Corte europea dei diritti dell’uomo
(Sezione II), 5 gennaio 2010
(requête no 4514/07)
AFFAIRE BONGIORNO ET AUTRES c. ITALIE
DÉFINITIF
20/04/2009
Cet arrêt
deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 §2 de la
Convention. Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Bongiorno et autres c.
Italie,
La Cour européenne
des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée
de :
Françoise Tulkens,
présidente,
Ireneu Cabral Barreto,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş, juges,
et de Sally Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er
décembre 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A
l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 4514/07) dirigée
contre la République italienne et dont quatre ressortissants de cet Etat, Mmes Francesca,
Rosa et Margherita Bongiorno
(« les requérantes ») et M. Daniele Saponaro (« le
requérant »), ont saisi la Cour le 24 janvier 2007 en vertu de l'article
34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par
Me A. Amenduni, avocat à Bari. Le gouvernement italien
(« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme
E. Spatafora, et son coagent, M. N. Lettieri.
3. Le
15 janvier 2009, le président de la deuxième section a décidé de communiquer la
requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la
Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même
temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Les requérants sont nés
respectivement en 1971, 1974, 1976 et 1972 et résident à Fasano.
5. Le 1er juin 2001, en
raison des soupçons qui pesaient sur S.B., père des requérantes et beau-père du
requérant, donnant à penser qu'il était membre d'une organisation criminelle
visant le trafic illicite de produits du tabac, le parquet de Brindisi entama
une procédure en vue de l'application des mesures de prévention établies par la
loi no 575 de 1965, telle que modifiée par la loi no 646 du
13 septembre 1982.
6. Par
une ordonnance du 14 octobre 2002, la chambre du tribunal de Brindisi
spécialisée dans l'application des mesures de prévention (ci-après « le
tribunal ») ordonna la saisie de nombreux biens. Dans la liste des biens saisis figuraient quatre immeubles et quatre
voitures appartenant aux requérants.
7. Par
la suite, la procédure devant le tribunal se déroula en chambre du conseil. Les requérants, assistés par un avocat de leur choix,
furent invités à participer à la procédure en qualité de tierces personnes touchées
par la mesure et eurent la faculté de présenter des mémoires et des moyens de
preuve.
8. Par
une ordonnance du 29 mai 2003, le tribunal décida de soumettre S.B. à une
mesure de liberté sous contrôle de police assortie de l'obligation de résider
dans la commune de Fasano pour une durée de deux ans. Le tribunal ordonna en
outre la confiscation des biens précédemment saisis.
9. Le
tribunal affirma que, à la lumière des nombreux indices à la charge de S.B., il
y avait lieu de constater sa participation aux activités de l'association de
malfaiteurs et le danger social qu'il représentait. Quant à la position
spécifique des requérants, le tribunal soutint que les activités exercées et
les revenus déclarés par ceux-ci ne pouvaient pas justifier l'acquisition des
biens dont ils étaient propriétaires.
10. Les
requérants, ainsi que S.B., interjetèrent appel contre l'ordonnance du 29 mai
2003. Ils alléguèrent que le tribunal n'avait pas dûment établi la
provenance illégitime de leurs biens confisqués. En particulier, la propriété
des immeubles confisqués était passée aux requérantes suite au décès de leur
mère, épouse de S.B.
Les requérants participèrent à l'audience devant
la cour d'appel.
11. Par
une ordonnance du 26 mai 2005, la chambre compétente de la cour d'appel de
Lecce rejeta le recours des requérants et confirma la confiscation de leurs
biens. Elle affirma qu'il manquait la preuve de la provenance légale des biens
confisqués et, qu'au vu de la nature des rapports des requérants avec S.B., il
y avait lieu de conclure que ce dernier pouvait directement ou indirectement en
disposer.
12. Le 24 octobre 2005, les requérants
se pourvurent en cassation. Ils contestèrent l'interprétation que la cour d'appel
avait donnée à l'article 2 ter § 3 de la loi no 575 de 1965
et firent valoir que la confiscation de leurs biens n'était pas justifiée.
13. Par
un arrêt du 13 juin 2006, dont le texte fut déposé au greffe le 27 juillet
2006, la Cour de cassation, estimant que la cour d'appel de Lecce avait motivé
d'une façon logique et correcte tous les points controversés, débouta les
requérants de leurs pourvois.
