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Corte europea dei diritti dell’uomo

 

(Grande Camera)

 

3 novembre 2011

 

 

 

AFFAIRE S.H. ET AUTRES c. AUTRICHE

 

(RequĂȘte n. 57813/00)

 

 

 

 

Cet arrĂȘt est dĂ©finitif. Il peut subir des retouches de forme.

 

En l’affaire S.H. et autres c. Autriche,

La Cour europĂ©enne des droits de l’homme, siĂ©geant en une Grande Chambre composĂ©e de :

 Jean-Paul Costa, président,

 Nicolas Bratza,

 Françoise Tulkens,

 Josep Casadevall,

 Elisabeth Steiner,

 Elisabet Fura,

 Danutė Jočienė,

 Jån Ơikuta,

 Dragoljub Popović,

 Ineta Ziemele,

 PÀivi HirvelÀ,

 Mirjana Lazarova Trajkovska,

 Ledi Bianku,

 Nona Tsotsoria,

 Işıl Karakaş,

 Guido Raimondi,

 Vincent A. de Gaetano, juges,

et de Michael O’Boyle, greffier adjoint,

AprĂšs en avoir dĂ©libĂ©rĂ© en chambre du conseil le 23 fĂ©vrier et le 5 octobre 2011,

Rend l’arrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă  cette derniĂšre date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requĂȘte (no 57813/00) dirigĂ©e contre la RĂ©publique d’Autriche et dont quatre ressortissants de cet Etat, Mme S.H., M. D.H., Mme H.E.-G. et M. M.G. (« les requĂ©rants Â»), ont saisi la Cour le 8 mai 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention Â»). Le prĂ©sident de la Grande Chambre a accĂ©dĂ© Ă  la demande de non-divulgation de leur identitĂ© formulĂ©e par les intĂ©ressĂ©s (article 47 § 3 du rĂšglement de la Cour – « le rĂšglement Â»).

2.  Devant la Cour, les requĂ©rants ont Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ©s par Mes H.F. Kinz et W.L. Weh, avocats Ă  Bregenz. Le gouvernement autrichien (« le Gouvernement Â») a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par son agent, M. H. Tichy, ambassadeur, chef du dĂ©partement de droit international au ministĂšre fĂ©dĂ©ral des Affaires europĂ©ennes et internationales.

3.  Dans leur requĂȘte, les intĂ©ressĂ©s allĂ©guaient en particulier que les dispositions de la loi autrichienne sur la procrĂ©ation artificielle prohibant la fĂ©condation in vitro avec don de gamĂštes, seule technique mĂ©dicale qui leur aurait permis, selon eux, de concevoir un enfant, emportaient violation de leurs droits au titre de l’article 8 de la Convention pris isolĂ©ment et combinĂ© avec l’article 14.

4.  La requĂȘte a Ă©tĂ© attribuĂ©e Ă  la premiĂšre section de la Cour (article 52 Â§ 1 du rĂšglement). Le 15 novembre 2007, elle a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©e en partie recevable par une chambre de ladite section composĂ©e de Christos Rozakis, Loukis Loucaides, Nina Vajić, Anatoly Kovler, Elisabeth Steiner, Khanlar Hajiyev et Giorgio Malinverni, juges, ainsi que de SĂžren Nielsen, greffier de section. Le 11 mars 2010, aprĂšs une audience sur le fond (article 54 § 3 du rĂšglement), une chambre de la mĂȘme section composĂ©e de Christos Rozakis, Nina Vajić, Anatoly Kovler, Elisabeth Steiner, Khanlar Hajiyev, Sverre Erik Jebens et Giorgio Malinverni, juges, ainsi que de AndrĂ© Wampach, greffier adjoint de section, a rendu un arrĂȘt dans lequel elle concluait, par six voix contre une, Ă  la violation de l’article 14 de la Convention combinĂ© avec l’article 8 dans le chef des premier et deuxiĂšme requĂ©rants, par cinq voix contre deux, Ă  la violation de ces dispositions dans le chef des troisiĂšme et quatriĂšme requĂ©rants et, Ă  l’unanimitĂ©, qu’il ne s’imposait pas d’examiner aussi l’affaire sous l’angle de l’article 8 pris isolĂ©ment.

5.  Le 4 octobre 2010, faisant droit Ă  une demande formulĂ©e par le Gouvernement le 1er juillet 2010, le collĂšge de la Grande Chambre a dĂ©cidĂ© de renvoyer l’affaire devant celle-ci en application de l’article 43 de la Convention.

6.  La composition de la Grande Chambre a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e conformĂ©ment aux dispositions des articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du rĂšglement.

7.  Tant les requĂ©rants que le Gouvernement ont dĂ©posĂ© des observations Ă©crites (article 59 § 1 du rĂšglement). En outre, des observations ont Ă©tĂ© reçues des gouvernements allemand et italien, ainsi que des organisations non gouvernementales Hera ONLUS, European Centre for Law and Justice et Aktion Leben, que le prĂ©sident avaient autorisĂ©s Ă  intervenir dans la procĂ©dure Ă©crite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 Â§ 2 du rĂšglement).

8.  Une audience s’est dĂ©roulĂ©e en public au Palais des droits de l’homme, Ă  Strasbourg, le 23 fĂ©vrier 2011 (article 59 § 3 du rĂšglement).

Ont comparu :

–  pour le Gouvernement

Mme B. Ohms, agente adjointe,

MM.  M. Stormann,

G. Doujak, conseillers;

–  pour les requĂ©rants

Mes H. Kinz,

 W.L. Weh conseils,

MM. S. Harg,

C. Eberle conseillers.

La Cour a entendu en leurs déclarations Me Weh, Me Kinz et Mme Ohms.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9.  Les requĂ©rants sont nĂ©s en 1966, 1962, 1971 et 1971 respectivement et rĂ©sident Ă  L. et Ă  R.

10.  La premiĂšre requĂ©rante est mariĂ©e au deuxiĂšme requĂ©rant, et la troisiĂšme requĂ©rante au quatriĂšme requĂ©rant.

11.  La premiĂšre requĂ©rante souffre de stĂ©rilitĂ© tubaire (eileiter­bedingter SterilitĂ€t). Elle produit des ovules, mais l’obturation de ses trompes de Fallope bloque leur passage vers l’utĂ©rus et rend la fĂ©condation naturelle impossible. Son mari, le deuxiĂšme requĂ©rant, est stĂ©rile.

12.  La troisiĂšme requĂ©rante est atteinte de dysgĂ©nĂ©sie gonadique (Gonaden­dysgenesie), pathologie qui empĂȘche l’ovulation. Bien que son utĂ©rus soit parfaitement constituĂ©, elle est totalement stĂ©rile. Son mari, M. G., le quatriĂšme requĂ©rant, est apte Ă  procrĂ©er, contrairement au second requĂ©rant.

13.  Le 4 mai 1998, les premiĂšre et troisiĂšme requĂ©rantes introduisirent devant la Cour constitutionnelle (Verfassungs­gerichtshof) une demande (Individual­antrag) invitant celle-ci Ă  contrĂŽler la constitutionnalitĂ© de l’article 3 §§ 1 et 2 de la loi sur la procrĂ©ation artificielle (Fortpflanzungs­medizingesetz – paragraphes 27-34 ci-dessous).

14.  Dans leur demande, les intĂ©ressĂ©es allĂ©guaient ĂȘtre directement touchĂ©es par les dispositions en question. Soulignant qu’elle ne pouvait pas concevoir de maniĂšre naturelle, la premiĂšre requĂ©rante soutenait que la fĂ©condation in vitro avec don de sperme Ă©tait la seule possibilitĂ© d’avoir un enfant qui s’offrait Ă  elle et Ă  son mari, mais que l’utilisation de cette technique Ă©tait prohibĂ©e par l’article 3 §§ 1 et 2 de la loi sur la procrĂ©ation artificielle. Pour sa part, la troisiĂšme requĂ©rante prĂ©cisait qu’elle Ă©tait stĂ©rile et que la dysgĂ©nĂ©sie gonadique dont elle Ă©tait atteinte empĂȘchait toute ovulation, raison pour laquelle le seul moyen pour elle d’avoir un enfant Ă©tait d’avoir recours Ă  une technique mĂ©dicale de procrĂ©ation artificielle, Ă  savoir un transfert d’embryon avec don d’ovocytes, qui lui aurait permis de se faire implanter dans l’utĂ©rus un embryon conçu avec un ovule d’une autre femme fĂ©condĂ© par le sperme du quatriĂšme requĂ©rant, technique qui Ă©tait toutefois interdite par la loi sur la procrĂ©ation artificielle.

15.  Les deux requĂ©rantes arguaient que l’impossibilitĂ© de recourir aux techniques mĂ©dicales en question emportait violation de leurs droits au titre de l’article 8 de la Convention. Elles invoquaient en outre l’article 12 de cet instrument et l’article 7 de la Constitution fĂ©dĂ©rale, qui garantit l’égalitĂ© de traitement.

16.  Le 4 octobre 1999, la Cour constitutionnelle tint une audience publique. La premiĂšre requĂ©rante y comparut, assistĂ©e d’un avocat.

17.  Le 14 octobre 1999, la Cour constitutionnelle statua sur le recours introduit par les premiĂšre et troisiĂšme requĂ©rantes, qu’elle dĂ©clara partiellement recevable dans la mesure oĂč la loi s’appliquait Ă  leur situation individuelle. A cet Ă©gard, elle jugea que les dispositions de l’article 3 de la loi sur la procrĂ©ation artificielle interdisant le recours Ă  certaines techniques utilisĂ©es par la mĂ©decine reproductive s’appliquaient directement aux intĂ©ressĂ©es, nonobstant l’absence de toute dĂ©cision judiciaire ou administrative les concernant.

18.  Quant au fond du recours formĂ© par les intĂ©ressĂ©es, la Cour constitutionnelle conclut Ă  l’applicabilitĂ© de l’article 8 de la Convention. Relevant que la Cour europĂ©enne des droits de l’homme ne s’était pas prononcĂ©e en la matiĂšre, elle considĂ©ra cependant que la dĂ©cision d’un couple mariĂ© ou vivant maritalement de concevoir un enfant et d’avoir recours Ă  cette fin Ă  l’assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation relevait manifestement du champ d’application de cette disposition.

19.  Elle jugea que les dispositions critiquĂ©es de la loi sur la procrĂ©ation artificielle portaient atteinte Ă  la libertĂ© des requĂ©rantes en ce qu’elles limitaient le nombre des techniques mĂ©dicales autorisĂ©es dans ce domaine. Se penchant sur la question de la justification de cette atteinte, elle releva que le lĂ©gislateur avait tentĂ© de concilier des intĂ©rĂȘts concurrents se rapportant Ă  la dignitĂ© humaine, au droit Ă  la procrĂ©ation et au bien-ĂȘtre de l’enfant. Elle souligna que cette dĂ©marche avait conduit le lĂ©gislateur Ă  se donner pour principe de n’autoriser que les techniques homologues – notamment l’emploi, au profit de personnes mariĂ©es ou vivant maritalement, de gamĂštes issus de l’un d’entre eux – n’exigeant pas d’intervention complexe et demeurant proches de la conception naturelle. Elle prĂ©cisa que l’objectif du lĂ©gislateur consistait Ă  Ă©viter la crĂ©ation de liens familiaux atypiques, comme dans le cas d’un enfant ayant deux mĂšres biologiques (une mĂšre gĂ©nĂ©tique et une mĂšre utĂ©rine) et Ă  empĂȘcher l’exploitation des femmes.

20.  Elle releva Ă©galement que, contrairement Ă  la conception naturelle, la procrĂ©ation par fĂ©condation in vitro soulevait de graves questions concernant le bien-ĂȘtre des enfants ainsi conçus, leur santĂ© et leurs droits, qu’elle avait des rĂ©percussions sur les valeurs Ă©thiques et morales de la sociĂ©tĂ©, et qu’elle risquait de donner lieu Ă  des pratiques commerciales et eugĂ©niques (Zuchtauswahl).

