Corte europea dei diritti dell’uomo
(Grande Camera)
4 ottobre 2012
AFFAIRE CHABAUTY c.
FRANCE
(Requête n. 57412/08)
ARRÊT
STRASBOURG
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Chabauty c. France,
La Cour
européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée
de :
Nicolas Bratza, président,
Françoise Tulkens,
Josep Casadevall,
Nina Vajić,
Dean Spielmann,
Lech Garlicki,
Boštjan
M. Zupančič,
Anatoly Kovler,
David Thór
Björgvinsson,
Dragoljub
Popović,
Mark Villiger,
Mirjana
Lazarova Trajkovska,
Ledi
Bianku,
Ann Power-Forde,
Işıl
Karakaş,
Angelika
Nußberger,
André Potocki, juges,
et de Vincent Berger, jurisconsulte,
Après en avoir
délibéré en chambre du conseil les 4 juillet 2012 et 12 septembre 2012,
Rend l’arrêt
que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire
se trouve une requête (no 57412/08) dirigée contre la République
française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Camille Chabauty (« le requérant »), a saisi la Cour le
19 novembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la
Convention »).
2. Le requérant est
représenté par Me Carl Gendreau,
avocat à Poitiers. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est
représenté par son agente, Mme Edwige Belliard,
directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. La requête a été
attribuée à la cinquième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement).
Le 2 septembre 2009, elle a été communiquée au Gouvernement, et il a été décidé
que la chambre se prononcerait en même temps sur la
recevabilité et le fond (ancien article 29 § 3 de la Convention).
4. Le 14 février 2012, une
chambre de la cinquième section composée de Dean Spielmann, président, Jean-Paul Costa, Boštjan
M. Zupančič, Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre, Ann Power-Forde
et Angelika Nußberger, juges,
ainsi que de Claudia Westerdiek, greffière de section, s’est dessaisie au profit de la
Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la
Convention et 72 du règlement).
5. La composition de la
Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la
Convention et 24 du règlement.
6. Tant le requérant que le
Gouvernement ont déposé un mémoire sur la recevabilité et le fond de la
requête.
7. Le 11 juin 2012, après
avoir consulté les parties, le président de la Grande Chambre a décidé de ne
pas tenir une audience.
EN FAIT
I. LES
CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
8. Le requérant est né en
1934 et réside à Airvault.
9. Le requérant a hérité de
deux parcelles situées sur le territoire de la commune de Louin (département des Deux-Sèvres), d’une superficie totale
d’environ dix hectares, lesquelles sont incluses dans le périmètre de l’association
communale de chasse agréée (« ACCA ») de Louin.
Il est titulaire du permis de chasser.
10. En France, le droit de
chasse appartient en principe aux propriétaires fonciers sur leurs terres. La
loi no 64-696 du 10 juillet 1964, dite « loi Verdeille », prévoit cependant le
regroupement des territoires de chasse au sein d’ACCA. L’institution de
telles associations est obligatoire dans toutes les communes de vingt-neuf des
quatre-vingt-treize départements métropolitains autres que ceux du Rhin et de
la Moselle, dont le département des Deux-Sèvres ; elle est facultative
dans les autres communes de ces quatre-vingt-treize départements. Les propriétaires
dont le fonds est ainsi inclus dans le périmètre d’une ACCA sont de droit
membres de celle-ci ; ils perdent leur droit de chasse exclusif sur leur
fonds, mais ont le droit de chasser sur toute la surface comprise dans ce
périmètre.
Les
propriétaires disposant d’une surface supérieur à un certain seuil peuvent
toutefois s’opposer à l’inclusion de leur fonds dans le périmètre de l’ACCA ou
en demander le retrait (dans le département des Deux-Sèvres, ce seuil est
de vingt hectares, ce qui correspond à la surface minimale de référence).
Depuis l’entrée en vigueur de la loi no 2000-698 du
26 juillet 2000, les propriétaires fonciers « qui, au nom de
convictions personnelles opposées à la pratique de la chasse, interdisent, y
compris pour eux-mêmes, l’exercice de la chasse sur leurs biens », ont
cette même faculté, quelle que soit la superficie de leur fonds (paragraphes 18-23
ci-dessous).
11. Par une lettre du 12
août 2002, le requérant informa le préfet des Deux-Sèvres de son souhait de « faire
opposition à la pratique de la chasse de l’ACCA de Louin
sur [ses] parcelles », « au nom de [ses] convictions personnelles ».
Le 23 septembre 2002, le préfet l’informa des démarches à effectuer afin d’obtenir
le retrait de ses terres du périmètre de l’ACCA dans le cadre d’une opposition
de conscience à la chasse.
12. Le 17 décembre 2003, le
requérant envoya une nouvelle lettre au préfet, dans laquelle il indiquait
formuler une demande de retrait de ses terrains du périmètre de l’ACCA de Louin. Il précisait ce qui suit :
« (...)
Cette demande de retrait est fondée, non pas sur des convictions personnelles,
mais en raison du fait que la Cour européenne des Droits de l’Homme, puis des
juridictions administratives nationales, ont considéré (...) que « si le
fait de traiter différemment des personnes placées dans un situation comparable
peut être justifié par l’intérêt général résultant notamment de la nécessité d’assurer
une gestion cynégétique cohérente et efficace, il n’apparaît pas que des
raisons objectives et raisonnables justifient de contraindre, par la voie de l’apport
forcé, ceux de ces propriétaires qui ne le souhaitent pas à adhérer aux
associations communales de chasse agréées ». Il résulte de ces diverses
décisions jurisprudentielles, qu’il ne peut être opéré de différence de
traitement entre les grands et petits propriétaires, par des dispositions
contraires à l’article 1er du Protocole [no 1] combiné
avec l’article 14 de [la] Convention.
N’étant
propriétaire que de 10 hectares, 12 ares et 74 centiares, je sollicite qu’il
vous plaise de bien vouloir, par décision administrative motivée, m’autoriser à
retirer immédiatement du périmètre de l’ACCA de Louin,
les parcelles cadastrées sous la section (...) »
13. Le 6 février 2004, le
directeur départemental de l’agriculture et de la forêt de la préfecture des
Deux-Sèvres informa le requérant de sa décision de rejeter la demande. Relevant
que le requérant était revenu sur son motif initial tenant de convictions
personnelles et qu’il invoquait désormais les articles 14 de la Convention et 1
du Protocole no 1, le directeur départemental soulignait ce qui
suit :
« (...)
les dispositions de la loi du 26 juillet 2000 et du code de l’environnement,
notamment les articles L. 422-10 et L. 422-13, ont eu pour objet de mettre le
droit interne en conformité avec la jurisprudence de la Cour (...) en
reconnaissant un droit à l’opposition cynégétique aux seuls propriétaires non
chasseurs, opposés à la pratique de la chasse par convictions personnelles,
sans considération de superficie mais en maintenant l’obligation d’apport au
territoire des ACCA, pour les chasseurs propriétaires de terrains dont la
superficie reste en-deçà d’un certain seuil (20 hectares pour les Deux-Sèvres).
