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Corte europea dei diritti dell’uomo

(Decima Sezione)

 

4 febbraio 2014

 

 

 

 

AFFAIRE STAIBANO ET AUTRES c. ITALIE

 

(RequĂȘte no 29907/07)

 

DÉFINITIF

 

04/05/2014

 

Cet arrĂȘt est devenu dĂ©finitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 


En l’affaire Staibano et autres c. Italie,

La Cour europĂ©enne des droits de l’homme (deuxiĂšme section), siĂ©geant en une chambre composĂ©e de :

  Işıl Karakaş, prĂ©sidente,

  Guido Raimondi,

  Dragoljub Popović,

  Andrås Sajó,

  NebojĆĄa Vučinić,

  Paulo Pinto de Albuquerque,

  Helen Keller, juges,

et de Stanley Naismith, greffier de section,

AprÚs en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 janvier 2014,

Rend l’arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requĂȘte (no 29907/07) dirigĂ©e contre la RĂ©publique italienne et dont onze ressortissants de cet État, Mmes Stefania Staibano, Caterina Andrianou, Clelia Casa, Carmela Esposito, Rosa Imperatore, Daniela Palmieri et Maria Erennia Vitullo, et MM. Tullio Cafiero, Enzo D’Alessio, Salvatore Marotta et Federico Toni (« les requĂ©rants Â»), ont saisi la Cour le 6 juillet 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention Â»).

2.  Les requĂ©rants ont Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ©s par Mes R. Marone et G. Cataldi, avocats Ă  Naples. Le gouvernement italien (« le Gouvernement Â») a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par son agent, Mme E. Spatafora, et par son co-agent, Mme P. Accardo.

3.  Les requĂ©rants allĂšguent que l’irrecevabilitĂ© de leur recours devant la justice administrative les a privĂ©s de leurs droits Ă  pension et de tout accĂšs Ă  un tribunal. Ils s’estiment en outre victimes d’une discrimination par rapport Ă  certains de leurs collĂšgues.

4.  Le 27 mars 2013, la requĂȘte a Ă©tĂ© communiquĂ©e au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© que la chambre se prononcerait en mĂȘme temps sur la recevabilitĂ© et sur le fond.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  La liste des requĂ©rants figure en annexe.

6.  Les requĂ©rants sont des mĂ©decins. Entre 1983 et 1997, ils travaillĂšrent auprĂšs de la policlinique de l’universitĂ© « Federico II Â» de Naples sur la base de contrats Ă  durĂ©e dĂ©terminĂ©e ayant pour objet l’exercice d’une activitĂ© professionnelle rĂ©munĂ©rĂ©e « au jeton Â», c’est-Ă -dire Ă  la vacation (attivitĂ  professionale remunerata « a gettone Â»). Ils furent ensuite embauchĂ©s sur la base d’un contrat de travail Ă  durĂ©e indĂ©terminĂ©e.

7.  Plusieurs autres mĂ©decins qui se trouvaient dans la mĂȘme situation que les requĂ©rants saisirent les juridictions administratives afin d’obtenir la reconnaissance de l’existence d’un rapport de travail Ă  durĂ©e indĂ©terminĂ©e entre eux et l’universitĂ© et – en consĂ©quence – de leur droit au versement des contributions affĂ©rentes pour la sĂ©curitĂ© sociale et la retraite. Toutes ces actions furent couronnĂ©es de succĂšs, tant devant le tribunal administratif rĂ©gional (TAR) que devant le Conseil d’État. L’universitĂ© de Naples donna ensuite exĂ©cution Ă  ces dĂ©cisions de justice.

8.  En 2004, les requĂ©rants saisirent le TAR de la Campanie d’un recours similaire Ă  ceux de leurs collĂšgues.

9.  Par un jugement no 2527 du 24 mars 2005, le TAR accueillit la demande des requĂ©rants.

Il retint en effet que, bien que formellement dĂ©fini comme une collaboration libre et sans lien de subordination, le rapport contractuel entre l’universitĂ© Federico II de Naples et ses mĂ©decins vacataires (a gettone) avait tous les caractĂšres qui identifiaient la relation d’emploi dans le secteur public.

Le TAR nota entre autres dans ses motifs que, en septembre 1996, le juge d’instance de Naples, statuant comme juge du travail, avait condamnĂ© l’universitĂ© Ă  verser Ă  la caisse de sĂ©curitĂ© sociale (INPS) une somme de prĂšs de 56 milliards de lires italiennes (ITL – environ 28 921 586 euros (EUR)) au titre des contributions sociales non payĂ©es. Au vu de ce jugement, l’universitĂ© avait arrĂȘtĂ©, Ă  partir du 1er janvier 1997, toute collaboration professionnelle avec les mĂ©decins vacataires.

