CONSULTA ONLINE

 

Corte europea dei diritti dell’uomo (Sezione II), 5 gennaio 2010

(requête  no 4514/07)

 

 

AFFAIRE BONGIORNO ET AUTRES c. ITALIE

 

 

DÉFINITIF

20/04/2009

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 §2 de la Convention. Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Bongiorno et autres c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente, 
Ireneu Cabral Barreto, 
Vladimiro Zagrebelsky, 
Danutė Jočienė, 
Dragoljub Popović, 
András Sajó, 
Işıl Karakaş, juges, 
et de Sally Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er décembre 2009,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 4514/07) dirigée contre la République italienne et dont quatre ressortissants de cet Etat, Mmes Francesca, Rosa et Margherita Bongiorno (« les requérantes ») et M. Daniele Saponaro (« le requérant »), ont saisi la Cour le 24 janvier 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Les requérants sont représentés par Me A. Amenduni, avocat à Bari. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora, et son coagent, M. N. Lettieri.

3.  Le 15 janvier 2009, le président de la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

4.  Les requérants sont nés respectivement en 1971, 1974, 1976 et 1972 et résident à Fasano.

5.  Le 1er juin 2001, en raison des soupçons qui pesaient sur S.B., père des requérantes et beau-père du requérant, donnant à penser qu'il était membre d'une organisation criminelle visant le trafic illicite de produits du tabac, le parquet de Brindisi entama une procédure en vue de l'application des mesures de prévention établies par la loi no 575 de 1965, telle que modifiée par la loi no 646 du 13 septembre 1982.

6.  Par une ordonnance du 14 octobre 2002, la chambre du tribunal de Brindisi spécialisée dans l'application des mesures de prévention (ci-après « le tribunal ») ordonna la saisie de nombreux biens. Dans la liste des biens saisis figuraient quatre immeubles et quatre voitures appartenant aux requérants.

7.  Par la suite, la procédure devant le tribunal se déroula en chambre du conseil. Les requérants, assistés par un avocat de leur choix, furent invités à participer à la procédure en qualité de tierces personnes touchées par la mesure et eurent la faculté de présenter des mémoires et des moyens de preuve.

8.  Par une ordonnance du 29 mai 2003, le tribunal décida de soumettre S.B. à une mesure de liberté sous contrôle de police assortie de l'obligation de résider dans la commune de Fasano pour une durée de deux ans. Le tribunal ordonna en outre la confiscation des biens précédemment saisis.

9.  Le tribunal affirma que, à la lumière des nombreux indices à la charge de S.B., il y avait lieu de constater sa participation aux activités de l'association de malfaiteurs et le danger social qu'il représentait. Quant à la position spécifique des requérants, le tribunal soutint que les activités exercées et les revenus déclarés par ceux-ci ne pouvaient pas justifier l'acquisition des biens dont ils étaient propriétaires.

10.  Les requérants, ainsi que S.B., interjetèrent appel contre l'ordonnance du 29 mai 2003. Ils alléguèrent que le tribunal n'avait pas dûment établi la provenance illégitime de leurs biens confisqués. En particulier, la propriété des immeubles confisqués était passée aux requérantes suite au décès de leur mère, épouse de S.B.

Les requérants participèrent à l'audience devant la cour d'appel.

11.  Par une ordonnance du 26 mai 2005, la chambre compétente de la cour d'appel de Lecce rejeta le recours des requérants et confirma la confiscation de leurs biens. Elle affirma qu'il manquait la preuve de la provenance légale des biens confisqués et, qu'au vu de la nature des rapports des requérants avec S.B., il y avait lieu de conclure que ce dernier pouvait directement ou indirectement en disposer.

12.  Le 24 octobre 2005, les requérants se pourvurent en cassation. Ils contestèrent l'interprétation que la cour d'appel avait donnée à l'article 2 ter § 3 de la loi no 575 de 1965 et firent valoir que la confiscation de leurs biens n'était pas justifiée.

13.  Par un arrêt du 13 juin 2006, dont le texte fut déposé au greffe le 27 juillet 2006, la Cour de cassation, estimant que la cour d'appel de Lecce avait motivé d'une façon logique et correcte tous les points controversés, débouta les requérants de leurs pourvois.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

14.  Le droit interne pertinent est décrit dans l'affaire Bocellari et Rizza c. Italie, no 399/02, §§ 25 et 26, 13 novembre 2007.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION QUANT AU DÉFAUT DE PUBLICITÉ DES AUDIENCES

15.  Les requérants se plaignent du manque de publicité de la procédure d'application des mesures de prévention. Ils invoquent l'article 6 § 1 de la Convention qui, dans ses parties pertinentes, se lit comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...), par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ».

16.  Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.