Or, après
enquête, il est avéré que vous êtes détenteur du permis de chasser validé pour
la campagne de chasse en cours.
En conséquence
(...), en application de l’article L. 422-13 du code de l’environnement, je
vous informe que je ne peux donner une suite favorable à votre demande et que
les terrains dont vous sollicitez le retrait restent soumis à l’action de chasse
de l’ACCA de Louin. (...) »
14. Le 23 mars 2004, le
requérant introduisit un recours gracieux auprès du préfet des Deux-Sèvres.
Le 6 avril
2004, n’ayant pas obtenu de réponse, il saisit le tribunal administratif de
Poitiers d’une requête tendant à l’annulation de la décision implicite de rejet
résultant du silence du préfet ainsi que de la décision du 6 février 2004.
15. Le 23 mars 2005, le
tribunal administratif de Poitiers fit droit à la demande du requérant par un
jugement ainsi motivé :
« (...) si
le fait de traiter différemment des personnes placées dans une situation
comparable peut être justifié par l’intérêt général résultant notamment de la
nécessité d’assurer une gestion cynégétique cohérente et efficace, il n’apparaît
pas que des raisons objectives et raisonnables justifient de contraindre, par
la voie de l’apport forcé, les propriétaires, qui ne le souhaitent pas, à
adhérer aux associations communales de chasse agréées ; (...) ainsi, la
différence de traitement opérée entre les grands et les petits propriétaires
est contraire à l’article 1 du Protocole [no 1] combiné avec l’article 14
de [la] Convention ; (...) »
16. L’ACCA de Louin saisit la cour administrative d’appel de Bordeaux d’une
demande d’annulation de ce jugement, soutenant qu’étant chasseur, le requérant
ne pouvait se dire victime d’une violation de la Convention.
La cour
administrative d’appel rejeta cette requête par un arrêt du 18 juillet
2006. Elle considéra que le directeur départemental de l’agriculture et de la
forêt n’était pas compétent pour signer la décision du 6 février 2004,
laquelle était en conséquence illégale tout comme la décision implicite de
rejet. Elle en déduisit que l’ACCA de Louin n’était
pas fondée à se plaindre de l’annulation de ces décisions.
17. Saisi par l’ACCA de Louin, le Conseil d’Etat annula l’arrêt de la cour
administrative d’appel de Bordeaux par un arrêt du 16 juin 2008. Il considéra
qu’elle avait commis une erreur de droit en jugeant que le directeur
départemental de l’agriculture et de la forêt n’était pas compétent pour signer
la décision dont il s’agissait, alors qu’il avait valablement reçu délégation
de signature dans le domaine considéré.
Ensuite,
réglant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat annula le jugement du tribunal
administratif de Poitiers du 23 mars 2005 et rejeta la demande d’annulation du
requérant. Il retint notamment ce qui suit :
« (...)
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. Chabauty,
propriétaire de parcelles d’une superficie inférieure à celles mentionnées au 3o
de l’article L. 422-10 du code de l’environnement, a demandé le retrait de ses
terrains non pas en se fondant sur des convictions personnelles opposées à la
chasse, comme le permet le 5o du même article, mais en se fondant
sur sa volonté de conserver le droit de chasse attaché à ses terrains pour son
usage propre, sans permettre aux membre de l’ACCA d’en bénéficier ;
Considérant que
le régime des associations de chasse agréées répond à un motif d’intérêt
général, visant à prévenir une pratique désordonnée de la chasse et à favoriser
une gestion rationnelle du patrimoine cynégétique ; que les propriétaires
adeptes de la chasse qui apportent leurs terrains bénéficient, conformément à l’article
L. 422-21 du code de l’environnement, d’une admission de droit à l’association
de chasse et, par conséquent, du droit de chasse sur l’ensemble du territoire
de l’association ; qu’ainsi, les propriétaires de terrains d’une
superficie inférieure à celles mentionnées au 3o de l’article L.
422-10 du même code se trouvent placés devant l’alternative de renoncer à leur
droit de chasse en invoquant des convictions personnelles opposées à la
pratique de la chasse ou d’apporter leurs terrains à l’ACCA, tout en
bénéficiant des compensations qui viennent d’être rappelées ; qu’ainsi, ce
système ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété, et ne
méconnaît pas les stipulations de l’article 1er du [Protocole no
1] ;
Considérant que
la différence de traitement entre les petits et les grands propriétaires qu’opère
la loi est instituée dans l’intérêt des chasseurs propriétaires de petites
parcelles, qui peuvent ainsi se regrouper pour pouvoir disposer d’un territoire
de chasse plus grand ; qu’ainsi cette différence de traitement est
objective et raisonnable et, dès lors que les propriétaires de petites parcelles
ont toujours la possibilité d’affecter leur terrain à un usage conforme à leur
choix de conscience, le système en cause ne méconnaît pas les stipulations de l’article
1er du [Protocole no 1] combinées avec celles de l’article
14 de [la] Convention ; qu’il résulte de ce qui précède que c’est à tort
que le tribunal administratif s’est fondé sur la violation de [ces
dispositions] pour annuler les décisions attaquées (...) »
II. LE DROIT
INTERNE PERTINENT
18. Le droit de chasse
appartient en principe aux propriétaires fonciers sur leurs terres : aux
termes de l’article L. 422-1 du code de l’environnement, « nul n’a la
faculté de chasser sur la propriété d’autrui sans le consentement du
propriétaire ou de ses ayants droit ».
Le législateur
a cependant jugé nécessaire de procéder dans certains cas au
« regroupement » des territoires de chasse. Tel est l’objet de la loi
no 64-696 du 10 juillet 1964, dite « loi Verdeille », qui, applicable dans les départements
métropolitains autres que le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle, crée les
associations communales et intercommunales de chasse agréées
(« ACCA » et « AICA »).