10.  Dans sa dĂ©fense, l’universitĂ© avait excipĂ© de l’irrecevabilitĂ© du recours des requĂ©rants en vertu de l’article 69 § 7 du dĂ©cret lĂ©gislatif no 165 du 30 mars 2001 (dit « texte unifiĂ© Â» (testo unico) sur l’emploi public, qui codifiait un certain nombre de dispositions adoptĂ©es entre 1993 et 1998). Aux termes dudit article,

« Le juge ordinaire, statuant comme juge du travail, est compĂ©tent dans les litiges dĂ©crits Ă  l’article 63 du prĂ©sent dĂ©cret [litiges relatifs au rapport d’emploi dans le secteur public] en ce qui concerne les questions se rapportant Ă  une pĂ©riode de travail postĂ©rieure au 30 juin 1998. Les litiges concernant des questions relatives Ă  une pĂ©riode de travail antĂ©rieure Ă  cette date sont attribuĂ©s Ă  la juridiction exclusive du juge administratif Ă  condition, sous peine d’irrecevabilitĂ©, d’avoir Ă©tĂ© introduits avant le 15 septembre 2000. Â»

11.  Le TAR estima que cette exception ne pouvait ĂȘtre accueillie, car l’article 63 § 4 du mĂȘme dĂ©cret lĂ©gislatif disposait :

« Restent de la compĂ©tence du juge administratif les litiges en matiĂšre de procĂ©dure de recrutement pour l’embauche des employĂ©s des administrations publiques, ainsi que, Ă  titre de compĂ©tence exclusive, les litiges relatifs aux rapports de travail dĂ©crits Ă  l’article 3, y compris ceux qui concernent des droits patrimoniaux connexes. Â»

12.  Le TAR nota que parmi les rapports de travail dĂ©crits Ă  l’article 3 prĂ©citĂ© figuraient ceux des professeurs et des chercheurs universitaires. Or, les tĂąches assignĂ©es aux requĂ©rants Ă©taient comparables Ă  celles des chercheurs universitaires.

13.  Se rĂ©fĂ©rant, entre autres, Ă  la jurisprudence du Conseil d’État en la matiĂšre, le TAR estima que le rapport qui avait liĂ© les requĂ©rants Ă  l’universitĂ© Ă©tait un rapport d’emploi public.

14.  L’universitĂ© interjeta appel de ce jugement. Elle objecta, entre autres, que les mĂ©decins vacataires ne pouvaient pas ĂȘtre assimilĂ©s aux chercheurs universitaires, car ils n’avaient Ă  aucun moment accompli un travail de recherche ou d’enseignement.

15.  Compte tenu du fait que l’affaire posait des questions d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral en matiĂšre de compĂ©tence des juridictions administratives, la sixiĂšme section du Conseil d’État se dessaisit en faveur des chambres rĂ©unies (adunanza plenaria).

16.  Par un arrĂȘt du 13 novembre 2006, dont le texte fut dĂ©posĂ© au greffe le 21 fĂ©vrier 2007, le Conseil d’État, siĂ©geant en chambres rĂ©unies, accueillit l’appel de l’universitĂ©. Il annula le jugement du TAR et dĂ©clara le recours des requĂ©rants irrecevable.

17.  Dans ses motifs, le Conseil d’État observa tout d’abord que la deuxiĂšme partie de l’article 69 § 7 du texte unifiĂ© sur l’emploi public – aux termes de laquelle la compĂ©tence exclusive du juge administratif subsistait seulement si le recours avait Ă©tĂ© introduit avant le 15 septembre 2000 – avait, dans un premier temps, Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©e dans le sens que les recours postĂ©rieurs Ă  cette date pouvaient ĂȘtre rĂ©introduits devant les juridictions judiciaires (Ă  savoir, devant le juge du travail). Cette interprĂ©tation avait cependant Ă©voluĂ© par la suite, tant du cĂŽtĂ© des juges administratifs que du cĂŽtĂ© de la Cour de cassation, qui s’accordaient Ă  affirmer que le dĂ©passement de la date limite du 15 septembre 2000 impliquait la perte du droit de faire valoir les prĂ©tentions contenues dans le recours. Il fut considĂ©rĂ© en effet que le but de ces rĂšgles Ă©tait d’éviter aux juridictions ordinaires d’avoir Ă  statuer sur des litiges relatifs Ă  des rapports d’emploi ayant pris naissance Ă  une Ă©poque oĂč elles n’étaient pas encore compĂ©tentes pour en connaĂźtre. La Cour constitutionnelle avait estimĂ© que cette interprĂ©tation ne violait pas la Constitution (voir les ordonnances nos 214 de 2004, 213 de 2005, 382 de 2005, et 197 de 2006).

18.  Par ailleurs, la compĂ©tence du juge administratif subsistait mĂȘme si le rapport de travail Ă©tait nĂ© sous la forme de prestations rĂ©munĂ©rĂ©es Ă  la vacation et mĂȘme s’il Ă©tait entachĂ© de nullitĂ©. En l’espĂšce, le recours des requĂ©rants avait Ă©tĂ© introduit en 2004, et donc bien aprĂšs la date butoir du 15 septembre 2000. Il Ă©tait donc irrecevable.

19.  Dans le mĂȘme arrĂȘt du 13 novembre 2006, le Conseil d’État statua Ă©galement sur le cas d’un mĂ©decin vacataire qui avait, lui, introduit son action avant le 15 septembre 2000. Il confirma l’apprĂ©ciation portĂ©e par le TAR, selon laquelle le rapport qui avait liĂ© ce mĂ©decin Ă  l’universitĂ© Ă©tait un rapport d’emploi public.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

20.  Les requĂ©rants se plaignent de ne pas avoir eu accĂšs Ă  un tribunal pour obtenir la reconnaissance de l’existence d’une relation d’emploi public entre eux et l’universitĂ© de Naples, et, par voie de consĂ©quence, le versement des cotisations affĂ©rentes pour leur retraite.

Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellĂ© :

« Toute personne a droit Ă  ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) qui dĂ©cidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractĂšre civil (...). Â»

21.  Le Gouvernement combat la thĂšse des requĂ©rants.

A.  Sur la recevabilitĂ©

22.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondĂ© au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relĂšve par ailleurs qu’il ne se heurte Ă  aucun autre motif d’irrecevabilitĂ©. Il convient donc de le dĂ©clarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Arguments des parties

a)  Le Gouvernement

23.  Le Gouvernement observe que les requĂ©rants ont disposĂ© de plus de trois ans – et donc d’un laps de temps suffisant – pour introduire leur action en justice sans se heurter Ă  la sanction de l’irrecevabilitĂ©, qu’ils encouraient seulement Ă  partir du 16 septembre 2000. En effet, Ă  partir de la publication du dĂ©cret lĂ©gislatif no 80 du 31 mars 1998 (ensuite transposĂ© de façon substantiellement inchangĂ©e dans le texte unifiĂ© sur l’emploi public), ils savaient ou auraient dĂ» savoir que la date en question avait vocation Ă  constituer le dĂ©lai ultime et contraignant pour introduire toute action judiciaire se rapportant Ă  des pĂ©riodes de travail antĂ©rieures au 30 juin 1998.

24.  Dans ces circonstances, le Gouvernement estime qu’on ne saurait dĂ©celer aucune entrave excessive au droit des requĂ©rants d’obtenir un examen sur le fond de leurs prĂ©tentions. Par ailleurs, les intĂ©ressĂ©s n’auraient pas pu obtenir la reconnaissance de l’existence d’une relation d’emploi public, mais seulement l’inclusion de la pĂ©riode travaillĂ©e Ă  la vacation dans le calcul de leur retraite. Enfin, le Conseil d’État n’a pas posĂ© de question de constitutionnalitĂ© Ă  la Cour constitutionnelle car cette derniĂšre avait dĂ©jĂ , Ă  plusieurs reprises, jugĂ© infondĂ©es des questions analogues (voir notamment les ordonnances nos 214 de 2004, 213 et 382 de 2205 et 197 de 2006).

b)  Les requĂ©rants

25.  Les requĂ©rants affirment qu’en matiĂšre de reconnaissance de l’existence d’un rapport de travail avec l’administration publique, le juge compĂ©tent est le juge administratif, et non le juge civil. Ils observent que l’interprĂ©tation donnĂ©e par le Conseil d’Etat de l’article 69 § 7 du texte unifiĂ© sur l’emploi public les a privĂ©s de toute possibilitĂ© de soumettre leurs dolĂ©ances Ă  un tribunal interne et d’obtenir une pension au titre de leurs pĂ©riodes de travail en qualitĂ© de vacataires, ce qui s’analyserait en une entrave excessive Ă  leur droit d’accĂšs Ă  la justice.

26.  La dĂ©cision du Conseil d’État a empĂȘchĂ© les requĂ©rants de porter le dĂ©bat devant la Cour constitutionnelle, alors que la question de constitutionnalitĂ© qu’ils soulevaient Ă  titre incident Ă©tait nouvelle et dĂ©licate. Ils avaient bien excipĂ© de l’inconstitutionnalitĂ© de l’article 69 § 7 prĂ©citĂ©, mais le Conseil d’État ne s’est pas prononcĂ© sur leur exception.

2.  ApprĂ©ciation de la Cour

27.  La Cour rappelle que le « droit Ă  un tribunal Â», dont le droit d’accĂšs – Ă  savoir le droit de saisir un tribunal en matiĂšre civile – constitue un aspect, n’est pas absolu, mais qu’il peut donner lieu Ă  des limitations implicitement admises. NĂ©anmoins, ces limitations ne sauraient restreindre l’accĂšs ouvert Ă  l’individu d’une maniĂšre ou Ă  un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance mĂȘme. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but lĂ©gitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalitĂ© entre les moyens employĂ©s et le but visĂ© (voir, parmi beaucoup d’autres, Khalfaoui c. France, no 34791/97, §§ 35-36, CEDH 1999-IX ; Papon c. France, no 54210/00, § 90, CEDH 2002-VII ; et Pennino c. Italie, no 43892/04, § 73, 24 septembre 2013 ; voir Ă©galement le rappel des principes pertinents dans Fayed c. Royaume-Uni, 21 septembre 1994, § 65, sĂ©rie A no 294-B).

28.  La Cour observe que l’irrecevabilitĂ© du recours administratif des requĂ©rants Ă©tait la consĂ©quence de l’application des rĂšgles sur la rĂ©partition des compĂ©tences et les dĂ©lais de procĂ©dure prĂ©vues Ă  l’article 69 § 7 du texte unifiĂ© sur l’emploi public. Cette disposition poursuivait un but d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, en l’occurrence celui d’une rĂ©partition cohĂ©rente et rationnelle de la compĂ©tence en matiĂšre de « rapport d’emploi public Â» entre les juridictions administratives et les juridictions judiciaires. Par ailleurs, la fixation de dĂ©lais de procĂ©dure poursuivait le but lĂ©gitime d’assurer une bonne administration de la justice.

29.  La Cour rappelle Ă©galement que c’est d’abord aux autoritĂ©s nationales, et tout spĂ©cialement, aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interprĂ©ter le droit interne, et qu’il ne lui appartient pas de substituer sa propre interprĂ©tation du droit Ă  la leur en l’absence d’arbitraire. C’est particuliĂšrement vrai s’agissant de l’interprĂ©tation par les tribunaux des rĂšgles de nature procĂ©durale telles que les dĂ©lais rĂ©gissant l’introduction de recours. C’est en principe aux juridictions internes de veiller Ă  l’observation des rĂšgles de dĂ©lai dans le dĂ©roulement de leurs propres procĂ©dures (Tejedor GarcĂ­a c. Espagne, 16 dĂ©cembre 1997, § 31, Recueil 1997-VIII).

