) en second lieu, (...) M. et Mme Draon
subissent un préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence
notamment professionnels, très importants eu égard à la modification profonde
et durable de leur vie du fait de la naissance d’un enfant gravement handicapé
; (...) ces deux chefs de préjudice doivent être évalués dans les circonstances
de l’espèce à la somme de 180 000 euros ;
(...) enfin (...), si M. et Mme Draon
soutiennent qu’ils ne peuvent plus se rendre en vacances dans un bien acheté en
Espagne, ils ne sont pas privés du droit d’user de ce bien ; (...) par suite,
il y a lieu de rejeter leur demande tendant à être indemnisé de la perte de
jouissance d’un bien immobilier ; (...) ».
34. Le tribunal conclut en condamnant
l’AP-HP à payer aux requérants la somme de 180 000 EUR sous déduction des
provisions versées, ladite somme étant assortie des intérêts au taux légal à
compter de la réception de la demande préalable le 14 décembre 1998, avec
capitalisation des intérêts échus à la date du 14 décembre 1999 puis à chaque
échéance annuelle à compter de cette date. L’AP-HP fut également condamnée à
payer aux requérants la somme de 3 000 EUR au titre des frais non compris
dans les dépens, et à prendre en charge les frais de l’expertise ordonnée par
le président du tribunal.
35. Le 3 septembre 2003, les requérants
ont interjeté appel de ce jugement. L’appel est actuellement pendant devant la
cour administrative d’appel de Paris.
II. LE
DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
36. Avant
l’intervention de la loi du 4 mars 2002, l’état du droit résultait de la
jurisprudence.
A. La
jurisprudence antérieure à la loi du 4 mars 2002
37. L’action en responsabilité des
parents d’un enfant né handicapé et de l’enfant lui-même relève à la fois des
juridictions administratives et des juridictions de l’ordre judiciaire, en
fonction de la personne mise en cause. Si le mis en cause est un médecin libéral
ou un laboratoire privé d’analyses médicales, le litige est soumis au juge
judiciaire. Lorsqu’il s’agit, en revanche, comme en l’espèce, d’un service
public hospitalier, le contentieux relève de la compétence du juge
administratif.
1. Conseil
d’Etat
38. Le
Conseil d’Etat s’est prononcé le 14 février 1997 (C.E., Sect., 14 février
1997, Centre hospitalier de Nice c. Quarez, Rec. p. 44). Mme Quarez,
alors âgée de 42 ans, avait subi à sa demande une amniocentèse afin de vérifier
l’état de santé du fœtus qu’elle portait. Alors que le résultat de cet examen
ne faisait état d’aucune anomalie, elle donna naissance à un enfant atteint de
trisomie 21, maladie décelable lors de l’examen chromosomique pratiqué. Le
Conseil d’Etat considéra d’abord que l’établissement hospitalier qui avait
pratiqué l’examen avait commis une faute, puisque Mme Quarez n’avait pas été informée du fait que les
résultats de l’amniocentèse pouvaient être affectés d’une marge d’erreur
inhabituelle compte tenu des conditions dans lesquelles cet examen avait été
conduit.
39. Ensuite, une distinction fut faite
entre le droit à réparation de l’enfant handicapé et celui de ses parents.
S’agissant du droit à réparation de l’enfant
handicapé, le Conseil d’Etat jugea « qu’en décidant qu’il existait un lien
de causalité direct entre la faute commise par le centre hospitalier (...) et
le préjudice résultant pour le jeune M. de la trisomie dont il est atteint,
alors qu’il n’est pas établi par les pièces du dossier soumis au juge du fond
que l’infirmité dont souffre l’enfant et qui est inhérente à son patrimoine
génétique, aurait été consécutive à une amniocentèse, la cour administrative
d’appel de Lyon a entaché sa décision d’une erreur de droit ».
En revanche, en ce qui concerne le droit à
indemnisation des parents, le Conseil d’Etat releva « qu’en demandant
qu’il fût procédé à une amniocentèse, Mme Quarez avait clairement manifesté sa volonté d’éviter le risque d’un
accident génétique chez l’enfant conçu, accident dont la probabilité était,
compte tenu de son âge au moment des faits, relativement élevée » et que,
dans ces conditions, la faute commise avait « faussement conduit M. et Mme
Quarez à la certitude que l’enfant conçu n’était pas porteur d’une trisomie et
que la grossesse de Mme Quarez pouvait être normalement menée à son
terme ». Le Conseil d’Etat estima que « cette faute, qui rendait sans
objet une nouvelle amniocentèse que Mme Quarez aurait pu faire pratiquer dans la perspective d’une interruption
volontaire de grossesse pour motif thérapeutique sur le fondement de l’article
L.162-12 du code de la santé publique, doit être regardée comme la cause
directe des préjudices entraînés pour M. et Mme Quarez par l’infirmité dont est atteint leur enfant ».
40. Quant à la réparation, le Conseil
d’Etat prit en compte, au titre du préjudice matériel, « les charges
particulières, notamment en matière de soins et d’éducation spécialisée »
découlant de l’infirmité de l’enfant, et alloua aux parents une rente pour
toute la durée de la vie de l’enfant. Il condamna en outre le Centre
hospitalier à indemniser leur préjudice moral et les troubles dans leurs
conditions d’existence.
41. Ainsi,
le Conseil d’Etat n’admit pas le droit à réparation de l’enfant handicapé au
seul motif que son handicap n’avait pas été décelé pendant la grossesse de sa
mère. Il admit en revanche le droit à réparation des parents de l’enfant
handicapé et indemnisa non seulement leur préjudice moral, mais aussi le
préjudice découlant des troubles dans les conditions d’existence et le
préjudice matériel, étant précisé que ce dernier englobe les charges
particulières qui découleront pour les parents de l’infirmité de leur enfant
(dépenses liées aux soins et à l’éducation spécialisée, mais aussi à
l’assistance d’une tierce personne, au changement de domicile ou à l’adaptation
de celui-ci, etc.).
42. Cet arrêt ne fit pas l’objet de
commentaires particuliers, et fut à l’origine d’une jurisprudence suivie
ensuite par les juridictions administratives.
2. Cour de cassation
43. La jurisprudence judiciaire a été
fixée par la Cour de cassation le 17 novembre 2000 (Cass, Ass. Plén., 17
novembre 2000, Bull. Ass. plén., no 9), par un arrêt abondamment
commenté (il s’agit de la jurisprudence dite « Perruche »).
Dans cette affaire, une femme avait été atteinte de la rubéole en début de
grossesse. Ayant décidé d’interrompre sa grossesse en cas d’atteinte fœtale,
elle se soumit à des tests pour savoir si elle était immunisée contre la
rubéole. En raison d’une faute commise à la fois par son médecin et le laboratoire,
il lui fut indiqué, à tort, qu’elle était immunisée. Elle renonça donc à
interrompre la grossesse et donna naissance à un enfant atteint de graves
handicaps consécutifs à l’atteinte rubéolique in utero. La Cour de
cassation décida que « dès lors que les fautes commises par le médecin et
le laboratoire dans l’exécution des contrats formés avec Mme X.
avaient empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin
d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut
demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les
fautes retenues ».
Ainsi,
contrairement au Conseil d’Etat, la Cour de cassation admit que l’enfant né
handicapé pouvait lui-même demander réparation du préjudice résultant de son
handicap.
Furent donc ici pris en compte les préjudices
moral et matériel à la fois de l’enfant et des parents, y compris les charges
particulières découlant du handicap tout au long de la vie de l’enfant.
44. Il
apparaît donc que, dans les mêmes circonstances, aussi bien la Cour de
cassation que le Conseil d’Etat se fondent sur un régime de responsabilité pour
faute. Toutefois, la Cour de cassation reconnaît un lien de causalité directe
entre la faute médicale et le handicap de l’enfant, et le préjudice résultant
de ce handicap pour l’enfant lui-même. Le Conseil d’Etat ne reconnaît pas ce
lien, mais il considère que la faute commise engage la responsabilité de
l’hôpital vis-à-vis des parents, du fait de l’existence d’un lien de causalité
directe entre cette faute et leur préjudice.
Les deux jurisprudences permettent une
indemnisation au titre des charges particulières découlant du handicap tout au
long de la vie de l’enfant. Toutefois, dans la mesure où, selon le Conseil
d’Etat, le préjudice est subi par les parents, alors que, selon la Cour de
cassation, le préjudice est subi par l’enfant, les modalités et l’étendue de
cette indemnisation peuvent être sensiblement différentes suivant qu’on se
trouve dans le cadre de la première jurisprudence ou de la seconde.
45. L’arrêt du 17 novembre 2000 fut
confirmé à plusieurs reprises par la Cour de cassation, qui réaffirma le
principe de l’indemnisation de l’enfant né handicapé, sous réserve qu’il soit
établi, le cas échéant, que les conditions médicales d’une interruption
volontaire de grossesse pour motif thérapeutique étaient réunies (Cass., Ass.
plén., trois arrêts rendus le 13 juillet 2001, BICC, no 542,
1er octobre 2001 ; Cass., Ass. plén., deux arrêts rendus
le 28 novembre 2001, BICC, 1er février 2002).
46. La jurisprudence « Perruche »
provoqua de très nombreuses réactions de la doctrine juridique, mais également
de personnalités politiques, ainsi que d’associations de personnes handicapées,
et de praticiens (médecins, gynécologues-obstétriciens, échographistes). Ces
derniers interprétèrent l’arrêt comme mettant désormais une obligation de
garantie à leur charge. Les compagnies d’assurances appliquèrent une hausse des
tarifs des assurances médicales.
3. La
responsabilité pour faute
47. Aussi
bien le Conseil d’Etat que la Cour de cassation se fondaient sur un régime de
responsabilité pour faute. En droit français, selon les règles générales en la matière,
le droit à la réparation des préjudices ne peut être reconnu que si, d’abord,
sont réunies les conditions d’engagement de la responsabilité. Il est
nécessaire qu’existent un préjudice (ou dommage), une faute, et un lien de
causalité entre le dommage et la faute.
Plus
particulièrement, en matière de responsabilité de la puissance publique, pour
donner droit à réparation, le préjudice, dont la victime a la charge de la
preuve, doit être certain. La « perte d’une chance » est constitutive
d’un préjudice certain, s’il s’agissait d’une chance sérieuse.
En
l’espèce, le préjudice résultait de l’absence d’information, ou d’une
information insuffisante ou erronée, quant aux résultats d’un examen ou d’une
analyse. Dans ce cas, avant l’intervention de la loi du 4 mars 2002, la faute
simple suffisait. Quant à la relation de cause à effet, une causalité directe
était établie pour les parents entre la faute de l’hôpital et le préjudice
(voir la jurisprudence Quarez précitée).
48. Par
ailleurs, toujours en matière administrative, l’étendue de la réparation obéit
au principe général de la réparation intégrale du préjudice (ni appauvrissement
ni enrichissement de la victime). La réparation peut se traduire par le
versement d’un capital ou d’une rente. Selon le principe de l’égale réparabilité de tous préjudices, sont
susceptibles d’ouvrir droit à réparation les préjudices matériels et les
préjudices moraux.
B. La loi no 2002-303 du 4
mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé,
publiée au Journal officiel de la République française du 5 mars 2002
49. Cette
loi a mis fin à la jurisprudence mentionnée ci-dessus, tant à celle du Conseil
d’Etat qu’à celle de la Cour de cassation. Elle dispose en effet, dans ses parties pertinentes :
Article 1er
« I. Nul ne peut se prévaloir d’un
préjudice du seul fait de sa naissance.