19. Les ACCA regroupent les
territoires de chasse à l’échelle communale. Selon l’article L. 422-2 du code
de l’environnement, dans sa version applicable à l’époque des faits de l’espèce,
« [elles] ont pour but « d’assurer une bonne organisation technique
de la chasse [ ;] elles favorisent sur leur territoire le développement du
gibier et de la faune sauvage dans le respect d’un véritable équilibre agro-sylvo-cynégétique, l’éducation cynégétique de leurs
membres, la régulation des animaux nuisibles et veillent au respect des plans
de chasse [ ;] elles ont également pour objet d’apporter la contribution
des chasseurs à la conservation des habitats naturels, de la faune et de la
flore sauvages ».
Les ACCA sont
régies par le droit commun des associations (loi du 1er juillet
1901) ainsi que par les dispositions spéciales de la loi Verdeille
et des textes réglementaires pris en son application (articles L. 422-1 et
suivants et R. 422–1 et suivants du code de l’environnement). L’agrément
est délivré par le préfet après vérification par celui-ci de l’accomplissement
des formalités requises et de la conformité des statuts et du règlement
intérieur aux prescriptions légales (articles L. 422-3 et R. 422-39 du
code de l’environnement). Le préfet assure la tutelle des ACCA ; toute
modification apportée aux statuts, au règlement intérieur et au règlement de
chasse doit être soumise à son approbation (articles R. 422-1 et R. 422-2 du
code de l’environnement). Par ailleurs, en cas notamment de violation par une
ACCA de ses statuts ou de son règlement de chasse, d’atteinte aux propriétés,
aux récoltes, aux libertés publiques ou, d’une manière générale, de violation
des dispositions réglementaires pertinentes (articles R. 422-1 et suivants du
code de l’environnement), le préfet peut prendre des mesures provisoires telles
que la suspension de l’exercice de la chasse sur tout ou partie du territoire
de l’association et la dissolution de son conseil d’administration (article R.
422-3 du code de l’environnement).
20. L’institution d’ACCA n’est
obligatoire que dans certains départements, dont la liste est arrêtée par le
ministre chargé de la chasse sur proposition des représentants de l’Etat dans
lesdits départements et après avis conforme des conseils généraux et
consultation des chambres d’agriculture et des fédérations départementales des
chasseurs (article L. 422-6 du code de l’environnement) ; vingt-neuf
des quatre-vingt-treize départements métropolitains autres que le Bas-Rhin, le
Haut-Rhin et la Moselle sont concernés. Dans les autres de ces
quatre-vingt-treize départements, le représentant de l’Etat arrête la liste des
communes où sera créée une ACCA ; l’arrêté est pris à la demande de
quiconque justifie de l’accord amiable pour une période d’au moins cinq années,
de 60 % des propriétaires représentant 60 % de la superficie du territoire de
la commune (article L. 422-7 du code de l’environnement)
21. Les propriétaires dont
le fonds est inclus dans le périmètre d’une ACCA sont de droit membres de
celle-ci (article L. 422-21 du code de l’environnement) ; ils perdent leur
droit de chasse exclusif sur leur fonds mais ont, en leur qualité de membre, le
droit de chasser sur l’ensemble du territoire de chasse de l’ACCA conformément
à son règlement (articles L. 422-16 et L. 422-22 du code de l’environnement).
L’apport donne
lieu à indemnité, à charge de l’ACCA, si le propriétaire subit une perte de
recettes provenant de la privation de revenus antérieurs. L’ACCA est de plus
tenue d’indemniser le détenteur du droit de chasse « qui a apporté des
améliorations sur le territoire dont il a la jouissance cynégétique »
(article L. 422-17 du code de l’environnement).
22. Aux termes de l’article
L. 422-10 du code de l’environnement,
« L’association
communale est constituée sur les terrains autres que ceux :
1o
Situés dans un rayon de 150 mètres autour de toute habitation ;
2o
Entourés d’une clôture telle que définie par l’article L. 424-3 [L’article L.
424-3 dispose que « (...) le propriétaire ou possesseur peut, en tout temps,
chasser ou faire chasser le gibier à poil dans ses possessions attenant à une
habitation et entourées d’une clôture continue et constante faisant obstacle à
toute communication avec les héritages voisins et empêchant complètement le
passage de ce gibier et celui de l’homme ».] ;
3o
Ayant fait l’objet de l’opposition des propriétaires ou détenteurs de droits de
chasse sur des superficies d’un seul tenant supérieures aux superficies
minimales mentionnées à l’article L. 422-13 ;
4o
Faisant partie du domaine public de l’Etat, des départements et des communes,
des forêts domaniales ou des emprises de Réseau ferré de France et de la
Société nationale des chemins de fer français ;
5o
Ayant fait l’objet de l’opposition de propriétaires, de l’unanimité des
copropriétaires indivis qui, au nom de convictions personnelles opposées à la
pratique de la chasse, interdisent, y compris pour eux-mêmes, l’exercice de la
chasse sur leurs biens, sans préjudice des conséquences liées à la
responsabilité du propriétaire, notamment pour les dégâts qui pourraient être
causés par le gibier provenant de ses fonds. (...) »
Le cinquième
alinéa a été ajouté par la loi no 2000-698 du 26 juillet 2000 (publiée
au Journal Officiel le 27 juillet 2000), aux fins de l’exécution de l’arrêt
Chassagnou et autres c. France [GC] du 29 avril
1999 (nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, CEDH 1999-III) (paragraphe
24 ci-dessous).
Les articles L.
422-13, L. 422-14 et L. 422-15 du code de l’environnement apportent les
précisions suivantes :
Article L. 422-13
« I. Pour
être recevable, l’opposition des propriétaires ou détenteurs de droits de
chasse mentionnés au 3o de l’article L. 422-10 doit porter sur des
terrains d’un seul tenant et d’une superficie minimum de vingt hectares.
II. Ce minimum
est abaissé pour la chasse au gibier d’eau :
1o A
trois hectares pour les marais non asséchés ;
2o A
un hectare pour les étangs isolés ;
3o A
cinquante ares pour les étangs dans lesquels existaient, au 1er septembre 1963,
des installations fixes, huttes et gabions.
III. Ce minimum
est abaissé pour la chasse aux colombidés à un hectare sur les terrains où
existaient, au 1er septembre 1963, des postes fixes destinés à cette
chasse.
IV. Ce minimum
est porté à cent hectares pour les terrains situés en montagne au-dessus de la
limite de la végétation forestière.