30.  Il n’en demeure pas moins que les requĂ©rants, qui avaient saisi les juridictions administratives de bonne foi et dans un cadre lĂ©gal pouvant donner lieu Ă  une pluralitĂ© d’interprĂ©tations, ont Ă©tĂ© privĂ©s de la possibilitĂ© de rĂ©introduire leurs recours devant la juridiction finalement considĂ©rĂ©e comme compĂ©tente, Ă  savoir le juge du travail (voir Ă©galement, dans le cadre de l’examen du grief tirĂ© de l’article 1 du Protocole no 1, les paragraphes 54-56 ci-aprĂšs).

31.  Leur droit d’accĂšs Ă  un tribunal s’en est trouvĂ© atteint dans sa substance. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

32.  Les requĂ©rants se plaignent d’avoir Ă©tĂ© privĂ©s de leur droit Ă  pension pour la pĂ©riode travaillĂ©e en qualitĂ© de vacataires, leur recours administratif ayant Ă©chouĂ© sur les conditions de recevabilitĂ© imposĂ©es.

Ils invoquent l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellĂ© :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut ĂȘtre privĂ© de sa propriĂ©tĂ© que pour cause d’utilitĂ© publique et dans les conditions prĂ©vues par la loi et les principes gĂ©nĂ©raux du droit international.

Les dispositions prĂ©cĂ©dentes ne portent pas atteinte au droit que possĂšdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nĂ©cessaires pour rĂ©glementer l’usage des biens conformĂ©ment Ă  l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ou pour assurer le paiement des impĂŽts ou d’autres contributions ou des amendes. Â»

33.  Le Gouvernement conteste la thĂšse des requĂ©rants.

34.  La Cour relĂšve que ce grief est liĂ© Ă  celui examinĂ© ci-dessus et doit donc aussi ĂȘtre dĂ©clarĂ© recevable.

A.  Arguments des parties

1.  Le Gouvernement

35.  Le Gouvernement fait observer que la situation des mĂ©decins vacataires avait Ă©tĂ© marquĂ©e par des problĂšmes juridiques. En effet, certaines universitĂ©s publiques utilisaient lesdits mĂ©decins en dehors du cadre d’une relation d’« emploi Â», pour faire face Ă  des nĂ©cessitĂ©s dans des situations oĂč il Ă©tait impossible d’attendre l’issue d’un concours de recrutement. En novembre 1997, l’universitĂ© de Naples avait offert aux mĂ©decins vacataires un contrat de travail pour une durĂ©e de trois ans. Cette offre fut refusĂ©e par une partie de ses destinataires, qui ne voulaient pas renoncer Ă  la possibilitĂ© de collaborer avec d’autres entitĂ©s.

36.  A la lumiĂšre de ce qui prĂ©cĂšde, le Gouvernement estime qu’en ce qui concerne la prise en compte, pour le calcul de la retraite, de la pĂ©riode travaillĂ©e Ă  la vacation, les requĂ©rants n’étaient pas titulaires d’un « bien Â» au sens de l’article 1 du Protocole no 1, mais d’une simple « espĂ©rance protĂ©gĂ©e par la possibilitĂ© d’obtenir la vĂ©rification judiciaire de leur droit Â» supposĂ©, possibilitĂ© Ă  exercer jusqu’au 15 septembre 2000. Aucune charge excessive et exorbitante ne leur a donc selon lui Ă©tĂ© imposĂ©e, et la limitation qu’ils ont soufferte correspondait Ă  un intĂ©rĂȘt collectif.

2.  Les requĂ©rants

37.  Les requĂ©rants contestent l’interprĂ©tation donnĂ©e par le Conseil d’État de l’article 69 § 7 du texte unifiĂ© sur l’emploi public et allĂšguent que, selon la Cour constitutionnelle, le droit Ă  pension n’est sujet Ă  aucune prescription. Il serait donc contraire Ă  la Constitution d’imposer un dĂ©lai de forclusion de trois ans (infĂ©rieur au dĂ©lai normal de cinq ans) pour en rĂ©clamer la juste mise en Ɠuvre. Ce dĂ©lai de forclusion aurait en l’espĂšce fonctionnĂ© comme un dĂ©lai de prescription : les juridictions civiles ne peuvent plus se prononcer sur la demande des requĂ©rants pour des raisons de tardivitĂ©, tandis que les juridictions administratives ne sont plus compĂ©tentes pour en connaĂźtre.

38.  Les requĂ©rants rappellent qu’une crĂ©ance relative Ă  un droit Ă  pension peut constituer un « bien Â» au sens de l’article 1 du Protocole no 1 si elle est suffisamment Ă©tablie pour ĂȘtre exigible (Pravednaya c. Russie, no 69529/01, § 38, 18 novembre 2004). En l’espĂšce, l’obligation de versement par leur employeur des cotisations pour leur retraite avait une base suffisante en droit interne et Ă©tait confirmĂ©e par une jurisprudence bien Ă©tablie. La dĂ©cision du Conseil d’État aurait donc portĂ© atteinte Ă  leurs biens en rĂ©duisant leur droit de crĂ©ance Ă  nĂ©ant.

39.  De plus, l’État n’aurait pas respectĂ© le juste Ă©quilibre devant rĂ©gner entre les exigences de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et la protection des droits fondamentaux des requĂ©rants car l’interprĂ©tation du Conseil d’État a privĂ© une catĂ©gorie entiĂšre d’individus de leur droit Ă  pension pour la pĂ©riode de travail rĂ©munĂ©rĂ©e Ă  la vacation, les obligeant par-lĂ  Ă  supporter une charge excessive et exorbitante.