La personne née
avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son
préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a
aggravé, ou n’a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer.
Lorsque la
responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée
vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la
grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une
indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant,
tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de
ce dernier relève de la solidarité nationale.
Les dispositions du présent I sont applicables aux
instances en cours, à l’exception de celles où il a été irrévocablement statué
sur le principe de l’indemnisation.
II. Toute
personne handicapée a droit, quelle que soit la cause de sa déficience, à la
solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale.
III. Le conseil national consultatif des personnes
handicapées est chargé, dans des conditions fixées par décret, d’évaluer la
situation matérielle, financière et morale des personnes handicapées en France
et des personnes handicapées de nationalité française établies hors de France
prises en charge au titre de la solidarité nationale, et de présenter toutes
les propositions jugées nécessaires au Parlement, visant à assurer, par une
programmation pluriannuelle continue, la prise en charge de ces personnes
(...). »
50. Ces dispositions sont entrées en
vigueur « dans les conditions du droit commun à la suite de la publication
de la loi au Journal officiel de la République française » (voir
paragraphe 51 ci-dessous)1. Publiée au
Journal officiel du 5 mars 2002, la loi précitée est donc entrée en vigueur le
7 mars 2002.
C. L’avis contentieux rendu, sur le
fondement de la loi du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux
administratif, le 6 décembre 2002, par le Conseil d’Etat (Assemblée du
contentieux) (extraits)
51. Le
Conseil d’Etat releva notamment :
« (...)
II. Sur la date d’entrée en vigueur de la loi :
Le régime de
responsabilité mentionné au 2ème alinéa du I de
l’article 1er est institué au profit de la personne née avec un
handicap dû à une faute médicale, que cette faute ait directement provoqué le
handicap, qu’elle l’ait aggravé, ou qu’elle ait empêché de prendre les mesures
susceptibles de l’atténuer. Il est défini avec une précision suffisante pour
être appliqué par les juridictions compétentes sans que l’intervention d’un
nouveau texte soit nécessaire pour en préciser la portée.
Le régime de
responsabilité défini au 3ème alinéa du I de
l’article 1er est institué quant à lui au profit des parents d’un
enfant né avec un handicap qui à la suite d’une faute caractérisée d’un
professionnel ou d’un établissement de santé n’a pas été décelé pendant la
grossesse. Il est suffisamment précis pour
être appliqué sans que l’intervention de dispositions législatives ou
réglementaires soit nécessaire. Sans doute prévoit-il que le préjudice incluant
les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, du
handicap ne saurait être inclus dans le préjudice dont les parents peuvent
obtenir réparation et que sa compensation relève de la solidarité nationale.
Mais il résulte des termes mêmes de la loi, éclairés par les travaux
préparatoires, que le législateur a entendu exclure la réparation de ce
préjudice au motif que, s’il existe un lien de causalité entre cette faute et
ce préjudice, ce lien n’est pas de nature à justifier que le préjudice soit
réparé par l’auteur de la faute. En prévoyant que la compensation de ce
préjudice relève de la solidarité nationale, le législateur n’a ainsi pas
subordonné la mise en œuvre du régime de responsabilité pour faute qu’il a
défini à l’intervention de textes ultérieurs destinés à fixer les conditions
dans lesquelles la solidarité nationale s’exercera à l’égard des personnes
handicapées.
Il en résulte que, en l’absence de dispositions dans
la loi prévoyant une entrée en vigueur différée de l’article 1er et
alors, au surplus, que l’intention du législateur, révélée par les travaux
préparatoires, a été de donner à ce texte une application immédiate, les
dispositions de l’article 1er sont entrées en vigueur dans les
conditions du droit commun à la suite de la publication de la loi au Journal
officiel de la République française.
III. Sur
la compatibilité de la loi avec le droit international
1) (...)
L’objet de l’article 1er de la loi du 4
mars 2002 est de définir un nouveau régime de réparation des préjudices subis
par les enfants nés handicapés et par leurs parents, différent de celui qui
résultait de la jurisprudence tant administrative que judiciaire. Ce régime
prévoit la réparation, par une indemnité qu’évalue souverainement le juge, du
préjudice directement causé à la personne née handicapée par une faute médicale
et du préjudice directement causé aux parents de l’enfant né avec un handicap
qui à la suite d’une faute médicale caractérisée n’a pas été décelé pendant la
grossesse. Il fait obstacle à ce que l’enfant né avec un handicap qui, à la
suite d’une faute médicale n’a pas été décelé pendant la grossesse, puisse
obtenir de l’auteur de la faute réparation du préjudice correspondant aux
charges particulières découlant, tout au long de sa vie, de ce handicap, alors
que cette réparation était possible en application de la jurisprudence
judiciaire. Il fait également obstacle à ce que les parents puissent obtenir de
l’auteur de la faute réparation du préjudice correspondant aux charges
particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, du handicap de ce
dernier, alors que cette réparation était possible en application de la
jurisprudence administrative. Il subordonne enfin la réparation des autres
préjudices subis par les parents de l’enfant à l’existence d’une faute
caractérisée, alors que la jurisprudence administrative et la jurisprudence
judiciaire se fondaient sur l’existence d’une faute non caractérisée.
Ce nouveau régime, décidé par le législateur pour des
motifs d’intérêt général, tenant à des raisons d’ordre éthique, à la bonne
organisation du système de santé et du traitement équitable de l’ensemble des
personnes handicapées n’est incompatible ni avec les stipulations du 1 de
l’article 6 de la Convention (...), ni avec celles des articles 5, 8, 13
et 14 de cette Convention, ni avec celles de l’article 1er du
premier Protocole additionnel à cette Convention, ni enfin avec celles des
articles 14 et 26 du Pacte sur les droits civils et politiques.
2) Le dernier alinéa du I de l’article 1er
de la loi rend applicables les dispositions du I aux instances en cours
« à l’exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le
principe de l’indemnisation ».
Les motifs d’intérêt général que le législateur a pris
en compte pour édicter les règles des trois premiers alinéas du I justifient,
au regard des stipulations mentionnées dans la demande d’avis, que par le
dernier alinéa du même I il ait été décidé d’appliquer les dispositions
nouvelles aux situations apparues antérieurement et aux instances en cours,
tout en réservant, comme il le devait, les décisions juridictionnelles passées
en force de chose jugée. »
D. La solidarité nationale française en
direction des personnes handicapées
1. Situation avant février 2005
52. La législation française (voir la
loi no 75-534 du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes
handicapées, qui a mis en place le dispositif de base, ainsi que les textes
successifs) offre des contreparties aux personnes handicapées fondées sur le
recours à la solidarité nationale dans différents domaines (tels que le droit à
l’éducation des enfants et adolescents handicapés, les aides techniques et
humaines, les aides financières, etc.).
En particulier, les familles d’enfants handicapés
peuvent percevoir une Allocation d’éducation spéciale (AES). Il s’agit d’une
prestation familiale versée par les caisses d’allocations familiales, soumise à
une obligation de résidence en France tant de l’enfant que de ses parents.
L’AES est accordée sur décision de la commission départementale d’éducation
spéciale du lieu de résidence du demandeur, et après étude du dossier par une
équipe technique pluridisciplinaire. Au préalable, la commission précitée
constate le handicap de l’enfant et l’évalue. Pour ouvrir droit à l’AES, le
taux de handicap constaté doit être au moins supérieur à 50 %. Si le handicap
est supérieur à 80 %, cela ouvre systématiquement droit à l’AES. Entre
50 % et 80 % le versement de l’allocation n’est pas automatique. Il
est soumis au besoin de l’enfant de faire l’objet d’actions pédagogiques,
psychologiques, médicales, paramédicales, etc.
L’AES est une prestation à deux niveaux : une AES
de base et des compléments. Le premier niveau est de droit dès lors que les
conditions évoquées précédemment sont réunies. L’AES de base correspond à
115 EUR par mois (chiffre fourni par le Gouvernement le 16 mars 2003). Si
l’état de santé de l’enfant entraîne des dépenses coûteuses ou s’il nécessite
le recours à une tierce personne, il peut alors ouvrir droit à l’un des six
compléments de l’AES qui vient s’ajouter à l’AES de base.
Les compléments de 1 à 5 dépendent du niveau des
frais occasionnés par l’état de l’enfant, du temps de tierce personne
nécessaire, voire de la combinaison des deux. Le 6e complément
couvre les cas les plus lourds, lorsque l’état de l’enfant impose le recours à
une tierce personne toute la journée et des contraintes permanentes de
surveillance et de soins à la charge des familles.
2. Apports de la loi no
2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la
participation et la citoyenneté des personnes handicapées, publiée au Journal
officiel de la République française du 12 février 2005
53. Ce texte est issu d’un processus
législatif lancé dès juillet 2002, visant à réformer le système de compensation
du handicap en France. Il fut notamment souligné qu’il fallait, suite à
l’adoption de la loi du 4 mars 2002, intervenir à nouveau pour « donner un
contenu effectif à la solidarité nationale » (voir le Rapport
d’information fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat par
M. P. Blanc, sénateur, contenant 75 propositions pour réformer la loi du
30 juin 1975, annexé au procès-verbal de la séance du Sénat du 24 juillet 2002,
p. 13).
54. La nouvelle loi apporte plusieurs
modifications de fond. En particulier, elle introduit pour la première fois en
droit français une définition du handicap et met en place une nouvelle
« prestation de compensation » qui s’ajoutera aux aides existantes.
55. A
cet effet, la loi modifie le code de l’action sociale et des familles. Les dispositions pertinentes de la loi sont libellées
comme suit :
Titre Ier : Dispositions générales
Article 2
« I. (...) Constitue un handicap, au
sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de
participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne
en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou
plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou
psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. (...)
Toute personne
handicapée a droit à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale,
qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l’accès aux droits fondamentaux
reconnus à tous les citoyens, ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté.
L’Etat est garant de l’égalité de traitement des
personnes handicapées sur l’ensemble du territoire et définit des objectifs
pluriannuels d’actions. (...)
II. – 1. Les trois premiers alinéas du I de
l’article 1er de la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux
droits des malades et à la qualité du système de santé deviennent
l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles.
2. Les dispositions de l’article L. 114-5
du code de l’action sociale et des familles tel qu’il résulte du 1 du présent
II sont applicables aux instances en cours à la date d’entrée en vigueur de la
loi no 2002-303 du 4 mars 2002 précitée, à l’exception de celles où
il a été irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation. »
(...).
Titre III : Compensation et ressources
Chapitre 1er :
Compensation des conséquences du handicap
Article 11
« (...) La personne handicapée a droit à la
compensation des conséquences de son handicap quels que soient l’origine et la
nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie.
Cette compensation consiste à répondre à ses besoins,
qu’il s’agisse de l’accueil de la petite enfance, de la scolarité, de
l’enseignement, de l’éducation, de l’insertion professionnelle, des
aménagements du domicile ou du cadre de travail nécessaires au plein exercice
de sa citoyenneté et de sa capacité d’autonomie, du développement ou de
l’aménagement de l’offre de service, permettant notamment à l’entourage de la
personne handicapée de bénéficier de temps de répit, du développement de
groupes d’entraide mutuelle ou de places en établissements spécialisés, des
aides de toute nature à la personne ou aux institutions pour vivre en milieu
ordinaire ou adapté, ou encore en matière d’accès aux procédures et aux
institutions spécifiques au handicap ou aux moyens et prestations accompagnant
la mise en œuvre de la protection juridique régie par le titre XI du livre 1er
du code civil. Ces réponses, adaptées, prennent en compte l’accueil et
l’accompagnement nécessaires aux personnes handicapées qui ne peuvent exprimer
seules leurs besoins.