V. Des arrêtés
pris, par département, dans les conditions prévues à l’article L. 422-6 peuvent
augmenter les superficies minimales ainsi définies. Les augmentations ne
peuvent excéder le double des minima fixés. »
Article L. 422-14
« L’opposition
mentionnée au 5o de l’article L. 422-10 est recevable à la condition
que cette opposition porte sur l’ensemble des terrains appartenant aux
propriétaires ou copropriétaires en cause.
Cette
opposition vaut renonciation à l’exercice du droit de chasse sur ces terrains
(...) »
Article L. 422-15
« La
personne ayant formé opposition est tenue de procéder à la signalisation de son
terrain matérialisant l’interdiction de chasser.
Le propriétaire
ou le détenteur du droit de chasse ayant fait opposition est tenu de procéder
ou de faire procéder à la destruction des animaux nuisibles et à la régulation
des espèces présentes sur son fonds qui causent des dégâts.
Le passage des
chiens courants sur des territoires bénéficiant du statut de réserve ou d’opposition
au titre des 3o et 5o de l’article L. 422-10 ne peut être
considéré comme chasse sur réserve ou chasse sur autrui, sauf si le chasseur a
poussé les chiens à le faire. »
23. Le Gouvernement indique
que, lors de la constitution d’une ACCA, les propriétaires ou détenteurs de
droits de chasse sur des terrains dont la superficie est inférieure au seuil
légal peuvent éviter l’inclusion de leurs terrains dans le périmètre de
celle-ci en se regroupant de manière à constituer une surface d’un seul tenant
supérieure audit seuil (articles L. 422-10 3o, R. 422-21 et R.
422-22 I 2o du code de l’environnement).
III. LA RÉSOLUTION DU COMITÉ DES
MINISTRES DU CONSEIL DE L’EUROPE RELATIVE À L’EXÉCUTION DE L’ARRÊT CHASSAGNOU
ET AUTRES c. FRANCE
24. Le 25 avril 2005, le
Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté la résolution suivante (ResDH(2005)26) :
« Le
Comité des Ministres, en vertu de l’article 46, paragraphe 2, de la Convention
de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales telle qu’amendée
par le Protocole no 11 (ci-après dénommée «la Convention»),
Vu l’arrêt
définitif de la Cour européenne des Droits de l’Homme rendu le 29 avril 1999
dans l’affaire Chassagnou et autres (...)
Vu les Règles
adoptées par le Comité des Ministres relatives à l’application de l’article 46,
paragraphe 2, de la Convention ;
Ayant invité le
gouvernement de l’Etat défendeur à l’informer des mesures prises à la suite de
l’arrêt du 29 avril 1999, eu égard à l’obligation qu’a la France de s’y
conformer selon l’article 46, paragraphe 1, de la Convention ;
Considérant que
lors de l’examen de cette affaire par le Comité des Ministres, le gouvernement
de l’Etat défendeur a donné à celui-ci des informations sur les mesures d’ordre
individuel et général prises, notamment la modification de la loi no
64-696 du 10 juillet 1964 (dite Loi Verdeille)
incriminée par la Cour dans son arrêt dans le sens d’une objection de
conscience cynégétique, permettant ainsi d’éviter de nouvelles violations
similaires à celles constatées par la Cour à l’égard d’opposants à la chasse
(voir l’annexe à la présente Résolution) ;
(...)
Déclare, après
avoir examiné les informations fournies par le Gouvernement de la France, qu’il
a rempli ses fonctions en vertu de l’article 46, paragraphe 2, de la Convention
dans la présente affaire.
Annexe à la
Résolution ResDH(2005)26
Informations fournies par le
Gouvernement de la France lors de l’examen de l’affaire Chassagnou et autres par le
Comité des Ministres.
(...) afin
de donner plein effet à l’arrêt de la Cour, la loi no 64-696 du 10 juillet 1964
(dite Loi Verdeille) incriminée par la Cour a été
modifiée par la création d’une possibilité d’objection de conscience
cynégétique au profit des opposants à la chasse. La loi no 2000-698 relative à
la chasse, introduisant cet amendement, a été adoptée le 26 juillet 2000 et
publiée au Journal Officiel le 27 juillet 2000. En vertu de l’article 14 de
cette loi (actuel article L422-10 du Code de l’Environnement) :
« L’association
communale [de chasse agréée – ACCA] est constituée sur les terrains autres que
ceux :
(...)
5º Ayant fait l’objet
de l’opposition de propriétaires, de l’unanimité des copropriétaires indivis
qui, au nom de convictions personnelles opposées à la pratique de la chasse,
interdisent, y compris pour eux-mêmes, l’exercice de la chasse sur leurs biens,
sans préjudice des conséquences liées à la responsabilité du propriétaire,
notamment pour les dégâts qui pourraient être causés par le gibier provenant de
ses fonds.
Lorsque le
propriétaire est une personne morale, l’opposition peut être formulée par le
responsable de l’organe délibérant mandaté par celui-ci. »
Le Gouvernement
note, par ailleurs, que l’application des dispositions relatives aux ACCA,
telles qu’amendées par la loi du 26 juillet 2002 précitée, semble avoir encore
posé quelques problèmes s’agissant des possibilités de retrait d’une ACCA pour
les personnes ne désirant pas se prévaloir d’une objection de conscience. Ces
questions ont donné lieu à un certain nombre de procédures, actuellement encore
pendantes en appel, mais dans lesquelles les tribunaux administratifs ont
statué en première instance en s’inspirant des principes se dégageant de la
jurisprudence de Strasbourg et de l’arrêt Chassagnou
en particulier.