II. LE
DROIT INTERNE PERTINENT
14. Le
droit interne pertinent est décrit dans l'affaire Bocellari et Rizza c.
Italie, no 399/02, §§ 25 et 26, 13 novembre 2007.
EN DROIT
I. SUR
LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION QUANT AU DÉFAUT DE
PUBLICITÉ DES AUDIENCES
15. Les
requérants se plaignent du manque de publicité de la procédure d'application
des mesures de prévention. Ils invoquent l'article 6 § 1 de la Convention
qui, dans ses parties pertinentes, se lit comme suit :
« Toute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement
(...), par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui
décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère
civil (...). Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle
d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou
une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la
sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des
mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou
dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des
circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux
intérêts de la justice ».
16. Le
Gouvernement s'oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
17. Le Gouvernement affirme que les requérants
n'ont pas allégué dans leur requête le manque de publicité des audiences, mais
seulement le choix du législateur italien de traiter les procédures
d'application des mesures de prévention en chambre du Conseil. En outre, il
soutient que le grief est irrecevable en raison du fait que les intéressés
n'ont pas sollicité une audience publique auprès des autorités nationales.
18. Les requérants contestent ces
arguments.
19. La Cour observe d'emblée que, dans
leur requête, les intéressés se sont plaints du déroulement en chambre du
conseil de leur cause, ayant entraîné une violation de leur droit à un procès
équitable garanti par l'article 6 § 1 de la Convention.
20. Abstraction faite de toute autre
considération, elle rappelle que, maîtresse de la qualification
juridique des faits de la cause, la Cour ne se considère
pas comme liée par celle que leur attribuent les requérants ou les
gouvernements. En vertu du principe jura novit curia, elle a étudié
d'office plus d'un grief sous l'angle d'un article ou paragraphe que n'avaient
pas invoqué les comparants. Un grief se caractérise par les faits qu'il dénonce
et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués (Guerra et
autres c. Italie, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I,
p. 223, § 44, et Berktay c. Turquie, no 22493/93,
§ 168, 1er mars 2001).
21. Quant
au deuxième volet de l'exception du Gouvernement, la Cour rappelle que dans
l'affaire Bocellari et Rizza (arrêt précité, § 38) elle avait constaté
que :
« Le
déroulement en chambre du conseil des procédures visant l'application des
mesures de prévention, tant en première instance qu'en appel, est expressément
prévu par l'article 4 de la loi no 1423 de 1956 et les parties
n'ont pas la possibilité de demander et d'obtenir une audience publique. D'ailleurs, le Gouvernement lui-même exprime des
doutes quant aux chances de succès d'une éventuelle demande de débats publics
provenant des parties ».
Elle ne voit aucune raison de s'écarter de cette
conclusion quant à la possibilité pour les requérants de demander et d'obtenir
une audience publique dans la procédure d'application des mesures de
prévention.
22. Au vu de ce qui précède, la Cour
rejette les exceptions soulevées par le Gouvernement. Elle constate par
ailleurs que cette partie de la requête n'est pas manifestement mal fondée au
sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'elle ne se heurte à aucun autre
motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur
le fond
23. Les
requérants allèguent que la procédure litigieuse s'est déroulée en chambre du
conseil, et donc de façon non publique.
24. Le
Gouvernement affirme que les requérants ont bénéficié d'une procédure
équitable. Il fait valoir que la publicité des débats n'est pas toujours un
élément crucial dans l'appréciation de l'équité d'une procédure. Au contraire,
elle ne revêt de l'importance sous le terrain de la Convention que lorsqu'elle
contribue de manière réelle et effective au déroulement équitable de la
procédure.
25. Pour
le Gouvernement, la procédure en chambre du conseil était, en l'espèce,
souhaitable en raison de l'objet de la procédure, essentiellement technique et
comptable. En outre, les éléments de l'affaire étaient les mêmes que ceux de la
procédure pénale menée à l'encontre de S.B., qui s'était déroulée de façon
publique.