B.  ApprĂ©ciation de la Cour

1.  Sur la question de savoir si les requĂ©rants Ă©taient titulaires d’un « bien Â»

a)  Principes gĂ©nĂ©raux

40.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requĂ©rant ne peut allĂ©guer une violation de l’article 1 du Protocole no 1 que dans la mesure oĂč les dĂ©cisions qu’il incrimine se rapportent Ă  ses « biens Â» au sens de cette disposition. La notion de « biens Â» peut recouvrir tant des « biens actuels Â» que des valeurs patrimoniales, y compris, dans certaines situations bien dĂ©finies, des crĂ©ances. Pour qu’une crĂ©ance puisse ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une « valeur patrimoniale Â» tombant sous le coup de l’article 1 du Protocole no 1, il faut que le titulaire de la crĂ©ance dĂ©montre que celle-ci a une base suffisante en droit interne, par exemple qu’elle est confirmĂ©e par une jurisprudence bien Ă©tablie des tribunaux. DĂšs lors que cela est acquis, peut entrer en jeu la notion d’« espĂ©rance lĂ©gitime Â» (Maurice c. France [GC], no 11810/03, § 63, CEDH 2005‑IX).

41.  L’article 1 du Protocole no 1 ne garantit pas un droit Ă  acquĂ©rir des biens (Van der Mussele c. Belgique, 23 novembre 1983, § 48, sĂ©rie A no 70 ; Slivenko c. Lettonie (dĂ©c.) [GC], no 48321/99, § 121, CEDH 2002‑II ; et KopeckĂœ c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 35 b), CEDH 2004‑IX). De plus, il ne saurait s’interprĂ©ter comme ouvrant aux personnes qui ont cotisĂ© Ă  un rĂ©gime de sĂ©curitĂ© sociale le droit Ă  une pension d’un montant dĂ©terminĂ© (voir, par exemple, Domalewski c. Pologne (dĂ©c.), no 34610/97, CEDH 1999-V ; Janković c. Croatie (dĂ©c.), no 43440/98, CEDH 2000-X ; et Kjartan Ásmundsson c. Islande, no 60669/00, § 39, CEDH 2004-IX). Cependant, une crĂ©ance concernant une pension peut constituer un « bien Â» au sens de l’article 1 du Protocole no 1 lorsqu’elle a une base suffisante en droit national, par exemple lorsqu’elle est confirmĂ©e par un jugement dĂ©finitif (Pravednaya, prĂ©citĂ©, §§ 37-39 ; Maggio et autres c. Italie, nos 46286/09, 52851/08, 53727/08, 54486/08 et 56001/08, § 55, 31 mai 2011 ; et Varesi et autres c. Italie (dĂ©c.), no 49407/08, § 35, 12 mars 2013).

b)  Application de ces principes au cas d’espĂšce

42.  La Cour relĂšve que, ayant travaillĂ© pour l’universitĂ© de Naples sur la base de contrats Ă  durĂ©e dĂ©terminĂ©e ayant pour objet l’exercice d’une activitĂ© professionnelle rĂ©munĂ©rĂ©e Ă  la vacation (paragraphe 6 ci-dessus), les requĂ©rants n’avaient normalement pas droit au versement des contributions pour la sĂ©curitĂ© sociale et la retraite. Cependant, plusieurs autres mĂ©decins se trouvant dans une situation analogue Ă  la leur avaient obtenu des juridictions administratives la reconnaissance de l’existence entre eux et l’universitĂ© d’un rapport de travail Ă  durĂ©e indĂ©terminĂ©e, avec pour consĂ©quence le droit pour eux au versement des cotisations pour leur retraite. L’universitĂ© de Naples s’était pliĂ©e Ă  ces dĂ©cisions de justice (paragraphe 7 ci-dessus).

43.  Dans l’affaire des requĂ©rants, cette jurisprudence a dans un premier temps Ă©tĂ© confirmĂ©e par le TAR, qui a rĂ©affirmĂ© que le rapport qui liait l’universitĂ© aux mĂ©decins travaillant en tant que vacataires Ă©tait un rapport d’emploi public donnant droit au versement des contributions sociales de la part de l’employeur (paragraphes 9 et 13 ci-dessus). Les sections rĂ©unies du Conseil d’État lui-mĂȘme ont aussi souscrit Ă  cette thĂšse au sujet d’un mĂ©decin vacataire qui avait introduit son recours avant le 15 septembre 2000 (paragraphe 19 ci-dessus)

44.  Dans ces circonstances, la Cour estime que la crĂ©ance des requĂ©rants concernant leurs droits Ă  pension avait une base suffisante en droit interne, en ce qu’elle Ă©tait confirmĂ©e par une jurisprudence bien Ă©tablie des tribunaux. DĂšs lors, ils avaient une espĂ©rance lĂ©gitime de se voir reconnaĂźtre, Ă  l’instar de leurs collĂšgues, le droit au versement, par l’universitĂ© de Naples, des cotisations de retraite. Ils pouvaient donc passer pour titulaires d’un « bien Â» au sens de l’article 1 du Protocole no 1. Partant, cette disposition trouve Ă  s’appliquer en l’espĂšce.