En tout état de
cause, le Gouvernement estime que, vu l’effet direct de la Convention
européenne des Droits de l’Homme et de la jurisprudence de la Cour européenne
en droit français, il n’y a plus de risque de nouvelles violations semblables à
celles constatées à l’égard des requérants opposants à la chasse dans l’arrêt Chassagnou. (...) »
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC
L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
25. Le requérant, propriétaire
de terrains inclus dans le périmètre d’une association communale de chasse
agréée, se plaint du fait que, n’étant pas un opposant éthique à la chasse et
la surface de ses terrains étant inférieure à un certain seuil, il n’a pas la
possibilité de les extraire de l’emprise de celle-ci afin d’en tirer profit en
les donnant à bail de chasse. Dénonçant une discrimination fondée sur la
fortune foncière, il invoque l’article 14 de la Convention combiné avec l’article
1 du Protocole no 1, lesquels sont libellés comme il suit :
Article 14
« La
jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être
assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la
couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres
opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité
nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
Article 1 du
Protocole no 1
« Toute
personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être
privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions
prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les
dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les
Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer
l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement
des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
26. Le Gouvernement s’oppose
à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
27. La Cour constate que la
requête n’est pas manifestement mal fondée au sens
de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle
ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la
déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses
des parties
a) Le
requérant
28. Le requérant soutient
que, dans son arrêt Chassagnou et autres (précité), la Cour ne s’est
pas limitée à censurer la loi Verdeille en ce qu’elle
obligeait les petits propriétaires éthiquement opposés à la chasse à supporter la
pratique de cette activité sur leurs fonds. Selon lui, la Cour a condamné le
principe même de l’apport forcé de terrains aux ACCA, que les propriétaires
concernés soient ou non opposés à la chasse, au motif qu’aucune raison
objective et raisonnable ne justifiait que seuls les petits propriétaires y
soient astreints, d’autant moins que le système institué par cette loi n’est
applicable que sur une partie du territoire national. Il renvoie à cet égard
aux paragraphes 89-94 et 120-121 de l’arrêt.
Il souligne par
ailleurs que le jugement rendu en sa faveur par le tribunal administratif de
Poitiers repose sur cette lecture de l’arrêt Chassagnou et autres, et que la jurisprudence de cette juridiction en la
matière a été favorablement accueillie par la doctrine. Il ajoute que le
Conseil d’Etat avait lui-même suivi cette approche dans un arrêt Vignon du 27 octobre 2000.
29. D’après le requérant, l’absence
de justification objective et raisonnable de la différence opérée entre petits
et grands propriétaires est manifeste. Il observe notamment à cet égard que la
France n’a jamais démontré que la pratique de la chasse dans le cadre d’ACCA
permet une meilleure gestion du gibier ou de meilleures conditions de sécurité.
Il indique de plus que, si les petits propriétaires ont à l’heure actuelle l’option
de se regrouper pour constituer ensemble une surface supérieure au seuil et
éviter ainsi leur affiliation à une ACCA, cela n’était pas possible au moment
de la création de l’ACCA de Louin, et que la loi ne
permet pas un retrait a posteriori de
terrains du périmètre d’une ACCA, pas même s’il s’agit de les apporter à une
structure de chasse privée cohérente sur un plan cynégétique. Il estime que le
principe de gestion collective des territoires de chasse – à laquelle il se dit
favorable en ce qu’elle est le seul moyen de parvenir à une gestion cynégétique
rationnelle – ne nécessite pas la mise en œuvre d’un système d’apport forcé tel
que celui prévu par la loi Verdeille, qui aboutit à
la création de territoires de chasse collectifs sur lesquels des tiers ont le
droit de chasser sur des terrains contre la volonté des propriétaires, au
détriment des seuls petits propriétaires et sur une « partie très
minoritaire du territoire national de chasse ». Il précise que, s’il n’est
pas hostile à la création de territoires de chasse collectifs, il considère que
les critères mis en œuvre à cette fin doivent être rationnels. Or, tel ne
serait pas le cas du critère de la superficie retenu par la loi Verdeille, d’autant moins qu’il n’est applicable que sur
une « partie très minoritaire du territoire national de chasse », qu’il
est unique et automatique, et que sa mise en œuvre conduit à une situation
irréversible.
30. Le requérant rejette la
thèse selon laquelle la discrimination qu’il dénonce est acceptable dans la
mesure où, en contrepartie de l’apport forcé de leur fonds, les petits propriétaires
concernés sont membres de droit de l’ACCA, ont le droit de chasser sur l’ensemble
du territoire de celle-ci et bénéficient de la sorte, dans leur intérêt, d’un
territoire de chasse plus grand. Il voit là une considération purement
subjective, contredite par le fait que les membres d’une ACCA ne partagent pas
nécessairement les mêmes idées sur la chasse ni les mêmes pratiques en la
matière. Elle serait en outre erronée dès lors que les membres de droit doivent
s’acquitter de la cotisation annuelle s’ils souhaitent chasser, et que les
petits propriétaires dont les terrains ont fait l’objet d’un apport forcé avant
qu’ils n’en soient propriétaires ne sont pas membres de droit de l’ACCA.
31. Ensuite, le requérant
souligne que les petits propriétaires dont les terrains font l’objet d’un
apport forcé à une ACCA ne perçoivent pas d’indemnisation si leur droit de
chasse n’était pas loué au moment de l’apport. Il ajoute qu’alors que les grand
propriétaires conservent cette faculté, les petits propriétaires se trouvent
définitivement privés de la possibilité de donner leurs fonds à bail de chasse,
ce qui non seulement les prive de revenus mais en plus affecte la valeur vénale
de leurs biens. Il signale en outre que l’ACCA n’est tenue de réparer les
dégâts causés par le gibier sur leurs terrains que dans les limites du droit
commun de la responsabilité pour faute.
Enfin, il
concède qu’il a la possibilité d’échapper à l’emprise de l’ACCA de Louin en construisant autour de son terrain une clôture
continue et constante faisant obstacle à toute communication avec les héritages
voisins et empêchant le passage du gibier à poils et celui de l’homme. Il
souligne toutefois que cela aurait un coût très élevé, qu’il évalue à
2 500 EUR par hectare ; il produit un devis dressé à sa demande par
une entreprise d’Aubigné-sur-Layon indiquant le prix de 36 495,94 EUR TTC
pour ses deux parcelles.
b) Le
Gouvernement
32. D’après le Gouvernement,
c’est au motif que le système mis en œuvre par la loi Verdeille
ne permettait pas aux petits propriétaires fonciers opposés à la chasse d’éviter
l’apport de leurs terrains à une ACCA que la Cour a conclu dans l’arrêt Chassagnou et autres précité à la violation de l’article
1 du Protocole no 1 pris isolément et combiné avec l’article 14 de
la Convention. Il renvoie aux paragraphes 85 et 95 de l’arrêt, soulignant
notamment que la Cour a jugé que la différence de traitement entre les grands
et les petits propriétaires opérée par cette loi était discriminatoire et
contraire à ces dispositions combinées parce qu’elle avait « pour
conséquence de réserver seulement aux premiers la faculté d’affecter leur
terrain à un usage conforme à leur choix de conscience ». Il ajoute que le
législateur a tiré les conséquences de cet arrêt : depuis l’entrée en
vigueur de la loi no 2000-698 du 26 juillet 2000, les propriétaires
fonciers non chasseurs peuvent s’opposer à l’incorporation de leurs terrains
« au nom de convictions personnelles opposés à la pratique de la
chasse », sans considération de superficie.
