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Corte europea dei diritti dell’uomo

(Prima Sezione)

 

5 giugno 2012

 

Req. n. 63633/00

 

 

 

 

AFFAIRE COLAZZO c. ITALIE

 

 

 

 

ARRĂŠT

(Satisfaction Ă©quitable)

 

 

STRASBOURG

 

 

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 

En l’affaire Colazzo c. Italie,

La Cour europĂ©enne des droits de l’homme (première section), siĂ©geant une chambre composĂ©e de :

Nina Vajić, prĂ©sidente, 
 Peer Lorenzen, 
 Khanlar Hajiyev, 
 Mirjana Lazarova Trajkovska, 
 Guido Raimondi, 
 Julia Laffranque, 
 Linos-Alexandre Sicilianos, juges, 
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 mai 2012,

Rend l’arrĂŞt que voici, adoptĂ© Ă  cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requĂŞte (no 63633/00) dirigĂ©e contre la RĂ©publique italienne et dont quatre ressortissants de cet Etat, Mme William Colazzo, M. Massimo Colazzo, Mme Donata Colazzo et Mme Maria Teresa Sbocchi (« les requĂ©rants Â»), ont saisi la Cour le 23 mars 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des LibertĂ©s fondamentales (« la Convention Â»).

2.  Par un arrĂŞt du 13 octobre 2005 (« l’arrĂŞt au principal Â»), la Cour a jugĂ© que l’ingĂ©rence dans le droit au respect des biens des requĂ©rants n’était pas compatible avec le principe de lĂ©galitĂ© et que, partant, il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 (Colazzo c. Italie, no 63633/00, § 87, 13 octobre 2005).

3.  En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, les requĂ©rants rĂ©clamaient une satisfaction Ă©quitable de 434 614,73 EUR au titre de prĂ©judice matĂ©riel et de 108 653,68 EUR au titre de prĂ©judice moral. En outre, ils demandaient le remboursement des frais encourus devant la Cour ainsi que des frais dans le cadre de la procĂ©dure nationale.

4.  La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en Ă©tat, la Cour l’a rĂ©servĂ©e et a invitĂ© le Gouvernement et les requĂ©rants Ă  lui soumettre par Ă©crit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment Ă  lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 96, et point 3 du dispositif).

5.  Le dĂ©lai fixĂ© pour permettre aux parties de parvenir Ă  un accord amiable est Ă©chu sans que les parties n’aboutissent Ă  un tel accord. Tant les requĂ©rants que le Gouvernement ont dĂ©posĂ© des observations.

6.  Le 12 mars 2007, le prĂ©sident de la chambre a dĂ©cidĂ© de demander aux parties de nommer chacune un expert chargĂ© d’évaluer le prĂ©judice matĂ©riel et de dĂ©poser un rapport d’expertise avant le 14 juin 2007.

7.  Lesdits rapports d’expertise ont Ă©tĂ© dĂ©posĂ©s dans le dĂ©lai imparti.

EN FAIT

8.  Les faits survenus après l’arrĂŞt au principal peuvent se rĂ©sumer comme suit.

9.  Par un arrĂŞt du 16 mai 2008, dĂ©posĂ© le 13 octobre 2008, la cour d’appel de Lecce condamna la municipalitĂ© Ă  payer 34 295,32 EUR Ă  la première requĂ©rante et 31 627,82 EUR aux trois autres requĂ©rants et Ă  l’autre hĂ©ritier, Ă  savoir des sommes Ă©gales Ă  la valeur vĂ©nale des terrains expropriĂ©s, telles que dĂ©terminĂ©es par l’expert commis d’office.

Ces montants devaient être réévalués et assortis d’intérêts à compter du 28 septembre 1988, date de la perte de propriété des terrains par effet de l’expropriation indirecte.

10.  La municipalitĂ© ne s’étant pas exĂ©cutĂ©e, le 10 juillet 2009 les requĂ©rants signifièrent au ministère de la justice un commandement de payer (atto di precetto). Il ressort du dossier que l’administration n’a versĂ© aucune somme aux requĂ©rants.

11.  Par un acte du 26 novembre 2009, la municipalitĂ© de Lecce se pourvut en Cassation contre l’arrĂŞt de la cour d’appel de Lecce. La procĂ©dure est actuellement pendante.

EN DROIT

12.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour dĂ©clare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă  la partie lĂ©sĂ©e, s’il y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. Â»

A.  Dommage matĂ©riel

13.   Se rĂ©fĂ©rant aux critères d’indemnisation Ă©tablis dans l’arrĂŞt Guiso-Gallisay c. Italie ((satisfaction Ă©quitable) [GC], no 58858/00, 22 dĂ©cembre 2009), les requĂ©rants demandent une somme correspondant Ă  la valeur vĂ©nale des terrains expropriĂ©s, plus indexation et intĂ©rĂŞts. Ils font valoir que plus de vingt-quatre ans se sont Ă©coulĂ©s depuis l’expropriation de leurs biens sans que l’administration se soit acquittĂ©e de son obligation de les indemniser pour la perte de propriĂ©tĂ© de leurs terrains.

