Corte europea dei diritti dellâuomo
(Decima Sezione)
4 febbraio
2014
AFFAIRE STAIBANO ET AUTRES c. ITALIE
(RequĂȘte
no 29907/07)
DĂFINITIF
04/05/2014
Cet arrĂȘt
est devenu dĂ©finitif en vertu de lâarticle 44 § 2 de la Convention. Il peut
subir des retouches de forme.
En lâaffaire Staibano et
autres c. Italie,
La Cour
europĂ©enne des droits de lâhomme (deuxiĂšme section), siĂ©geant en une chambre
composée de :
 Işıl
Karakaş, prĂ©sidente,
 Guido
Raimondi,
 Dragoljub
Popović,
 Andrås
SajĂł,
 Nebojƥa
Vučinić,
 Paulo
Pinto de Albuquerque,
 Helen Keller, juges,
et de
Stanley Naismith, greffier de section,
AprĂšs en avoir
délibéré en chambre du conseil le 14 janvier 2014,
Rend
lâarrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă cette date :
PROCĂDURE
1. A
lâorigine de lâaffaire se trouve une requĂȘte (no 29907/07)
dirigĂ©e contre la RĂ©publique italienne et dont onze ressortissants de cet Ătat,
Mmes Stefania Staibano,
Caterina Andrianou, Clelia
Casa, Carmela Esposito, Rosa Imperatore,
Daniela Palmieri et Maria Erennia
Vitullo, et MM. Tullio Cafiero,
Enzo DâAlessio, Salvatore Marotta et Federico Toni
(« les requérants »), ont saisi la Cour le 6 juillet 2007 en vertu de
lâarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lâhomme et
des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les
requérants ont été représentés par Mes R. Marone
et G. Cataldi, avocats Ă Naples. Le gouvernement
italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E.
Spatafora, et par son co-agent,
Mme P. Accardo.
3. Les
requĂ©rants allĂšguent que lâirrecevabilitĂ© de leur recours devant la justice
administrative les a privés de leurs droits à pension et de tout accÚs à un
tribunal. Ils sâestiment en outre victimes dâune discrimination par rapport Ă
certains de leurs collĂšgues.
4. Le 27 mars
2013, la requĂȘte a Ă©tĂ© communiquĂ©e au Gouvernement. Comme le permet
lâarticle 29 § 1 de la Convention, il a en outre Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© que la chambre se prononcerait en mĂȘme
temps sur la recevabilité et sur le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE LâESPĂCE
5. La liste
des requérants figure en annexe.
6. Les
requérants sont des médecins. Entre 1983 et 1997, ils travaillÚrent auprÚs de
la policlinique de lâuniversitĂ© « Federico II » de Naples sur la base de contrats Ă durĂ©e dĂ©terminĂ©e ayant pour
objet lâexercice dâune activitĂ© professionnelle rĂ©munĂ©rĂ©e « au
jeton », câest-Ă -dire Ă la vacation (attivitĂ professionale remunerata
« a gettone »). Ils furent ensuite
embauchĂ©s sur la base dâun contrat de travail Ă durĂ©e indĂ©terminĂ©e.
7. Plusieurs
autres mĂ©decins qui se trouvaient dans la mĂȘme situation que les requĂ©rants
saisirent les juridictions administratives afin dâobtenir la reconnaissance de
lâexistence dâun rapport de travail Ă durĂ©e indĂ©terminĂ©e entre eux et
lâuniversitĂ© et â en consĂ©quence â de leur droit au versement des contributions
afférentes pour la sécurité sociale et la retraite. Toutes ces actions furent
couronnées de succÚs, tant devant le tribunal administratif régional (TAR) que
devant le Conseil dâĂtat. LâuniversitĂ© de Naples donna ensuite exĂ©cution Ă ces
décisions de justice.
8. En 2004,
les requĂ©rants saisirent le TAR de la Campanie dâun recours similaire Ă ceux de
leurs collĂšgues.
9. Par un
jugement no 2527 du 24 mars 2005, le TAR accueillit la demande
des requérants.
Il retint
en effet que, bien que formellement défini comme une collaboration libre et
sans lien de subordination, le rapport contractuel entre lâuniversitĂ© Federico
II de Naples et ses médecins vacataires (a gettone) avait tous les caractÚres qui
identifiaient la relation dâemploi dans le secteur public.
Le TAR nota
entre autres dans ses motifs que, en septembre 1996, le juge dâinstance de
Naples, statuant comme juge du travail, avait condamnĂ© lâuniversitĂ© Ă verser Ă
la caisse de sécurité sociale (INPS) une somme de prÚs de 56 milliards de lires
italiennes (ITL â environ 28 921 586 euros (EUR)) au titre des
contributions sociales non payĂ©es. Au vu de ce jugement, lâuniversitĂ© avait
arrĂȘtĂ©, Ă partir du 1er janvier 1997, toute collaboration
professionnelle avec les médecins vacataires.