Les besoins de compensation sont inscrits dans un plan
élaboré en considération des besoins et des aspirations de la personne
handicapée tels qu’ils sont exprimés dans son projet de vie, formulé par la
personne elle-même ou, à défaut, avec ou pour elle par son représentant légal
lorsqu’elle ne peut exprimer son avis. »
Article 12
Prestation de compensation
« (...) I. – Toute personne handicapée résidant
de façon stable et régulière en France métropolitaine (...) ayant dépassé l’âge
d’ouverture du droit à l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé
[anciennement AES] (...), dont l’âge est inférieur à une limite fixée par
décret et dont le handicap répond à des critères définis par décret prenant
notamment en compte la nature et l’importance des besoins de compensation au
regard de son projet de vie, a droit à une prestation de compensation qui a le
caractère d’une prestation en nature qui peut être versée, selon le choix du
bénéficiaire, en nature ou en espèces. (...)
III. – Peuvent également prétendre au bénéfice de
l’élément de la prestation mentionné au 3o de l’article L. 245-3 [du
code de l’action sociale et des familles], dans des conditions fixées par
décret, les bénéficiaires de l’allocation [d’éducation de l’enfant handicapé /
anciennement AES], lorsqu’ils sont exposés, du fait du handicap de leur enfant,
à des charges relevant dudit 3o. (...)
Art. L. 245-3 [du code de l’action sociale et des familles] – La prestation de
compensation peut être affectée, dans des conditions définies par décret, à des
charges :
1o Liées à un besoin d’aides
humaines, y compris, le cas échéant, celles apportées par les aidants
familiaux ;
2o Liées à un besoin d’aides
techniques, notamment aux frais laissés à la charge de l’assuré lorsque ces
aides techniques relèvent des prestations prévues au 1o de
l’article L. 321-1 du code de la sécurité sociale ;
3o Liées à l’aménagement du
logement et du véhicule de la personne handicapée, ainsi qu’à d’éventuels
surcoûts résultant de son transport ;
4o Spécifiques ou
exceptionnelles, comme celles relatives à l’acquisition ou l’entretien de
produits liés au handicap ; (...)
(...) – L’élément de la prestation relevant du 1o
de l’article L. 245-3 est accordé à toute personne handicapée soit lorsque son
état nécessite l’aide effective d’une tierce personne pour les actes essentiels
de l’existence ou requiert une surveillance régulière, soit lorsque l’exercice
d’une activité professionnelle ou d’une fonction élective lui impose des frais
supplémentaires. »
56. La
nouvelle prestation de compensation est, dans un premier temps, ouverte dans sa
totalité aux personnes ayant dépassé l’âge de l’AES (renommée, par la nouvelle
loi, allocation d’éducation de l’enfant handicapé) (article 12 ci-dessus). En
ce qui concerne les enfants, aux termes de l’article 13 de la loi :
« Dans les
trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, la prestation de
compensation sera étendue aux enfants handicapés. Dans un délai maximum de cinq ans, les dispositions de la présente loi
opérant une distinction entre les personnes handicapées en fonction de critères
d’âge en matière de compensation du handicap et de prise en charge des frais
d’hébergement en établissements sociaux et médico-sociaux seront supprimées. »
57. Quant
à l’entrée en vigueur de la loi, elle est soumise à la publication des décrets
d’application. Aux termes de l’article 101 de
la loi :
« Les textes réglementaires d’application de la
présente loi sont publiés dans les six mois suivant la publication de celle-ci,
après avoir été transmis pour avis au Conseil national consultatif des
personnes handicapées. (...) »
58. Selon les données fournies par le
Gouvernement, la nouvelle prestation de compensation devrait entrer en vigueur
le 1er janvier 2006. Il est prévu qu’elle s’appliquera entièrement
aux enfants avant le 12 février 2008. Dans l’intervalle, les enfants ne
bénéficieraient qu’en partie de la prestation : seuls les frais d’aménagement
du logement, du véhicule, ainsi que les surcoûts de transport des enfants
handicapés pourraient déjà être financés par le nouveau système.
EN DROIT
I. SUR
LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1er DU PROTOCOLE No 1
À LA CONVENTION
59. Les
requérants dénoncent l’article 1er de la loi no 2002-303
du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de
santé (paragraphe 49 ci-dessus). Cette disposition aurait porté atteinte à leur
droit au respect de leurs biens et violerait l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention,
ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au
respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause
d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes
généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte
au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent
nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général
ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. Thèses des parties
1. Les requérants
60. Les requérants rappellent qu’avant
l’intervention de la loi du 4 mars 2002, ils avaient introduit une demande en
justice afin d’obtenir réparation intégrale des préjudices subis, et en
particulier du dommage résultant des charges particulières découlant du
handicap de leur enfant, tout au long de sa vie. Selon eux, les conditions
d’engagement de la responsabilité de l’AP-HP sur le fondement de la
jurisprudence Quarez précitée (voir paragraphes 38 à 42 ci-dessus) étant
réunies, ils auraient dû obtenir intégralement gain de cause. Ils disposaient
donc d’un bien au sens de l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention, à savoir une créance
d’indemnité envers l’AP-HP, qu’ils auraient eu l’espérance légitime de voir se
concrétiser (voir Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique,
arrêt du 20 novembre 1995, série A no 332). Or, de par son
application aux instances en cours, dont la leur, la loi litigieuse a eu pour
effet de les priver de leur créance. L’intervention de cette loi constitue donc
une « ingérence » dans le droit au respect des biens des requérants,
comme le reconnaît d’ailleurs le Gouvernement.
Quant à la légitimité de cette ingérence, les
requérants soutiennent que celle-ci ne ménagerait pas un juste équilibre entre
les exigences de l’intérêt général (compte tenu notamment des motifs d’adoption
de la loi, qui ne sauraient en justifier la rétroactivité) et la protection de
leurs droits fondamentaux, puisque la loi a eu pour effet de les priver, sans
compensation effective, de leur créance.
Ils soulignent également l’impact énorme et
disproportionné des conséquences de l’application immédiate de la loi aux
instances en cours, compte tenu notamment du renvoi par cette nouvelle loi au
dispositif de prise en charge des personnes handicapées par la solidarité
nationale, qu’ils estiment insuffisant, vague et imprécis. A cet égard, la
récente loi du 11 février 2005 (paragraphes 53 à 58 ci-dessus), si elle
instaure une nouvelle prestation de compensation du handicap, ne saurait, de
par ses modalités, faire disparaître la disproportion et laisse subsister une
charge exorbitante pour les requérants.
2. Le
Gouvernement
61. Se
référant à son tour à la jurisprudence de la Cour (Pressos Compania Naviera
S.A. et autres, précité), le Gouvernement soutient qu’il n’est pas possible
d’établir de façon générale que, avant l’intervention de la loi du 4 mars 2002
et au vu de la jurisprudence alors en vigueur, les parents d’enfants nés
handicapés à la suite d’une erreur médicale avaient une certitude d’être
automatiquement indemnisés. Ils n’auraient donc pas eu systématiquement une
« espérance légitime » à voir une créance satisfaite, qui aurait été
déçue par l’adoption de la loi.
Toutefois,
le Gouvernement admet qu’il en va différemment dans la présente espèce, dans la
mesure où l’AP-HP avait explicitement et sans réserve reconnu sa responsabilité
à l’égard des requérants. Au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle
législation, il n’existait donc aucun doute sur le principe de l’indemnisation
laquelle, conformément à une jurisprudence constante établie depuis l’arrêt Quarez
précité, couvrait les charges particulières qui découlent pour les parents de
l’infirmité de leur enfant. Les requérants, avant l’entrée en vigueur de la loi
du 4 mars 2002, pouvaient donc légitimement espérer être indemnisés à raison de
ces « charges particulières », chef de préjudice écarté par la
nouvelle législation. Le Gouvernement reconnaît donc qu’il y a eu ingérence
dans le droit au respect d’un « bien ».
62. En
ce qui concerne en revanche la légitimité d’une telle ingérence, le
Gouvernement expose que la dépossession partielle subie ne saurait être
déclarée contraire à l’article 1er du Protocole no 1
à la Convention, en raison notamment du but de la loi du 4 mars 2002. Celle-ci
aurait eu essentiellement pour objet de préciser un régime de responsabilité
médicale qui soulevait des difficultés juridiques et éthiques et qui avait été
fixé, le Gouvernement a insisté sur ce point lors de l’audience, par une
jurisprudence récente (l’arrêt Quarez ne datant que de 1997, alors que
l’enfant des requérants est né en 1996). La nouvelle loi, sans être réellement
rétroactive, se bornerait, après avoir modifié l’état du droit, à le rendre
immédiatement applicable aux instances en cours, selon un principe couramment
appliqué.
Se
référant à l’avis contentieux rendu par le Conseil d’Etat le 6 décembre
2002, le Gouvernement évoque ensuite, toujours afin de démontrer la légitimité
de l’ingérence, les motifs d’intérêt général qui auraient justifié l’adoption
de la loi contestée et son applicabilité aux instances en cours.
Des
motifs d’ordre éthique, tout d’abord, reflétés essentiellement par l’alinéa I
de l’article 1er de la loi. En effet, compte tenu des réactions
suscitées par la jurisprudence Perruche précitée (voir paragraphes 43 à
46 ci-dessus), le législateur serait intervenu pour donner une solution
cohérente à un débat national mettant en cause des questions éthiques
prééminentes liées notamment à la dignité de la personne et au statut de
l’enfant à naître. Il s’agissait surtout d’exclure la reconnaissance d’un droit
de l’enfant à se plaindre d’avoir été mis au monde avec un handicap congénital,
ce qui relève d’un choix fondamental de société. Dès lors, l’on ne pouvait établir une différence de traitement pour les
procédures en cours selon la date d’introduction du litige, avant ou après la
promulgation de la loi.
Des motifs d’équité, ensuite. La loi litigieuse
obéirait à des motifs tenant à la nécessité d’assurer le traitement équitable
des personnes handicapées dans leur ensemble, quelle que soit la gravité et la
cause de leur handicap. Une telle intervention aurait été d’autant plus
nécessaire que, suite aux jurisprudences Quarez et Perruche, le
régime d’indemnisation de ces personnes n’était pas satisfaisant. Ce souci d’un
traitement équitable aurait motivé l’application immédiate de la loi, pour
qu’aucune distinction ne soit faite entre les personnes handicapées en fonction
de la date de dépôt de leurs recours, avant ou après la promulgation de la loi.
Toujours sur le plan de l’équité, il s’agissait de cesser de faire porter sur
le professionnel ou l’établissement de santé l’indemnisation du handicap non
décelé pendant la grossesse, ce qui fut ressenti comme une profonde injustice
par les médecins obstétriciens et praticiens d’échographies prénatales.
Enfin et surtout, le législateur serait intervenu
pour des motifs tenant à la bonne organisation du système de santé, menacée par
le mécontentement exprimé par les professionnels de santé suite à la
jurisprudence Perruche précitée. Confronté à des grèves, démissions et
refus de pratiquer des échographies prénatales, le législateur aurait agi pour
préserver des filières médicales suffisantes dans les domaines de l’obstétrique
et de l’échographie et assurer le suivi médical dans de bonnes conditions des
femmes enceintes et des enfants à naître.