21.  Toutefois, s’appuyant sur le principe de proportionnalitĂ© dĂ©coulant de l’article 8 § 2 de la Convention, elle estima que ces considĂ©rations ne pouvaient justifier une interdiction totale de l’ensemble des techniques d’assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation, leurs rĂ©percussions sur l’intĂ©rĂȘt public tenant essentiellement, selon elle, Ă  la question de savoir si on avait recours Ă  des techniques homologues (utilisation de gamĂštes issus du couple) ou Ă  des techniques hĂ©tĂ©rologues (utilisation de gamĂštes de tiers).

22.  La Cour constitutionnelle jugea que le lĂ©gislateur n’avait pas dĂ©passĂ© la marge d’apprĂ©ciation reconnue aux Etats en autorisant par principe le recours aux techniques homologues et Ă  titre exceptionnel l’insĂ©mination avec don de sperme. Elle releva que les choix opĂ©rĂ©s par le lĂ©gislateur reflĂ©taient l’état de la science mĂ©dicale de l’époque et le consensus existant dans la sociĂ©tĂ©, tout en prĂ©cisant que ceux-ci n’étaient pas figĂ©s et qu’ils pouvaient connaĂźtre des Ă©volutions dont le lĂ©gislateur devrait tenir compte.

23.  Elle considĂ©ra que le lĂ©gislateur n’avait pas nĂ©gligĂ© les intĂ©rĂȘts des hommes et des femmes contraints d’avoir recours Ă  l’assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation puisque, outre les techniques strictement homologues, il avait autorisĂ© un procĂ©dĂ© connu et utilisĂ© depuis longtemps, l’insĂ©mination avec don de sperme, qui ne risquait pas de donner lieu Ă  des rapports familiaux atypiques. Elle ajouta que ces techniques n’étaient pas rĂ©servĂ©es aux couples mariĂ©s, mais qu’elles Ă©taient Ă©galement accessibles aux personnes vivant maritalement. En revanche, elle jugea que, dans les cas oĂč les techniques de procrĂ©ation homologues Ă©taient inopĂ©rantes, les intĂ©rĂȘts des individus concernĂ©s devaient cĂ©der le pas devant ceux de la sociĂ©tĂ©.

24.  Elle estima en outre que l’interdiction des procĂ©dĂ©s de procrĂ©ation artificielle hĂ©tĂ©rologues au profit des seules techniques homologues n’était pas contraire au principe constitutionnel d’égalitĂ©, qui interdisait la discrimination. ConsidĂ©rant que les mĂ©thodes homologues n’encouraient pas les mĂȘmes objections que les techniques hĂ©tĂ©rologues, elle jugea que le lĂ©gislateur n’était pas tenu de les soumettre Ă  un rĂ©gime strictement identique et que la distinction opĂ©rĂ©e par lui se justifiait. Elle ajouta que le fait que l’insĂ©mination in vivo avec don de sperme Ă©tait permise alors que le don d’ovules Ă©tait interdit ne s’analysait pas en une discrimination, le don de sperme n’étant pas considĂ©rĂ© comme susceptible de crĂ©er des liens atypiques potentiellement prĂ©judiciables au bien-ĂȘtre des enfants Ă  naĂźtre.

25.  Ayant conclu que les dispositions critiquĂ©es de la loi sur la procrĂ©ation artificielle Ă©taient conformes Ă  l’article 8 de la Convention et au principe d’égalitĂ© consacrĂ© par la Constitution fĂ©dĂ©rale, la Cour constitutionnelle dit qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 12 de la Convention.

26.  L’arrĂȘt de la Cour constitutionnelle fut notifiĂ© Ă  l’avocat des intĂ©ressĂ©es le 8 novembre 1999.

II.  TEXTES juridiques PERTINENTS

A.  Le droit interne : la loi sur la procrĂ©ation artificielle

27.  La loi sur la procrĂ©ation artificielle (Fortpflanzungs­medizingesetz, Journal officiel fĂ©dĂ©ral no 275/1992) rĂ©glemente l’utilisation des techniques mĂ©dicales permettant la procrĂ©ation sans qu’il y ait relation sexuelle (article 1 § 1).

28.  Les techniques en question comprennent i) l’introduction de spermatozoĂŻdes dans l’utĂ©rus de la femme, ii) la fĂ©condation ex utero d’un ovule par des spermatozoĂŻdes, iii) l’introduction de cellules viables dans l’utĂ©rus ou dans la trompe utĂ©rine d’une femme, et iv) l’introduction d’ovocytes ou d’ovocytes et de spermatozoĂŻdes dans l’utĂ©rus ou la trompe utĂ©rine d’une femme (article 1 § 2).

29.  Le recours Ă  l’assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation n’est ouvert qu’aux couples mariĂ©s ou vivant martialement, et seulement dans le cas oĂč tous les autres traitements possibles et raisonnables visant Ă  provoquer une grossesse naturelle ont Ă©chouĂ© ou n’ont aucune chance raisonnable d’aboutir (article 2).

30.  En vertu de l’article 3 § 1, seuls les gamĂštes de personnes mariĂ©es ou vivant maritalement (LebensgefĂ€hrten) peuvent ĂȘtre utilisĂ©s Ă  leur profit dans le cadre d’une procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e. A titre exceptionnel, c’est-Ă -dire lorsque l’un des deux partenaires est stĂ©rile, le don de sperme peut ĂȘtre autorisĂ© en vue d’une insĂ©mination artificielle, technique consistant Ă  introduire des spermatozoĂŻdes dans l’utĂ©rus de la femme (article 3 § 2) et aussi connue sous le nom de fĂ©condation in vivo. Le don de sperme est interdit dans tous les autres cas, notamment Ă  des fins de fĂ©condation in vitro.

31.  L’article 3 § 3 dispose que les ovules ou les cellules viables d’une femme ne peuvent ĂȘtre utilisĂ©s qu’à son profit. Cette disposition a pour effet d’interdire le don d’ovules en toutes circonstances.

32.  Les autres dispositions de la loi sur la procrĂ©ation artificielle Ă©noncent notamment que l’assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation ne peut ĂȘtre pratiquĂ©e que par des mĂ©decins spĂ©cialisĂ©s, dans des hĂŽpitaux ou cliniques spĂ©cialement Ă©quipĂ©s (article 4) et avec le consentement exprĂšs et Ă©crit des couples mariĂ©s ou vivant maritalement qui s’y soumettent (article 8).

33.  En 1999, la loi sur la procrĂ©ation artificielle a Ă©tĂ© complĂ©tĂ©e par la loi fĂ©dĂ©rale portant crĂ©ation d’un fonds de financement des traitement de fĂ©condation in vitro (Bundesgesetz mit dem ein Fonds zur Finanzierung der In-vitro-Fertilisation eingerichtet wird – Journal officiel fĂ©dĂ©ral, partie I, no 180/1999) destinĂ© Ă  financer les traitements en question autorisĂ©s par la loi sur la procrĂ©ation artificielle.

34.  Ces questions de maternitĂ© et de paternitĂ© sont rĂ©gies par le code civil (Allgemeines BĂŒrgerliches Gesetzbuch). Introduit dans le code au moment de l’entrĂ©e en vigueur de la loi sur la procrĂ©ation artificielle, l’article 137 b) Ă©nonce que la mĂšre d’un enfant est la femme qui lui a donnĂ© naissance. L’article 163 dispose que le pĂšre de l’enfant est l’homme qui a eu des rapports sexuels avec la mĂšre au cours d’une pĂ©riode dĂ©terminĂ©e (entre le 180e et le 300e jour avant la naissance). Dans le cas oĂč la mĂšre a eu recours Ă  un traitement de procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e avec don de sperme, le pĂšre de l’enfant est l’homme qui a donnĂ© son consentement Ă  ce traitement, c’est-Ă -dire son Ă©poux ou son compagnon, le donneur ne pouvant en aucun cas ĂȘtre reconnu comme Ă©tant le pĂšre.

B.  La situation dans d’autres pays

35.  L’aperçu ci-aprĂšs du droit et de la pratique pertinents en matiĂšre de procrĂ©ation artificielle en Europe est principalement fondĂ© sur une Ă©tude intitulĂ©e « Assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation et protection de l’embryon humain – Ă©tude comparative sur la situation dans 39 pays Â» (Conseil de l’Europe, 1998) et sur les rĂ©ponses des Etats membres du Conseil de l’Europe au « Questionnaire sur l’accĂšs Ă  la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e Â» prĂ©parĂ© par le ComitĂ© directeur pour la bioĂ©thique (Conseil de l’Europe, 2005) ainsi sur une enquĂȘte menĂ©e en 2007 par la FĂ©dĂ©ration internationale des sociĂ©tĂ©s de fertilitĂ©.

36.  Il ressort des documents en question que, en 2007, la pratique de la fĂ©condation in vitro Ă©tait encadrĂ©e par des lois ou des rĂšglements dans les pays suivants : Allemagne, Autriche, AzerbaĂŻdjan, Bulgarie, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, GĂ©orgie, GrĂšce, Hongrie, Islande, Italie, Lettonie, NorvĂšge, Pays-Bas, Royaume-Uni, FĂ©dĂ©ration de Russie, SlovĂ©nie, SuĂšde, Suisse, Turquie et Ukraine. En Belgique, en Irlande, Ă  Malte, en Lituanie, en Pologne, en RĂ©publique tchĂšque, en Serbie et en Slovaquie, ce traitement Ă©tait rĂ©gi par la pratique clinique, par des circulaires professionnelles, par des dĂ©crets royaux ou administratifs ou par des principes constitutionnels gĂ©nĂ©raux.

37.  L’étude susmentionnĂ©e traite notamment de la maniĂšre dont la lĂ©gislation des pays concernĂ©s rĂ©glemente les sept techniques de procrĂ©ation artificielle que sont l’insĂ©mination artificielle intra-conjugale, la fĂ©condation in vitro intra-conjugale, l’insĂ©mination artificielle avec donneur, le don d’ovules, le don d’ovules et de sperme, le don d’embryons et l’injection intra-ovocytaire de spermatozoĂŻdes (technique de fĂ©condation in vitro par injection directe d’un spermatozoĂŻde dans un ovule).

38.  Il semble que le don de sperme soit actuellement prohibĂ© dans trois des pays qui se sont dotĂ©s d’une rĂ©glementation en matiĂšre de procrĂ©ation artificielle, Ă  savoir l’Italie, la Lituanie et la Turquie. Ces trois pays interdisent les mĂ©thodes hĂ©tĂ©rologues de procrĂ©ation assistĂ©e. En gĂ©nĂ©ral, la rĂ©glementation des pays oĂč le don de sperme est permis n’opĂšre pas de distinction selon qu’il est recueilli Ă  des fins d’insĂ©mination artificielle ou de fĂ©condation in vitro. Le don d’ovules est interdit en Allemagne, en Croatie, en NorvĂšge et en Suisse ainsi que dans les trois pays susmentionnĂ©s.

39.  Il apparaĂźt en outre que le don de gamĂštes est pratiquĂ© dans un certain nombre de pays oĂč il n’existait pas de rĂ©glementation en la matiĂšre en 2007, tels que Chypre, le Luxembourg, la Pologne, le Portugal et la Roumanie.

40.  Lorsque l’on compare l’étude menĂ©e par le Conseil de l’Europe en 1998 et celle rĂ©alisĂ©e par la FĂ©dĂ©ration internationale des sociĂ©tĂ©s de fertilitĂ© en 2007, l’on s’aperçoit que la lĂ©gislation Ă©volue rapidement dans le domaine de l’assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation. Auparavant interdit au Danemark, en France et en SuĂšde, le don de gamĂštes y est dĂ©sormais autorisĂ© en vertu des nouvelles dispositions que ces pays ont adoptĂ©es en 2006, 2004 et 2006 respectivement. En NorvĂšge, le don d’ovules demeure prohibĂ© mais le don de sperme en vue d’une fĂ©condation in vitro est permis depuis 2003. En Finlande, oĂč la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e est encadrĂ©e par la loi depuis 2007, le don de sperme et le don d’ovules sont autorisĂ©s.