33. Le Gouvernement concède
qu’il subsiste une différence de traitement entre petits et grands
propriétaires fonciers lorsqu’ils ne sont pas opposants à la chasse. Il estime
toutefois que cette différence de traitement n’est pas discriminatoire dès lors
qu’elle répond à des buts légitimes et que les moyens employés pour atteindre
ces buts sont proportionnés.
34. S’agissant des
« buts légitimes », il rappelle que la réglementation relative aux
ACCA – en particulier l’obligation de participer au système – a pour objectifs
de garantir la sécurité des personnes et des biens, une bonne organisation de
la chasse, la démocratisation de sa pratique ainsi que, dans le respect d’un
équilibre « agro-sylvo-cynégétique », le
développement du gibier et de la faune sauvage. Or, ajoute-t-il, la Cour a jugé
dans l’arrêt Chassagnou et autres précité et la décision Baudinière et Vauzelle c. France du 6 décembre
2007 (nos 25708/03 et 25719/03), que de tels buts non seulement sont
légitimes mais en plus relèvent de l’intérêt général.
35. Quant à la
proportionnalité, le Gouvernement observe tout d’abord que les restrictions
apportées à l’usage des biens sont limitées, puisqu’elles ne concernent que l’usage
du droit de chasse qui n’est que l’un des droits liés à la propriété.
36. Il souligne ensuite que
regrouper des petits territoires de chasse morcelés au sein d’ACCA dans le but
de leur appliquer, sous la tutelle du Préfet, des règles cynégétiques communes,
et conditionner la possibilité pour un propriétaire non-opposant à la chasse d’échapper
à l’emprise de celles-ci au fait que la taille de son fonds dépasse un certain
seuil, est nécessaire à la réalisation des buts légitimes susmentionnés.
Il précise que
l’établissement de ce seuil est au cœur du dispositif institué par la loi Verdeille : il repose sur le constat du législateur de
l’époque que la chasse sur de petits territoires ne permet pas une organisation
satisfaisante de cette pratique ; une chasse dite « banale »,
pratiquée sur les terrains d’autrui en vertu d’une autorisation présumée, s’était
généralisée, tout particulièrement dans le sud de la France où le morcellement
de la propriété foncière est très marqué ; personne n’étant responsable de
la bonne conservations du capital cynégétique, cela avait eu pour conséquence
la décimation de certaines espèces et des dégâts importants sur les cultures et
les écosystèmes. Il ajoute que le morcellement des territoires de chasse
aggravait le nombre d’accidents générés par la chasse.
Il indique, de
plus, que la constitution des ACCA repose sur les principes suivants :
solidarité étroite entre chasseurs et propriétaires ; mise en valeur de la
totalité du patrimoine cynégétique ; protection et amélioration des
territoires de chasse ; mise en valeur, grâce à la création d’entités
cynégétiques viables et gérables, d’une immense partie du territoire national
auparavant livrée à l’abandon et dépourvue de toute organisation sérieuse.
37. Le Gouvernement précise
également que le seuil de référence de vingt hectares n’a pas été fixé au
hasard : il correspond à la superficie en-deçà de laquelle un territoire n’apparaît
pas, en règle générale, « cynégétiquement
utilisable de façon satisfaisante » ; si des seuils plus élevés sont
établis dans certaines zones, c’est pour prendre en compte des spécificités
géographiques et cynégétiques.
38. Ensuite, le Gouvernement
rappelle que, s’ils ne sont pas indemnisés, les petits propriétaires chasseurs
tirent des avantages de leur adhésion à une ACCA, dont la possibilité de
chasser sur les fonds des autres membres et de bénéficier de divers services
(par exemple l’entretien des terres et la destruction des
« nuisibles »). L’ACCA est par ailleurs tenue de réparer les dégâts
causés par le gibier sur leurs terrains, dans les mêmes conditions que les
dégâts causés à des tiers.
Il rappelle
aussi que, lors de la constitution d’une ACCA, les propriétaires ou détenteurs
de droits de chasse sur des terrains dont la superficie est inférieure au seuil
légal peuvent éviter l’inclusion de ceux-ci dans le périmètre de l’association
en se regroupant de manière à constituer une surface d’un seul tenant
supérieure audit seuil. Il admet cependant qu’un tel regroupement n’est pas
possible a posteriori, la raison de
cette impossibilité étant la nécessité d’éviter une trop grande instabilité du
territoire des ACCA.
Il ajoute que
les articles L. 422-10, L. 424-3 et R. 422-54 du code de l’environnement
permettent aux petits propriétaires d’échapper à l’inclusion de leur terrain
dans le périmètre d’une ACCA ou d’en sortir en construisant une clôture
continue et constante faisant obstacle à toute communication avec les héritages
voisins et empêchant le passage du gibier à poils et celui de l’homme. Se
référant au coût d’une clôture installée en 2010 par l’institut national de la
recherche agronomique dans le cadre d’études relatives à la déprédation des
plants forestiers par les cervidés, il évalue le prix d’une telle installation
à 1 300 EUR par hectare d’un seul tenant.
39. Enfin, la Gouvernement
met en exergue le fait que, dans la décision Baudinière et Vauzelle précitée, la Cour a jugé qu’obliger des petits
propriétaires chasseurs à adhérer à une ACCA sans leur laisser le choix d’opter
pour une association cynégétique non-agréée susceptible de permettre d’atteindre
les mêmes buts n’était pas contraire à l’article 11 de la Convention.
40. Selon le Gouvernement,
les quelques contraintes que fait peser le régime de la loi Verdeille
sur les propriétaires concernés ne sont pas disproportionnées au regard des
objectifs d’intérêt général poursuivis.
2. Appréciation
de la Cour
41. Il ressort de l’arrêt Chassagnou et autres que les constats de violation
auxquels la Cour est parvenue reposent de manière déterminante sur le fait que
les requérants étaient des opposants éthiques à la chasse dont les choix de
conscience étaient en cause.