63. Le Gouvernement soutient ensuite
qu’il existe un juste équilibre entre l’objectif poursuivi par le législateur
et les moyens qu’il a employés. Il expose à cet égard que ni les parents
d’enfants handicapés, ni ces derniers, n’ont été privés de toute prise en
charge et que la loi maintient un régime de responsabilité pour faute des
professionnels de santé. Il ajoute que le législateur a dû faire prévaloir la
nécessité de préserver le système de santé sur l’espoir d’indemnisation
complémentaire de quelques parents. Compte tenu des grèves de nombreux
praticiens, l’application immédiate de la nouvelle loi aurait été nécessaire
pour limiter la fuite des praticiens privés du secteur des diagnostics
prénataux. Par ailleurs, le Gouvernement souligne que les requérants ont obtenu
en première instance, postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi en cause,
des indemnités qui, si elles n’ont pas été à la hauteur de leurs espoirs,
étaient loin d’être symboliques, puisqu’elles s’élevaient à 180 000 EUR.
Ce montant serait équivalent à celui de l’indemnisation versée dans l’affaire Quarez
précitée. Ainsi, si les requérants n’ont pas obtenu l’indemnisation de tous les
chefs de préjudice allégués, ils auraient obtenu une indemnisation d’un montant
important.
64. Par
ailleurs, selon le Gouvernement, l’on ne saurait négliger l’importance du
recours à la solidarité nationale. Celle-ci prévoyait un dispositif avant la
loi litigieuse, qui a été complété par les mesures prévues par la récente loi
du 11 février 2005. Ainsi, du fait de
l’application de la loi du 4 mars 2002, les personnes handicapées et leurs
familles ne subiraient pas de conséquences excessives : elles ne seraient pas
privées de soutien financier, mais celui-ci serait pris en charge non plus
seulement par les professionnels de santé, mais aussi par l’Etat.
B. Appréciation de la Cour
1. Sur l’existence d’un
« bien » et d’une ingérence dans le droit au respect de ce
« bien »
65. La
Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut alléguer une
violation de l’article 1er du Protocole no 1
à la Convention que dans la mesure où les décisions qu’il incrimine se rapportent
à ses « biens » au sens de cette disposition. La notion de « biens » peut recouvrir tant
des « biens actuels » que des valeurs patrimoniales, y compris, dans certaines situations bien définies, des créances. Pour qu’une créance puisse être considérée comme une « valeur
patrimoniale » tombant sous le
coup de l’article 1 du Protocole no1, il faut que le titulaire de la
créance démontre que celle-ci a une
base suffisante en droit interne, par exemple qu’elle est confirmée par une
jurisprudence bien établie des tribunaux. Dès lors que cela est acquis, peut
entrer en jeu la notion
d’« espérance légitime ».
66. Quant
à la notion d’« espérance légitime », un aspect en a été illustré
dans l’affaire Pressos Companía Naviera S.A. et autres précitée. Celle-ci concernait des créances en réparation
résultant d’accidents de navigation censés avoir été causés par la négligence
de pilotes belges. En vertu du droit belge de la responsabilité, les créances
prenaient naissance dès la
survenance du dommage. La Cour qualifia ces créances de « valeurs
patrimoniales »
appelant la protection de l’article 1er du Protocole no 1.
Elle releva ensuite que, compte tenu d’une série de décisions de la Cour de
cassation, les requérants pouvaient prétendre avoir une « espérance
légitime » de voir concrétiser leurs créances quant aux accidents en cause
conformément au droit commun de la responsabilité.
67. La
Cour ne déclara pas explicitement dans l’affaire Pressos Companía Naviera
S.A. et autres que l’« espérance légitime » était un élément ou
un corollaire du droit de propriété revendiqué. Il résultait toutefois
implicitement de l’arrêt que pareille espérance ne pouvait entrer en jeu en
l’absence d’une « valeur patrimoniale » relevant du domaine de l’article
1er du Protocole no 1, dans le cas d’espèce
une créance en réparation. L’« espérance légitime » identifiée dans
l’affaire Pressos Companía Naviera S.A. et autres n’était pas en
elle-même constitutive d’un intérêt patrimonial ; elle se rapportait à la
manière dont la créance qualifiée de « valeur patrimoniale » serait
traitée en droit interne, et spécialement à la présomption selon laquelle la
jurisprudence constante des juridictions nationales continuerait de s’appliquer
à l’égard des dommages déjà causés.
68. Dans
toute une série d’affaires, la Cour a jugé que les requérants n’avaient pas
d’« espérance légitime » lorsqu’on ne pouvait considérer qu’ils
possédaient de manière suffisamment établie une créance immédiatement exigible.
(...) La jurisprudence de la Cour n’envisage pas l’existence d’une
« contestation réelle » ou d’une « prétention défendable »
comme un critère permettant de juger de l’existence d’une « espérance
légitime » protégée par l’article 1er du Protocole no
1. (...) La Cour estime que lorsque l’intérêt patrimonial concerné est de
l’ordre de la créance, il ne peut être considéré comme une « valeur
patrimoniale » que lorsqu’il a une base suffisante en droit interne, par
exemple lorsqu’il est confirmé par une jurisprudence bien établie des tribunaux
(voir Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, §§ 35
et 48 à 52, CEDH 2004-IX).
69. Par
ailleurs, l’article 1er du Protocole no 1
à la Convention, qui garantit en substance le droit de propriété, contient
trois normes distinctes : la première, qui s’exprime dans la première
phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du
respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même
alinéa, vise la privation de propriété et la subordonne à certaines conditions ;
quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux Etats
contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens
conformément à l’intérêt général. La deuxième et la troisième, qui ont trait à
des exemples particuliers d’atteinte au droit de propriété, doivent
s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir, parmi
d’autres, Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, § 33).
70. En
l’espèce, il n’est pas contesté qu’il y a eu ingérence dans le droit au respect
d’un « bien », au sens de l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention.
Les parties reconnaissent en effet, eu égard au régime de responsabilité
interne pertinent lors de l’intervention de la loi litigieuse, et notamment à
une jurisprudence constante des tribunaux administratifs établie depuis l’arrêt
Quarez précité, que, d’une part, les requérants avaient subi un
préjudice causé directement par une faute de l’AP-HP, et que, d’autre part, ils
détenaient une créance en vertu de laquelle ils pouvaient légitimement espérer
pouvoir obtenir réparation de leur préjudice, y compris les charges
particulières découlant du handicap de leur enfant.
71. La
loi du 4 mars 2002, entrée en vigueur le 7 mars 2002, a privé les requérants de
la possibilité d’être indemnisés à raison de ces « charges
particulières » en application de la jurisprudence Quarez du 14
février 1997, alors que, dès le 29 mars 1999, ils avaient saisi le tribunal
administratif de Paris d’une requête au fond et que par deux ordonnances de
référé, rendues le 10 mai 1999 et le 11 août 2001, les juridictions internes
leur avaient accordé une provision d’un montant substantiel, compte tenu du
caractère non sérieusement contestable de l’obligation de l’AP-HP à leur égard.
La loi litigieuse a donc entraîné une ingérence dans l’exercice des droits de
créance en réparation qu’on pouvait faire valoir en vertu du droit interne en
vigueur jusqu’alors et, partant, du droit des requérants au respect de leurs
biens.
72. La
Cour relève que, en l’espèce, dans la mesure où la loi contestée concerne les
instances engagées avant le 7 mars 2002 et pendantes à cette date, telles que
celle des requérants, cette ingérence s’analyse en une privation de propriété
au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention. Il
lui faut donc rechercher si l’ingérence dénoncée se justifie sous l’angle de
cette disposition.
2. Sur
la justification de l’ingérence
a) « Prévue
par la loi »
73. Il
n’est pas contesté que l’ingérence litigieuse ait été « prévue par la
loi », comme le veut l’article 1er du Protocole no 1
à la Convention.
74. En revanche, les avis des
comparants divergent sur la légitimité de cette ingérence. Dès lors, la Cour
doit rechercher si celle-ci poursuivait un but légitime, à savoir s’il existait
une « cause d’utilité publique », et si elle a eu lieu dans le
respect du principe de proportionnalité, au sens de la seconde règle énoncée
par l’article 1er du Protocole no 1
à la Convention.
b) « Pour cause
d’utilité publique »
75. La Cour estime que, grâce à une
connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités
nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour
déterminer ce qui est « d’utilité publique ». Dans le mécanisme de
protection créé par la Convention, il leur appartient par conséquent de se
prononcer les premières sur l’existence d’un problème d’intérêt général
justifiant des privations de propriété. Dès lors, elles jouissent ici d’une
certaine marge d’appréciation, comme en d’autres domaines auxquels s’étendent
les garanties de la Convention.
76. De plus, la notion d’« utilité
publique » est ample par nature. En particulier, la décision d’adopter des
lois portant privation de propriété implique d’ordinaire l’examen de questions
politiques, économiques et sociales. Estimant normal que le législateur dispose
d’une grande latitude pour mener une politique économique et sociale, la Cour
respecte la manière dont il conçoit les impératifs de l’« utilité
publique », sauf si son jugement se révèle manifestement dépourvu de base
raisonnable (Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, §
37, Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 149, CEDH
2004-V).
77. En l’espèce, le Gouvernement
affirme que l’article 1er de la loi du
4 mars 2002 procède de motifs d’intérêt général relevant de trois
domaines : l’éthique, et notamment la nécessité de se prononcer sur un
choix fondamental de société, l’équité et la bonne organisation du système de
santé (paragraphe 62 ci-dessus). A cet égard, la Cour n’a pas de raisons de
douter que la volonté du législateur français de mettre un terme à une
jurisprudence qu’il désapprouvait et de modifier l’état du droit en matière de
responsabilité médicale, même en rendant les nouvelles règles applicables aux
situations en cours, servait une « cause d’utilité publique ». Une autre question
est celle de savoir si ce but d’intérêt public pesait d’un poids suffisant dans
le cadre de l’appréciation de la proportionnalité de l’ingérence.
c) Proportionnalité
de l’ingérence
78. Une
mesure d’ingérence dans le droit au respect des biens doit ménager un juste
équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les
impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (voir, parmi
d’autres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23 septembre
1982, série A no 52, p. 26, § 69). Le souci d’assurer un tel
équilibre se reflète dans la structure de l’article 1er du Protocole no 1 tout entier, donc
aussi dans la seconde phrase qui doit se lire à la lumière du principe consacré
par la première. En particulier, il doit exister un rapport raisonnable de
proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure
privant une personne de sa propriété (Pressos Compania Naviera S.A. et
autres, précité, § 38).
79. Afin
de déterminer si la mesure litigieuse respecte le juste équilibre voulu et,
notamment, si elle ne fait pas peser sur les requérants une charge
disproportionnée, il y a lieu de prendre en considération les modalités
d’indemnisation prévues par la législation interne. A cet égard, la Cour a déjà
dit que, sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la
valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte
excessive, et un manque total d’indemnisation ne saurait se justifier sur le
terrain de l’article 1er du Protocole no 1
que dans des circonstances exceptionnelles (voir Les saints monastères c.