2.  Sur l’existence d’une ingĂ©rence dans le droit des requĂ©rants au respect de leurs biens

45.  La Cour relĂšve qu’en annulant pour cause d’irrecevabilitĂ© de leur action le jugement du TAR favorable aux intĂ©ressĂ©s tout en sachant que le dĂ©lai pour rĂ©introduire une action aux mĂȘmes fins devant les juridictions civiles avait dĂ©sormais expirĂ©, le Conseil d’État les a de facto privĂ©s de toute possibilitĂ© de faire valoir leur droit au versement des cotisations de retraite relatives Ă  la pĂ©riode travaillĂ©e sous le statut de vacataire.

46.  Il y a donc eu une ingĂ©rence dans le droit des requĂ©rants au respect de leurs biens.

3.  Sur la justification de l’ingĂ©rence

a)  Principes gĂ©nĂ©raux

47.  L’article 1 du Protocole no 1 exige, avant tout et surtout, qu’une ingĂ©rence de l’autoritĂ© publique dans la jouissance du droit au respect de biens soit lĂ©gale. De plus, une telle ingĂ©rence n’est justifiĂ©e que si elle poursuit un intĂ©rĂȘt public (ou gĂ©nĂ©ral) lĂ©gitime. GrĂące Ă  une connaissance directe de leur sociĂ©tĂ© et de ses besoins, les autoritĂ©s nationales se trouvent en principe mieux placĂ©es que le juge international pour dĂ©terminer ce qui est « d’utilitĂ© publique Â». Dans le mĂ©canisme de protection crĂ©Ă© par la Convention, il leur appartient par consĂ©quent de se prononcer les premiĂšres sur l’existence d’un problĂšme d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. DĂšs lors, elles jouissent ici d’une certaine marge d’apprĂ©ciation, comme en d’autres domaines auxquels s’étendent les garanties de la Convention (Wieczorek c. Pologne, no 18176/05, § 59, 8 dĂ©cembre 2009).

48.  L’article 1 du Protocole no 1 exige Ă©galement, pour toute ingĂ©rence, un rapport raisonnable de proportionnalitĂ© entre les moyens employĂ©s et le but visĂ© (Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, §§ 81-94, CEDH 2005-VI). Ce juste Ă©quilibre est rompu si la personne concernĂ©e doit supporter une charge excessive et exorbitante (Sporrong et Lönnroth c. SuĂšde, 23 septembre 1982, §§ 69-74, sĂ©rie A no 52, et Maggio et autres, prĂ©citĂ©, § 57). A cet Ă©gard, il faut souligner que l’incertitude – lĂ©gislative, administrative, ou tenante aux pratiques des autoritĂ©s – est un facteur qu’il faut prendre en compte pour apprĂ©cier la conduite de l’État. En effet, lorsqu’une question d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral est en jeu, les pouvoirs publics sont tenus de rĂ©agir en temps utile, de façon correcte et avec la plus grande cohĂ©rence (Vasilescu c. Roumanie, 22 mai 1998, § 51, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1998‑III, et ArchidiocĂšse catholique d’Alba Iulia c. Roumanie, no 33003/03, § 90, 25 septembre 2012).

49.  Lorsque le montant d’une prestation sociale est rĂ©duit ou annulĂ©, il peut y avoir une ingĂ©rence dans le droit au respect des biens qui nĂ©cessite d’ĂȘtre justifiĂ©e (Kjartan Ásmundsson, prĂ©citĂ©, § 40 ; Rasmussen c. Pologne, no 38886/05, § 71, 28 avril 2009 ; Maggio et autres, prĂ©citĂ©, § 58 ; et Varesi et autres, dĂ©cision prĂ©citĂ©e, § 38).

b)  Application de ces principes au cas d’espĂšce

50.  En l’espĂšce, l’ingĂ©rence litigieuse avait une base lĂ©gale en droit interne, l’article 69 § 7 du texte unifiĂ© sur l’emploi public (paragraphe 10 ci-dessus). Cette disposition poursuivait un but d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, en l’occurrence celui d’une rĂ©partition cohĂ©rente et rationnelle de la compĂ©tence en matiĂšre de « rapport d’emploi public Â» entre les juridictions administratives et les juridictions judiciaires. En particulier, ces derniĂšres Ă©taient compĂ©tentes pour tout litige concernant les pĂ©riodes de travail postĂ©rieures au 30 juin 1998. Lorsque, comme en l’espĂšce, un litige concernait une pĂ©riode de travail antĂ©rieure Ă  cette date, l’affaire Ă©tait dĂ©volue au juge administratif, mais seulement Ă  la condition que le recours y relatif ait Ă©tĂ© introduit avant le 15 septembre 2000. Le non-respect de ce dĂ©lai Ă©tait sanctionnĂ© par l’irrecevabilitĂ© du recours.

51.  La Cour estime que la fixation de dĂ©lais de procĂ©dure a pour objet une bonne administration de la justice et est donc conforme Ă  l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Par ailleurs, les requĂ©rants avaient cessĂ© leur collaboration comme vacataires avec l’universitĂ© de Naples au plus tard en 1997, et les dispositions codifiĂ©es par le texte unifiĂ© sur l’emploi public Ă©taient entrĂ©es en vigueur entre 1993 et 1998 (paragraphe 10 ci-dessus). Le dĂ©lai pour saisir les juridictions administratives, fixĂ© au 15 septembre 2000, n’était donc pas excessivement court. Or, il n’est pas contestĂ© par les parties que les intĂ©ressĂ©s n’ont pas respectĂ© le dĂ©lai en question, et les requĂ©rants n’ont pas invoquĂ© l’existence d’obstacles qui les auraient empĂȘchĂ©s d’introduire leur recours devant le TAR en temps utile.