42. A cet égard, la Cour
rappelle qu’elle était spécifiquement saisie du cas des propriétaires fonciers
opposés à la chasse pour des raisons éthiques qui, avant l’entrée en vigueur de
la loi du 26 juillet 2000, n’avaient la possibilité d’éviter la pratique de
cette activité sur leurs terrains que si la surface de ceux-ci était supérieure
au seuil d’opposition.
43. La Cour souligne ensuite
qu’en conclusion de l’exposé des motifs de violation des articles 14 de la
Convention et 1 du Protocole no 1 combinés, l’arrêt Chassagnou et autres précise que la différence de
traitement opérée entre les grands et les petits propriétaires constitue une discrimination
fondée sur la fortune foncière au sens de l’article 14 « dans la mesure où
[elle] a pour conséquence de réserver seulement aux premiers la faculté d’affecter
leur terrain à un usage conforme à leur choix de conscience » (§ 95).
Tel qu’il faut
le comprendre, ce volet de l’arrêt Chassagnou et autres
exprime certes aux paragraphes 92-94 des doutes quant au but invoqué par le
Gouvernement (favoriser une gestion rationnelle des ressources cynégétiques en
regroupant les petits territoires de chasse) pour justifier la différence de
traitement entre petits et grands propriétaires que générait le droit français
de la chasse. Ce n’est toutefois pas ce qui fonde la conclusion finale de
violation des articles 14 de la Convention et 1 du Protocole no 1
combinés. Il ressort du paragraphe 95 qu’elle repose sur le fait que, parmi les
propriétaires opposés à la chasse pour des raisons éthiques, seuls les petits
propriétaires se trouvaient obligés de supporter qu’il soit fait un usage de
leurs biens contraire à leur choix de conscience ; c’est cet élément qui confère
à l’obligation imposée aux seuls petits propriétaires de participer au système
des ACCA, génératrice de la différence de traitement dénoncée entre grands et
petits propriétaires, un caractère disproportionné par rapport au but
poursuivi. Autrement dit, c’est le non-respect des convictions des
propriétaires concernés qui in fine caractérise
l’absence de « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens
employés et le but visé » révélatrice d’une violation de l’article 14 de
la Convention.
44. Les motifs relatifs aux
autres griefs confirment que la circonstance que les requérants se trouvaient
obligés de participer à un système qui heurtait leurs convictions était déterminante.
La Cour conclut en effet à la violation de l’article 1 du Protocole no
1, au motif qu’obliger les petits propriétaires à faire apport de leur droit de
chasse sur leurs terrains pour que des tiers en fassent un « usage
totalement contraire à leurs convictions » se révèle une charge démesurée
qui ne se justifie pas sous l’angle du second alinéa de cette disposition (§
85). Elle conclut ensuite à la violation de l’article 11 de la Convention, au
motif que contraindre par la loi un individu à une « adhésion profondément
contraire à ses propres convictions » et l’obliger, du fait de cette
adhésion, à apporter le terrain dont il est propriétaire pour que l’association
en question réalise « des objectifs qu’il désapprouve » va au-delà de
ce qui est nécessaire pour assurer un juste équilibre entre des intérêts
contradictoires et ne saurait être considéré comme proportionné au but
poursuivi (§ 117).
45. La Cour observe que tel
est au demeurant ce que le législateur français et le Comité des Ministres ont
retenu de l’arrêt Chassagnou et autres. En effet, en vue de l’exécution
de cet arrêt, le Parlement a adopté la loi du 26 juillet 2000 précitée, qui
donne aux propriétaires fonciers « qui, au nom de convictions personnelles
opposées à la pratique de la chasse, interdisent, y compris pour eux-mêmes, l’exercice
de la chasse sur leurs biens », la possibilité de s’opposer pour ce motif
à l’inclusion de leur fonds dans le périmètre de l’ACCA ou d’en demander
périodiquement le retrait, quelle que soit la superficie de celui-ci
(paragraphe 22 ci-dessus). Le Comité des Ministre a considéré que l’arrêt était
ainsi exécuté (paragraphe 24 ci-dessus) et la Cour a jugé au vu de ces
dispositions internes nouvelles, qu’une opposante éthique à la chasse n’était
plus en mesure de se plaindre d’une violation des articles 11 de la Convention
et 1 du Protocole no 1 (A.S.P.A.S.
et Lazgregas c. France, no 29953/08,
22 septembre 2011, §§ 38-44 et 56-57).
46. Enfin, les décisions Baudinière et Vauzelle (précitée), Piippo c. Suède (70518/01, 21 mars 2006)
et Nilsson c. Suède (11811/05, 26 février 2008),
et les arrêts Schneider c. Luxembourg
(no 2113/04, 10 juillet 2007, §§ 51 et 82) et Herrmann c. Allemagne [GC] (no
9300/07, 26 juin 2012, § 93), qui
constituent des cas d’application de la jurisprudence Chassagnou et autres, confirment – même si la Cour ne se prononce pas sur le
respect de l’article 14 – le poids dans cette jurisprudence de la question du
respect du choix de conscience des propriétaires fonciers opposés à la chasse.
47. Ainsi, le requérant n’étant
pas un opposant éthique à la chasse, on ne peut en l’espèce déduire de l’arrêt Chassagnou et autres une violation de l’article 14
combiné avec l’article 1 du Protocole no 1.
48. Il reste à décider si le
fait que seuls les propriétaires d’un fonds dépassant une certaine surface ont
la possibilité d’échapper à l’emprise des ACCA afin de conserver leur droit
exclusif de chasse sur leurs terres génère, au détriment du requérant, une
discrimination contraire à la Convention entre petits et grands propriétaires.
49. La Cour rappelle à cet
égard qu’une distinction est discriminatoire si elle « manque de justification
objective et raisonnable », c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un « but
légitime » ou s’il n’existe pas de « rapport raisonnable de
proportionnalité » entre les moyens employés et le but visé. Les Etats
contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si
et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards
analogues justifient des distinctions de traitement, étant entendu que l’étendue
de cette marge d’appréciation varie selon les circonstances, le domaine et le
contexte (voir, parmi de nombreux autres, l’arrêt Chassagnou et autres précité, § 91 et, pour une référence récente, Konstantin Markin
c. Russie [GC], no 30078/06, 22 mars 2012, §§ 125-126).