Grèce, 9 décembre 1994, série A no 301-A, p. 35, § 71,
Ex-Roi de Grèce et autres c. Grèce [GC], no 25701/94,
§ 89, CEDH 2000-XII, et Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos
46720/99, 72203/01 et 72552/01, § 94, CEDH 2005-...).
80. La
Cour rappelle que le Conseil d’Etat avait reconnu, par son arrêt Quarez du
14 février 1997, que l’Etat et les personnes de droit public telles que
l’AP-HP, établissement public de santé assurant le service public hospitalier,
étaient soumis au droit commun de la responsabilité pour faute. Elle note que cette jurisprudence, si elle était
relativement récente, était stable et constamment appliquée par les
juridictions administratives. La jurisprudence Quarez étant antérieure à
la découverte du handicap de R. et surtout à la saisine des juridictions
nationales par les requérants, ces derniers pouvaient légitimement espérer en
bénéficier.
81. En annulant les effets de cette
jurisprudence, outre ceux de l’arrêt Perruche de la Cour de cassation,
pour les instances en cours, la loi litigieuse a appliqué un régime nouveau de
responsabilité à des faits dommageables antérieurs à son entrée en vigueur et
ayant donné lieu à des instances toujours pendantes à cette date, produisant
ainsi un effet rétroactif. Sans doute, l’applicabilité aux instances en cours
ne saurait-elle en soi constituer une rupture du juste équilibre voulu, le
législateur n’étant pas, en principe, empêché d’intervenir, en matière civile,
pour modifier l’état du droit par une loi immédiatement applicable (voir, mutatis
mutandis, Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres c. France
[GC], nos 24846/94 et 34165/96 à 34173/96, § 57, CEDH 1999-VII).
82. Mais, en l’espèce, l’article 1er
de la loi du 4 mars 2002 a purement et simplement supprimé, avec effet
rétroactif, une partie essentielle des créances en réparation, de montants très
élevés, que les parents d’enfants dont le handicap n’avait pas été décelé avant
la naissance en raison d’une faute, tels que les requérants, auraient pu faire
valoir contre l’établissement hospitalier responsable. Le législateur français
a ainsi privé les requérants d’une « valeur patrimoniale »
préexistante et faisant partie de leurs « biens », à savoir une
créance en réparation établie dont ils pouvaient légitimement espérer voir
déterminer le montant conformément à la jurisprudence fixée par les plus hautes
juridictions nationales.
83. La Cour ne saurait suivre
l’argumentation du Gouvernement selon laquelle le principe de proportionnalité
aurait été respecté, une indemnisation adéquate, et donc une contrepartie
satisfaisante, ayant été prévue en faveur des requérants. En effet, elle ne
considère pas que ce que les requérants ont pu percevoir en application de la
loi du 4 mars 2002, seule forme de compensation des charges particulières
découlant du handicap de leur enfant, pouvait ou puisse constituer le versement
d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur de la créance perdue. Certes,
les requérants bénéficient de prestations prévues par le dispositif en vigueur,
mais leur montant est nettement inférieur à celui résultant du régime de
responsabilité antérieur et il est clairement insuffisant, comme l’admettent le
Gouvernement et le législateur eux-mêmes, puisque ces prestations ont été
complétées récemment par de nouvelles dispositions prévues à cet effet par la
loi du 11 février 2005. En outre les montants qui seront versés aux requérants
en vertu de ce texte, tout comme la date d’entrée en vigueur de celui-ci pour
les enfants handicapés, ne sont pas définitivement fixés (paragraphes 56 à 58
ci-dessus). Cette situation laisse peser encore aujourd’hui une grande
incertitude sur les requérants et, en tout état de cause, ne leur permet pas
d’être indemnisés suffisamment du préjudice déjà subi depuis la naissance de
leur enfant.
Ainsi
tant le caractère très limité de la compensation actuelle au titre de la
solidarité nationale que l’incertitude régnant sur celle qui pourra résulter de
l’application de la loi de 2005 ne peuvent faire regarder cet important chef de
préjudice comme indemnisé de façon raisonnablement proportionnée depuis
l’intervention de la loi du 4 mars 2002.
84. Quant à l’indemnisation accordée, à
ce jour, par le tribunal administratif de Paris aux requérants, la Cour
constate qu’elle relève du préjudice moral et des troubles dans les conditions
d’existence, et non des charges particulières découlant du handicap de l’enfant
tout au long de sa vie. A cet égard, force est de constater que le montant de
l’indemnisation accordée par ledit tribunal est très inférieur aux expectatives
légitimes des requérants, et que, en tout état de cause, il ne saurait être
considéré comme définitif, puisqu’il a été fixé par un jugement de première
instance dont il a été interjeté appel, la procédure étant actuellement
pendante. L’indemnisation ainsi octroyée aux requérants ne saurait donc
compenser les créances perdues.
85. Enfin, la Cour estime que les
considérations liées à l’éthique, à l’équité et à la bonne organisation du
système de santé mentionnées par le Conseil d’Etat dans son avis contentieux du
6 décembre 2002 et invoquées par le Gouvernement, ne pouvaient pas, en
l’espèce, légitimer une rétroactivité dont l’effet a été de priver les
requérants, sans indemnisation adéquate, d’une partie substantielle de leurs
créances en réparation, leur faisant ainsi supporter une charge spéciale et
exorbitante.
Une atteinte aussi radicale aux droits des
intéressés a rompu le juste équilibre devant régner entre, d’une part, les
exigences de l’intérêt général et, d’autre part, la sauvegarde du droit au
respect des biens.
86. L’article 1er de la loi
du 4 mars 2002 a donc violé, dans la mesure où il concerne les instances qui
étaient en cours le 7 mars 2002, date de son entrée en vigueur, l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention.
II. SUR
LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 1er
DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
87. Les requérants se plaignent de ce
que la loi du 4 mars 2002, en instaurant un régime de responsabilité
spécifique, aurait créé une inégalité de traitement injustifiée entre les
parents d’enfants dont le handicap n’a pas été décelé avant la naissance en
raison d’une faute, et les parents d’enfants handicapés en raison d’une faute
d’une autre nature, auxquels seront appliqués les principes du droit commun.
Ils invoquent l’article 14 de la Convention, ainsi rédigé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus
dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée
notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les
opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale,
l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute
autre situation. »
A. Thèses des parties
1. Les requérants
88. Les requérants se plaignent de ce
que la loi du 4 mars 2002 aurait créé une inégalité de traitement injustifiée
entre les parents d’enfants dont le handicap n’a pas été décelé avant la
naissance en raison d’une faute, pour lesquels la compensation des charges
particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap,
relève de la seule solidarité nationale, et les victimes des autres actes
fautifs entraînant un handicap, auxquelles seront appliqués les principes du
droit commun de la responsabilité. Ils rappellent qu’il n’est plus contesté, à
ce stade, qu’ils étaient titulaires d’un « bien ». Or, la loi aurait
porté atteinte au droit au respect de leurs biens en créant une inégalité de
traitement entre eux et l’autre catégorie de parents, alors qu’il s’agit, selon
les requérants, de situations essentiellement analogues, concernant la
réparation d’un préjudice résultant d’un handicap causé par une faute. De plus,
les requérants soutiennent qu’aucun motif d’intérêt général ou d’utilité
publique ne peut justifier le traitement discriminatoire découlant de la
nouvelle loi.
2. Le Gouvernement
89. Le Gouvernement soutient, à titre
principal, que les deux catégories ne se trouvent pas dans la même situation.
Lorsque le handicap est causé directement par une faute médicale, la faute est
antérieure au handicap, elle en est la cause et se trouve donc à l’origine du
préjudice des parents d’avoir un enfant handicapé. Dans le cas des requérants,
la faute n’est pas la cause directe du handicap, qui préexistait ; elle n’est génératrice
que du préjudice de n’avoir pas pratiqué d’interruption de grossesse ou de ne
pas avoir eu la possibilité de le faire. Les liens de causalité entre la faute
médicale et le handicap étant différents dans chacun des cas, ils fondent, à
juste titre selon le Gouvernement, deux régimes de responsabilité différents.
L’on ne saurait donc conclure à une discrimination puisqu’il n’ y a pas
identité de situation.
90. A titre subsidiaire, le
Gouvernement fait valoir que la prise en charge par la solidarité nationale des
charges particulières découlant du handicap d’enfants se trouvant dans la
situation de R. n’est pas discriminatoire, puisqu’ils bénéficient, comme les
autres, d’un dispositif important. De plus, le Gouvernement considère que la
différence de traitement entre les deux situations envisagées s’inscrit dans un
rapport raisonnable de proportionnalité avec les objectifs légitimes de la loi
du 4 mars 2002.
B. Appréciation de la Cour
91. Compte tenu de son constat de
violation concernant le droit des requérants au respect de leurs biens
(paragraphe 86 ci-dessus), la Cour ne juge pas nécessaire d’examiner le grief
des requérants tiré de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention.
III. SUR
LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
92. Les
requérants allèguent que l’applicabilité immédiate de la loi du 4 mars
2002 aux instances en cours, dont la leur, porte atteinte à leur droit à un
procès équitable. Ils invoquent l’article 6 § 1 de
la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit
entendue équitablement, (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi
par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations
de caractère civil (...) »
A. Thèses des parties
1. Les requérants
93. En se fondant sur la jurisprudence
de la Cour (notamment sur les arrêts Raffineries grecques Stran et Stratis
Andréadis c. Grèce du 9 décembre 1994 et Zielinski et Pradal &
Gonzalez et autres, précité), les requérants allèguent que les dispositions
de la loi du 4 mars 2002 méconnaissent la règle selon laquelle le principe de
la prééminence du droit et la notion de procès équitable (en particulier le
principe de l’égalité des armes) s’opposent à toute ingérence du pouvoir
législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le
dénouement judiciaire d’un litige, sauf pour des motifs d’intérêt général
impérieux. Or, aucun intérêt général impérieux ne saurait justifier les
dispositions rétroactives litigieuses. Les requérants estiment en effet que,
sans qu’il soit besoin de s’interroger sur la qualification de la loi de 2002,
il s’agit bien d’une intervention législative rétroactive, du type de celles
qui sont régulièrement sanctionnées par la Cour dans sa jurisprudence. Quant à la
présence de l’Etat en qualité de partie au litige, elle ne serait pas requise
par la jurisprudence de la Cour. En tout état de cause, en l’espèce, l’Etat
serait partie par le biais de l’AP-HP, puisque cette dernière est un
établissement public administratif placé sous le contrôle de l’Etat. Enfin, les requérants contestent l’argument selon
lequel la solidarité nationale compenserait le préjudice non réparé, puisque
les dispositions existantes en faveur des personnes handicapées sont, selon
eux, insuffisantes et les mesures futures aléatoires, et en tout cas tardives
et inefficaces en ce qui concerne la compensation des charges particulières
découlant du handicap de leur enfant.
2. Le Gouvernement
94. Le Gouvernement estime que la
présente espèce diffère de la jurisprudence de la Cour en matière de
« validations législatives » et notamment des affaires Raffineries
grecques Stran et Stratis Andréadis et Zielinski et Pradal &
Gonzalez et autres, précitées. En effet, la loi litigieuse serait d’une
nature différente et ne pourrait être qualifiée de loi de
« validation » ni être comparée à celles précédemment
sanctionnées par la Cour. L’objet de la loi litigieuse n’était pas de faire
échec aux procédures en cours, mais, à la suite du débat sur la jurisprudence Perruche,
de préciser un régime de responsabilité qui soulevait des difficultés. Intervenant
indépendamment de tout litige particulier, dans un domaine qui lui est propre,
sans s’immiscer ni dans des relations contractuelles préexistantes, ni dans la
bonne administration de la justice, le législateur aurait adopté une loi qui,
sans être réellement rétroactive, serait essentiellement interprétative.