14.  Par ailleurs, suite Ă  l’arrĂŞt de la cour d’appel de Lecce du 16 mai 2008, leur reconnaissant un dĂ©dommagement Ă  hauteur de la valeur marchande des terrains, et malgrĂ© le commandement de payer notifiĂ© Ă  la municipalitĂ©, celle-ci n’a payĂ© aucune somme d’argent.

En revanche, l’administration s’est pourvue en cassation retardant ainsi ultérieurement le paiement de leur indemnité.

15.  Les requĂ©rants demandent Ă©galement 60 000 EUR au titre de perte de chance.

16.  Le Gouvernement fait observer que la cour d’appel de Lecce a octroyĂ© aux requĂ©rants une somme correspondant Ă  la valeur vĂ©nale des terrains expropriĂ©s, indexĂ©e et assortie d’intĂ©rĂŞts. Il affirme que la municipalitĂ© s’exĂ©cutera prochainement.

Selon lui, si la Cour accordait une somme au titre d’une satisfaction équitable, les requérants pourraient être indemnisés deux fois.

17.  La Cour rĂ©pond d’emblĂ©e Ă  l’argument du Gouvernement. Elle considère improbable que les requĂ©rants reçoivent une double indemnisation, Ă©tant donnĂ© que les juridictions nationales, lorsqu’elles dĂ©cideront de la cause, vont inĂ©vitablement prendre en compte toute somme accordĂ©e aux intĂ©ressĂ©s par cette Cour (Serghides et Christoforou c. Chypre (satisfaction Ă©quitable), no 44730/98, § 29, 12 juin 2003). En outre, vu que la procĂ©dure nationale dure depuis plus de vingt ans il serait dĂ©raisonnable d’en attendre l’issue (Serrilli c. Italie (satisfaction Ă©quitable), no 77822/01, § 17, 17 juillet 2008 ; Mason et autres c. Italie (satisfaction Ă©quitable), no 43663/98, § 31, 24 juillet 2007).

18.  La Cour rappelle qu’un arrĂŞt constatant une violation entraĂ®ne pour l’Etat dĂ©fendeur l’obligation de mettre un terme Ă  la violation et d’en effacer les consĂ©quences de manière Ă  rĂ©tablir autant que faire se peut la situation antĂ©rieure Ă  celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction Ă©quitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).

19.  Elle rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction Ă©quitable) [GC], nÂş 58858/00, 22 dĂ©cembre 2009), la Grande Chambre a modifiĂ© la jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation dans les affaires d’expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre a dĂ©cidĂ© d’écarter les prĂ©tentions des requĂ©rants dans la mesure oĂą elles sont fondĂ©es sur la valeur des terrains Ă  la date de l’arrĂŞt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour Ă©valuer le dommage matĂ©riel, du coĂ»t de construction des immeubles bâtis par l’Etat sur les terrains.

20.  Selon les nouveaux critères fixĂ©s par la Grande Chambre, l’indemnisation doit correspondre Ă  la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriĂ©tĂ©, telle qu’établie par l’expertise ordonnĂ©e par la juridiction compĂ©tente au cours de la procĂ©dure interne. Ensuite, une fois que l’on aura dĂ©duit la somme Ă©ventuellement octroyĂ©e au niveau national, ce montant doit ĂŞtre actualisĂ© pour compenser les effets de l’inflation. Il convient aussi de l’assortir d’intĂ©rĂŞts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est Ă©coulĂ© depuis la dĂ©possession des terrains. Ces intĂ©rĂŞts doivent correspondre Ă  l’intĂ©rĂŞt lĂ©gal simple appliquĂ© au capital progressivement rĂ©Ă©valuĂ©.

21.  Les requĂ©rants ont perdu la propriĂ©tĂ© de leurs terrains respectifs en 1988. Il ressort de l’expertise effectuĂ©e au cours de la procĂ©dure nationale que la valeur du terrain de la première requĂ©rante Ă  cette date Ă©tait de 34 295,32 EUR, tandis que celle du terrain des trois autres requĂ©rants Ă©tait de 31 627,82 EUR (paragraphe 9 ci-dessus). En outre, les requĂ©rants n’ont reçu aucune indemnitĂ© au niveau national.