A.  Sur la recevabilité

17.  Le Gouvernement affirme que les requérants n'ont pas allégué dans leur requête le manque de publicité des audiences, mais seulement le choix du législateur italien de traiter les procédures d'application des mesures de prévention en chambre du Conseil. En outre, il soutient que le grief est irrecevable en raison du fait que les intéressés n'ont pas sollicité une audience publique auprès des autorités nationales.

18.  Les requérants contestent ces arguments.

19.  La Cour observe d'emblée que, dans leur requête, les intéressés se sont plaints du déroulement en chambre du conseil de leur cause, ayant entraîné une violation de leur droit à un procès équitable garanti par l'article 6 § 1 de la Convention.

20.  Abstraction faite de toute autre considération, elle rappelle que, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour ne se considère pas comme liée par celle que leur attribuent les requérants ou les gouvernements. En vertu du principe jura novit curia, elle a étudié d'office plus d'un grief sous l'angle d'un article ou paragraphe que n'avaient pas invoqué les comparants. Un grief se caractérise par les faits qu'il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués (Guerra et autres c. Italie, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 223, § 44, et Berktay c. Turquie, no 22493/93, § 168, 1er mars 2001).

21.  Quant au deuxième volet de l'exception du Gouvernement, la Cour rappelle que dans l'affaire Bocellari et Rizza (arrêt précité, § 38) elle avait constaté que :

« Le déroulement en chambre du conseil des procédures visant l'application des mesures de prévention, tant en première instance qu'en appel, est expressément prévu par l'article 4 de la loi no 1423 de 1956 et les parties n'ont pas la possibilité de demander et d'obtenir une audience publique. D'ailleurs, le Gouvernement lui-même exprime des doutes quant aux chances de succès d'une éventuelle demande de débats publics provenant des parties ».

Elle ne voit aucune raison de s'écarter de cette conclusion quant à la possibilité pour les requérants de demander et d'obtenir une audience publique dans la procédure d'application des mesures de prévention.

22.  Au vu de ce qui précède, la Cour rejette les exceptions soulevées par le Gouvernement. Elle constate par ailleurs que cette partie de la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B.  Sur le fond

23.  Les requérants allèguent que la procédure litigieuse s'est déroulée en chambre du conseil, et donc de façon non publique.

24.  Le Gouvernement affirme que les requérants ont bénéficié d'une procédure équitable. Il fait valoir que la publicité des débats n'est pas toujours un élément crucial dans l'appréciation de l'équité d'une procédure. Au contraire, elle ne revêt de l'importance sous le terrain de la Convention que lorsqu'elle contribue de manière réelle et effective au déroulement équitable de la procédure.

25.  Pour le Gouvernement, la procédure en chambre du conseil était, en l'espèce, souhaitable en raison de l'objet de la procédure, essentiellement technique et comptable. En outre, les éléments de l'affaire étaient les mêmes que ceux de la procédure pénale menée à l'encontre de S.B., qui s'était déroulée de façon publique.

26.  Compte tenu de ces éléments, le Gouvernement soutient qu'une audience orale permettant aux parties intéressées d'intervenir et d'exposer leurs arguments, même sans débats publics, satisfaisait aux conditions requises par l'article 6 de la Convention.

27.  La Cour observe que la présente espèce est similaire à l'affaire Bocellari et Rizza précitée dans laquelle elle a examiné la compatibilité des procédures d'application des mesures de prévention avec les exigences du procès équitable prévues par l'article 6 de la Convention (voir également, Perre et autres c. Italie, no 1905/05, 8 juillet 2008).

28.  La Cour a observé que le déroulement en chambre du conseil des procédures visant l'application des mesures de prévention, tant en première instance qu'en appel, est expressément prévu par l'article 4 de la loi no 1423 de 1956 et que les parties n'ont pas la possibilité de demander et d'obtenir une audience publique.

29.  Par ailleurs, ce genre de procédure vise l'application d'une mesure de confiscation de biens et de capitaux, ce qui met directement et substantiellement en cause la situation patrimoniale du justiciable. Dans ce contexte, on ne saurait prétendre que le contrôle du public ne soit pas une condition nécessaire à la garantie du respect des droits de l'intéressé.

30.  Tout en admettant que des intérêts supérieurs et le degré élevé de technicité peuvent parfois entrer en jeu dans ce genre de procédures, la Cour a jugé essentiel, compte tenu notamment de l'enjeu des procédures d'application des mesures de prévention et des effets qu'elles sont susceptibles de produire sur la situation personnelle des personnes impliquées, que les justiciables se voient pour le moins offrir la possibilité de solliciter une audience publique devant les chambres spécialisées des tribunaux et des cours d'appel.

31.  La Cour considère que la présente affaire ne présente pas d'éléments susceptibles de la distinguer de l'affaire Bocellari et Rizza.