D’ailleurs, en l’espèce, l’Etat ne serait en aucune manière partie au litige,
ni ne défendrait ses intérêts propres. Il s’ensuit, selon le Gouvernement, que
l’intervention du législateur ne peut s’analyser en une ingérence et n’a pas eu
pour but d’influer sur le dénouement du litige. De plus, même en admettant
qu’une telle ingérence existe, elle serait justifiée car la loi du 4 mars
2002 poursuit plusieurs objectifs légitimes, soulignés par le Conseil d’Etat
dans son avis contentieux du 6 décembre 2002, et exposés ci-dessus (paragraphe
62). Enfin, le Gouvernement réitère son argumentation selon laquelle il
existerait un « rapport raisonnable de proportionnalité » entre
l’objectif poursuivi par le législateur et les moyens qu’il a employés. Il
souligne l’importance du recours à la solidarité nationale et se réfère non
seulement aux mesures déjà prises au plan interne, mais aussi à celles qui sont
programmées.
B. Appréciation
de la Cour
95. Eu
égard aux circonstances particulières de la présente affaire ainsi qu’au
raisonnement qui l’a conduite à constater une violation de l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention
(paragraphes 65 à 86 ci-dessus), la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner
séparément le grief des requérants sous l’angle de l’article 6 § 1 de la
Convention.
IV. SUR
LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
96. Les requérants allèguent également
que l’applicabilité immédiate de la loi litigieuse aux instances en cours les
prive d’un recours effectif puisqu’ils ne peuvent plus obtenir réparation, par
l’auteur responsable, des charges particulières découlant du handicap de leur
enfant. Ils invoquent l’article 13 de la Convention, qui dispose :
« Toute personne dont les droits et libertés
reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un
recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation
aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs
fonctions officielles. »
97. La Cour réitère que l’article 13 de
la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de
s’y prévaloir des droits et libertés de la Convention, tels qu’ils peuvent s’y
trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un
recours interne habilitant l’instance nationale compétente à connaître du
contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir
le redressement approprié (voir, parmi d’autres, Aksoy c. Turquie, arrêt
du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décision 1996-VI, p.
2286, § 95).
98. La
Cour ayant conclu ci-dessus à la violation de l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention, il
ne fait aucun doute que le grief tiré de cette disposition est défendable aux
fins de l’article 13 de la Convention. Toutefois, selon la jurisprudence de la
Cour, l’article 13 ne va pas jusqu’à exiger un recours par lequel on
puisse contester en tant que telles, devant une autorité nationale, les
lois d’un Etat contractant (voir, par exemple, Gustafsson c. Suède,
arrêt du 25 avril 1996, Recueil 1996-II, § 70). Par conséquent, le grief
des requérants se heurte à ce principe pour autant qu’ils se plaignent de
l’absence de recours après le 7 mars 2002, date d’entrée en vigueur de
l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des
malades et à la qualité du système de santé (voir, mutatis mutandis, Christine
Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 113, CEDH 2002-VI).
99. Partant,
la Cour ne constate aucune violation de l’article 13 de la Convention en
l’espèce.
V. SUR
LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION, AINSI QUE DE L’ARTICLE
14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8
100. Les
requérants estiment que l’applicabilité de l’article 1er de la loi
du 4 mars 2002 à leur procès alors qu’il était en cours constitue une
ingérence arbitraire de l’Etat, emportant violation de leur droit au respect de
leur vie familiale. Ils invoquent l’article 8 de la Convention qui dispose dans
ses parties pertinentes :
« 1. Toute
personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...).
2. Il
ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit
que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue
une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense
de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la
santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés
d’autrui. »
A. Thèses des parties
1. Les requérants
101. Lors de l’audience devant la Cour,
les requérants ont fait valoir que l’article 8 de la Convention, en ce qu’il
proclame le droit à une vie familiale normale, est applicable en l’espèce.
Selon eux, la loi du 4 mars 2002 a porté atteinte à ce droit et constitue
une ingérence dans son exercice. Or, aucune des conditions mises au caractère
conventionnel d’une telle ingérence, à savoir qu’elle soit prévue par la loi et
tende vers un but légitime et nécessaire, ne serait remplie. En premier lieu,
la loi ne serait ni claire ni précise, contrairement aux exigences établies par
la jurisprudence de la Cour, dans la mesure où le renvoi à la solidarité
nationale demeure vague et imprécis. En second
lieu, et surtout, cette ingérence ne tend pas vers un but légitime et
impérieux. A cet égard, les requérants ont notamment exposé que les
considérations liées à une meilleure organisation du système de santé, à savoir
essentiellement le souci d’éviter le renchérissement des primes d’assurance aux
médecins et établissements de santé, ne saurait justifier l’immunité de ces
derniers pour les fautes qu’ils ont commises. Par ailleurs, l’Etat n’aurait pas
garanti l’exercice du droit des requérants à une vie familiale, puisque, en les
privant d’un recours pour obtenir réparation du préjudice relatif aux charges
particulières découlant du handicap de leur enfant, le législateur aurait fait
obstacle à ce que les intérêts de la famille soient protégés.
102. A l’audience, les requérants ont
également invoqué, pour la première fois, l’article 14 de la Convention combiné
avec l’article 8, au regard du droit à la vie familiale normale. Ils ont
allégué que la loi contestée instaure une discrimination injustifiée entre les
parents d’enfants handicapés à la suite d’une faute d’un médecin n’ayant pas
décelé le handicap pendant la grossesse, qui ne peuvent obtenir réparation
intégrale des conséquences de cette faute, tels que les requérants, et les
parents d’enfants handicapés qui peuvent imputer le dommage à un tiers et
obtenir réparation intégrale.
2. Le
Gouvernement
103. Le
Gouvernement conteste, à titre principal, l’applicabilité en l’espèce de
l’article 8 de la Convention. Se fondant sur la jurisprudence de la Cour (Marckx
c. Belgique, arrêt du 13 juin 1979, série A no 31), il
distingue les droits patrimoniaux qui, par leur nature, relèvent de la vie
familiale (comme les successions et les libéralités) et ceux qui n’ont qu’un
lien indirect avec la vie familiale, comme le droit d’être indemnisé d’une
faute médicale. Admettre que l’article 8 s’applique à ces derniers, et en
particulier au cas d’espèce, ferait entrer dans le champ d’application de cette
disposition toute créance matérielle d’une famille, même dénuée de lien avec la
structure de celle-ci. Or, même si, le
Gouvernement l’admet, la prise ou non en charge des frais relatifs au handicap
de R. est de nature à peser sur les conditions de vie de la famille des
requérants, elle n’interviendrait pas pour autant dans les liens patrimoniaux
entre parents et enfants.
104. Même si la Cour estimait que
l’article 8 de la Convention est applicable en l’espèce, le Gouvernement
soutient, ensuite, qu’aucune ingérence n’est démontrée. En admettant même
qu’elle le soit, elle tendrait vers un but légitime et serait nécessaire dans
une société démocratique, eu égard notamment aux objectifs légitimes poursuivis
par la loi du 4 mars 2002.
B. Appréciation de la Cour
1. Les principes généraux
105. Si l’article 8 de la Convention a
essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires
des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’Etat de s’abstenir
de pareilles ingérences car il peut engendrer de surcroît des obligations
positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale.
La frontière entre les obligations positives et négatives de l’Etat au titre de
cette disposition ne se prête toutefois pas à une définition précise ; les
principes applicables sont néanmoins comparables. Dans les deux cas, il faut
avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de
l’individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux
hypothèses, l’Etat jouit d’une certaine marge d’appréciation (voir, par
exemple, les arrêts Nuutinen c. Finlande, no 32842/96, 27
juin 2000, § 127, et Kutzner c. Allemagne, no 46544/99,
26 février 2002, §§ 61 et 62). En outre, même pour les obligations positives
résultant du paragraphe 1, « les objectifs énumérés au paragraphe 2 (...)
peuvent jouer un certain rôle » dans « la recherche » de
l’« équilibre » voulu (Powell et Rayner c. Royaume-Uni, arrêt
du 21 février 1990, série A no 172, § 41).
106. Le « respect » de la vie
familiale (...) implique pour l’Etat l’obligation d’agir de manière à permettre
le développement normal des rapports entre proches parents (voir Marckx,
précité, § 45). La Cour a conclu à l’existence de ce type d’obligations à la
charge d’un Etat lorsqu’elle a constaté la présence d’un lien direct et
immédiat entre, d’une part, les mesures demandées par un requérant et, d’autre
part, la vie privée et/ou familiale de celui-ci (voir les arrêts Airey c.
Irlande du 9 octobre 1979, série A no 32, § 32, X et Y c.
Pays-Bas du 26 mars 1985, série A no 91, p. 11, § 23, López
Ostra c. Espagne du 9 décembre 1994, série A no 303-C,
p. 55, § 55, Guerra et autres c. Italie du 19 février 1998, Recueil
1998-I, p. 227, § 58, et Botta c. Italie du 24 février 1998, Recueil
1998-I, § 35 ainsi que Zehnalova et Zehnal c. République tchèque (déc.),
no 38621/97, CEDH 2002-V).
107. La notion de respect manquant
toutefois de netteté, les Etats jouissent d’une large marge d’appréciation pour
déterminer, en fonction des besoins et ressources de la communauté et des
individus, les mesures à prendre afin d’assurer l’observation de la Convention
(voir Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, arrêt du 28 mai
1985, série A no 94, § 67, et, aussi, Zehnalova et Zehnal,
précité).
108. La
Cour rappelle en même temps le rôle fondamentalement subsidiaire du mécanisme
de la Convention. Les autorités nationales jouissent d’une légitimité
démocratique directe et, ainsi que la Cour l’a affirmé à maintes reprises, se
trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer
sur les besoins et contextes locaux (voir, par exemple, Handyside c.
Royaume-Uni, arrêt du 7 décembre 1976, série A no 24, p.
22, § 48, et Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no
36022/97, § 97, CEDH 2003-VIII). Lorsque des questions de politique
générale sont en jeu, sur lesquelles de profondes divergences peuvent
raisonnablement exister dans un Etat démocratique, il y a lieu d’accorder une
importance particulière au rôle du décideur national (James et autres c.
Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1986, série A no 98, p.
32, § 46, dans lequel la Cour a estimé normal que « le législateur dispose
d’une grande latitude pour mener une politique économique et sociale »).
2. Application de ces principes
109. En l’espèce, et pour autant que
les griefs soumis à la Cour se distinguent de ceux déjà examinés sous l’angle
de l’article 1er du Protocole no 1
à la Convention, les requérants se plaignent d’une ingérence selon eux
injustifiée, mais aussi, en substance, de l’inaction de l’Etat, qui n’aurait
pas mis en place un système de compensation effectif des charges particulières
découlant du handicap de leur enfant.
110. Se pose d’abord la question de
savoir si l’article 8 de la Convention est applicable, c’est-à-dire si les
mesures prises par l’Etat défendeur envers les personnes handicapées relèvent
du droit des requérants à mener une vie familiale normale.