C.  Les instruments pertinents du Conseil de l’Europe

41.  Le comitĂ© ad hoc d’experts sur les progrĂšs des sciences biomĂ©dicales constituĂ© au sein du Conseil de l’Europe (CAHBI), prĂ©dĂ©cesseur de l’actuel ComitĂ© directeur pour la bioĂ©thique, avait publiĂ© en 1989 une sĂ©rie de principes dont le onziĂšme comporte la disposition suivante :

« 1.  En principe, la fĂ©condation in vitro doit ĂȘtre effectuĂ©e avec les gamĂštes du couple. La mĂȘme rĂšgle s’appliquera Ă  toute autre mĂ©thode impliquant des ovules in vitro ou des embryons in vitro. Toutefois, dans des cas exceptionnels Ă  dĂ©finir par les Etats membres, l’utilisation des gamĂštes de donneurs peut ĂȘtre autorisĂ©e. Â»

42.  La Convention de 1997 sur les droits de l’homme et la biomĂ©decine n’aborde pas la question du don de gamĂštes, mais interdit l’utilisation des techniques de procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e Ă  des fins de sĂ©lection du sexe d’un enfant. Son article 14 se lit ainsi :

« L’utilisation des techniques d’assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation n’est pas admise pour choisir le sexe de l’enfant Ă  naĂźtre, sauf en vue d’éviter une maladie hĂ©rĂ©ditaire grave liĂ©e au sexe. Â»

43.  Le Protocole additionnel Ă  la Convention susmentionnĂ©e adoptĂ© en 2002, qui porte sur la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine et vise Ă  promouvoir le don d’organes, exclut expressĂ©ment de son champ d’application les organes et tissus reproductifs.

D.  Les instruments pertinents de l’Union europĂ©enne

44.  Les passages pertinents du prĂ©ambule de la directive 2004/23/CE du Parlement et du Conseil du 31 mars 2004 relative Ă  l’établissement de normes de qualitĂ© et de sĂ©curitĂ© pour le don, l’obtention, le contrĂŽle, la transformation, la conservation, le stockage et la distribution des tissus et cellules humains, instrument qui vise Ă  garantir la qualitĂ© et la sĂ©curitĂ© des tissus et cellules humains destinĂ©s Ă  des applications humaines, sont ainsi libellĂ©s :

« 12.  La prĂ©sente directive ne devrait pas porter atteinte aux dĂ©cisions prises par les Etats membres concernant l’utilisation ou la non-utilisation de tel ou tel type de cellules humaines, y compris les cellules germinatives et les cellules souches embryonnaires. Toutefois, si un usage particulier de telles cellules est autorisĂ© dans un Etat membre, la prĂ©sente directive imposera l’application de toutes les dispositions nĂ©cessaires Ă  la protection de la santĂ© publique, Ă©tant donnĂ© les risques spĂ©cifiques fondĂ©s sur la connaissance scientifique que comportent ces cellules et leur nature particuliĂšre ainsi que la garantie du respect des droits fondamentaux. En outre, la prĂ©sente directive ne devrait pas affecter les dispositions des Etats membres concernant la dĂ©finition juridique d’une « personne Â» ou d’un « individu Â». Â»

EN DROIT

I.  sur l’exception prĂ©liminaire du Gouvernement

45.  Comme il l’avait fait devant la chambre, le Gouvernement observe que les deuxiĂšme et quatriĂšme requĂ©rants – maris des premiĂšre et troisiĂšme requĂ©rantes – n’ont pas pris part personnellement Ă  la procĂ©dure de contrĂŽle de constitutionnalitĂ© de l’article 3 de la loi sur la procrĂ©ation artificielle suivie devant la Cour constitutionnelle. Il en dĂ©duit qu’ils n’ont pas satisfait Ă  l’exigence d’épuisement des recours internes posĂ©e par l’article 35 de la Convention.

46.  Les intĂ©ressĂ©s combattent cette thĂšse. Ils renvoient Ă  la dĂ©cision sur la recevabilitĂ© du 15 novembre 2007, par laquelle la chambre a rejetĂ©, selon eux de maniĂšre dĂ©finitive, l’exception de non-Ă©puisement des recours internes soulevĂ©e par le Gouvernement.

47.  La Grande Chambre constate que, dans la dĂ©cision sur la recevabilitĂ© qu’elle a rendue le 15 novembre 2007, la chambre a rejetĂ© l’exception de non-Ă©puisement des recours internes en ce qui concerne les deuxiĂšme et quatriĂšme requĂ©rants pour les motifs suivants :

« La Cour rappelle qu’elle doit appliquer la rĂšgle de l’épuisement des recours internes en tenant dĂ»ment compte du contexte : le mĂ©canisme de sauvegarde des droits de l’homme que les Parties contractantes sont convenues d’instaurer. Elle a ainsi reconnu que l’article 35 § 1 doit s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif. Elle a de plus admis que la rĂšgle de l’épuisement des voies de recours internes ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revĂȘt pas un caractĂšre absolu ; en en contrĂŽlant le respect, il faut avoir Ă©gard aux circonstances de la cause. Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de maniĂšre rĂ©aliste du contexte juridique et politique dans lequel les recours s’inscrivent ainsi que de la situation personnelle des requĂ©rants (Menteş et autres c. Turquie, 28 novembre 1997, § 58, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1997-VIII).

La Cour relĂšve que les premiĂšre et troisiĂšme requĂ©rantes ont demandĂ© Ă  la Cour constitutionnelle de contrĂŽler la constitutionnalitĂ© de l’article 3 de la loi sur la procrĂ©ation artificielle. Dans le cadre de cette procĂ©dure, il a Ă©tĂ© Ă©tabli que les intĂ©ressĂ©es et leurs Ă©poux avaient fermement dĂ©cidĂ© de se soumettre Ă  un traitement de procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e au motif que leur Ă©tat de santĂ© ne leur permettait pas d’avoir un enfant de maniĂšre naturelle, et qu’ils Ă©taient donc directement touchĂ©s par l’interdiction critiquĂ©e. Bien que les deuxiĂšme et quatriĂšme requĂ©rants n’aient pas pris part Ă  la procĂ©dure devant la Cour constitutionnelle, leur situation Ă©tait intrinsĂšquement liĂ©e Ă  celle de leurs Ă©pouses. En consĂ©quence, la Cour juge suffisant que celles-ci aient introduit le recours susmentionnĂ© et portĂ© leur affaire, et par consĂ©quent celle de leurs Ă©poux, devant les juridictions internes compĂ©tentes.

La Cour conclut donc que les requĂ©rants ont tous Ă©puisĂ© les recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention. Â»

48.  La Grande Chambre n’aperçoit aucune raison de s’écarter des conclusions de la chambre. Elle rejette donc l’exception prĂ©liminaire du Gouvernement.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

49.  Les requĂ©rants allĂšguent que l’article 3 §§ 1 et 2 de la loi sur la procrĂ©ation artificielle, qui interdit le recours aux techniques hĂ©tĂ©rologues de procrĂ©ation artificielle Ă  des fins de fĂ©condation in vitro, porte atteinte Ă  leurs droits au titre de l’article 8.

50.  Les passages pertinents de l’article 8 sont ainsi libellĂ©s :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privĂ©e et familiale (...)

2.  Il ne peut y avoir ingĂ©rence d’une autoritĂ© publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingĂ©rence est prĂ©vue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, est nĂ©cessaire Ă  la sĂ©curitĂ© nationale, Ă  la sĂ»retĂ© publique, au bien-ĂȘtre Ă©conomique du pays, Ă  la dĂ©fense de l’ordre et Ă  la prĂ©vention des infractions pĂ©nales, Ă  la protection de la santĂ© ou de la morale, ou Ă  la protection des droits et libertĂ©s d’autrui. Â»

A.  L’arrĂȘt de la chambre

51.  Dans son arrĂȘt du 1er avril 2010, la chambre a conclu Ă  la violation de l’article 14 de la Convention combinĂ© avec l’article 8 tant dans le chef des premiĂšre et troisiĂšme requĂ©rantes que dans celui des deuxiĂšme et quatriĂšme requĂ©rants.

52.  Elle a estimĂ© que l’article 14 combinĂ© avec l’article 8 Ă©tait applicable en l’espĂšce au motif que le droit des couples Ă  concevoir un enfant en faisant appel Ă  la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e entrait dans le champ d’application de l’article 8, pareil choix s’analysant manifestement, selon elle, en une forme d’exercice du droit Ă  la vie privĂ©e et familiale.

53.  En ce qui concerne l’observation de l’article 14, elle a considĂ©rĂ© que, compte tenu de l’absence de communautĂ© de vues entre les Parties contractantes dans ce domaine et des interrogations morales et Ă©thiques dĂ©licates qu’il suscite, les Etats membres bĂ©nĂ©ficiaient d’une ample marge d’apprĂ©ciation et a prĂ©cisĂ© que celle-ci devait en principe s’appliquer tant Ă  la dĂ©cision de lĂ©gifĂ©rer ou non en la matiĂšre que, le cas Ă©chĂ©ant, aux rĂšgles dĂ©taillĂ©es Ă©dictĂ©es par eux pour mĂ©nager un Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts publics et les intĂ©rĂȘts privĂ©s en conflit. Elle a examinĂ© sĂ©parĂ©ment la situation du couple formĂ© par les premier et deuxiĂšme requĂ©rants et celle du couple formĂ© par les troisiĂšme et quatriĂšme requĂ©rants.

54.  S’agissant des troisiĂšme et quatriĂšme requĂ©rants, qui ont besoin d’un don d’ovules pour rĂ©aliser leur souhait de concevoir un enfant, la chambre a estimĂ© que des considĂ©rations d’ordre moral ou tenant Ă  l’acceptabilitĂ© sociale de cette technique ne pouvaient justifier Ă  elles seules l’interdiction totale de telle ou telle mĂ©thode de procrĂ©ation assistĂ©e, une interdiction totale ne pouvant revĂȘtir un caractĂšre proportionnĂ© que dans des circonstances exceptionnelles. Elle a considĂ©rĂ© que la loi sur la procrĂ©ation artificielle renfermait des garanties suffisantes pour parer aux risques que le Gouvernement disait voir dans le don d’ovules, notamment l’exploitation des femmes – en particulier celles issues de milieux socialement dĂ©favorisĂ©s – et la « sĂ©lection Â» des enfants Ă  naĂźtre, et que les autres prĂ©occupations exprimĂ©es par le Gouvernement, au sujet notamment de l’établissement de liens familiaux atypiques dĂ©coulant de la dissociation de la maternitĂ© entre une mĂšre utĂ©rine et une mĂšre gĂ©nĂ©tique, pouvaient ĂȘtre surmontĂ©es par l’adoption de normes appropriĂ©es. Elle a donc conclu Ă  la violation de l’article 14 combinĂ© avec l’article 8.

55.  En ce qui concerne les premier et deuxiĂšme requĂ©rants, pour qui le recours Ă  la fĂ©condation in vitro avec don de sperme est le seul moyen d’avoir un enfant, la chambre a observĂ© que ce traitement combinait deux techniques – Ă  savoir la fĂ©condation in vitro homologue et la fĂ©condation in vivo avec don de sperme – qui, mises en Ɠuvre sĂ©parĂ©ment, Ă©taient autorisĂ©es par la loi sur la procrĂ©ation artificielle. Dans ces conditions, elle a considĂ©rĂ© que le Gouvernement aurait dĂ» fournir des explications particuliĂšrement convaincantes pour justifier l’interdiction de l’utilisation combinĂ©e de deux techniques autorisĂ©es par la loi. Or elle a relevĂ© que la plupart des arguments avancĂ©s par le Gouvernement n’étaient pas applicables au seul don de sperme aux fins d’une fĂ©condation in vitro. Quant Ă  la thĂšse du Gouvernement selon laquelle l’interdiction de l’insĂ©mination artificielle in vivo aurait Ă©tĂ© difficile Ă  contrĂŽler parce qu’elle Ă©tait pratiquĂ©e depuis longtemps et qu’elle Ă©tait facile Ă  mettre en Ɠuvre, la chambre a considĂ©rĂ© que des considĂ©rations de simple efficacitĂ© ne pouvaient prĂ©valoir sur des intĂ©rĂȘts particuliĂšrement importants des individus concernĂ©s et elle a jugĂ© que la diffĂ©rence de traitement litigieuse n’était pas justifiĂ©e. Elle a conclu Ă  cet Ă©gard aussi qu’il y avait eu violation de l’article 14 combinĂ© avec l’article 8.