26. Compte tenu de ces éléments, le
Gouvernement soutient qu'une audience orale permettant aux parties intéressées
d'intervenir et d'exposer leurs arguments, même sans débats publics,
satisfaisait aux conditions requises par l'article 6 de la Convention.
27. La Cour observe que la présente
espèce est similaire à l'affaire Bocellari et Rizza précitée dans
laquelle elle a examiné la compatibilité des procédures d'application des
mesures de prévention avec les exigences du procès équitable prévues par
l'article 6 de la Convention (voir également, Perre et autres c. Italie,
no 1905/05, 8 juillet 2008).
28. La Cour a observé que le
déroulement en chambre du conseil des procédures visant l'application des
mesures de prévention, tant en première instance qu'en appel, est expressément
prévu par l'article 4 de la loi no 1423 de 1956 et que les
parties n'ont pas la possibilité de demander et d'obtenir une audience
publique.
29. Par ailleurs, ce genre de procédure
vise l'application d'une mesure de confiscation de biens et de capitaux, ce qui
met directement et substantiellement en cause la situation patrimoniale du
justiciable. Dans ce contexte, on ne saurait prétendre que le contrôle du
public ne soit pas une condition nécessaire à la garantie du respect des droits
de l'intéressé.
30. Tout en admettant que des intérêts
supérieurs et le degré élevé de technicité peuvent parfois entrer en jeu dans
ce genre de procédures, la Cour a jugé essentiel, compte tenu notamment de
l'enjeu des procédures d'application des mesures de prévention et des effets
qu'elles sont susceptibles de produire sur la situation personnelle des
personnes impliquées, que les justiciables se voient pour le moins offrir la
possibilité de solliciter une audience publique devant les chambres
spécialisées des tribunaux et des cours d'appel.
31. La
Cour considère que la présente affaire ne présente pas d'éléments susceptibles
de la distinguer de l'affaire Bocellari et Rizza.
32. Elle
conclut, par conséquent, à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
33. Invoquant l'article 6 de la
Convention, les requérants se plaignent de l'iniquité de la procédure qui a amené
à la confiscation de leurs biens en l'absence de toute condamnation à leur
encontre. En particulier, ils allèguent que les autorités judicaires n'ont pas
dûment examiné les éléments de preuve démontrant la provenance légitime de
leurs biens.
34. La Cour rappelle tout d'abord que
l'article 6 s'applique aux procédures d'application des mesures de prévention
sous son volet civil, compte tenu notamment de leur objet
« patrimonial » (Arcuri c. Italie, précitée ; Riela et
autres c. Italie précitée ; Bocellari et Rizza c. Italie
(déc.), no 399/02, 28 octobre 2004 et 16 mars 2006)
35. Elle rappelle ensuite qu'il ne lui
appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument
commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles
pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la
Convention (voir García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96,
§ 28, CEDH 1999-I). De plus, la recevabilité des preuves relève au premier chef
des règles du droit national, et il revient en principe aux juridictions
internes, et notamment aux tribunaux, d'interpréter cette législation (voir,
parmi beaucoup d'autres, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, arrêt du
19 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VII,
p. 2955, § 31). Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité
avec la Convention des effets de pareille interprétation (Edificaciones
March Gallego S.A. c. Espagne, arrêt du 19 février 1998, Recueil
1998-I, p. 290, § 33).
36. En
l'espèce, les requérants, représentés par un avocat de leur choix,
participèrent à la procédure et eurent la possibilité de présenter des mémoires
et des moyens de preuve qu'ils ont estimés nécessaires pour sauvegarder leurs
intérêts. La Cour relève que la procédure concernant l'application des mesures
de prévention s'est déroulée de manière contradictoire devant trois
juridictions successives.
37. La Cour observe en outre que les
juridictions italiennes ne pouvaient pas se fonder sur de simples soupçons.
Elles devaient établir et évaluer objectivement les faits exposés par les
parties et rien dans le dossier ne permet de croire qu'elles aient apprécié de
façon arbitraire les éléments qui leur ont été soumis.