50. Elle estime que, dans les circonstances de la
cause, il convient de reconnaître une importante marge d’appréciation à l’Etat
défendeur. D’abord parce que la différence de traitement dénoncée par le
requérant dans l’exercice du droit de propriété s’inscrit dans le cadre de la
« réglementation de l’usage des biens » au sens de l’article 1 du
Protocole no 1 (Chassagnou et autres
précité, § 71), domaine dans lequel la Cour admet une large marge d’appréciation
(voir, par exemple, la décision Nilsson
précitée). Ensuite parce que, si le critère de différenciation que
constitue la « fortune foncière » peut, dans certaines circonstances,
générer une discrimination prohibée par la Convention, il ne figure pas parmi
ceux que la Cour juge inacceptables par principe (tels que la race ou l’origine
ethnique ; voir par exemple D.H. et
autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 176,
ECHR 2007‑IV, et Sejdić et Finci c.
Bosnie-Herzégovine [GC], nos 27996/06 and 34836/06,
§§ 43-44, ECHR 2009) ou inacceptables en l’absence de considérations très
fortes (tels que le sexe et l’orientation sexuelle ; voir, par exemple, Konstantin Markin,
précité, § 127, et Schalk et Kopf c. Autriche, no 30141/04, § 97, CEDH 2010).
51. Cela étant, la Cour relève qu’en l’espèce, le Conseil d’Etat a retenu
que le régime des ACCA répondait à un « motif d’intérêt général, visant à
prévenir une pratique désordonnée de la chasse et à favoriser une gestion
rationnelle du patrimoine cynégétique ».
Il a ensuite
constaté que les petits propriétaires se trouvaient placés devant l’alternative
de renoncer à leur droit de chasse en invoquant des convictions personnelles
opposées à la pratique de la chasse ou d’apporter leurs terrains à l’ACCA ;
eu égard au fait que les propriétaires adeptes de la chasse qui apportent leurs
terrains à une ACCA bénéficient en compensation d’une admission de droit et du
droit de chasse sur l’ensemble du territoire de celle-ci, il a jugé que ce
régime ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Il a
en outre souligné que la différence de traitement entre petits et grands
propriétaires dénoncée par le requérant était « objective et
raisonnable » puisqu’elle était instituée dans l’intérêt des chasseurs
propriétaires de petites parcelles, qui pouvaient ainsi se regrouper pour
disposer d’un territoire de chasse plus grand, ajoutant que le système était
compatible avec les exigences des articles 14 de la Convention et 1 du
Protocole no 1 dès lors que les propriétaires de petites parcelles
avaient toujours la possibilité d’affecter leur terrain à un usage conforme à
leur choix de conscience (paragraphe 17 ci-dessus).
52. La Cour constate que ce
raisonnement s’inscrit dans la ligne de sa jurisprudence.
53. Certes, comme signalé précédemment, elle a
indiqué dans l’arrêt Chassagnou et autres (§ 92) ne pas être convaincue
par les explications alors données par le Gouvernement pour démontrer que
contraindre les seuls petits propriétaires à participer au système répondait à
la nécessité de regrouper les espaces de chasse dans le but de favoriser une
gestion rationnelle des ressources cynégétiques.
54. Toutefois, d’une part, loin de mettre en cause la
légitimité de ce but, la Cour a reconnu qu’il relevait de l’intérêt général,
indiquant qu’ « il [était] assurément dans l’intérêt général d’éviter
une pratique anarchique de la chasse et de favoriser une gestion rationnelle du
patrimoine cynégétique » (Chassagnou et autres,
§ 79). Elle a renforcé cette appréciation dans la décision Baudinière et Vauzelle précitée en soulignant qu’ « en visant ainsi
à la maîtrise de l’impact de la chasse sur les équilibres naturels, [le droit
français] tend (...) à la préservation de la nature, ce qui, comme la Cour l’a
jugé à de nombreuses reprises, relève incontestablement de l’intérêt général
(voir, par exemple, l’arrêt Lazaridi c. Grèce
du 13 juillet 2006, no 31282/04, § 34) ».
D’autre part,
regrouper les espaces de chasse les plus petits afin de constituer des zones de
chasse plus grandes sur lesquelles des modalités de gestion cynégétique
communes sont définies repose sur une logique intelligible : cela permet
de mieux maîtriser la pression de chasse et d’organiser la pratique de cette
activité dans un sens favorable au maintien des ressources. A cet égard, la
Cour juge convaincantes les explications données en l’espèce par le
Gouvernement, selon lesquelles, en posant le principe du regroupement des
petits espaces de chasse au sein d’ACCA, le législateur entendait remédier au
problème de la raréfaction du gibier, tout particulièrement dans les régions où
la propriété est très morcelée. Elle a d’ailleurs déjà reconnu dans la décision
Baudinière et Vauzelle précitée que la
constitution de grandes entités cynégétiques réglementées que permet le
regroupement des territoires de chasse au sein d’ACCA était favorable à une
gestion du gibier prenant en compte les équilibres naturels. Le but étant d’assurer
une meilleure gestion cynégétique en favorisant la chasse sur de grands
espaces, il est compréhensible que le législateur ait jugé inutile d’imposer la
contrainte du regroupement à ceux qui disposent déjà d’un grand espace
permettant d’atteindre ce but, même si cela génère une différence de traitement
entre petits et grands propriétaires.
55. Le Cour relève ensuite
que les propriétaires fonciers dont les terrains sont inclus dans le périmètre
d’une ACCA perdent uniquement l’exclusivité de la chasse sur leurs
terres : leur droit de propriété n’est pas autrement altéré. En outre, en
contrepartie, ils sont de droit membres de l’ACCA, ce qui leur donne la
possibilité non seulement de chasser sur l’espace constitué par l’ensemble des
terrains réunis dans ce périmètre mais aussi de participer à la gestion
collective de la chasse sur cet espace. Au surplus, les propriétaires qui
tiraient des revenus de la chasse ou qui ont procédé à des aménagements
cynégétiques avant leur affiliation à une ACCA peuvent obtenir une
indemnisation à ce titre.
56. Dans ces conditions et eu égard à la marge d’appréciation
qu’il convient de reconnaître aux Etats contractants, obliger les seuls petits propriétaires à mettre en
commun leurs territoires de chasse dans le but – légitime et d’intérêt général
– de favoriser une meilleure gestion cynégétique n’est pas en soi
disproportionné par rapport à ce but.
57. En conclusion, le requérant n’étant pas un
opposant éthique à la chasse, il n’y a pas eu violation de l’article 14 de la
Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article
14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1.
Fait en français
et en anglais, puis communiqué par écrit le 4 octobre 2012, en
application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent Berger Nicolas
Bratza
Jurisconsulte Président