B.  ThĂšses des parties

1.  Les requĂ©rants

56.  Les intĂ©ressĂ©s soutiennent que l’article 8 de la Convention trouve Ă  s’appliquer en l’espĂšce. Ils estiment par ailleurs que la lĂ©gislation litigieuse porte directement atteinte Ă  leurs droits au titre de l’article 8 puisque, en son absence, ils pourraient bĂ©nĂ©ficier facilement et immĂ©diatement du traitement mĂ©dical voulu, Ă  savoir une fĂ©condation in vitro avec don de gamĂštes, technique qui aurait connu des progrĂšs considĂ©rables ces derniĂšres annĂ©es et serait devenue beaucoup plus fiable que par le passĂ©. Aucune obligation positive ne serait en cause dans la prĂ©sente affaire, qui se prĂ©senterait comme un cas classique d’ingĂ©rence non nĂ©cessaire, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, et disproportionnĂ©e.

57.  Le droit de fonder une famille et le droit Ă  la procrĂ©ation revĂȘtiraient une telle importance que les Etats contractants ne disposeraient d’aucune marge d’apprĂ©ciation pour rĂ©glementer ces questions. La dĂ©cision d’un couple de recourir Ă  l’assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation concernerait son intimitĂ© la plus profonde, raison pour laquelle le lĂ©gislateur devrait faire preuve d’une retenue particuliĂšre lorsqu’il lĂ©gifĂšre dans ce domaine.

58.  Toutes les objections soulevĂ©es par le Gouvernement concerneraient la procrĂ©ation artificielle en gĂ©nĂ©ral et elles ne rĂ©pondraient pas de maniĂšre convaincante Ă  la question de savoir pourquoi certaines techniques de procrĂ©ation assistĂ©e devraient ĂȘtre autorisĂ©es et d’autres prohibĂ©es. Le risque d’exploitation des donneuses d’ovocytes invoquĂ© par le Gouvernement serait dĂ©pourvu de pertinence dans des cas tels ceux de l’espĂšce, car il suffirait d’interdire la rĂ©munĂ©ration du don de gamĂštes pour prĂ©venir de tels abus, interdiction dĂ©jĂ  prĂ©vue par la lĂ©gislation autrichienne. La thĂšse selon laquelle le don d’ovules conduirait Ă  la crĂ©ation de liens familiaux atypiques se caractĂ©risant par une dissociation – traumatisante sur le plan du dĂ©veloppement Ă©motionnel des enfants ainsi conçus – de la filiation maternelle entre la mĂšre gĂ©nĂ©tique et la mĂšre utĂ©rine serait fallacieuse car, de nos jours, nombreux seraient les enfants Ă  vivre dans des familles dont un seul membre aurait un lien gĂ©nĂ©tique avec eux.

59.  Le rĂ©gime instituĂ© par la loi sur la procrĂ©ation artificielle, qui n’interdit pas de maniĂšre gĂ©nĂ©rale et absolue l’utilisation des techniques hĂ©tĂ©rologues de procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e, serait incohĂ©rent et illogique en ce qu’il prĂ©voirait des exceptions permettant le don de sperme dans des cas dĂ©terminĂ©s. Les explications avancĂ©es par le Gouvernement pour justifier cette diffĂ©rence de traitement ne seraient pas convaincantes. Serait notamment paradoxale l’existence d’un fonds public destinĂ© au financement des traitements de fĂ©condation in vitro, qui donnerait Ă  penser que cette technique prĂ©sente une utilitĂ© publique alors pourtant que son utilisation serait soumise Ă  de sĂ©vĂšres restrictions.

60.  Le statut juridique de la procrĂ©ation artificielle dans les Etats membres se caractĂ©riserait dĂ©sormais par un consensus en faveur de l’autorisation du don d’ovules et du don de sperme. Dans ces conditions, force serait de constater que l’interdiction de ces deux pratiques par la loi autrichienne est contraire Ă  l’article 8 de la Convention.

2.  Le Gouvernement

61.  En ce qui concerne l’applicabilitĂ© de l’article 8 de la Convention, le Gouvernement observe que, selon la Cour constitutionnelle, le souhait de procrĂ©er exprimĂ© par des conjoints ou des concubins constitue une forme d’expression essentielle de leur personnalitĂ© et relĂšve Ă  ce titre de la sphĂšre de la vie privĂ©e protĂ©gĂ©e par l’article 8 § 1 de la Convention. En consĂ©quence, il admet que l’article 8 trouve Ă  s’appliquer en l’espĂšce.

62.  Il estime que la question de savoir si la mesure critiquĂ©e constitue une ingĂ©rence des pouvoirs publics ou un manquement Ă  une obligation positive peut ĂȘtre laissĂ©e ouverte car les principes applicables sont les mĂȘmes dans les deux cas. Dans les deux hypothĂšses, il conviendrait de mĂ©nager un juste Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts privĂ©s et les intĂ©rĂȘts publics concurrents et, en l’absence d’un consensus europĂ©en sur la question litigieuse, l’Etat bĂ©nĂ©ficierait d’une marge d’apprĂ©ciation particuliĂšrement Ă©tendue. En tout Ă©tat de cause, l’interdiction incriminĂ©e aurait une base lĂ©gale en droit interne et poursuivrait un but lĂ©gitime, Ă  savoir la protection des droits d’autrui, notamment des donneurs potentiels.

63.  La question fondamentale en l’espĂšce consisterait non pas Ă  savoir s’il convient ou non d’autoriser le recours Ă  la procrĂ©ation mĂ©dicalement ou techniquement assistĂ©e et, dans l’affirmative, quelles limites l’Etat peut y apporter, mais Ă  dĂ©terminer dans quelle mesure celui-ci doit accepter qu’un tiers puisse contribuer Ă  la rĂ©alisation du souhait d’un couple de procrĂ©er. Le droit au respect de la vie privĂ©e engloberait certes le droit pour une personne de rĂ©aliser son dĂ©sir d’enfant, mais les Etats n’en seraient pas pour autant tenus d’autoriser indistinctement l’utilisation de toutes les mĂ©thodes de procrĂ©ation techniquement rĂ©alisables, et encore moins de les mettre Ă  la disposition des personnes concernĂ©es. La marge d’apprĂ©ciation reconnue aux Etats devrait leur permettre de dĂ©cider seuls de l’équilibre Ă  mĂ©nager entre les intĂ©rĂȘts antagonistes eu Ă©gard aux impĂ©ratifs sociaux et culturels propres Ă  leur pays ainsi qu’à leurs traditions.

64.  Le lĂ©gislateur autrichien aurait tenu compte de tous les intĂ©rĂȘts en jeu et serait parvenu Ă  un Ă©quilibre respectueux de l’article 8 de la Convention en autorisant l’assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation tout en l’encadrant dans les situations oĂč l’état de la science mĂ©dicale et de la sociĂ©tĂ© ne permet pas encore la reconnaissance juridique de la technique dont les requĂ©rantes souhaitent bĂ©nĂ©ficier, Ă  savoir la fĂ©condation in vitro avec don de gamĂštes. Ne pouvant ni ne devant ignorer l’inquiĂ©tude suscitĂ©e par le rĂŽle et les possibilitĂ©s de la mĂ©decine reproductive moderne dans des pans entiers de la sociĂ©tĂ©, il aurait Ă©laborĂ© la loi sur la procrĂ©ation artificielle dans l’intention de prĂ©venir les effets pervers et les abus susceptibles de rĂ©sulter des progrĂšs de la mĂ©decine reproductive et de s’assurer que celle-ci ne soit utilisĂ©e qu’à des fins thĂ©rapeutiques et non dans d’autres buts tels que la « sĂ©lection Â» des enfants Ă  naĂźtre.

65.  AprĂšs y avoir mĂ»rement rĂ©flĂ©chi, le lĂ©gislateur aurait apportĂ© Ă  la question posĂ©e une rĂ©ponse satisfaisante tenant compte de la dignitĂ© humaine, du bien-ĂȘtre des enfants et du droit Ă  la procrĂ©ation. La fĂ©condation in vitro offrirait de vastes possibilitĂ©s de sĂ©lection des gamĂštes qui pourraient dĂ©boucher en dĂ©finitive sur des pratiques eugĂ©niques (Zuchtauswahl). Cette technique soulĂšverait de graves questions concernant la santĂ© des enfants ainsi conçus et les valeurs Ă©thiques et morales de la sociĂ©tĂ©.

66.  Au cours des dĂ©bats parlementaires, il aurait Ă©tĂ© soulignĂ© que le don d’ovocytes dĂ©pendait de la disponibilitĂ© de ceux-ci et qu’il pouvait entraĂźner des problĂšmes tels que l’exploitation et l’humiliation des femmes, en particulier celles issues de milieux socialement dĂ©favorisĂ©s. D’autre part, les femmes recourant Ă  un traitement de fĂ©condation in vitro pourraient se voir contraintes de fournir plus d’ovules qu’il ne serait strictement nĂ©cessaire pour leur traitement, ce afin de leur permettre d’en assumer le coĂ»t.

67.  La fĂ©condation in vitro poserait Ă©galement problĂšme en ce qu’elle conduirait Ă  la crĂ©ation de relations familiales atypiques caractĂ©risĂ©es par une discordance entre la rĂ©alitĂ© sociale et la rĂ©alitĂ© biologique dĂ©coulant de la dissociation de la filiation maternelle en une composante gĂ©nĂ©tique, une composante « utĂ©rine Â» et peut-ĂȘtre aussi une composante sociale. Par ailleurs, il conviendrait Ă©galement de tenir compte de l’intĂ©rĂȘt lĂ©gitime des enfants Ă  connaĂźtre leur filiation rĂ©elle, ce qui serait presque toujours impossible Ă  ceux conçus par fĂ©condation avec don de gamĂštes puisqu’elle n’apparaĂźtrait pas dans les registres des naissances, des mariages et des dĂ©cĂšs, les dispositions lĂ©gales protectrices prĂ©vues par le rĂ©gime de l’adoption n’étant pas applicables en la matiĂšre.

68.  L’autorisation de l’insĂ©mination artificielle se justifierait pour deux raisons : d’abord, ainsi que le rapport explicatif du projet de loi sur la procrĂ©ation artificielle l’aurait soulignĂ©, cette technique serait beaucoup plus facile Ă  mettre en Ɠuvre que les autres mĂ©thodes d’assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation et les autoritĂ©s ne pourraient donc contrĂŽler efficacement son interdiction ; ensuite elle serait pratiquĂ©e depuis longtemps. L’interdiction de ce procĂ©dĂ© relativement simple aurait donc Ă©tĂ© vaine et n’aurait pas constituĂ© une mesure adaptĂ©e Ă  la rĂ©alisation des buts poursuivis par la loi.

C.  Observations des tiers intervenants

1.  Le gouvernement allemand

69.  Le gouvernement allemand indique que l’article 1 § 1 de la loi allemande sur la protection des embryons (Embryonen­schutzgesetz) Ă©rige en dĂ©lit le fait d’implanter dans le corps d’une femme un ovule qui n’est pas le sien.

70.  Cette disposition viserait Ă  protĂ©ger le bien-ĂȘtre de l’enfant en confĂ©rant un caractĂšre certain Ă  l’identitĂ© de la mĂšre. Accepter la dissociation de la filiation maternelle en une composante gĂ©nĂ©tique et une composante utĂ©rine reviendrait Ă  reconnaĂźtre que deux femmes peuvent prendre part Ă  la conception d’un enfant et irait Ă  l’encontre de l’un des fondements de la sociĂ©tĂ©, Ă  savoir le principe selon lequel la filiation maternelle ne doit pas ĂȘtre ambiguĂ«. La dissociation de la filiation maternelle serait contraire au bien-ĂȘtre de l’enfant en ce qu’elle jetterait le doute sur l’identitĂ© de la mĂšre, mettant ainsi en pĂ©ril le dĂ©veloppement de la personnalitĂ© de l’enfant et entravant gravement la construction de son identitĂ©.