10. Dans sa
dĂ©fense, lâuniversitĂ© avait excipĂ© de lâirrecevabilitĂ© du recours des
requĂ©rants en vertu de lâarticle 69 § 7 du dĂ©cret lĂ©gislatif no 165
du 30 mars 2001 (dit « texte unifiĂ© » (testo unico) sur lâemploi public, qui
codifiait un certain nombre de dispositions adoptées entre 1993 et 1998). Aux
termes dudit article,
« Le
juge ordinaire, statuant comme juge du travail, est compétent dans les litiges
dĂ©crits Ă lâarticle 63 du prĂ©sent dĂ©cret [litiges relatifs au rapport
dâemploi dans le secteur public] en ce qui concerne les questions se rapportant
à une période de travail postérieure au 30 juin 1998. Les litiges
concernant des questions relatives à une période de travail antérieure à cette
date sont attribuĂ©s Ă la juridiction exclusive du juge administratif Ă
condition, sous peine dâirrecevabilitĂ©, dâavoir Ă©tĂ© introduits avant le 15
septembre 2000. »
11. Le TAR
estima que cette exception ne pouvait ĂȘtre accueillie, car lâarticle 63 §
4 du mĂȘme dĂ©cret lĂ©gislatif disposait :
« Restent
de la compétence du juge administratif les litiges en matiÚre de procédure de recrutement
pour lâembauche des employĂ©s des administrations publiques, ainsi que, Ă titre
de compĂ©tence exclusive, les litiges relatifs aux rapports de travail dĂ©crits Ă
lâarticle 3, y compris ceux qui concernent des droits patrimoniaux
connexes. »
12. Le TAR
nota que parmi les rapports de travail dĂ©crits Ă lâarticle 3 prĂ©citĂ©
figuraient ceux des professeurs et des chercheurs universitaires. Or, les
tùches assignées aux requérants étaient comparables à celles des chercheurs
universitaires.
13. Se
rĂ©fĂ©rant, entre autres, Ă la jurisprudence du Conseil dâĂtat en la matiĂšre, le
TAR estima que le rapport qui avait liĂ© les requĂ©rants Ă lâuniversitĂ© Ă©tait un
rapport dâemploi public.
14. LâuniversitĂ©
interjeta appel de ce jugement. Elle objecta, entre autres, que les médecins
vacataires ne pouvaient pas ĂȘtre assimilĂ©s aux chercheurs universitaires, car
ils nâavaient Ă aucun moment accompli un travail de recherche ou
dâenseignement.
15. Compte
tenu du fait que lâaffaire posait des questions dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral en matiĂšre de
compétence des juridictions administratives, la sixiÚme section du Conseil
dâĂtat se dessaisit en faveur des chambres rĂ©unies (adunanza plenaria).
16. Par un
arrĂȘt du 13 novembre 2006, dont le texte fut dĂ©posĂ© au greffe le 21 fĂ©vrier
2007, le Conseil dâĂtat, siĂ©geant en chambres rĂ©unies, accueillit lâappel de
lâuniversitĂ©. Il annula le jugement du TAR et dĂ©clara le recours des requĂ©rants
irrecevable.
17. Dans ses
motifs, le Conseil dâĂtat observa tout dâabord que la deuxiĂšme partie de
lâarticle 69 § 7 du texte unifiĂ© sur lâemploi public â aux termes de
laquelle la compétence exclusive du juge administratif subsistait seulement si
le recours avait Ă©tĂ© introduit avant le 15 septembre 2000 â avait, dans un
premier temps, été interprétée dans le sens que les recours postérieurs à cette
date pouvaient ĂȘtre rĂ©introduits devant les juridictions judiciaires (Ă savoir,
devant le juge du travail). Cette interprétation avait cependant évolué par la
suite, tant du cÎté des juges administratifs que du cÎté de la Cour de
cassation, qui sâaccordaient Ă affirmer que le dĂ©passement de la date limite du
15 septembre 2000 impliquait la perte du droit de faire valoir les prétentions
contenues dans le recours. Il fut considéré en effet que le but de ces rÚgles
Ă©tait dâĂ©viter aux juridictions ordinaires dâavoir Ă statuer sur des litiges
relatifs Ă des rapports dâemploi ayant pris naissance Ă une Ă©poque oĂč elles
nâĂ©taient pas encore compĂ©tentes pour en connaĂźtre. La Cour constitutionnelle
avait estimé que cette interprétation ne violait pas la Constitution (voir les
ordonnances nos 214 de 2004, 213 de 2005, 382 de 2005, et
197 de 2006).
18. Par
ailleurs, la compĂ©tence du juge administratif subsistait mĂȘme si le rapport de
travail Ă©tait nĂ© sous la forme de prestations rĂ©munĂ©rĂ©es Ă la vacation et mĂȘme
sâil Ă©tait entachĂ© de nullitĂ©. En lâespĂšce, le recours des requĂ©rants avait Ă©tĂ©
introduit en 2004, et donc bien aprĂšs la date butoir du 15 septembre 2000.
Il Ă©tait donc irrecevable.
19. Dans le
mĂȘme arrĂȘt du 13 novembre 2006, le Conseil dâĂtat statua Ă©galement sur le cas
dâun mĂ©decin vacataire qui avait, lui, introduit son action avant le
15 septembre 2000. Il confirma lâapprĂ©ciation portĂ©e par le TAR, selon
laquelle le rapport qui avait liĂ© ce mĂ©decin Ă lâuniversitĂ© Ă©tait un rapport
dâemploi public.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLĂGUĂE DE LâARTICLE 6 § 1 DE LA
CONVENTION
20. Les
requérants se plaignent de ne pas avoir eu accÚs à un tribunal pour obtenir la
reconnaissance de lâexistence dâune relation dâemploi public entre eux et
lâuniversitĂ© de Naples, et, par voie de consĂ©quence, le versement des
cotisations afférentes pour leur retraite.
Ils
invoquent lâarticle 6 § 1 de la Convention, qui, en ses parties
pertinentes, est ainsi libellé :
« Toute
personne a droit Ă ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...)
qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractÚre
civil (...). »
21. Le
Gouvernement combat la thÚse des requérants.