32.  Elle conclut, par conséquent, à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

33.  Invoquant l'article 6 de la Convention, les requérants se plaignent de l'iniquité de la procédure qui a amené à la confiscation de leurs biens en l'absence de toute condamnation à leur encontre. En particulier, ils allèguent que les autorités judicaires n'ont pas dûment examiné les éléments de preuve démontrant la provenance légitime de leurs biens.

34.  La Cour rappelle tout d'abord que l'article 6 s'applique aux procédures d'application des mesures de prévention sous son volet civil, compte tenu notamment de leur objet « patrimonial » (Arcuri c. Italie, précitée ; Riela et autres c. Italie précitée ; Bocellari et Rizza c. Italie (déc.), no 399/02, 28 octobre 2004 et 16 mars 2006)

35.  Elle rappelle ensuite qu'il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (voir García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I). De plus, la recevabilité des preuves relève au premier chef des règles du droit national, et il revient en principe aux juridictions internes, et notamment aux tribunaux, d'interpréter cette législation (voir, parmi beaucoup d'autres, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, arrêt du 19 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VII, p. 2955, § 31). Le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation (Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 290, § 33).

36.  En l'espèce, les requérants, représentés par un avocat de leur choix, participèrent à la procédure et eurent la possibilité de présenter des mémoires et des moyens de preuve qu'ils ont estimés nécessaires pour sauvegarder leurs intérêts. La Cour relève que la procédure concernant l'application des mesures de prévention s'est déroulée de manière contradictoire devant trois juridictions successives.

37.  La Cour observe en outre que les juridictions italiennes ne pouvaient pas se fonder sur de simples soupçons. Elles devaient établir et évaluer objectivement les faits exposés par les parties et rien dans le dossier ne permet de croire qu'elles aient apprécié de façon arbitraire les éléments qui leur ont été soumis.

38.  Les juges nationaux se sont fondés sur les informations recueillies sur S.B., le père des requérantes et beau-père du requérant, d'où il ressortait que celui-ci était membre d'une association de malfaiteurs et disposait de ressources financières disproportionnées par rapport à ses revenus. Les tribunaux nationaux ont en outre analysé la situation financière des requérants et la nature de leurs relations avec S.B. et ont conclu que l'acquisition des biens confisqués n'avait pu avoir lieu que par l'emploi de profits illicites de celui-ci, qui les gérait de facto. De plus, conformément à l'article 2ter de la loi de 1965, la présomption n'était pas irréfragable, pouvant être contredite par la preuve du contraire (voir droit interne pertinent).

39.  Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

40.  Les requérants considèrent que la mesure de prévention de la confiscation a porté atteinte à leur droit au respect des biens, tel qu'il est garanti par l'article 1 du Protocole no 1. Cette disposition se lit ainsi :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

41.  Les requérants allèguent que la procédure portant sur la confiscation de leurs biens s'analyse en une sanction indéterminée, disproportionnée et contraire à l'article 1 du Protocole no 1.

42.  La Cour constate que la confiscation litigieuse a constitué sans nul doute une ingérence dans la jouissance du droit des requérants au respect de leurs biens. Elle note ensuite que, même si la mesure en question a entraîné une privation de propriété, celle-ci relève d'une réglementation de l'usage des biens au sens du second alinéa de l'article 1 du Protocole no 1, qui laisse aux Etats le droit d'adopter « les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général » (voir Arcuri et trois autres c. Italie (déc.), no 52024/99, 5 juillet 2001 ; Riela et autres c. Italie (déc.), no 52439/99, 4 septembre 2001).

43.  En ce qui concerne le respect des conditions de cet alinéa, la Cour constate d'emblée que la confiscation des biens des requérants a été ordonnée conformément à l'article 2 ter de la loi de 1965. Il s'agit donc d'une ingérence prévue par la loi.

44.  La Cour constate ensuite que la confiscation litigieuse tend à empêcher un usage illicite et dangereux pour la société de biens dont la provenance légitime n'a pas été démontrée. Elle considère donc que l'ingérence qui en résulte vise un but qui correspond à l'intérêt général (Arcuri et trois autres c. Italie précitée ; Riela et autres c. Italie précitée ; Raimondo c. Italie du 22 février 1994, série A no 281-A, p. 17, § 30).

45.  Il reste néanmoins à vérifier si cette ingérence est proportionnée au but légitime poursuivi. A cet égard, la Cour souligne que la mesure litigieuse s'inscrit dans le cadre d'une politique de prévention criminelle et considère que, dans la mise en œuvre d'une telle politique, le législateur doit jouir d'une grande latitude pour se prononcer tant sur l'existence d'un problème d'intérêt public appelant une réglementation que sur le choix des modalités d'application de cette dernière.