111. Toutefois, la Cour n’estime pas
nécessaire en l’occurrence de trancher la question car, en admettant même que
l’article 8 de la Convention puisse être considéré comme applicable, elle est
d’avis que la situation dont les requérants tirent grief n’emporte pas
violation de cette disposition.
112. La
Cour relève en effet que l’article 1er de la loi du 4 mars 2002
modifie l’état du droit en matière de responsabilité médicale. Confronté à la
jurisprudence Perruche et au débat tumultueux d’envergure nationale qui
s’ensuivit, reflétant les importantes divergences d’opinion existant au sein de
la société française à ce sujet, le législateur, après consultation des
différents groupes d’intérêts et personnes concernés, a décidé d’intervenir
pour définir un nouveau régime de réparation des préjudices subis par les
enfants nés handicapés et par leurs parents, différent de celui qui résultait
de la jurisprudence tant administrative que judiciaire. Les nouvelles règles
ainsi établies, précisées par le Conseil d’Etat dans son avis contentieux du
6 décembre 2002, font notamment obstacle à ce que les parents puissent
obtenir de l’auteur de la faute réparation du préjudice correspondant aux
charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, du handicap
de ce dernier. Ce régime est le résultat de
débats parlementaires approfondis, au cours desquels il a été tenu compte de
considérations d’ordre juridique, éthique, social, ainsi que de raisons liées à
la bonne organisation du système de santé et au traitement équitable de
l’ensemble des personnes handicapées. Comme l’indique le Conseil d’Etat dans
l’avis précité, le législateur s’est prononcé sur la base de motifs d’intérêt
général, dont la validité ne saurait être remise en cause par la Cour (paragraphe
77 ci-dessus). Ce faisant, il poursuivait donc au moins un des buts
légitimes énoncés par le paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention, à savoir
la protection de la santé ou de la morale.
113. Certes,
de par leur applicabilité immédiate, les dispositions litigieuses ont privé les
requérants d’une partie essentielle des créances en réparation qu’ils auraient
pu faire valoir, et ce de façon rétroactive, et la Cour ne peut que le
souligner à nouveau (paragraphes 78 à 86 ci-dessus).
114. Toutefois,
en prévoyant la prise en charge du handicap de l’enfant par la solidarité
nationale, le législateur français a considéré que mieux vaut inscrire cet
aspect dans le cadre législatif qui organise les modalités de compensation du
handicap, et non laisser à la jurisprudence le soin de statuer sur des actions
relevant du droit commun de la responsabilité. De plus, la Cour relève que ce
cadre légal, mis en place dès 1975, a fait l’objet d’une réorganisation globale
effectuée par la loi du 11 février 2005 (paragraphes 53 à 58 ci-dessus). Il
n’appartient certes pas à la Cour de se substituer aux autorités nationales
pour apprécier l’opportunité de la mise en place d’un tel régime, ni en quoi
pourrait consister la politique optimale en ce domaine social difficile. En la matière, on doit reconnaître aux Etats
contractants une importante latitude (voir, mutatis mutandis, Powell
et Rayner c. Royaume-Uni, précité, § 44).
115. Dès lors, il n’y a aucun motif
sérieux de juger contraire à l’article 8, envisagé sous son aspect positif
ou négatif, la manière dont la législation française a abordé le problème ou le
contenu des mesures spécifiques prévues à cet effet. On ne peut raisonnablement
prétendre que le législateur français, en décidant de réorganiser le régime de
compensation du handicap en France, a outrepassé la marge d’appréciation
importante dont il dispose en la matière ou rompu le juste équilibre à ménager.
116. Partant,
il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
117. Quant
au grief tiré de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8, la
Cour note qu’il a été soulevé pour la première fois devant elle lors de
l’audience, le 23 mars 2005 (paragraphe 102 ci-dessus). En conséquence, il
n’est pas visé par la décision de recevabilité du 6 juillet 2004 qui délimite
le cadre à l’intérieur duquel doit se placer la Cour (voir, entre autres, Göç
c. Turquie [GC], no 36590/97, § 36, CEDH 2002-V et Assanidzé
c. Georgie [GC], no 71503/01, § 162, CEDH 2004-II). Il s’ensuit
que ce grief sort du champ d’examen de l’affaire telle qu’elle a été déférée à
la Grande Chambre.
VI. SUR
L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
118. Aux
termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour
déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le
droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer
qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la
partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommages matériel et moral
119. Les requérants allèguent avoir
subi un préjudice matériel correspondant aux sommes qu’ils auraient perçues en
l’état du droit antérieur à la loi du 4 mars 2002. Ils demandent, justificatifs
à l’appui, les sommes suivantes :
a. 38 701,32 EUR et 6 922,40
EUR au titre des préjudices professionnels subis respectivement par Mme et M. Draon ;
b. 22 867,35
EUR au titre de la perte de jouissance d’un bien immobilier ;
c. 91 469,40 EUR au titre de leur
préjudice moral ;
d. 45 734,70 EUR au titre des
troubles dans les conditions d’existence ;
e. 365 499 EUR au titre du surcoût
de la construction d’une maison adaptée ;
f. 42 779 EUR au titre des
aménagements domotiques indispensables ;
g. 5 092 588 EUR au titre des
soins non spécialisés (aide d’une tierce personne) ;
h. 52 567,47 EUR au titre des
frais spécifiques restant à charge (achats non remboursables) ;
i. 35 940,99 EUR au titre d’un
véhicule automobile spécialement équipé.
120. En ce qui concerne en particulier
les sommes correspondant aux « charges particulières » (répertoriées
sous e) à i) ci-dessus), les requérants soulignent que la loi adoptée le 11
février 2005 ne sera pas immédiatement applicable aux enfants et qu’elle
n’assurera pas la compensation du préjudice qu’ils ont déjà subi depuis la
naissance de R. Ils ajoutent que la prestation prévue par ce texte sera
insuffisante.
Des montants indiqués ci-dessus, les requérants
déduisent la somme de 180 000 EUR allouée par le tribunal administratif de
Paris. Leur demande pour le dommage matériel s’élève donc au total à
5 615 069,63 EUR.
Les requérants demandent en outre 12 000 EUR
en réparation du préjudice moral résultant des violations de la Convention dont
ils se plaignent.
121. Le Gouvernement conteste
l’ensemble de ces prétentions, qu’il estime déraisonnables. En ce qui concerne
les demandes présentées au titre du préjudice matériel, le Gouvernement
soutient notamment que les sommes demandées sous a) à d) ci-dessus sont
afférentes à des préjudices déjà réparés par les juridictions internes. Quant
aux sommes correspondant aux « charges particulières » découlant du
handicap de R. (ventilées sous e) à i) ci-dessus), elles seraient déjà en
partie couvertes par les allocations versées au titre de la solidarité
nationale, qui seront ensuite complétées par les dispositions de la loi du 11
février 2005. Il s’ensuit, selon le Gouvernement, qu’il n’y aurait pas lieu
d’attribuer aux requérants une indemnité spécifique au titre de leur préjudice
matériel.
De même, en ce qui concerne le préjudice moral
allégué, le Gouvernement considère que l’éventuel constat de violation
constituerait une satisfaction équitable suffisante.
122. La Cour estime que, dans les
circonstances de l’espèce, et eu égard notamment à l’état de la procédure
devant les juridictions nationales, la question de l’application de l’article
41 ne se trouve pas en état pour les dommages matériel et moral. Il y a donc
lieu de la réserver en tenant compte de l’éventualité d’un accord entre l’Etat
défendeur et les intéressés (article 75 §§ 1 et 4 du règlement).
B. Frais et dépens
123. Les requérants demandent,
justificatifs à l’appui, 15 244 EUR en ce qui concerne les frais et dépens
exposés devant la Cour.
124. Le Gouvernement reconnaît que les requérants
ont recouru aux services d’un avocat et que l’affaire présentait une certaine
complexité. Il s’en remet à la sagesse de la Cour pour apprécier le montant pouvant
être dû à ce titre, tout en considérant qu’il ne devrait pas dépasser
7 500 EUR.
125. La Cour constate que les
requérants justifient leurs prétentions par la production d’une note
d’honoraires comportant un relevé d’activités détaillé. Considérant que les
montants réclamés ne sont pas excessifs au vu de la nature du litige, qui
présentait incontestablement une certaine complexité, la Cour fait entièrement
droit aux demandes des requérants et leur accorde la somme de 15 244 EUR,
toutes taxes comprises.
C. Intérêts moratoires
126. La Cour juge approprié de baser le
taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt
marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de
pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu
violation de l’article 1er du Protocole no 1
à la Convention ;
2. Dit, à l’unanimité, qu’il n’est pas
nécessaire d’examiner le grief tiré de l’article 14 de la Convention combiné
avec l’article 1er du Protocole no 1
à la Convention ;
3. Dit, par douze voix contre cinq, qu’il
n’est pas nécessaire d’examiner séparément le grief tiré de l’article 6 §
1 de la Convention ;
4. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu
violation de l’article 13 de la Convention ;
5. Dit, à l’unanimité, qu’en admettant
même que l’article 8 de la Convention soit applicable, il n’y a pas eu
violation de cette disposition ;
6. Dit, à l’unanimité, que le grief tiré
de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 sort du champ de son
examen ;
7. Dit, à l’unanimité, qu’en ce qui
concerne la somme à octroyer aux requérants pour tout dommage matériel ou moral
résultant de la violation constatée, la question de l’application de l’article
41 ne se trouve pas en état et, en conséquence,
a) la
réserve en entier ;
b) invite le Gouvernement et les
requérants à lui soumettre par écrit, dans les six mois à compter de la date de
communication du présent arrêt, leurs observations sur la question et, en
particulier, à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient
parvenir ;
c) réserve
la procédure ultérieure et délègue au président de la Cour le soin de la
fixer au besoin ;
8. Dit, à l’unanimité,
a) que
l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans un délai de trois mois, la
somme de 15 244 EUR (quinze mille deux cent quarante-quatre euros)
correspondant aux frais et dépens exposés jusqu’au stade actuel de la procédure
devant la Cour, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette
somme ;
b) qu’à
compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à
majorer d’un intérêt simple à un taux égal au taux d’intérêt de la facilité de
prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de
pourcentage.
Fait en français et en
anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à
Strasbourg, le 6 octobre 2005.
Luzius Wildhaber
Président
T.L. Early
Adjoint au
Greffier
Au présent arrêt se trouve
joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du
règlement, l’exposé des opinions suivantes :
– opinion partiellement dissidente
commune à M. Rozakis, Sir Nicolas Bratza, M. Bonello, M. Loucaides et Mme
Jočienė ;
– opinion
séparée de M. Bonello.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE
A M. ROZAKIS, Sir Nicolas BRATZA, M. BONELLO,
M. LOUCAIDES ET Mme JOČIENÉ, JUGES
(Traduction)
1. Nous souscrivons à la conclusion et
au raisonnement de la majorité sur l’ensemble des aspects de la cause sauf
un : le point de savoir s’il y avait lieu ou non d’examiner séparément le
grief formulé par les requérants sur le terrain de l’article 6 § 1 de la
Convention. D’après nous, pareil examen s’imposait en l’espèce au regard de la
démarche suivie par la Cour dans les affaires Raffineries grecques Stran et
Stratis c. Grèce (arrêt du 9 décembre 1994, série A no
301-B) et National & Provincial Building Society, Leeds Permanent
Building Society et Yorkshire Building Society c. Royaume-Uni (arrêt
du 23 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VII,
p. 2326). L’article 6 de la Convention et l’article 1 du Protocole no
1 reflètent deux valeurs séparées et distinctes consacrées par la Convention,
toutes deux revêtant une importance fondamentale : la prééminence du droit
et l’équité dans l’administration de la justice d’une part, et le respect des
biens d’autre part. Si les faits à l’origine des griefs énoncés sur le terrain
de ces deux articles sont les mêmes, les questions qu’ils soulèvent et les
principes régissant les questions posées ne sont pas identiques et,
contrairement à la majorité, nous estimons que le constat d’une violation de
l’article 1 n’était pas de nature à exonérer la Cour de son obligation
d’examiner le grief articulé par les requérants sur le terrain de l’article 6.