A. Sur
la recevabilité
22. La Cour
constate que ce grief nâest pas manifestement mal fondĂ© au sens de
lâarticle 35 § 3 a) de la Convention. Elle relĂšve par ailleurs quâil ne se
heurte Ă aucun autre motif dâirrecevabilitĂ©. Il convient donc de le dĂ©clarer
recevable.
B. Sur
le fond
1. Arguments des
parties
a) Le Gouvernement
23. Le
Gouvernement observe que les requĂ©rants ont disposĂ© de plus de trois ans â et
donc dâun laps de temps suffisant â pour introduire leur action en justice sans
se heurter Ă la sanction de lâirrecevabilitĂ©, quâils encouraient seulement Ă
partir du 16 septembre 2000. En effet, à partir de la publication du décret
législatif no 80 du 31 mars 1998 (ensuite transposé de façon
substantiellement inchangĂ©e dans le texte unifiĂ© sur lâemploi public), ils
savaient ou auraient dĂ» savoir que la date en question avait vocation Ă
constituer le délai ultime et contraignant pour introduire toute action
judiciaire se rapportant à des périodes de travail antérieures au 30 juin 1998.
24. Dans ces
circonstances, le Gouvernement estime quâon ne saurait dĂ©celer aucune entrave
excessive au droit des requĂ©rants dâobtenir un examen sur le fond de leurs
prĂ©tentions. Par ailleurs, les intĂ©ressĂ©s nâauraient pas pu obtenir la
reconnaissance de lâexistence dâune relation dâemploi public, mais seulement
lâinclusion de la pĂ©riode travaillĂ©e Ă la vacation dans le calcul de leur
retraite. Enfin, le Conseil dâĂtat nâa pas posĂ© de question de
constitutionnalitĂ© Ă la Cour constitutionnelle car cette derniĂšre avait dĂ©jĂ , Ă
plusieurs reprises, jugé infondées des questions analogues (voir notamment les
ordonnances nos 214 de 2004, 213 et 382 de 2205 et 197 de
2006).
b) Les requérants
25. Les
requĂ©rants affirment quâen matiĂšre de reconnaissance de lâexistence dâun
rapport de travail avec lâadministration publique, le juge compĂ©tent est le
juge administratif, et non le juge civil. Ils observent que lâinterprĂ©tation
donnĂ©e par le Conseil dâEtat de lâarticle 69 § 7 du texte unifiĂ© sur
lâemploi public les a privĂ©s de toute possibilitĂ© de soumettre leurs dolĂ©ances
Ă un tribunal interne et dâobtenir une pension au titre de leurs pĂ©riodes de
travail en qualitĂ© de vacataires, ce qui sâanalyserait en une entrave excessive
Ă leur droit dâaccĂšs Ă la justice.
26. La
dĂ©cision du Conseil dâĂtat a empĂȘchĂ© les requĂ©rants de porter le dĂ©bat devant
la Cour constitutionnelle, alors que la question de constitutionnalitĂ© quâils
soulevaient à titre incident était nouvelle et délicate. Ils avaient bien
excipĂ© de lâinconstitutionnalitĂ© de lâarticle 69 § 7 prĂ©citĂ©, mais le
Conseil dâĂtat ne sâest pas prononcĂ© sur leur exception.
2. Appréciation
de la Cour
27. La Cour
rappelle que le « droit Ă un tribunal », dont le droit dâaccĂšs â Ă
savoir le droit de saisir un tribunal en matiĂšre civile â constitue un aspect,
nâest pas absolu, mais quâil peut donner lieu Ă des limitations implicitement
admises. NĂ©anmoins, ces limitations ne sauraient restreindre lâaccĂšs ouvert Ă
lâindividu dâune maniĂšre ou Ă un point tels que le droit sâen trouve atteint
dans sa substance mĂȘme. En outre, elles ne se concilient avec lâarticle 6
§ 1 que si elles poursuivent un but lĂ©gitime et sâil existe un rapport
raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir,
parmi beaucoup dâautres, Khalfaoui c. France, no 34791/97,
§§ 35-36, CEDH 1999-IX ; Papon
c. France, no 54210/00, § 90,
CEDH 2002-VII ; et Pennino c. Italie,
no 43892/04, § 73, 24 septembre 2013 ; voir également le
rappel des principes pertinents dans Fayed
c. Royaume-Uni, 21 septembre 1994, § 65, série A no 294-B).
28. La Cour
observe que lâirrecevabilitĂ© du recours administratif des requĂ©rants Ă©tait la
consĂ©quence de lâapplication des rĂšgles sur la rĂ©partition des compĂ©tences et
les dĂ©lais de procĂ©dure prĂ©vues Ă lâarticle 69 § 7 du texte unifiĂ©
sur lâemploi public. Cette disposition poursuivait un but dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, en
lâoccurrence celui dâune rĂ©partition cohĂ©rente et rationnelle de la compĂ©tence
en matiĂšre de « rapport dâemploi public » entre les juridictions
administratives et les juridictions judiciaires. Par ailleurs, la fixation de
dĂ©lais de procĂ©dure poursuivait le but lĂ©gitime dâassurer une bonne administration
de la justice.