52.  Il n’en demeure pas moins que des incertitudes persistaient quant Ă  l’applicabilitĂ© du dĂ©lai litigieux Ă  l’affaire des requĂ©rants. En effet, le texte unifiĂ© sur l’emploi public contenait Ă©galement une autre disposition, l’article 63 § 4, qui, lu en conjonction avec l’article 3, attribuait Ă  la compĂ©tence exclusive du juge administratif les litiges relatifs aux rapports de travail des chercheurs universitaires. S’appuyant sur cette disposition, le TAR s’était estimĂ© compĂ©tent pour connaĂźtre de l’affaire des requĂ©rants, et ce indĂ©pendamment du respect du dĂ©lai prĂ©citĂ©. Le TAR avait en effet considĂ©rĂ© que les tĂąches assignĂ©es aux requĂ©rants Ă©taient comparables Ă  celles des chercheurs universitaires (paragraphes 11 et 12 ci-dessus).

53.  A la suite de l’appel de l’universitĂ© (paragraphe 14 ci-dessus), la sixiĂšme section du Conseil d’État s’est dessaisie en faveur des chambres rĂ©unies, au motif que l’affaire posait des questions d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral en matiĂšre de compĂ©tence des juridictions administratives (paragraphe 15 ci‑dessus). Par lĂ  mĂȘme, la sixiĂšme section a reconnu ĂȘtre en prĂ©sence d’un point de droit prĂ©sentant une certaine complexitĂ© et nĂ©cessitant des clarifications.

54.  Dans l’exercice de la mission d’interprĂ©ter et d’appliquer le droit interne qui est la leur, les chambres rĂ©unies du Conseil d’État ont estimĂ© que les requĂ©rants ne pouvaient pas ĂȘtre assimilĂ©s aux chercheurs universitaires et que le dĂ©lai expirant le 15 septembre 2000 trouvait Ă  s’appliquer Ă  leur recours (paragraphes 17 et 18 ci-dessus). La Cour ne saurait critiquer une telle interprĂ©tation, qui n’apparaĂźt ni manifestement illogique ni arbitraire.

55.  Il n’en demeure pas moins que les requĂ©rants avaient saisi les juridictions administratives en toute bonne foi et sur la base d’une interprĂ©tation plausible des rĂšgles sur la rĂ©partition des compĂ©tences. Par ailleurs, la jurisprudence interne leur garantissait une protection en cas de dĂ©claration d’irrecevabilitĂ© de leur recours, car il Ă©tait admis qu’un recours tardif devant le juge administratif pouvait ĂȘtre rĂ©introduit devant les juridictions judiciaires (paragraphe 17 ci-dessus). Il s’agissait d’une garantie importante, visant Ă  assurer une voie pour faire valoir ses droits patrimoniaux au justiciable qui, dans un cadre lĂ©gal pouvant donner lieu Ă  des interprĂ©tations divergentes, s’était adressĂ© Ă  une juridiction incompĂ©tente.

56.  Toutefois, cette garantie a Ă©tĂ© effacĂ©e par une jurisprudence postĂ©rieure, qui a Ă©tĂ© suivie par le Conseil d’État dans l’affaire des requĂ©rants. Selon cette nouvelle interprĂ©tation, le non-respect du dĂ©lai ouvert jusqu’au 15 septembre 2000 pour saisir les juridictions administratives entraĂźnait la perte dĂ©finitive du droit de faire valoir les prĂ©tentions contenues dans le recours, y compris devant les juridictions ordinaires (paragraphe 17 ci-dessus).

57.  En consĂ©quence de ce revirement de jurisprudence, les requĂ©rants ont Ă©tĂ© privĂ©s de toute possibilitĂ© d’obtenir une dĂ©cision de justice reconnaissant leur droit au versement des contributions sociales – et donc leurs droits corrĂ©latifs en termes de pension de retraite – pour la pĂ©riode travaillĂ©e par eux en tant que vacataires pour l’universitĂ© de Naples.

4.  Conclusion

58.  Compte tenu des incertitudes pouvant subsister quant Ă  l’interprĂ©tation des dispositions pertinentes du texte unifiĂ© sur l’emploi public, la Cour considĂšre que l’État n’a pas mĂ©nagĂ© un juste Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts publics et privĂ©s en jeu, et que la dĂ©cision du Conseil d’État a vidĂ© de toute substance l’espĂ©rance lĂ©gitime des requĂ©rants de voir reconnaĂźtre leurs droits Ă  pension. Les intĂ©ressĂ©s ont donc dĂ» supporter une charge excessive et exorbitante, ce qui a emportĂ© violation de l’article 1 du Protocole no 1.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION, COMBINÉ AVEC LES ARTICLES 6 § 1 DE LA CONVENTION ET 1 DU PROTOCOLE No 1

59. Les requĂ©rants se plaignent de la diffĂ©rence de traitement qu’ils ont subie par rapport Ă  d’autres mĂ©decins vacataires de l’universitĂ© de Naples qui, eux, ont obtenu la reconnaissance de leur droit au versement des cotisations pour la retraite.

Ils invoquent l’article 14 de la Convention, lu en conjonction avec les articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1.