71.  Cette dissociation comporterait en outre le risque de voir une mĂšre utĂ©rine qui aurait connaissance des caractĂ©ristiques gĂ©nĂ©tiques de la femme dont elle a reçu les ovules imputer Ă  celle-ci les maladies ou les handicaps pouvant affecter l’enfant et avoir Ă  l’égard de celui-ci une rĂ©action de rejet. Un autre conflit de nature Ă  crĂ©er des tensions dans les relations de la mĂšre utĂ©rine et de la mĂšre gĂ©nĂ©tique avec l’enfant pourrait survenir dans le cas oĂč cette derniĂšre ne parviendrait pas elle-mĂȘme Ă  concevoir un enfant par fĂ©condation in vitro. Au vu de ce qui prĂ©cĂšde, la dissociation de la maternitĂ© reprĂ©senterait une grave menace pour le bien-ĂȘtre des enfants, raison pour laquelle les interdictions posĂ©es par la loi sur la protection des embryons seraient justifiĂ©es.

2.  Le gouvernement italien

72.  Le gouvernement italien avance que la lĂ©gislation italienne sur la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e se distingue fondamentalement de la lĂ©gislation autrichienne en ce qu’elle interdit de maniĂšre gĂ©nĂ©rale l’emploi de toute technique hĂ©tĂ©rologue de procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e et qu’elle subordonne le recours aux techniques homologues Ă  la stĂ©rilitĂ© du couple.

73.  Le droit d’une personne ou d’un couple Ă  concevoir un enfant et Ă  recourir Ă  cette fin Ă  la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e ne serait pas protĂ©gĂ© par l’article 8 de la Convention. En consĂ©quence, cet article n’aurait pas pour effet d’imposer aux Etats contractants l’obligation positive de mettre Ă  la disposition des couples stĂ©riles toutes les techniques existantes dans ce domaine. En l’absence d’un consensus europĂ©en sur la question de la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e, les Etats contractants jouiraient d’une ample marge d’apprĂ©ciation leur permettant de façonner leur politique en cette matiĂšre complexe et lourde de consĂ©quences sur les plans scientifique, juridique, Ă©thique et social. La fĂ©condation in vitro, qui aurait un effet direct sur la vie humaine et les bases de la sociĂ©tĂ©, serait clairement une question trĂšs sensible, qui ne ferait l’objet d’aucun consensus en Europe. La procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e serait aussi trĂšs risquĂ©e. La pratique du don de gamĂštes pourrait exposer les femmes Ă©conomiquement dĂ©favorisĂ©es Ă  des pressions et encourager le trafic d’ovules. Des Ă©tudes scientifiques auraient Ă©galement fait apparaĂźtre l’existence d’un lien entre la fĂ©condation in vitro et les naissances prĂ©maturĂ©es. Enfin, accepter que la filiation maternelle puisse ĂȘtre dissociĂ©e reviendrait Ă  la remettre en cause et Ă©branlerait les fondements de la sociĂ©tĂ©.

3.  Hera ONLUS et SOS InfertilitĂ  Onlus

74.  Hera Onlus et SOS InfertilitĂ  Onlus soutiennent que la stĂ©rilitĂ© doit ĂȘtre envisagĂ©e comme une question de santĂ© humaine. Restreindre l’accĂšs aux mĂ©thodes de fĂ©condation in vitro hĂ©tĂ©rologues reviendrait Ă  refuser aux personnes concernĂ©es le bĂ©nĂ©fice d’un traitement disponible et s’analyserait en une ingĂ©rence dans leurs droits garantis par l’article 8 de la Convention. Il ne serait pas nĂ©cessaire d’interdire le recours aux techniques hĂ©tĂ©rologues de procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e pour prĂ©venir les rĂ©percussions sur le dĂ©veloppement psychologique et social des enfants. Compte tenu des rĂšgles strictes de qualitĂ© et de contrĂŽle Ă©tablies par l’Union europĂ©enne, l’interdiction totale de l’accĂšs aux diffĂ©rents traitements hĂ©tĂ©rologues ne serait pas le meilleur moyen de mĂ©nager un juste Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts concurrents en prĂ©sence. Pareille mesure emporterait un autre effet pervers, Ă  savoir la pratique du « tourisme procrĂ©atif Â», Ă  laquelle se livreraient des couples stĂ©riles dans l’intention d’obtenir Ă  l’étranger un traitement contre la stĂ©rilitĂ©, au risque de s’exposer Ă  des conditions sanitaires mĂ©diocres, Ă  des frais substantiels et Ă  des tensions Ă©motionnelles considĂ©rables.

4.   European Centre for Law and Justice

75.  L’organisation European Centre for Law and Justice estime que la Convention n’impose pas aux Etats l’obligation positive de donner accĂšs Ă  des techniques de procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e. En tout Ă©tat de cause, Ă  supposer mĂȘme que le refus de l’Etat d’autoriser les traitements de fĂ©condation in vitro hĂ©tĂ©rologues s’analyse en une ingĂ©rence dans l’exercice des droits garantis par l’article 8, celle-ci serait proportionnĂ©e.

76.  Faute d’un consensus europĂ©en sur les questions moralement et Ă©thiquement dĂ©licates en cause, les Etats contractants bĂ©nĂ©ficieraient d’une ample marge d’apprĂ©ciation. L’Autriche n’aurait du reste pas Ă©dictĂ© une interdiction totale de la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e mais elle aurait autorisĂ© certaines mĂ©thodes et en aurait prohibĂ© d’autres, courantes Ă  l’étranger. En outre, les couples stĂ©riles dĂ©sireux d’avoir des enfants pourraient aussi se tourner vers l’adoption.

5.  Aktion Leben

77.  Selon Aktion Leben, le traitement de fĂ©condation in vitro ayant recours au don de gamĂštes – en particulier au don d’ovules – prĂ©sente des risques mĂ©dicaux considĂ©rables et soulĂšve une question dĂ©licate et problĂ©matique, celle de la filiation multiple. En outre, le don d’ovules accroĂźtrait le risque d’exploitation des femmes et de commercialisation du corps fĂ©minin et impliquerait une intervention mĂ©dicale trĂšs dangereuse pour les donneuses. Les liens familiaux atypiques en rĂ©sultant pourraient avoir des effets nĂ©fastes sur les rapports familiaux et sociaux existants. Les traitements de fĂ©condation in vitro pourraient aussi provoquer des problĂšmes d’identitĂ© chez les enfants ainsi conçus et, dans le cas du don de sperme, causer des traumatismes aux enfants dĂ©sireux d’établir des relations avec leur pĂšre gĂ©nĂ©tique.

D.  ApprĂ©ciation de la Cour

1.  Sur l’applicabilitĂ© de l’article 8

78.  Le Gouvernement reconnaĂźt que l’article 8 trouve Ă  s’appliquer en l’espĂšce. A cet Ă©gard, il renvoie Ă  l’arrĂȘt rendu par la Cour constitutionnelle le 14 octobre 1999. La haute juridiction y aurait estimĂ© que la dĂ©cision d’un couple mariĂ© ou vivant maritalement de concevoir un enfant et d’avoir recours Ă  l’assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation relĂšve du droit au respect de la vie privĂ©e et, par consĂ©quent, de la sphĂšre protĂ©gĂ©e par l’article 8.

79.  Les requĂ©rants partagent l’analyse du Gouvernement concernant l’applicabilitĂ© de l’article 8 de la Convention.

80.  La Cour rappelle que la notion de « vie privĂ©e Â» au sens de l’article 8 de la Convention est une notion large qui englobe, entre autres, le droit, pour l’individu, de nouer et dĂ©velopper des relations avec ses semblables (Niemietz c. Allemagne, 16 dĂ©cembre 1992, § 29, sĂ©rie A no 251-B), le droit au « dĂ©veloppement personnel Â» (BensaĂŻd c. Royaume-Uni, no 44599/98, § 47, CEDH 2001-I), ou encore le droit Ă  l’autodĂ©termination (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002‑III). Des facteurs tels que l’identification, l’orientation et la vie sexuelles relĂšvent Ă©galement de la sphĂšre personnelle protĂ©gĂ©e par l’article 8 (voir, par exemple, Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, § 41, sĂ©rie A no 45 ; et Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni, 19 fĂ©vrier 1997, § 36, Recueil 1997-I), de mĂȘme que le droit au respect des dĂ©cisions de devenir ou de ne pas devenir parent (Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, § 71, CEDH 2007‑I ; et A, B et C c. Irlande [GC], no 25579/05, § 212, 16 dĂ©cembre 2010).

81.  Dans l’arrĂȘt qu’elle a rendu en l’affaire Dickson c. Royaume-Uni, oĂč Ă©tait en cause le refus d’octroyer aux requĂ©rants – un dĂ©tenu et son Ă©pouse – la possibilitĂ© de pratiquer une insĂ©mination artificielle, la Cour a conclu Ă  l’applicabilitĂ© de l’article 8 au motif que la technique de procrĂ©ation en question concernait la vie privĂ©e et familiale des intĂ©ressĂ©s, prĂ©cisant que cette notion englobait un droit pour eux Ă  voir respecter leur dĂ©cision de devenir parents gĂ©nĂ©tiques (Dickson c. Royaume-Uni [GC], no 44362/04, § 66, CEDH 2007‑V, avec les rĂ©fĂ©rences qui s’y trouvent citĂ©es).

82.  La Cour considĂšre que le droit des couples Ă  concevoir un enfant et Ă  recourir pour ce faire Ă  la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e relĂšve Ă©galement de la protection de l’article 8, pareil choix constituant une forme d’expression de la vie privĂ©e et familiale. En consĂ©quence, cette disposition trouve Ă  s’appliquer en l’espĂšce.

2.  Sur le point de savoir si l’affaire concerne une obligation positive ou une ingĂ©rence

83.  Dans l’arrĂȘt qu’elle a rendu en l’affaire X, Y et Z c Royaume-Uni (22 avril 1997, § 44, Recueil 1997-II), la Cour a constatĂ© qu’il n’était pas dĂ©montrĂ© que les Hautes Parties contractantes suivissent dans l’ensemble une approche commune lorsqu’il s’agissait de traduire sur le plan juridique la rĂ©alitĂ© sociale de la relation unissant un enfant conçu par insĂ©mination artificielle avec donneur et la personne assumant le rĂŽle de pĂšre. Elle a ajoutĂ© que, selon les informations dont elle disposait, si les techniques d’assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation avaient cours en Europe depuis plusieurs dĂ©cennies, nombre des questions qu’elles soulevaient, en matiĂšre de filiation notamment, faisaient encore l’objet de controverses, relevant entre autres qu’il n’y avait pas de consensus entre les Etats membres du Conseil de l’Europe sur le point de savoir s’il Ă©tait prĂ©fĂ©rable, dans l’intĂ©rĂȘt de l’enfant ainsi conçu, de protĂ©ger l’anonymat du donneur de sperme ou de donner Ă  l’enfant le droit de connaĂźtre l’identitĂ© de celui-ci. Elle a conclu que les questions soulevĂ©es dans cette affaire touchaient Ă  des domaines oĂč il n’y avait guĂšre de communautĂ© de vues entre les Etats membres et oĂč, de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, le droit paraissait traverser une phase de transition (ibidem).