29. La Cour
rappelle Ă©galement que câest dâabord aux autoritĂ©s nationales, et tout
spĂ©cialement, aux cours et tribunaux, quâil incombe dâinterprĂ©ter le droit
interne, et quâil ne lui appartient pas de substituer sa propre interprĂ©tation
du droit Ă la leur en lâabsence dâarbitraire. Câest particuliĂšrement vrai
sâagissant de lâinterprĂ©tation par les tribunaux des rĂšgles de nature
procĂ©durale telles que les dĂ©lais rĂ©gissant lâintroduction de recours. Câest en
principe aux juridictions internes de veiller Ă lâobservation des rĂšgles de
dĂ©lai dans le dĂ©roulement de leurs propres procĂ©dures (Tejedor GarcĂa c. Espagne, 16 dĂ©cembre 1997, § 31, Recueil 1997-VIII).
30. Il nâen
demeure pas moins que les requérants, qui avaient saisi les juridictions
administratives de bonne foi et dans un cadre légal pouvant donner lieu à une
pluralitĂ© dâinterprĂ©tations, ont Ă©tĂ© privĂ©s de la possibilitĂ© de rĂ©introduire
leurs recours devant la juridiction finalement considĂ©rĂ©e comme compĂ©tente, Ă
savoir le juge du travail (voir Ă©galement, dans le cadre de lâexamen du grief
tirĂ© de lâarticle 1 du Protocole no 1, les
paragraphes 54-56 ci-aprĂšs).
31. Leur droit
dâaccĂšs Ă un tribunal sâen est trouvĂ© atteint dans sa substance. Il y a donc eu
violation de lâarticle 6 § 1 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLĂGUĂE DE LâARTICLE 1 DU PROTOCOLE
No 1
32. Les
requĂ©rants se plaignent dâavoir Ă©tĂ© privĂ©s de leur droit Ă pension pour la
période travaillée en qualité de vacataires, leur recours administratif ayant
échoué sur les conditions de recevabilité imposées.
Ils invoquent lâarticle 1 du Protocole no 1,
ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au
respect de ses biens. Nul ne peut ĂȘtre privĂ© de sa propriĂ©tĂ© que pour cause
dâutilitĂ© publique et dans les conditions prĂ©vues par la loi et les principes
généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte
au droit que possĂšdent les Ătats de mettre en vigueur les lois quâils jugent
nĂ©cessaires pour rĂ©glementer lâusage des biens conformĂ©ment Ă lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral
ou pour assurer le paiement des impĂŽts ou dâautres contributions ou des
amendes. »
33. Le
Gouvernement conteste la thÚse des requérants.
34. La Cour
relĂšve que ce grief est liĂ© Ă celui examinĂ© ci-dessus et doit donc aussi ĂȘtre
déclaré recevable.
A. Arguments des parties
1. Le Gouvernement
35. Le
Gouvernement fait observer que la situation des médecins vacataires avait été
marquée par des problÚmes juridiques. En effet, certaines universités publiques
utilisaient lesdits mĂ©decins en dehors du cadre dâune relation
dâ« emploi », pour faire face Ă des nĂ©cessitĂ©s dans des situations oĂč
il Ă©tait impossible dâattendre lâissue dâun concours de recrutement. En
novembre 1997, lâuniversitĂ© de Naples avait offert aux mĂ©decins vacataires un
contrat de travail pour une durée de trois ans. Cette offre fut refusée par une
partie de ses destinataires, qui ne voulaient pas renoncer à la possibilité de
collaborer avec dâautres entitĂ©s.
36. A la
lumiĂšre de ce qui prĂ©cĂšde, le Gouvernement estime quâen ce qui concerne la
prise en compte, pour le calcul de la retraite, de la période travaillée à la
vacation, les requĂ©rants nâĂ©taient pas titulaires dâun « bien » au
sens de lâarticle 1 du Protocole no 1, mais dâune simple
« espĂ©rance protĂ©gĂ©e par la possibilitĂ© dâobtenir la vĂ©rification
judiciaire de leur droit » supposĂ©, possibilitĂ© Ă exercer jusquâau 15
septembre 2000. Aucune charge excessive et exorbitante ne leur a donc selon lui
Ă©tĂ© imposĂ©e, et la limitation quâils ont soufferte correspondait Ă un intĂ©rĂȘt
collectif.
2. Les requérants
37. Les
requĂ©rants contestent lâinterprĂ©tation donnĂ©e par le Conseil dâĂtat de
lâarticle 69 § 7 du texte unifiĂ© sur lâemploi public et allĂšguent que,
selon la Cour constitutionnelle, le droit Ă pension nâest sujet Ă aucune
prescription. Il serait donc contraire Ă la Constitution dâimposer un dĂ©lai de
forclusion de trois ans (inférieur au délai normal de cinq ans) pour en
rĂ©clamer la juste mise en Ćuvre. Ce dĂ©lai de forclusion aurait en lâespĂšce
fonctionné comme un délai de prescription : les juridictions civiles ne
peuvent plus se prononcer sur la demande des requérants pour des raisons de
tardivité, tandis que les juridictions administratives ne sont plus compétentes
pour en connaĂźtre.
38. Les
requĂ©rants rappellent quâune crĂ©ance relative Ă un droit Ă pension peut
constituer un « bien » au sens de lâarticle 1 du Protocole no 1
si elle est suffisamment Ă©tablie pour ĂȘtre exigible (Pravednaya c. Russie, no 69529/01, § 38, 18 novembre
2004). En lâespĂšce, lâobligation de versement par leur employeur des
cotisations pour leur retraite avait une base suffisante en droit interne et
était confirmée par une jurisprudence bien établie. La décision du Conseil
dâĂtat aurait donc portĂ© atteinte Ă leurs biens en rĂ©duisant leur droit de
créance à néant.