38. Les juges nationaux se sont fondés
sur les informations recueillies sur S.B., le père des requérantes et beau-père
du requérant, d'où il ressortait que celui-ci était membre d'une association de
malfaiteurs et disposait de ressources financières disproportionnées par
rapport à ses revenus. Les tribunaux nationaux ont en outre analysé la
situation financière des requérants et la nature de leurs relations avec S.B.
et ont conclu que l'acquisition des biens confisqués n'avait pu avoir lieu que
par l'emploi de profits illicites de celui-ci, qui les gérait de facto. De plus, conformément
à l'article 2ter de la loi de 1965, la présomption n'était pas
irréfragable, pouvant être contredite par la preuve du contraire (voir droit
interne pertinent).
39. Il
s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en
application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III. SUR
LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
40. Les
requérants considèrent que la mesure de prévention de la confiscation a porté atteinte
à leur droit au respect des biens, tel qu'il est garanti par l'article
1 du Protocole no 1. Cette disposition se lit ainsi :
« Toute
personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être
privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions
prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions
précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre
en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des
biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts
ou d'autres contributions ou des amendes. »
41. Les
requérants allèguent que la procédure portant sur la confiscation de leurs
biens s'analyse en une sanction indéterminée, disproportionnée et contraire à
l'article 1 du Protocole no 1.
42. La
Cour constate que la confiscation litigieuse a constitué sans nul doute une
ingérence dans la jouissance du droit des requérants au respect de leurs biens.
Elle note ensuite que, même si la mesure en question a entraîné une privation
de propriété, celle-ci relève d'une réglementation de l'usage des biens au sens
du second alinéa de l'article 1 du Protocole no 1, qui laisse aux
Etats le droit d'adopter « les lois qu'ils jugent nécessaires pour
réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général » (voir
Arcuri et trois autres c. Italie (déc.), no 52024/99, 5 juillet
2001 ; Riela et autres c. Italie (déc.), no 52439/99, 4
septembre 2001).
43. En
ce qui concerne le respect des conditions de cet alinéa, la Cour constate
d'emblée que la confiscation des biens des requérants a été ordonnée
conformément à l'article 2 ter de la loi de 1965. Il s'agit donc d'une
ingérence prévue par la loi.
44. La
Cour constate ensuite que la confiscation litigieuse tend à empêcher un usage
illicite et dangereux pour la société de biens dont la provenance légitime n'a
pas été démontrée. Elle considère donc que l'ingérence qui en résulte vise un
but qui correspond à l'intérêt général (Arcuri et trois autres c. Italie
précitée ; Riela et autres c. Italie précitée ; Raimondo
c. Italie du 22 février 1994, série A no 281-A, p. 17,
§ 30).
45. Il
reste néanmoins à vérifier si cette ingérence est proportionnée au but légitime
poursuivi. A cet égard, la Cour souligne que la mesure litigieuse s'inscrit
dans le cadre d'une politique de prévention criminelle et considère que, dans
la mise en œuvre d'une telle politique, le législateur doit jouir d'une grande
latitude pour se prononcer tant sur l'existence d'un problème d'intérêt public
appelant une réglementation que sur le choix des modalités d'application de
cette dernière.
Elle observe par ailleurs que le phénomène de la
criminalité organisée a atteint, en Italie, des proportions fort préoccupantes.
Les profits démesurés que les associations de type
mafieux tirent de leurs activités illicites leur donnent un pouvoir dont
l'existence remet en cause la primauté du droit dans l'Etat. Ainsi, les moyens
adoptés pour combattre ce pouvoir économique, notamment la confiscation
litigieuse, peuvent apparaître comme indispensables pour lutter efficacement
contre lesdites associations (voir Arcuri et trois autres c. Italie,
précitée).
46. De ce fait, la
Cour ne saurait méconnaître les circonstances spécifiques qui ont guidé
l'action du législateur italien. Il lui incombe toutefois de s'assurer que les
droits garantis par la Convention sont, dans chaque cas, respectés.
47. La Cour constate qu'en l'espèce,
l'article 2 ter de la loi de 1965 établit, en présence d'« indices
suffisants », une présomption que les biens de la personne soupçonnée
d'appartenir à une association de malfaiteurs constituent le profit d'activités
illicites ou son remploi. Cette même disposition prévoit expressément la
possibilité que les biens touchés par la mesure de prévention, tout en étant en
réalité dans la disponibilité de la personne suspectée d'appartenir à
l'association criminelle, appartiennent formellement à des tierces personnes.