84.  L’arrĂȘt en question a Ă©tĂ© rendu en 1997, peu avant l’introduction par les requĂ©rants en l’espĂšce (mai 1998) d’une demande de contrĂŽle de constitutionnalitĂ© de l’article 3 §§ 1 et 2 de la loi sur la procrĂ©ation artificielle devant la Cour constitutionnelle autrichienne. Il ressort des informations en possession de la Cour que, depuis le prononcĂ© de l’arrĂȘt de la Cour constitutionnelle autrichienne, la science mĂ©dicale a connu maintes Ă©volutions, auxquelles certains Etats contractants ont rĂ©pondu par des mesures lĂ©gislatives. Ces Ă©volutions pourraient donc avoir une influence sur l’apprĂ©ciation des faits par la Cour. Toutefois, celle-ci n’est pas appelĂ©e Ă  rechercher si l’interdiction du don de gamĂštes litigieuse serait aujourd’hui justifiĂ©e au regard de la Convention, mais elle doit dĂ©terminer si cette mesure Ă©tait justifiĂ©e Ă  l’époque oĂč la Cour constitutionnelle autrichienne l’a examinĂ©e (J. M. c. Royaume-Uni, no 37060/06, § 57, 28 septembre 2010 ; mutatis mutandis, Maslov c. Autriche [GC], no 1638/03, § 91, 23 juin 2008 ; et Schalk et Kopf c. Autriche, no 30141/04, § 106, 24 juin 2010). Cela dit, rien n’empĂȘche la Cour de prendre en considĂ©ration pour son apprĂ©ciation les dĂ©veloppements intervenus depuis lors.

85.  Pour statuer sur la conformitĂ© de la lĂ©gislation litigieuse avec l’article 8 de la Convention, la Cour doit ensuite dĂ©terminer si la lĂ©gislation en cause s’analyse en une atteinte au droit des requĂ©rants au respect de leur vie privĂ©e et familiale constitutive d’un manquement de l’Etat Ă  une obligation nĂ©gative ou en un dĂ©faut d’exĂ©cution d’une obligation positive qui pĂšserait sur lui Ă  cet Ă©gard.

86.  Selon les requĂ©rants, la disposition incriminĂ©e porte directement atteinte Ă  leurs droits au titre de l’article 8 puisque, en son absence, ils pourraient bĂ©nĂ©ficier d’une fĂ©condation in vitro avec don de gamĂštes – technique mĂ©dicale courante et aisĂ©ment accessible. Pour sa part, le Gouvernement estime que la question de savoir si la mesure litigieuse s’analyse en une ingĂ©rence des pouvoirs publics ou en un manquement allĂ©guĂ© Ă  une obligation positive peut ĂȘtre laissĂ©e ouverte, les principes applicables Ă©tant les mĂȘmes dans les deux cas.

87.  La Cour rappelle que si l’article 8 tend pour l’essentiel Ă  prĂ©munir l’individu contre des ingĂ©rences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander Ă  l’Etat de s’abstenir de pareilles ingĂ©rences : Ă  cet engagement plutĂŽt nĂ©gatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhĂ©rentes Ă  un respect effectif de la vie privĂ©e et familiale. Elles peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privĂ©e et familiale, jusque dans les relations des individus entre eux. La frontiĂšre entre les obligations positives et les obligations nĂ©gatives de l’Etat au titre de l’article 8 ne se prĂȘte pas Ă  une dĂ©finition prĂ©cise ; les principes applicables sont nĂ©anmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut avoir Ă©gard au juste Ă©quilibre Ă  mĂ©nager entre les intĂ©rĂȘts concurrents (OdiĂšvre c. France [GC], no 42326/98, § 40, CEDH 2003-III ; et Evans, prĂ©citĂ©, § 75).

88.  La Grande Chambre estime qu’en l’espĂšce la lĂ©gislation en cause peut ĂȘtre envisagĂ©e sous l’angle de la question de savoir s’il pĂšse sur l’Etat une obligation positive d’autoriser certaines techniques de procrĂ©ation artificielle faisant appel au sperme ou aux ovules d’un tiers. L’affaire lui paraĂźt toutefois aussi pouvoir ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme mettant en cause une ingĂ©rence de l’Etat dans l’exercice par les requĂ©rants de leur droit au respect de leur vie familiale, cette ingĂ©rence rĂ©sultant de l’interdiction faite aux intĂ©ressĂ©s par l’article 3 §§ 1 et 2 de la loi sur la procrĂ©ation artificielle de recourir Ă  certaines techniques dĂ©veloppĂ©es par la science mĂ©dicale dans ce domaine. Relevant que les intĂ©ressĂ©s ont Ă©tĂ© privĂ©s d’un traitement de procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e par l’effet d’une disposition de la loi qu’ils ont tentĂ© en vain de contester devant les juridictions internes, la Cour traitera leur grief sous l’angle d’une ingĂ©rence dans l’exercice par eux de leur droit de recourir Ă  des techniques de procrĂ©ation artificielle. En tout Ă©tat de cause, comme indiquĂ© ci-dessus, les principes applicables Ă  la justification au regard de l’article 8 § 2 sont comparables quelle que soit l’approche choisie pour l’analyse (Evans, prĂ©citĂ©, § 75 ; et Keegan c. Irlande, 26 mai 1994, § 49, sĂ©rie A no 290).

3.  Sur l’observation de l’article 8 § 2

89.  Pareille ingĂ©rence mĂ©connaĂźt l’article 8 sauf si elle peut se justifier sous l’angle du paragraphe 2 de cette disposition, c’est-Ă -dire si elle Ă©tait « prĂ©vue par la loi Â», poursuivait un ou plusieurs buts lĂ©gitimes Ă©numĂ©rĂ©s dans cette disposition et Ă©tait « nĂ©cessaire, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique Â», pour atteindre ce ou ces buts.

a)  Â« PrĂ©vue par la loi Â» et but lĂ©gitime

90.  La Cour considĂšre que la mesure critiquĂ©e Ă©tait prĂ©vue par la loi, plus prĂ©cisĂ©ment par l’article 3 de la loi sur la procrĂ©ation artificielle, et qu’elle poursuivait les buts lĂ©gitimes que constituent la protection de la santĂ© ou de la morale et la protection des droits et libertĂ©s d’autrui. Ce point ne prĂȘte pas Ă  controverse entre les parties, dont les arguments portent principalement sur la question de la nĂ©cessitĂ© de l’ingĂ©rence.

b)  NĂ©cessitĂ© dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique et marge d’apprĂ©ciation applicable

91.  La Cour rappelle que pour apprĂ©cier la « nĂ©cessitĂ© Â» de la mesure litigieuse « dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique Â» il lui faut examiner, Ă  la lumiĂšre de l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoquĂ©s pour la justifier sont pertinents et suffisants aux fins de l’article 8 § 2 (voir, parmi beaucoup d’autres, Olsson c. SuĂšde (no 1), 24 mars 1988, § 68, sĂ©rie A no 130 ; K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 154, CEDH 2001-VII ; Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 65, CEDH 2002-I ; et P., C. et S. c. Royaume‑Uni, no 56547/00, § 114, CEDH 2002-VI).

92.  Dans une affaire issue d’une requĂȘte individuelle, la Cour n’a pas pour tĂąche de contrĂŽler dans l’abstrait une lĂ©gislation ou une pratique contestĂ©es, mais elle doit autant que possible se limiter, sans oublier le contexte gĂ©nĂ©ral, Ă  traiter les questions soulevĂ©es par le cas concret dont elle se trouve saisie (Olsson c. SuĂšde (no 1), prĂ©citĂ©, § 54). Elle n’a donc pas Ă  substituer sa propre apprĂ©ciation Ă  celle des autoritĂ©s nationales compĂ©tentes s’agissant de dĂ©terminer le meilleur moyen de rĂ©glementer les questions que pose la procrĂ©ation artificielle.

93.  Les requĂ©rants soutiennent que le droit de fonder une famille et le droit Ă  la procrĂ©ation revĂȘtent une telle importance que les Etats contractants ne bĂ©nĂ©ficient d’aucune marge d’apprĂ©ciation pour lĂ©gifĂ©rer en la matiĂšre.

94.  La Cour rappelle que, pour se prononcer sur l’ampleur de la marge d’apprĂ©ciation devant ĂȘtre reconnue Ă  l’Etat dans une affaire soulevant des questions au regard de l’article 8, il y a lieu de prendre en compte un certain nombre de facteurs. Lorsqu’un aspect particuliĂšrement important de l’existence ou de l’identitĂ© d’un individu se trouve en jeu, la marge laissĂ©e Ă  l’Etat est d’ordinaire restreinte (Evans, prĂ©citĂ©, § 77, avec les rĂ©fĂ©rences qui s’y trouvent citĂ©es). Par contre, lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intĂ©rĂȘt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protĂ©ger, en particulier lorsque l’affaire soulĂšve des questions morales ou Ă©thiques dĂ©licates, la marge d’apprĂ©ciation est plus large (Evans, prĂ©citĂ©, § 77 ; X, Y et Z c. Royaume-Uni, prĂ©citĂ©, § 44 ; FrettĂ© c. France, no 36515/97, § 41, CEDH 2002-I ; Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 85, CEDH 2002‑VI ; et A, B et C c. Irlande, prĂ©citĂ©, § 232). GrĂące Ă  leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays, les autoritĂ©s de l’Etat se trouvent en principe mieux placĂ©es que le juge international pour se prononcer non seulement sur le « contenu prĂ©cis des exigences de la morale Â» mais aussi sur la nĂ©cessitĂ© d’une restriction destinĂ©e Ă  y rĂ©pondre (A, B et C c. Irlande, ibidem, avec les rĂ©fĂ©rences qui s’y trouvent citĂ©es). La marge d’apprĂ©ciation est gĂ©nĂ©ralement Ă©tendue lorsque l’Etat doit mĂ©nager un Ă©quilibre entre des intĂ©rĂȘts privĂ©s et des intĂ©rĂȘts publics concurrents ou diffĂ©rents droits protĂ©gĂ©s par la Convention (Evans, prĂ©citĂ©, § 77, et Dickson, prĂ©citĂ©, § 78).

95.  A cet Ă©gard, la Cour observe qu’il ressort du rapport intitulĂ© « Assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation et protection de l’embryon humain – Ă©tude comparative sur la situation dans 39 pays Â» Ă©tabli par le Conseil de l’Europe en 1988 Ă  partir des rĂ©ponses donnĂ©es par ses Etats membres au ComitĂ© directeur pour la bioĂ©thique que, Ă  cette Ă©poque, le don d’ovules Ă©tait expressĂ©ment prohibĂ© en Allemagne, en Autriche, en Irlande, en NorvĂšge, en Slovaquie, en SlovĂ©nie, en SuĂšde et en Suisse, et le don de sperme en Autriche, en Allemagne, en Irlande, en NorvĂšge et en SuĂšde. A l’heure actuelle, outre l’Autriche, seuls trois pays interdisent le don de sperme  – l’Italie, la Lituanie et la Turquie. Le don d’ovules est interdit dans ces quatre pays ainsi qu’en Allemagne, en Croatie, en NorvĂšge et en Suisse. Toutefois, les normes qui peuvent exister en matiĂšre de procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e sont trĂšs disparates. Certains Etats membres ont adoptĂ© une lĂ©gislation prĂ©cise. D’autres pays n’ont rĂ©glementĂ© que certains aspects et plusieurs Etats n’ont rien prĂ©vu Ă  ce sujet.

96.  La Cour constate que les Etats contractants ont aujourd’hui clairement tendance Ă  autoriser dans leur lĂ©gislation le don de gamĂštes Ă  des fins de fĂ©condation in vitro, tendance qui traduit l’émergence d’un consensus europĂ©en. Toutefois, le consensus qui semble se dessiner correspond davantage Ă  un stade de l’évolution d’une branche du droit particuliĂšrement dynamique qu’à des principes Ă©tablis de longue date dans les ordres juridiques des Etats membres, raison pour laquelle il ne peut restreindre de maniĂšre dĂ©cisive la marge d’apprĂ©ciation de l’Etat.