39. De plus,
lâĂtat nâaurait pas respectĂ© le juste Ă©quilibre devant rĂ©gner entre les
exigences de lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et la protection des droits fondamentaux des
requĂ©rants car lâinterprĂ©tation du Conseil dâĂtat a privĂ© une catĂ©gorie entiĂšre
dâindividus de leur droit Ă pension pour la pĂ©riode de travail rĂ©munĂ©rĂ©e Ă la
vacation, les obligeant par-lĂ Ă supporter une charge excessive et exorbitante.
B. Appréciation de la Cour
1. Sur la question de savoir si les requérants étaient titulaires
dâun « bien »
a) Principes
généraux
40. La Cour
rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut alléguer une
violation de lâarticle 1 du Protocole no 1 que dans la
mesure oĂč les dĂ©cisions quâil incrimine se rapportent Ă ses « biens »
au sens de cette disposition. La notion de « biens » peut recouvrir
tant des « biens actuels » que des valeurs patrimoniales, y compris,
dans certaines situations bien dĂ©finies, des crĂ©ances. Pour quâune crĂ©ance
puisse ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une « valeur patrimoniale » tombant sous
le coup de lâarticle 1 du Protocole no 1, il faut que
le titulaire de la créance démontre que celle-ci a une base suffisante en droit
interne, par exemple quâelle est confirmĂ©e par une jurisprudence bien Ă©tablie
des tribunaux. DĂšs lors que cela est acquis, peut entrer en jeu la notion
dâ« espĂ©rance lĂ©gitime » (Maurice
c. France [GC], no 11810/03, § 63, CEDH 2005‑IX).
41. Lâarticle 1
du Protocole no 1 ne garantit pas un droit à acquérir des biens
(Van der Mussele
c. Belgique, 23 novembre 1983, § 48, série A no 70 ; Slivenko c. Lettonie (déc.) [GC], no 48321/99,
§ 121, CEDH 2002‑II ; et KopeckĂœ c. Slovaquie [GC], no 44912/98,
§ 35 b), CEDH 2004‑IX). De plus, il ne saurait
sâinterprĂ©ter comme ouvrant aux personnes qui ont cotisĂ© Ă un rĂ©gime de
sĂ©curitĂ© sociale le droit Ă une pension dâun montant dĂ©terminĂ© (voir, par
exemple, Domalewski c. Pologne (déc.), no 34610/97,
CEDH 1999-V ; Janković c. Croatie (dĂ©c.), no 43440/98,
CEDH 2000-X ; et Kjartan Ăsmundsson c.
Islande, no 60669/00, § 39, CEDH 2004-IX). Cependant, une
créance concernant une pension peut constituer un « bien » au sens de
lâarticle 1 du Protocole no 1 lorsquâelle a une base
suffisante en droit national, par exemple lorsquâelle est confirmĂ©e par un
jugement définitif (Pravednaya,
précité, §§ 37-39 ; Maggio et autres c. Italie, nos 46286/09,
52851/08, 53727/08, 54486/08 et 56001/08, § 55, 31 mai 2011 ; et Varesi et autres c. Italie (déc.), no 49407/08,
§ 35, 12 mars 2013).
b) Application
de ces principes au cas dâespĂšce
42. La Cour
relĂšve que, ayant travaillĂ© pour lâuniversitĂ© de Naples sur la base de contrats
Ă durĂ©e dĂ©terminĂ©e ayant pour objet lâexercice dâune activitĂ© professionnelle
rĂ©munĂ©rĂ©e Ă la vacation (paragraphe 6 ci-dessus), les requĂ©rants nâavaient
normalement pas droit au versement des contributions pour la sécurité sociale
et la retraite. Cependant, plusieurs autres médecins se trouvant dans une
situation analogue Ă la leur avaient obtenu des juridictions administratives la
reconnaissance de lâexistence entre eux et lâuniversitĂ© dâun rapport de travail
à durée indéterminée, avec pour conséquence le droit pour eux au versement des
cotisations pour leur retraite. LâuniversitĂ© de Naples sâĂ©tait pliĂ©e Ă ces
décisions de justice (paragraphe 7 ci-dessus).
43. Dans
lâaffaire des requĂ©rants, cette jurisprudence a dans un premier temps Ă©tĂ©
confirmĂ©e par le TAR, qui a rĂ©affirmĂ© que le rapport qui liait lâuniversitĂ© aux
mĂ©decins travaillant en tant que vacataires Ă©tait un rapport dâemploi public
donnant droit au versement des contributions sociales de la part de lâemployeur
(paragraphes 9 et 13 ci-dessus). Les sections rĂ©unies du Conseil dâĂtat
lui-mĂȘme ont aussi souscrit Ă cette thĂšse au sujet dâun mĂ©decin vacataire qui
avait introduit son recours avant le 15 septembre 2000 (paragraphe 19
ci-dessus)
44. Dans ces
circonstances, la Cour estime que la créance des requérants concernant leurs
droits Ă pension avait une base suffisante en droit interne, en ce quâelle
était confirmée par une jurisprudence bien établie des tribunaux. DÚs lors, ils
avaient une espĂ©rance lĂ©gitime de se voir reconnaĂźtre, Ă lâinstar de leurs
collĂšgues, le droit au versement, par lâuniversitĂ© de Naples, des cotisations
de retraite. Ils pouvaient donc passer pour titulaires dâun « bien »
au sens de lâarticle 1 du Protocole no 1. Partant, cette
disposition trouve Ă sâappliquer en lâespĂšce.