48. Tout système juridique connaît des
présomptions de fait ou de droit. La Convention n'y fait évidemment pas
obstacle en principe (voir, mutatis mutandis, Salabiaku c. France,
arrêt du 7 octobre 1988, série A no 141-A, § 28). Le droit
des requérants au respect de leurs biens implique, cependant, l'existence d'une
garantie juridictionnelle effective.
49. A cet égard, la Cour constate que
la procédure pour l'application des mesures de prévention s'est déroulée de
manière contradictoire devant trois juridictions successives : tribunal,
cour d'appel et Cour de cassation. En particulier, les requérants ont eu
la possibilité, par l'intermédiaire de l'avocat de leur choix, de soulever les
exceptions et de présenter les moyens de preuve qu'ils ont estimé nécessaires
pour sauvegarder leurs intérêts, ce qui démontre que les droits de la défense
ont été respectés.
La Cour observe en outre que les juridictions
italiennes ne pouvaient pas se fonder sur de simples soupçons. Elles ont établi
et évalué objectivement les faits exposés par les parties et rien dans le
dossier ne permet de croire qu'elles aient apprécié de façon arbitraire les
éléments qui leur ont été soumis.
Elles se sont fondées sur les informations
recueillies sur S.B. et ont analysé la situation financière des requérants et
la nature de leurs relations avec celui-ci.
50. Par ailleurs, la Cour observe que
dans leur appel et leur pourvoi en cassation, les requérants avaient contesté
la confiscation de leurs biens. Leurs arguments ont donc été également examinés
par les juridictions nationales.
51. Dans ces circonstances, compte tenu
de la marge d'appréciation qui revient aux États lorsqu'ils réglementent
« l'usage des biens conformément à l'intérêt général », en
particulier dans le cadre d'une politique criminelle visant à combattre le phénomène
de la grande criminalité, la Cour conclut que l'ingérence dans le droit des
requérants au respect de leurs biens n'est pas disproportionnée par rapport au
but légitime poursuivi.
52. Il s'ensuit que
ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de
l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV. SUR
L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
53. Aux
termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour
déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le
droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer
qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la
partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
54. Les
requérants réclament 406 000 EUR environ au titre du préjudice matériel, à
savoir le remboursement de la valeur des biens confisqués, et 100 000 EUR
pour le dommage moral qu'ils auraient subi.
55. Le Gouvernement conteste ces
prétentions.
56. La
Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le
dommage matériel allégué et rejette cette demande. Quant au préjudice moral
subi par les requérants, la Cour estime qu'il se trouve suffisamment réparé par
le constat de violation de l'article 6 § 1 de la Convention auquel elle
parvient (voir, parmi de nombreux autres, les arrêts Yvon c. France,
du 24 avril 2003, no 44962/98, CEDH 2003-V et Bocellari,
précité, § 46).
B. Frais et dépens
57. Les requérants demandent également
30 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions
internes et, justificatifs à l'appui, 23 000 EUR pour ceux engagés devant
la Cour.
58. Le Gouvernement s'y oppose et
considère excessifs les montants demandés.
59. Selon la jurisprudence de la Cour,
un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans
la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère
raisonnable de leur taux.
En l'espèce, la Cour considère qu'il n'y a pas
lieu de rembourser aux requérants les frais encourus devant les juridictions
internes, car ils n'ont pas été exposés pour remédier à la violation constatée.
De plus, aucun justificatif n'a été produit par les intéressés. Pour ce qui est
des frais et dépens se rapportant à la présente procédure, la Cour juge
excessive la demande des requérants et décide de leur allouer, conjointement,
3 000 EUR à ce titre.
C. Intérêts moratoires
60. La Cour juge approprié de calquer
le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt
marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de
pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA
COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au
grief tiré de l'article 6 § 1, quant au défaut de publicité des audiences, et
irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de
l'article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser aux
requérants, conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt
sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la
Convention, 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout
montant pouvant être dû, par les requérants, à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et
jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux
égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne
applicable pendant cette période, augmenté de trois points de
pourcentage ;
4. Rejette
la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis
communiqué par écrit le 5 janvier 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et
3 du règlement.
Sally Dollé Françoise Tulkens
Greffière Présidente