22.  Par ailleurs, la Cour doit prendre en compte le fait qu’en plus des trois derniers requĂ©rants, une tierce personne peut Ă©galement revendiquer des droits par rapport au deuxième terrain objet de la cause (§ 10 de l’arrĂŞt au principal et § 9 ci-dessus). En l’absence d’indications contraires, la Cour estime que les trois derniers requĂ©rants ne sont fondĂ©s Ă  recevoir une satisfaction Ă©quitable qu’à 25 % par rapport Ă  la valeur de ce terrain.

23.  Compte tenu de ces Ă©lĂ©ments, la Cour estime raisonnable d’accorder 125 000 EUR Ă  la première requĂ©rante et 29 000 EUR Ă  chacun des trois autres requĂ©rants, plus tout montant pouvant ĂŞtre dĂ» Ă  titre d’impĂ´t sur ces sommes.

24.  Reste Ă  Ă©valuer la perte de chance subies par les requĂ©rants Ă  la suite de l’expropriation litigieuse. La Cour juge qu’il y a lieu de prendre en considĂ©ration le prĂ©judice dĂ©coulant de l’indisponibilitĂ© des terrains respectifs pendant la pĂ©riode allant du dĂ©but de l’occupation lĂ©gitime (1987) jusqu’au moment de la perte de propriĂ©tĂ© (1988). Statuant en Ă©quitĂ©, la Cour alloue 4 000 EUR Ă  la première requĂ©rante et 1 000 EUR Ă  chacun des trois autres requĂ©rants pour la perte de chances.

B.  Dommage moral

25.  Justificatifs Ă  l’appui, les requĂ©rants sollicitent le versement de la somme de 250 000 EUR au titre de prĂ©judice moral.

26.  Le Gouvernement s’y oppose et considère cette somme excessive.

27.  La Cour estime que le sentiment d’impuissance et de frustration face Ă  la dĂ©possession illĂ©gale de leurs biens a causĂ© aux requĂ©rants un prĂ©judice moral important, qu’il y a lieu de rĂ©parer de manière adĂ©quate.

28.  Statuant en Ă©quitĂ©, la Cour accorde Ă  chaque requĂ©rant la somme de 2 500 EUR au titre du prĂ©judice moral.

C.  Frais et dĂ©pens

29.  Les requĂ©rants sollicitent le remboursement de 57 900 EUR pour les frais encourus devant les juridictions internes et 30 320 EUR pour les frais encourus devant la Cour.

30.  Le Gouvernement considère ces sommes excessives.

31.  La Cour rappelle que l’allocation des frais et dĂ©pens au titre de l’article 41 prĂ©suppose que se trouvent Ă©tablis leur rĂ©alitĂ©, leur nĂ©cessitĂ© et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction Ă©quitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure oĂą ils se rapportent Ă  la violation constatĂ©e (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction Ă©quitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).

32.  La Cour ne doute pas de la nĂ©cessitĂ© d’engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiquĂ©s Ă  ce titre. Elle considère dès lors qu’il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d’allouer aux requĂ©rants conjointement un montant de 20 000 EUR pour l’ensemble des frais exposĂ©s.

D.  IntĂ©rĂŞts moratoires

33.  La Cour juge appropriĂ© de calquer le taux des intĂ©rĂŞts moratoires sur le taux d’intĂ©rĂŞt de la facilitĂ© de prĂŞt marginal de la Banque centrale europĂ©enne majorĂ© de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Dit

a)  que l’Etat dĂ©fendeur doit verser aux requĂ©rants, dans les trois mois Ă  compter du jour oĂą l’arrĂŞt sera devenu dĂ©finitif conformĂ©ment Ă  l’article 44 Â§ 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i.  129 000 EUR (cent vingt neuf mille euros) Ă  la première requĂ©rante, 30 000 EUR (trente mille euros) au deuxième requĂ©rant, 30 000 EUR (trente mille euros) Ă  la troisième requĂ©rante et 30 000 EUR (trente mille euros) Ă  la quatrième requĂ©rante, plus tout montant pouvant ĂŞtre dĂ» Ă  titre d’impĂ´t, pour dommage matĂ©riel ;

ii.  2 500 EUR (deux mille cinq cents euros) Ă  chaque requĂ©rant, plus tout montant pouvant ĂŞtre dĂ» Ă  titre d’impĂ´t, pour dommage moral ;

iii.  20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant ĂŞtre dĂ» Ă  titre d’impĂ´t par les requĂ©rants, pour frais et dĂ©pens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit dĂ©lai et jusqu’au versement, ces montants seront Ă  majorer d’un intĂ©rĂŞt simple Ă  un taux Ă©gal Ă  celui de la facilitĂ© de prĂŞt marginal de la Banque centrale europĂ©enne applicable pendant cette pĂ©riode, augmentĂ© de trois points de pourcentage ;

2.  Rejette la demande de satisfaction Ă©quitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 juin 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen  Nina Vajić 
 Greffier PrĂ©sidente