2. Sur lâexistence dâune ingĂ©rence dans le droit des
requérants au respect de leurs biens
45. La Cour
relĂšve quâen annulant pour cause dâirrecevabilitĂ© de leur action le jugement du
TAR favorable aux intéressés tout en sachant que le délai pour réintroduire une
action aux mĂȘmes fins devant les juridictions civiles avait dĂ©sormais expirĂ©,
le Conseil dâĂtat les a de facto privĂ©s
de toute possibilité de faire valoir leur droit au versement des cotisations de
retraite relatives à la période travaillée sous le statut de vacataire.
46. Il y a
donc eu une ingérence dans le droit des requérants au respect de leurs biens.
3. Sur la justification de lâingĂ©rence
a) Principes
généraux
47. Lâarticle 1
du Protocole no 1 exige, avant tout et surtout, quâune
ingĂ©rence de lâautoritĂ© publique dans la jouissance du droit au respect de
biens soit lĂ©gale. De plus, une telle ingĂ©rence nâest justifiĂ©e que si elle
poursuit un intĂ©rĂȘt public (ou gĂ©nĂ©ral) lĂ©gitime. GrĂące Ă une connaissance
directe de leur société et de ses besoins, les autorités nationales se trouvent
en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est
« dâutilitĂ© publique ». Dans le mĂ©canisme de protection crĂ©Ă© par la
Convention, il leur appartient par conséquent de se prononcer les premiÚres sur
lâexistence dâun problĂšme dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. DĂšs lors, elles jouissent ici
dâune certaine marge dâapprĂ©ciation, comme en dâautres domaines auxquels
sâĂ©tendent les garanties de la Convention (Wieczorek c. Pologne, no 18176/05, § 59, 8 dĂ©cembre 2009).
48. Lâarticle 1
du Protocole no 1 exige également, pour toute ingérence, un
rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but
visé (Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos
46720/99, 72203/01 et 72552/01, §§ 81-94, CEDH 2005-VI). Ce juste équilibre est
rompu si la personne concernée doit supporter une charge excessive et
exorbitante (Sporrong et Lönnroth c. SuÚde, 23 septembre 1982, §§ 69-74,
série A no 52, et Maggio et autres,
prĂ©citĂ©, § 57). A cet Ă©gard, il faut souligner que lâincertitude â lĂ©gislative,
administrative, ou tenante aux pratiques des autoritĂ©s â est un facteur quâil
faut prendre en compte pour apprĂ©cier la conduite de lâĂtat. En effet,
lorsquâune question dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral est en jeu, les pouvoirs publics sont
tenus de réagir en temps utile, de façon correcte et avec la plus grande
cohĂ©rence (Vasilescu c. Roumanie, 22 mai 1998, § 51, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1998‑III,
et ArchidiocĂšse catholique dâAlba Iulia
c. Roumanie, no 33003/03, § 90, 25 septembre 2012).
49. Lorsque le
montant dâune prestation sociale est rĂ©duit ou annulĂ©, il peut y avoir une
ingĂ©rence dans le droit au respect des biens qui nĂ©cessite dâĂȘtre justifiĂ©e (Kjartan Ăsmundsson,
précité, § 40 ; Rasmussen c. Pologne,
no 38886/05, § 71, 28 avril 2009 ; Maggio et autres, précité, § 58 ; et Varesi et autres, décision précitée, § 38).
b) Application de
ces principes au cas dâespĂšce
50. En
lâespĂšce, lâingĂ©rence litigieuse avait une base lĂ©gale en droit interne,
lâarticle 69 § 7 du texte unifiĂ© sur lâemploi public (paragraphe 10
ci-dessus). Cette disposition poursuivait un but dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, en
lâoccurrence celui dâune rĂ©partition cohĂ©rente et rationnelle de la compĂ©tence
en matiĂšre de « rapport dâemploi public » entre les juridictions
administratives et les juridictions judiciaires. En particulier, ces derniĂšres Ă©taient
compétentes pour tout litige concernant les périodes de travail postérieures au
30 juin 1998. Lorsque, comme en lâespĂšce, un litige concernait une pĂ©riode de
travail antĂ©rieure Ă cette date, lâaffaire Ă©tait dĂ©volue au juge administratif,
mais seulement à la condition que le recours y relatif ait été introduit avant
le 15 septembre 2000. Le non-respect de ce délai était sanctionné par
lâirrecevabilitĂ© du recours.
51. La Cour
estime que la fixation de délais de procédure a pour objet une bonne
administration de la justice et est donc conforme Ă lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Par
ailleurs, les requérants avaient cessé leur collaboration comme vacataires avec
lâuniversitĂ© de Naples au plus tard en 1997, et les dispositions codifiĂ©es par
le texte unifiĂ© sur lâemploi public Ă©taient entrĂ©es en vigueur entre 1993 et
1998 (paragraphe 10 ci-dessus). Le délai pour saisir les juridictions
administratives, fixĂ© au 15 septembre 2000, nâĂ©tait donc pas excessivement
court. Or, il nâest pas contestĂ© par les parties que les intĂ©ressĂ©s nâont pas
respectĂ© le dĂ©lai en question, et les requĂ©rants nâont pas invoquĂ© lâexistence
dâobstacles qui les auraient empĂȘchĂ©s dâintroduire leur recours devant le TAR
en temps utile.