L’article 14 se lit comme suit :

« La jouissance des droits et libertĂ©s reconnus dans la (...) Convention doit ĂȘtre assurĂ©e, sans distinction aucune, fondĂ©e notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance Ă  une minoritĂ© nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. Â»

60.  Le Gouvernement combat la thĂšse des requĂ©rants.

61.  La Cour relĂšve que ce grief est liĂ© Ă  ceux examinĂ©s ci-dessus et doit donc aussi ĂȘtre dĂ©clarĂ© recevable.

A.  Arguments des parties

1.  Le Gouvernement

62.  Le Gouvernement considĂšre que les requĂ©rants n’ont subi aucune discrimination vis-Ă -vis de ceux de leurs collĂšgues qui ont introduit une action en justice en temps utile et obtenu gain de cause.

2.  Les requĂ©rants

63.  Les requĂ©rants observent que d’autres personnes se trouvant dans une situation similaire Ă  la leur ont pu bĂ©nĂ©ficier de leurs droits Ă  pension pour la pĂ©riode travaillĂ©e Ă  la vacation. Cette diffĂ©rence de traitement est basĂ©e sur un dĂ©lai de forclusion dont l’institution Ă©tait selon eux contraire Ă  la Constitution et Ă  la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. A leurs yeux ce dĂ©lai n’était ni raisonnable ni objectivement justifiĂ©, car il portait atteinte Ă  un droit imprescriptible.

B.  ApprĂ©ciation de la Cour

64.  Eu Ă©gard aux conclusions auxquelles elle est parvenue sous l’angle des articles 1 du Protocole no 1 et 6 § 1 de la Convention (paragraphes 31 et 58 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu, en l’espĂšce, violation de l’article 14 de la Convention, combinĂ© avec les deux dispositions prĂ©citĂ©es.

IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

65.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour dĂ©clare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les consĂ©quences de cette violation, la Cour accorde Ă  la partie lĂ©sĂ©e, s’il y a lieu, une satisfaction Ă©quitable. Â»

66.  Les requĂ©rants rĂ©clament 253 500 EUR chacun (soit une somme totale de 2 788 500 EUR pour l’ensemble des requĂȘtes) au titre du prĂ©judice matĂ©riel qu’ils auraient subi. Ce montant est calculĂ© sur la base de la feuille de paie du personnel de l’administration publique de rang comparable Ă  celui des requĂ©rants. Ils se rĂ©servent de prĂ©ciser leurs prĂ©tentions sur la base d’un rapport d’expertise comptable. A titre subsidiaire, ils demandent Ă  la Cour de nommer d’office un expert.

67.  Les requĂ©rants considĂšrent en outre avoir subi un prĂ©judice moral et demandent 10 000 EUR chacun (soit une somme totale de 110 000 EUR pour l’ensemble des requĂȘtes) Ă  ce titre.

68.  Les requĂ©rants sollicitent enfin le remboursement des frais et dĂ©pens engagĂ©s tant devant les juridictions internes que devant la Cour. Ils demandent Ă  la Cour d’en fixer le montant en Ă©quitĂ©.

69.  Le Gouvernement estime qu’il serait erronĂ© de se fonder, comme le font les requĂ©rants, sur la feuille de paie du personnel de l’administration publique, car le seul bĂ©nĂ©fice auquel pouvaient prĂ©tendre les mĂ©decins vacataires se limitait Ă  la prise en compte de la pĂ©riode travaillĂ©e en cette qualitĂ© dans le calcul de leurs droits Ă  pension pour la retraite.

70.  La Cour estime que la question de l’application de l’article 41 ne se trouve pas en Ă©tat. En consĂ©quence, elle la rĂ©serve et fixera la procĂ©dure ultĂ©rieure, compte tenu de la possibilitĂ© que le Gouvernement et les requĂ©rants parviennent Ă  un accord.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  DĂ©clare la requĂȘte recevable ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;

4.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tirĂ© de l’article 14 de la Convention, combinĂ© avec les articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 ;

5.  Dit que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en Ă©tat ;

en conséquence,

a)  la rĂ©serve en entier ;

b)  invite le Gouvernement et les requĂ©rants Ă  lui adresser par Ă©crit, dans le dĂ©lai de trois mois Ă  compter du jour oĂč l’arrĂȘt sera devenu dĂ©finitif conformĂ©ment Ă  l’article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur cette question et notamment Ă  lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;

c)  rĂ©serve la procĂ©dure ultĂ©rieure et dĂ©lĂšgue Ă  la prĂ©sidente de la chambre le soin de la fixer au besoin.

Fait en français, puis communiquĂ© par Ă©crit le 4 fĂ©vrier 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du rĂšglement.

  Stanley Naismith        Işıl Karakaş
            Greffier           Présidente

 

 

 

 

ANNEXE

  1. Stefania STAIBANO est une ressortissante italienne née en 1958, résidant à Naples
  2. Caterina ANDRIANOU est une ressortissante italienne née en 1952, résidant à Naples
  3. Tullio CAFIERO est un ressortissant italien né en 1951, résidant à Naples
  4. Clelia CASA est une ressortissante italienne née en 1956, résidant à Naples
  5. Enzo D’ALESSIO est un ressortissant italien nĂ© en 1952, rĂ©sidant Ă  Naples
  6. Carmela ESPOSITO est une ressortissante italienne nĂ©e en 1954, rĂ©sidant Ă  Sant’Anastasia (Naples)
  7. Rosa IMPERATORE est un ressortissant italien né en 1955, résidant à Naples
  8. Salvatore MAROTTA est un ressortissant italien né en 1955, résidant à Naples
  9. Daniela PALMIERI est une ressortissante italienne née en 1955, résidant à Naples
  10. Federico TONI est un ressortissant italien né en 1957, résidant à Naples
  11. Maria Erennia VITULLO est une ressortissante italienne née en 1956, résidant à Naples