97.  DĂšs lors que le recours Ă  la fĂ©condation in vitro a suscitĂ© et continue de susciter de dĂ©licates interrogations d’ordre moral et Ă©thique, lesquelles s’inscrivent dans un contexte d’évolution rapide de la science et de la mĂ©decine, et que les questions soulevĂ©es en l’espĂšce touchent Ă  des domaines oĂč il n’y a pas encore une claire communautĂ© de vues entre les Etats membres, la Cour estime qu’il y a lieu d’accorder Ă  l’Etat dĂ©fendeur une ample marge d’apprĂ©ciation (X, Y et Z c. Royaume-Uni, 22 avril 1997, prĂ©citĂ©, § 44). Celle-ci doit en principe s’appliquer tant Ă  la dĂ©cision de lĂ©gifĂ©rer ou non en la matiĂšre que, le cas Ă©chĂ©ant, aux rĂšgles dĂ©taillĂ©es Ă©dictĂ©es pour mĂ©nager un Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts publics et les intĂ©rĂȘts privĂ©s en conflit (Evans, prĂ©citĂ©, § 82). Cependant, les choix opĂ©rĂ©s par le lĂ©gislateur en la matiĂšre n’échappent pas au contrĂŽle de la Cour. Il incombe Ă  celle-ci d’examiner attentivement les arguments dont le lĂ©gislateur a tenu compte pour parvenir aux solutions qu’il a retenues et de rechercher si un juste Ă©quilibre a Ă©tĂ© mĂ©nagĂ© entre les intĂ©rĂȘts de l’Etat et ceux des individus directement touchĂ©s par les solutions en question. A cet Ă©gard, la Cour estime que la situation du couple formĂ© par les premier et deuxiĂšme requĂ©rants et celle du couple formĂ© par les troisiĂšme et quatriĂšme requĂ©rants doivent ĂȘtre examinĂ©es sĂ©parĂ©ment. Elle juge appropriĂ© de se pencher d’abord sur la situation de ces derniers.

c)  Les troisiĂšme et quatriĂšme requĂ©rants (don d’ovules)

98.  La troisiĂšme requĂ©rante est totalement stĂ©rile. En revanche, son mari – le quatriĂšme requĂ©rant – est apte Ă  procrĂ©er. Il n’est pas contestĂ© que, du point de vue mĂ©dical, les intĂ©ressĂ©s se trouvent dans une situation oĂč la fĂ©condation in vitro avec don d’ovules est la seule technique qui puisse leur permettre de rĂ©aliser leur souhait d’avoir un enfant dont l’un d’entre eux au moins serait le parent gĂ©nĂ©tique. Toutefois, ils ne peuvent en bĂ©nĂ©ficier en raison de l’interdiction des techniques hĂ©tĂ©rologues de procrĂ©ation assistĂ©e Ă  des fins de fĂ©condation in vitro posĂ©e par l’article 3 § 1 de la loi sur la procrĂ©ation artificielle, disposition qui proscrit le don d’ovules sans aucune exception.

99.  Selon le Gouvernement, la dĂ©cision du lĂ©gislateur autrichien d’interdire le don d’ovules Ă  des fins de fĂ©condation in vitro Ă©tait nĂ©cessaire dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique. Le lĂ©gislateur aurait mĂ©nagĂ© un juste Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts publics et les intĂ©rĂȘts privĂ©s en cause. Il aurait Ă©tĂ© contraint d’apporter un certain nombre de restrictions Ă  l’utilisation des moyens offerts par les techniques d’assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation pour tenir compte du caractĂšre moralement et Ă©thiquement dĂ©licat des questions qu’elles soulĂšvent ainsi que de l’inquiĂ©tude que suscitent le rĂŽle et les possibilitĂ©s de la mĂ©decine reproductive moderne dans de larges pans de la sociĂ©tĂ©.

100.  La Cour estime que, dans un domaine aussi dĂ©licat que celui de la procrĂ©ation artificielle, les prĂ©occupations tenant Ă  des considĂ©rations d’ordre moral ou Ă  l’acceptabilitĂ© sociale des techniques en question doivent ĂȘtre prises au sĂ©rieux. Toutefois, elles ne sauraient justifier Ă  elles seules l’interdiction totale de telle ou telle mĂ©thode de procrĂ©ation assistĂ©e, en l’occurrence le don d’ovules. Nonobstant l’ample marge d’apprĂ©ciation dont les Parties contractantes bĂ©nĂ©ficient dans ce domaine, le cadre juridique mis en place doit ĂȘtre cohĂ©rent et permettre une prise en compte suffisante des divers intĂ©rĂȘts lĂ©gitimes en jeu.

101.  Le Gouvernement soutient notamment que les nouvelles techniques mĂ©dicales de procrĂ©ation assistĂ©e – au nombre desquelles figure la fĂ©condation in vitro – prĂ©sentent le risque inhĂ©rent d’une utilisation non seulement Ă  des fins thĂ©rapeutiques, mais aussi dans d’autres buts, notamment la « sĂ©lection Â» des enfants Ă  naĂźtre. Il ajoute que le don d’ovules comporte un danger d’exploitation et d’humiliation des femmes, en particulier celles issues de milieux socialement dĂ©favorisĂ©s. D’autre part, les femmes recourant Ă  un traitement de fĂ©condation in vitro pourraient se voir contraintes de fournir plus d’ovules qu’il ne serait strictement nĂ©cessaire pour leur traitement, ce afin de leur permettre d’en assumer le coĂ»t (paragraphe 66 ci-dessus). Il souligne que cette technique, qui implique une ponction d’ovules, est dangereuse et emporte de graves consĂ©quences pour les femmes qui s’y soumettent, et que le lĂ©gislateur doit se montrer particuliĂšrement vigilant pour y parer dĂšs lors que des tiers sont en cause, Ă  savoir les donneuses.

102.  Pour leur part, les requĂ©rants plaident que le lĂ©gislateur autrichien pouvait prendre d’autres mesures pour rĂ©duire – voire Ă©viter – les effets nĂ©fastes invoquĂ©s par le Gouvernement Ă  l’appui de la nĂ©cessitĂ© de l’ingĂ©rence et que, en tout Ă©tat de cause, ceux-ci ne sont pas suffisants pour prĂ©valoir sur leur intĂ©rĂȘt Ă  rĂ©aliser leur souhait de concevoir un enfant.

103.  La Cour note que la procrĂ©ation assistĂ©e est un domaine qui connaĂźt des Ă©volutions rapides du point de vue de la science et de l’encadrement juridique de ses applications mĂ©dicales. Aussi est-il particuliĂšrement difficile d’établir une base solide pour apprĂ©cier la nĂ©cessitĂ© et l’opportunitĂ© de dispositions lĂ©gales dont les effets pourraient mettre de nombreuses annĂ©es Ă  se faire sentir. Il n’est donc guĂšre Ă©tonnant que les Etats jugent nĂ©cessaire d’intervenir avec une grande circonspection en la matiĂšre.

104.  La Cour constate Ă  cet Ă©gard que le lĂ©gislateur autrichien n’a pas interdit totalement la procrĂ©ation artificielle, puisqu’il a autorisĂ© le recours aux techniques homologues. Il ressort de l’arrĂȘt rendu par la Cour constitutionnelle le 14 octobre 1999 que la loi autrichienne repose sur l’idĂ©e selon laquelle la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e doit demeurer aussi proche que possible de la conception naturelle, le lĂ©gislateur ayant notamment voulu maintenir le principe fondamental de droit civil contenu dans l’adage « mater semper certa est Â» (la mĂšre est toujours certaine) en faisant en sorte que deux femmes ne puissent se disputer la maternitĂ© biologique d’un mĂȘme enfant, ce afin d’éviter des conflits Ă©ventuels entre la filiation utĂ©rine et la filiation gĂ©nĂ©tique au sens large. Ce faisant, le lĂ©gislateur s’est efforcĂ© de concilier le souhait de donner accĂšs Ă  la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e et l’inquiĂ©tude que suscitent dans de larges pans de la sociĂ©tĂ© le rĂŽle et les possibilitĂ©s de la mĂ©decine reproductive moderne, laquelle soulĂšve de dĂ©licates questions d’ordre moral et Ă©thique.

105.  La Cour observe en outre que le lĂ©gislateur autrichien a assorti la loi sur la procrĂ©ation artificielle de garanties et de prĂ©cautions spĂ©cifiques, notamment en rĂ©servant l’usage des techniques de procrĂ©ation artificielle aux mĂ©decins spĂ©cialistes dotĂ©s de compĂ©tences et d’une expĂ©rience particuliĂšres dans ce domaine et soumis aux rĂšgles dĂ©ontologiques de leur profession (paragraphe 32 ci-dessus), et en interdisant la rĂ©munĂ©ration du don de gamĂštes. Ces mesures visent Ă  prĂ©venir les risques potentiels de sĂ©lection eugĂ©nique ainsi qu’à empĂȘcher des utilisations abusives des techniques existantes et l’exploitation des femmes donneuses d’ovules en situation de vulnĂ©rabilitĂ©. Le lĂ©gislateur autrichien pouvait thĂ©oriquement aussi Ă©laborer et adopter d’autres mesures ou garanties propres Ă  rĂ©duire les risques inhĂ©rents au don d’ovules Ă©voquĂ©s par le Gouvernement. En ce qui concerne les prĂ©occupations exprimĂ©es par celui-ci au sujet de la crĂ©ation de rapports caractĂ©risĂ©s par une discordance entre la rĂ©alitĂ© sociale et la rĂ©alitĂ© biologique, la Cour relĂšve que les liens familiaux atypiques au sens large, qui ne s’inscrivent pas dans le schĂ©ma classique parent-enfant reposant sur un lien biologique direct, ne sont pas inconnus des ordres juridiques des Etats contractants. L’institution de l’adoption, que tous les Etats membres connaissent, a Ă©voluĂ© au fil du temps pour aboutir Ă  un rĂ©gime juridique rĂ©glementant de maniĂšre satisfaisante les rapports qui en dĂ©coulent. De la mĂȘme maniĂšre, il aurait Ă©tĂ© possible au lĂ©gislateur d’apporter des solutions juridiques acceptables aux difficultĂ©s que suscite le don d’ovules. Toutefois, la Cour doit tenir compte de ce que la dissociation de la maternitĂ© entre une mĂšre gĂ©nĂ©tique et une mĂšre utĂ©rine crĂ©e des rapports trĂšs diffĂ©rents de ceux qui rĂ©sultent de l’adoption et ajoute une nouvelle dimension au problĂšme.

106.  La Cour admet que le lĂ©gislateur autrichien aurait pu donner Ă  la procrĂ©ation artificielle un autre cadre juridique, qui aurait autorisĂ© le don d’ovules. Elle relĂšve, Ă  cet Ă©gard, qu’un certain nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe ont optĂ© pour cette solution. Toutefois, la question essentielle qui se pose sur le terrain de l’article 8 n’est pas celle de savoir si le lĂ©gislateur aurait pu trouver une autre solution, peut-ĂȘtre plus Ă©quilibrĂ©e, mais si en retenant la solution ici critiquĂ©e il a outrepassĂ© la marge d’apprĂ©ciation dont il jouissait au titre de cette disposition (Evans, prĂ©citĂ©, § 91). Pour trancher cette question, la Cour attache un certain poids au fait, notĂ© ci-dessus, qu’il n’existe pas un consensus europĂ©en suffisamment solide sur le point de savoir si le don d’ovules Ă  des fins de fĂ©condation in vitro doit ĂȘtre autorisĂ©.

107.  A ce propos, la Cour observe qu’au niveau europĂ©en le seul instrument Ă  traiter de la question du don d’ovules aux fins de procrĂ©ation assistĂ©e est la sĂ©rie de principes adoptĂ©s en 1989 par le comitĂ© ad hoc d’experts sur les progrĂšs des sciences biomĂ©dicales, dont le onziĂšme Ă©nonce que la fĂ©condation in vitro doit en principe ĂȘtre effectuĂ©e avec les gamĂštes du couple. Ni la Convention de 1997 sur les droits de l’homme et la biomĂ©decine ni son Protocole additionnel adoptĂ© en 2002 n’abordent cette question. La directive 2004/23/CE de l’Union europĂ©enne Ă©nonce expressĂ©ment qu’elle « ne devrait pas porter atteinte aux dĂ©cisions prises par les Etats membres concernant l’utilisation ou la non-utilisation de tel ou tel type de cellules humaines, y compris les cellules germinatives et les cellules souches embryonnaires Â».

d)  Les premier et deuxiĂšme requĂ©rants (don de sperme)

108.  La premiĂšre requĂ©rante souffre de stĂ©rilitĂ© tubaire. Son mari, le deuxiĂšme requĂ©rant, est lui aussi stĂ©rile. Il est constant que, du point de vue mĂ©dical, les intĂ©ressĂ©s se trouvent dans une situation oĂč la fĂ©condation in vitro avec don de sperme est la seule technique qui puisse leur permettre de rĂ©aliser leur souhait d’avoir un enfant dont l’un d’entre eux au moins serait le parent gĂ©nĂ©tique.