52. Il nâen
demeure pas moins que des incertitudes persistaient quant Ă lâapplicabilitĂ© du
dĂ©lai litigieux Ă lâaffaire des requĂ©rants. En effet, le texte unifiĂ© sur
lâemploi public contenait Ă©galement une autre disposition, lâarticle 63 §
4, qui, lu en conjonction avec lâarticle 3, attribuait Ă la compĂ©tence
exclusive du juge administratif les litiges relatifs aux rapports de travail
des chercheurs universitaires. Sâappuyant sur cette disposition, le TAR sâĂ©tait
estimĂ© compĂ©tent pour connaĂźtre de lâaffaire des requĂ©rants, et ce indĂ©pendamment
du respect du délai précité. Le TAR avait en effet considéré que les tùches
assignées aux requérants étaient comparables à celles des chercheurs
universitaires (paragraphes 11 et 12 ci-dessus).
53. A la suite
de lâappel de lâuniversitĂ© (paragraphe 14 ci-dessus), la sixiĂšme section
du Conseil dâĂtat sâest dessaisie en faveur des chambres rĂ©unies, au motif que
lâaffaire posait des questions dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral en matiĂšre de compĂ©tence des
juridictions administratives (paragraphe 15 ci‑dessus). Par lĂ mĂȘme,
la sixiĂšme section a reconnu ĂȘtre en prĂ©sence dâun point de droit prĂ©sentant
une certaine complexité et nécessitant des clarifications.
54. Dans
lâexercice de la mission dâinterprĂ©ter et dâappliquer le droit interne qui est
la leur, les chambres rĂ©unies du Conseil dâĂtat ont estimĂ© que les requĂ©rants
ne pouvaient pas ĂȘtre assimilĂ©s aux chercheurs universitaires et que le dĂ©lai
expirant le 15 septembre 2000 trouvait Ă sâappliquer Ă leur recours (paragraphes 17
et 18 ci-dessus). La Cour ne saurait critiquer une telle interprétation, qui
nâapparaĂźt ni manifestement illogique ni arbitraire.
55. Il nâen
demeure pas moins que les requérants avaient saisi les juridictions
administratives en toute bonne foi et sur la base dâune interprĂ©tation
plausible des rÚgles sur la répartition des compétences. Par ailleurs, la
jurisprudence interne leur garantissait une protection en cas de déclaration
dâirrecevabilitĂ© de leur recours, car il Ă©tait admis quâun recours tardif
devant le juge administratif pouvait ĂȘtre rĂ©introduit devant les juridictions
judiciaires (paragraphe 17 ci-dessus). Il sâagissait dâune garantie
importante, visant Ă assurer une voie pour faire valoir ses droits patrimoniaux
au justiciable qui, dans un cadre légal pouvant donner lieu à des
interprĂ©tations divergentes, sâĂ©tait adressĂ© Ă une juridiction incompĂ©tente.
56. Toutefois,
cette garantie a été effacée par une jurisprudence postérieure, qui a été suivie
par le Conseil dâĂtat dans lâaffaire des requĂ©rants. Selon cette nouvelle
interprĂ©tation, le non-respect du dĂ©lai ouvert jusquâau 15 septembre 2000 pour
saisir les juridictions administratives entraßnait la perte définitive du droit
de faire valoir les prétentions contenues dans le recours, y compris devant les
juridictions ordinaires (paragraphe 17 ci-dessus).
57. En
conséquence de ce revirement de jurisprudence, les requérants ont été privés de
toute possibilitĂ© dâobtenir une dĂ©cision de justice reconnaissant leur droit au
versement des contributions sociales â et donc leurs droits corrĂ©latifs en
termes de pension de retraite â pour la pĂ©riode travaillĂ©e par eux en tant que
vacataires pour lâuniversitĂ© de Naples.
4. Conclusion
58. Compte
tenu des incertitudes pouvant subsister quant Ă lâinterprĂ©tation des
dispositions pertinentes du texte unifiĂ© sur lâemploi public, la Cour considĂšre
que lâĂtat nâa pas mĂ©nagĂ© un juste Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts publics et
privĂ©s en jeu, et que la dĂ©cision du Conseil dâĂtat a vidĂ© de toute substance
lâespĂ©rance lĂ©gitime des requĂ©rants de voir reconnaĂźtre leurs droits Ă pension.
Les intéressés ont donc dû supporter une charge excessive et exorbitante, ce
qui a emportĂ© violation de lâarticle 1 du Protocole no 1.
III. SUR LA VIOLATION ALLĂGUĂE DE LâARTICLE 14 DE LA
CONVENTION, COMBINà AVEC LES ARTICLES 6 § 1 DE LA CONVENTION ET 1 DU
PROTOCOLE No 1
59. Les requérants se
plaignent de la diffĂ©rence de traitement quâils ont subie par rapport Ă
dâautres mĂ©decins vacataires de lâuniversitĂ© de Naples qui, eux, ont
obtenu la reconnaissance de leur droit au versement des cotisations pour la
retraite.
Ils
invoquent lâarticle 14 de la Convention, lu en conjonction avec les
articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1.
Lâarticle 14
se lit comme suit :
« La
jouissance des droits et libertĂ©s reconnus dans la (...) Convention doit ĂȘtre
assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la
couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres
opinions, lâorigine nationale ou sociale, lâappartenance Ă une minoritĂ©
nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
60. Le
Gouvernement combat la thÚse des requérants.
61. La Cour
relĂšve que ce grief est liĂ© Ă ceux examinĂ©s ci-dessus et doit donc aussi ĂȘtre
déclaré recevable.