2. La Cour a jugé précédemment qu’en
principe le pouvoir législatif n’est pas empêché de réglementer en matière
civile, par de nouvelles dispositions à portée rétroactive, des droits
découlant de lois en vigueur. Toutefois, le principe de la prééminence du droit
et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 s’opposent, sauf
motifs impérieux d’intérêt général, à toute ingérence du pouvoir législatif
dans l’administration de la justice tendant à influer sur le dénouement
judiciaire d’un litige (Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres c.
France [GC], nos 24864/94 et 34165/96 à 34173/96, CEDH
1999-VII et, parmi d’autres, Anagnostopoulos et autres c. Grèce, arrêt
du 7 novembre 2000, Recueil des arrêts et décisions 2000-XI, §§ 20 et
21).
3. En l’espèce, la loi de mars 2002,
qui a introduit un nouveau régime de réparation du préjudice subi par les
personnes nées avec un handicap, prévoit en son article 1 in fine que
ses dispositions sont applicables aux instances en cours, à l’exception de
celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation.
Du fait de cette disposition, les parents – tels les requérants – d’enfants nés
avec un handicap dont une faute a empêché le décèlement avant la naissance ont
été privés d’une part substantielle de l’indemnisation à laquelle ils pouvaient
auparavant prétendre en vertu de la jurisprudence Quarez. Ainsi, de par
son applicabilité aux instances contentieuses en cours, la loi litigieuse a eu
pour effet d’influer de manière décisive sur l’issue de celles qu’avaient
antérieurement engagées les requérants, en fixant les termes du débat en
défaveur de ceux-ci.
4. Le
Gouvernement soutient que ladite loi ne visait pas précisément le présent
litige ni aucun litige particulier. S’il est vrai que, à la différence de la
situation qui caractérisait l’affaire Raffineries grecques, la
législation incriminée en l’espèce ne visait pas un litige particulier, ce
point n’est d’après nous pas décisif. Ce qui
l’est, en revanche, c’est le fait que les dispositions contestées avaient
manifestement pour objet, et ont eu pour effet, de modifier de manière radicale
le régime de réparation applicable, et que leur libellé même indiquait qu’elles
étaient destinées à s’appliquer à l’ensemble des instances judiciaires en cours
– y compris donc à celles concernant les requérants – dans lesquelles aucune
décision irrévocable n’avait été prise sur le principe de l’indemnisation.
5. Le
Gouvernement invoque par ailleurs le fait que, à la différence là aussi de
l’affaire Raffineries grecques, l’Etat n’était pas lui-même directement
partie au litige à l’origine de la présente espèce. Là encore, nous estimons que ce fait ne revêt pas une importance
capitale, le principe excluant toute intervention du législateur dans les
instances judiciaires en cours étant fondé non seulement sur l’exigence de
l’égalité des armes entre les parties à la procédure, mais également sur des
exigences plus générales de l’article 6 de la Convention tenant à la
prééminence du droit et à la séparation des pouvoirs. En tout état de cause, si
l’Etat n’était pas en tant que tel partie à la procédure litigieuse, nous
relevons que la participation de l’AP-HP, établissement administratif placé
sous la tutelle de quatre ministres, devait nécessairement avoir des
implications importantes pour les finances publiques et que, par conséquent,
l’Etat était directement concerné par l’issue des instances expressément visées
par la loi.
6. Si, comme dans le cas du grief tiré
de l’article 1 du Protocole no 1, nous ne cherchons pas à mettre en
cause la validité des considérations d’intérêt général qui ont présidé à
l’adoption de la loi du 4 mars 2002, la question demeure de savoir si les
motifs en cause étaient, individuellement ou collectivement, suffisamment
impérieux pour justifier que le législateur étende le champ d’application des
mesures aux instances judiciaires qui étaient déjà en cours. D’après nous, ni
la procédure parlementaire qui a précédé l’adoption des dispositions en cause –
et dans laquelle le souci majeur était de mettre fin aux effets de l’arrêt Perruche
– ni les considérations formulées par le Conseil d’Etat dans son avis du 6
décembre 2002 auxquelles le Gouvernement renvoie (voir les paragraphes 51 et 62
ci-dessus) ne peuvent être considérées comme représentant des motifs d’intérêt
général suffisamment impérieux pour justifier l’applicabilité des dispositions
du premier paragraphe de la loi aux instances déjà en cours.
7. En conséquence, nous estimons que
l’application de l’article 1 de la loi du 4 mars 2002 aux instances engagées
par les requérants, lesquelles se trouvaient pendantes lorsque la loi entra en
vigueur, a violé les droits des requérants découlant de l’article 6 § 1 de la
Convention.
OPINION SÉPARÉE DE M. LE JUGE BONELLO
(Traduction)
1. Pour
les raisons qui se trouvent exposées dans l’opinion dissidente commune, à
laquelle je souscris entièrement, j’étais favorable, comme les autres membres
de la minorité, au constat en l’espèce d’une violation tant de l’article 6 § 1
de la Convention que de l’article 1 du Protocole no 1.
2. Si
je fais miens les motifs pour lesquels la Cour a conclu à la violation de
l’article 1 du Protocole no 1 et si je partage l’avis de la minorité
selon lequel il y a eu violation de l’article 6 § 1, je tiens à ajouter quelques
considérations, propres à expliquer pourquoi j’eusse préféré que la Cour
constatât une double violation.
3. La
loi no 303 du 4 mars 2002 (ci-après la loi de 2002) a emporté deux
conséquences, aussi inacceptables l’une que l’autre à mon sens. Premièrement,
elle a influé d’une manière manipulatrice sur l’issue d’une affaire qui se
trouvait déjà pendante, ce qui a eu des effets hautement préjudiciables pour
certains des droits garantis à la requérante par la Convention. Deuxièmement,
elle a créé de toutes pièces une catégorie, privilégiée, de médecins libérés du
risque d’avoir à réparer les conséquences matérielles des fautes pouvant être
commises par eux dans l’exercice de leur profession.
4. La loi de 2002 a en effet introduit,
de manière autoritaire, une nouveauté : l’exemption rétroactive de
certains médecins ou établissements de santé des conséquences d’erreurs
médicales prouvées. Tous les autres praticiens et établissements
médicaux répondaient auparavant – et continuent de répondre – intégralement des
dommages, matériels aussi bien que moraux, engendrés par leurs déficiences.
Certains médecins et établissements susceptibles de se voir reprocher d’avoir
failli à leur fonction de détecter avant la naissance les anomalies dont
peuvent être atteints les fœtus ont maintenant reçu en cadeau l’exonération
totale de leur responsabilité pour tout dommage matériel susceptible de
résulter de leur négligence.
5. Avant 2002, tous les médecins en
France étaient égaux devant la loi. Comme les membres de toutes les autres
professions libérales (avocats, architectes, etc.), ils devaient répondre
intégralement de leurs fautes. En vertu de la loi de 2002, ceux qui pratiquent
le diagnostic prénatal sont maintenant moins égaux que les autres. Leurs fautes
emportent un prix considérablement moins élevé que celui auquel doivent faire
face tous les autres membres de professions libérales. Pour moi, le traitement
inégal de culpabilités égales n’est pas moins pernicieux que le traitement égal
de culpabilités inégales.
6. La norme acceptée au plan
international demeure la responsabilité. Toute personne qui, par dol ou par
négligence, cause à autrui un dommage est tenue à réparation. La loi de 2002
déroge à ce principe. Tous les praticiens de la médecine demeurent assujettis à
la règle générale et doivent supporter les conséquences de leur responsabilité,
sauf un nombre limité d’entre eux, qui exercent dans une branche particulière
de la médecine et que la loi de 2002 a mis à l’abri dans une forteresse
éminemment privilégiée, totalement soustraite au risque de poursuites en
dommages-intérêts matériels. Je regarde cette immunité discriminatoire non pas
tellement à la lumière de l’article 14, mais plutôt comme un des éléments à
prendre en compte dans l’appréciation de la proportionnalité de l’ingérence.
7. Non
seulement la loi de 2002 a foulé aux pieds les droits découlant pour les
requérants de la Convention, mais elle l’a fait en usant d’un moyen contestable
: l’institution d’une immunité totale face au risque d’avoir à réparer des
dommages matériels. Détestable par nature,
l’immunité apparaît d’autant plus critiquable lorsqu’elle a pour effet
d’amputer des droits fondamentaux.
8. Certaines immunités, telles
l’immunité diplomatique, l’immunité judiciaire et l’immunité parlementaire
partielle, répondent à des impératifs historiques et à des nécessités
fonctionnelles. Elles jouissent de la légitimité que procure l’ancienneté de
l’acceptation et de la tradition, et elles peuvent revendiquer un avantage
prouvé, qui neutralise, d’une certaine manière, la réprobation qu’engendre une
protection inégale entre ceux qui bénéficient de l’immunité et ceux qui n’en
bénéficient pas.
9. Mais instituer, alors que l’on vient
d’entrer dans le XXIe siècle, une nouvelle immunité, taillée à la
mesure d’une classe privilégiée au sein d’une profession privilégiée, c’était
selon moi un moyen très raffiné d’aboutir à une atteinte peu élégante aux
droits fondamentaux garantis par la Convention.
10. La création d’immunités de
poursuites totalement nouvelles, telle celle de l’espèce, fait automatiquement
entrer en jeu une classification nouvelle suspecte, qui aurait dû avoir le
double effet de transférer la charge de la justification sur le Gouvernement et
d’imposer à la Cour l’obligation de se livrer à un contrôle plus strict.
11. L’impunité engendrée par la loi de
2002 visait à prémunir certains praticiens de la médecine des conséquences de
possibles déficits de diligence de leur part, en laissant à tous les autres
l’obligation de répondre intégralement des conséquences de leurs fautes. Cela
n’a rien à voir avec d’autres « immunités », jugées acceptables,
comme le plafonnement de la responsabilité des transporteurs aériens. Ce
plafonnement est le fruit d’un accord international préalable et il est
contractuellement accepté à l’avance par la victime potentielle, du seul fait
de l’achat par elle d’un billet indiquant cette limitation.
12. Le Gouvernement, qui a mis tout en
œuvre pour remodeler les dispositions légales à son propre avantage financier,
a perdu l’occasion de justifier par des motifs impérieux la création d’une
protection inégale suspecte. De son côté, la Cour ne s’est pas livrée à un
examen plus attentif que d’ordinaire de la création de cette immunité d’un
nouveau genre.
1. Soit, selon l’article
2 du décret du 5 novembre 1870 relatif à la promulgation des lois et décrets,
alors en vigueur : « à Paris, un jour franc après la promulgation et,
partout ailleurs, dans l’étendue de chaque arrondissement, un jour franc après
que le Journal officiel qui les contient sera parvenu au chef-lieu de cet
arrondissement ».