Elle observe par ailleurs que le phénomène de la criminalité organisée a atteint, en Italie, des proportions fort préoccupantes.

Les profits démesurés que les associations de type mafieux tirent de leurs activités illicites leur donnent un pouvoir dont l'existence remet en cause la primauté du droit dans l'Etat. Ainsi, les moyens adoptés pour combattre ce pouvoir économique, notamment la confiscation litigieuse, peuvent apparaître comme indispensables pour lutter efficacement contre lesdites associations (voir Arcuri et trois autres c. Italie, précitée).

46.  De ce fait, la Cour ne saurait méconnaître les circonstances spécifiques qui ont guidé l'action du législateur italien. Il lui incombe toutefois de s'assurer que les droits garantis par la Convention sont, dans chaque cas, respectés.

47.  La Cour constate qu'en l'espèce, l'article 2 ter de la loi de 1965 établit, en présence d'« indices suffisants », une présomption que les biens de la personne soupçonnée d'appartenir à une association de malfaiteurs constituent le profit d'activités illicites ou son remploi. Cette même disposition prévoit expressément la possibilité que les biens touchés par la mesure de prévention, tout en étant en réalité dans la disponibilité de la personne suspectée d'appartenir à l'association criminelle, appartiennent formellement à des tierces personnes.

48.  Tout système juridique connaît des présomptions de fait ou de droit. La Convention n'y fait évidemment pas obstacle en principe (voir, mutatis mutandis, Salabiaku c. France, arrêt du 7 octobre 1988, série A no 141-A, § 28). Le droit des requérants au respect de leurs biens implique, cependant, l'existence d'une garantie juridictionnelle effective.

49.  A cet égard, la Cour constate que la procédure pour l'application des mesures de prévention s'est déroulée de manière contradictoire devant trois juridictions successives : tribunal, cour d'appel et Cour de cassation. En particulier, les requérants ont eu la possibilité, par l'intermédiaire de l'avocat de leur choix, de soulever les exceptions et de présenter les moyens de preuve qu'ils ont estimé nécessaires pour sauvegarder leurs intérêts, ce qui démontre que les droits de la défense ont été respectés.

La Cour observe en outre que les juridictions italiennes ne pouvaient pas se fonder sur de simples soupçons. Elles ont établi et évalué objectivement les faits exposés par les parties et rien dans le dossier ne permet de croire qu'elles aient apprécié de façon arbitraire les éléments qui leur ont été soumis.

Elles se sont fondées sur les informations recueillies sur S.B. et ont analysé la situation financière des requérants et la nature de leurs relations avec celui-ci.

50.  Par ailleurs, la Cour observe que dans leur appel et leur pourvoi en cassation, les requérants avaient contesté la confiscation de leurs biens. Leurs arguments ont donc été également examinés par les juridictions nationales.

51.  Dans ces circonstances, compte tenu de la marge d'appréciation qui revient aux États lorsqu'ils réglementent « l'usage des biens conformément à l'intérêt général », en particulier dans le cadre d'une politique criminelle visant à combattre le phénomène de la grande criminalité, la Cour conclut que l'ingérence dans le droit des requérants au respect de leurs biens n'est pas disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi.

52.  Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

53.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

54.  Les requérants réclament 406 000 EUR environ au titre du préjudice matériel, à savoir le remboursement de la valeur des biens confisqués, et 100 000 EUR pour le dommage moral qu'ils auraient subi.

55.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

56.  La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. Quant au préjudice moral subi par les requérants, la Cour estime qu'il se trouve suffisamment réparé par le constat de violation de l'article 6 § 1 de la Convention auquel elle parvient (voir, parmi de nombreux autres, les arrêts Yvon c. France, du 24 avril 2003, no 44962/98, CEDH 2003-V et Bocellari, précité, § 46).

B.  Frais et dépens

57.  Les requérants demandent également 30 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et, justificatifs à l'appui, 23 000 EUR pour ceux engagés devant la Cour.

58.  Le Gouvernement s'y oppose et considère excessifs les montants demandés.

59.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

En l'espèce, la Cour considère qu'il n'y a pas lieu de rembourser aux requérants les frais encourus devant les juridictions internes, car ils n'ont pas été exposés pour remédier à la violation constatée. De plus, aucun justificatif n'a été produit par les intéressés. Pour ce qui est des frais et dépens se rapportant à la présente procédure, la Cour juge excessive la demande des requérants et décide de leur allouer, conjointement, 3 000 EUR à ce titre.

C.  Intérêts moratoires

60.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 6 § 1, quant au défaut de publicité des audiences, et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

3.  Dit

a)  que l'Etat défendeur doit verser aux requérants, conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû, par les requérants, à titre d'impôt ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 janvier 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Sally Dollé Françoise Tulkens 
Greffière Présidente