A. Arguments
des parties
1. Le
Gouvernement
62. Le Gouvernement
considĂšre que les requĂ©rants nâont subi aucune discrimination vis-Ă -vis de ceux
de leurs collĂšgues qui ont introduit une action en justice en temps utile et
obtenu gain de cause.
2. Les
requérants
63. Les
requĂ©rants observent que dâautres personnes se trouvant dans une situation
similaire à la leur ont pu bénéficier de leurs droits à pension pour la période
travaillée à la vacation. Cette différence de traitement est basée sur un délai
de forclusion dont lâinstitution Ă©tait selon eux contraire Ă la Constitution et
Ă la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. A leurs yeux ce dĂ©lai nâĂ©tait
ni raisonnable ni objectivement justifié, car il portait atteinte à un droit
imprescriptible.
B. Appréciation
de la Cour
64. Eu Ă©gard
aux conclusions auxquelles elle est parvenue sous lâangle des articles 1
du Protocole no 1 et 6 § 1 de la Convention
(paragraphes 31 et 58 ci-dessus), la Cour estime quâil nây a pas lieu
dâexaminer sâil y a eu, en lâespĂšce, violation de lâarticle 14 de la
Convention, combiné avec les deux dispositions précitées.
IV. SUR LâAPPLICATION DE LâARTICLE 41 DE LA CONVENTION
65. Aux termes
de lâarticle 41 de la Convention,
« Si
la Cour dĂ©clare quâil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles,
et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet dâeffacer
quâimparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă la
partie lĂ©sĂ©e, sâil y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. »
66. Les
requérants réclament 253 500 EUR chacun (soit une somme totale de
2 788 500 EUR pour lâensemble des requĂȘtes) au titre du prĂ©judice
matĂ©riel quâils auraient subi. Ce montant est calculĂ© sur la base de la feuille
de paie du personnel de lâadministration publique de rang comparable Ă celui
des requĂ©rants. Ils se rĂ©servent de prĂ©ciser leurs prĂ©tentions sur la base dâun
rapport dâexpertise comptable. A titre subsidiaire, ils demandent Ă la Cour de
nommer dâoffice un expert.
67. Les
requérants considÚrent en outre avoir subi un préjudice moral et demandent
10 000 EUR chacun (soit une somme totale de 110 000 EUR pour
lâensemble des requĂȘtes) Ă ce titre.
68. Les
requérants sollicitent enfin le remboursement des frais et dépens engagés tant
devant les juridictions internes que devant la Cour. Ils demandent Ă la Cour
dâen fixer le montant en Ă©quitĂ©.
69. Le
Gouvernement estime quâil serait erronĂ© de se fonder, comme le font les
requĂ©rants, sur la feuille de paie du personnel de lâadministration publique,
car le seul bénéfice auquel pouvaient prétendre les médecins vacataires se limitait à la prise en compte de la
période travaillée en cette qualité dans le calcul de leurs droits à pension
pour la retraite.
70. La Cour
estime que la question de lâapplication de lâarticle 41 ne se trouve pas
en état. En conséquence, elle la réserve et fixera la procédure ultérieure,
compte tenu de la possibilité que le Gouvernement et les requérants parviennent
Ă un accord.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, Ă
LâUNANIMITĂ,
1. DĂ©clare la requĂȘte recevable ;
2. Dit quâil y a eu violation de
lâarticle 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit quâil y a eu violation de lâarticle 1
du Protocole no 1 ;
4. Dit quâil nây a pas lieu dâexaminer le
grief tirĂ© de lâarticle 14 de la Convention, combinĂ© avec les
articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 ;
5. Dit que la question de lâapplication de
lâarticle 41 de la Convention ne se trouve pas en Ă©tat ;
en
conséquence,
a) la
réserve en entier ;
b) invite le Gouvernement et les requérants
Ă lui adresser par Ă©crit, dans le dĂ©lai de trois mois Ă compter du jour oĂč
lâarrĂȘt sera devenu dĂ©finitif conformĂ©ment Ă lâarticle 44 § 2 de la
Convention, leurs observations sur cette question et notamment Ă lui donner
connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;
c) réserve la procédure ultérieure et
délÚgue à la présidente de la chambre le soin de la fixer au besoin.
Fait en
français, puis communiqué par écrit le 4 février 2014, en application de
lâarticle 77 §§ 2 et 3 du rĂšglement.
 Stanley Naismith       Işıl
Karakaş
           Greffier          Présidente
ANNEXE
- Stefania STAIBANO est une ressortissante italienne née en 1958,
résidant à Naples
- Caterina ANDRIANOU
est une ressortissante italienne née en 1952, résidant à Naples
- Tullio CAFIERO est
un ressortissant italien né en 1951, résidant à Naples
- Clelia CASA est une ressortissante italienne née en 1956,
résidant à Naples
- Enzo DâALESSIO est
un ressortissant italien né en 1952, résidant à Naples
- Carmela ESPOSITO
est une ressortissante italienne nĂ©e en 1954, rĂ©sidant Ă SantâAnastasia (Naples)
- Rosa IMPERATORE
est un ressortissant italien né en 1955, résidant à Naples
- Salvatore MAROTTA
est un ressortissant italien né en 1955, résidant à Naples
- Daniela PALMIERI
est une ressortissante italienne née en 1955, résidant à Naples
- Federico TONI est
un ressortissant italien né en 1957, résidant à Naples
- Maria Erennia VITULLO est une ressortissante italienne née
en 1956, résidant à Naples