109.  Toutefois, ils ne peuvent bĂ©nĂ©ficier de ce traitement en raison de l’interdiction de l’utilisation des techniques hĂ©tĂ©rologues de procrĂ©ation assistĂ©e Ă  des fins de fĂ©condation in vitro posĂ©e par l’article 3 § 1 de la loi sur la procrĂ©ation artificielle, disposition qui proscrit le recours au don de sperme dans leur cas. En revanche, l’article 3 § 2 de ladite loi autorise le don de sperme Ă  des fins de fĂ©condation in vivo.

110.  La Cour rappelle qu’un Etat peut, sans enfreindre l’article 8 de la Convention, adopter une lĂ©gislation rĂ©gissant des aspects importants de la vie privĂ©e qui ne prĂ©voit pas de mise en balance des intĂ©rĂȘts concurrents dans chaque cas. Lorsque des aspects importants de la vie privĂ©e sont en jeu, l’édiction par le lĂ©gislateur d’une rĂšgle Ă  caractĂšre absolu visant Ă  promouvoir la sĂ©curitĂ© juridique n’est pas incompatible avec l’article 8 (Evans, prĂ©citĂ©, § 89).

111.  La chambre a accordĂ© une grande importance au fait que le traitement dont les intĂ©ressĂ©s souhaitaient bĂ©nĂ©ficier combinait deux techniques – la fĂ©condation in vitro homologue et la fĂ©condation in vivo avec don de sperme – qui, mises en Ɠuvre sĂ©parĂ©ment, Ă©taient autorisĂ©es par la loi sur la procrĂ©ation artificielle. Elle a jugĂ© qu’il fallait des explications particuliĂšrement convaincantes pour justifier l’interdiction de l’utilisation combinĂ©e de deux techniques par ailleurs licites. Or, pour elle, le seul argument spĂ©cifique Ă  l’interdiction litigieuse consistait Ă  dire que l’insĂ©mination artificielle in vivo Ă©tait une pratique ancienne et d’une telle facilitĂ© de mise en Ɠuvre que les autoritĂ©s auraient du mal Ă  en contrĂŽler l’interdiction. Elle y a vu une considĂ©ration de simple efficacitĂ© qui ne pouvait prĂ©valoir sur les intĂ©rĂȘts particuliĂšrement importants des individus concernĂ©s, raison pour laquelle elle a conclu que la diffĂ©rence de traitement ne se justifiait pas (paragraphes 92-93 de l’arrĂȘt de la chambre).

112.  La Grande Chambre n’est pas convaincue par ce raisonnement. Elle considĂšre que le cadre lĂ©gislatif dans lequel s’inscrit l’interdiction de telle ou telle technique de procrĂ©ation artificielle doit ĂȘtre pris en compte pour l’examen de la conformitĂ© avec la Convention de l’interdiction en question et que celle-ci doit ĂȘtre envisagĂ©e dans ce contexte plus large.

113.  Il est vrai que certains des arguments avancĂ©s par le Gouvernement pour justifier l’interdiction du don de gamĂštes Ă  des fins de fĂ©condation in vitro – tels que la nĂ©cessitĂ© de prĂ©venir le risque d’exploitation des femmes en situation de vulnĂ©rabilitĂ©, de limiter les risques sanitaires auxquels s’exposent les donneuses d’ovules et d’empĂȘcher la crĂ©ation de rapports familiaux atypiques liĂ©s Ă  la dissociation de la maternitĂ© – ne valent que pour l’interdiction du don d’ovules. Restent toutefois les prĂ©occupations d’ordre gĂ©nĂ©ral exprimĂ©es par le Gouvernement, Ă  savoir que le don de gamĂštes impliquant des tiers dans un processus mĂ©dical hautement technique est controversĂ© et soulĂšve des questions sociales et morales complexes qui ne font l’objet d’aucun consensus en Autriche et pour lesquelles il faut faire entrer en ligne de compte la dignitĂ© humaine, le bien‑ĂȘtre des enfants ainsi conçus et la prĂ©vention des inconvĂ©nients ou des abus possibles. La Cour a conclu ci-dessus que l’interdiction du don d’ovules Ă  des fins de fĂ©condation in vitro dĂ©cidĂ©e par le lĂ©gislateur autrichien sur la base de ces considĂ©rations Ă©tait compatible avec l’article 8. Elle estime que lesdites considĂ©rations sont Ă©galement pertinentes pour l’interdiction des dons de sperme Ă  des fins de fĂ©condation in vitro, eu Ă©gard Ă  la nĂ©cessitĂ© de tenir compte du cadre gĂ©nĂ©ral dans lequel elle a Ă©tĂ© Ă©dictĂ©e.

114.  Le fait que le lĂ©gislateur autrichien a adoptĂ© une loi sur la procrĂ©ation artificielle consacrant l’interdiction des dons de sperme et d’ovules Ă  des fins de fĂ©condation in vitro sans pour autant proscrire le don de sperme Ă  des fins de fĂ©condation in vivo, technique tolĂ©rĂ©e depuis longtemps et communĂ©ment admise dans la sociĂ©tĂ©, est un Ă©lĂ©ment important pour la mise en balance des divers intĂ©rĂȘts en prĂ©sence et ne peut se ramener Ă  une simple question d’efficacitĂ© du contrĂŽle des interdictions. Au contraire, il faut y voir la marque du soin et de la circonspection avec lesquels le lĂ©gislateur autrichien a cherchĂ© Ă  concilier les rĂ©alitĂ©s sociales avec ses positions de principe en la matiĂšre. A cet Ă©gard, la Cour observe que le droit autrichien n’interdit pas aux personnes concernĂ©es de se rendre Ă  l’étranger pour y subir des traitements contre la stĂ©rilitĂ© faisant appel Ă  des techniques de procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e interdites en Autriche et que, en cas de rĂ©ussite des traitements en question, la filiation paternelle et la filiation maternelle sont rĂ©gies par des dispositions prĂ©cises du code civil qui respectent les souhaits des parents (voir, mutatis mutandis, A, B et C c. Irlande, prĂ©citĂ©, § 239).

e)  Conclusion de la Cour

115.  Eu Ă©gard Ă  ce qui prĂ©cĂšde, la Cour conclut que ni l’interdiction du don d’ovules Ă  des fins de procrĂ©ation artificielle ni la prohibition du don de sperme Ă  des fins de fĂ©condation in vitro posĂ©es par l’article 3 de la loi sur la procrĂ©ation artificielle n’ont excĂ©dĂ© la marge d’apprĂ©ciation dont le lĂ©gislateur autrichien disposait Ă  l’époque pertinente.

116.  Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention dans le chef des requĂ©rants.

117.  NĂ©anmoins, la Cour ne peut que constater que le parlement autrichien n’a pas, Ă  ce jour, procĂ©dĂ© Ă  un rĂ©examen approfondi des rĂšgles rĂ©gissant la procrĂ©ation artificielle Ă  la lumiĂšre de l’évolution rapide que connaissent la science et la sociĂ©tĂ© Ă  cet Ă©gard. Elle observe au demeurant que tout en jugeant que le lĂ©gislateur avait respectĂ© le principe de proportionnalitĂ© dĂ©coulant de l’article 8 § 2 de la Convention et que le choix fait par lui d’autoriser en principe les mĂ©thodes homologues de procrĂ©ation artificielle – et Ă  titre exceptionnel l’insĂ©mination avec don de sperme –reflĂ©tait l’état de la science mĂ©dicale de l’époque et le consensus existant dans la sociĂ©tĂ©, la Cour constitutionnelle a prĂ©cisĂ© que ces donnĂ©es n’étaient pas figĂ©es et qu’elles pouvaient subir des Ă©volutions dont le lĂ©gislateur devrait tenir compte.

118.  Le Gouvernement n’a pas indiquĂ© si les autoritĂ©s autrichiennes avaient donnĂ© suite Ă  cet aspect de l’arrĂȘt de la Cour constitutionnelle. A cet Ă©gard, la Cour rappelle que la Convention doit toujours s’interprĂ©ter et s’appliquer Ă  la lumiĂšre des circonstances actuelles (Rees c. Royaume-Uni, 17 octobre 1986, § 47, sĂ©rie A no 106). Bien qu’elle ait conclu Ă  la non‑violation de l’article 8 en l’espĂšce, elle observe que le domaine en cause, qui paraĂźt se trouver en perpĂ©tuelle Ă©volution et connaĂźt des Ă©volutions scientifiques et juridiques particuliĂšrement rapides, appelle un examen permanent de la part des Etats contractants (Christine Goodwin, prĂ©citĂ©, § 74 ; et Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 68, CEDH 2002‑IV).

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8

119.  Les requĂ©rants allĂšguent que l’interdiction du recours Ă  des techniques hĂ©tĂ©rologues de procrĂ©ation artificielle en vue d’une fĂ©condation in vitro posĂ©e par l’article 3 §§ 1 et 2 de la loi sur la procrĂ©ation artificielle a emportĂ© violation de leurs droits au titre de l’article 14 de la Convention combinĂ© avec l’article 8.

120.  En l’espĂšce, la Cour estime que la substance du grief des requĂ©rants a Ă©tĂ© suffisamment prise en compte dans le cadre de l’examen de leurs allĂ©gations fondĂ©es sur l’article 8 de la Convention. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu d’examiner sĂ©parĂ©ment les mĂȘmes faits sous l’angle de l’article 14 combinĂ© avec l’article 8 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.  Rejette, Ă  l’unanimitĂ©, l’exception prĂ©liminaire soulevĂ©e par le Gouvernement ;

2.  Dit, par 13 voix contre 4, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention ; 

3.  Dit, Ă  l’unanimitĂ©, qu’il ne s’impose pas d’examiner aussi l’affaire sous l’angle de l’article 14 de la Convention combinĂ© avec l’article 8 de la Convention.

Fait en français et en anglais, puis prononcĂ© en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, Ă  Strasbourg, le 3 novembre 2011.

Michael O’Boyle              Jean-Paul Costa

Greffier adjoint               PrĂ©sident

Au prĂ©sent arrĂȘt se trouve joint, conformĂ©ment aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du rĂšglement, l’exposĂ© des opinions sĂ©parĂ©es suivantes :

–  opinion sĂ©parĂ©e du juge de Gaetano ;

–  opinion dissidente commune aux juges Tulkens, HirvelĂ€, Lazarova Trajkovska et Tsotsoria.

J.-P.C.
M.O.B.

 

 

OPINION SÉPARÉE DU JUGE DE GAETANO

(Traduction)

1.  J’ai votĂ© avec la majoritĂ© dans cette affaire car je pense que les faits de la cause ne rĂ©vĂšlent pas de violation de l’article 8, ni d’ailleurs de violation de l’article 14 combinĂ© avec l’article 8. Toutefois, certaines implications du raisonnement de la majoritĂ© m’inspirent de sĂ©rieuses rĂ©serves.

2.  La dignitĂ© humaine – dont dĂ©coule la notion de valeur inhĂ©rente de la vie humaine – est au cƓur mĂȘme de l’ensemble de la Convention. Elle peut bien sĂ»r relever plus directement et immĂ©diatement de certaines dispositions de la Convention que d’autres articles de celle-ci. L’article 8 est l’une de ces dispositions. Pour rĂ©pondre Ă  la question, posĂ©e aux paragraphes 85 et suivants de l’arrĂȘt, de savoir si l’affaire devait ĂȘtre examinĂ©e sous l’angle d’une « atteinte au droit des requĂ©rants au respect de leur vie privĂ©e et familiale (...) ou en un dĂ©faut d’exĂ©cution d’une obligation positive qui pĂšserait sur [l’Etat] Ă  cet Ă©gard Â», il aurait d’abord fallu dĂ©terminer les limites inhĂ©rentes Ă  l’article 8. S’il n’est pas douteux que la dĂ©cision d’un couple de concevoir un enfant relĂšve de sa vie privĂ©e et familiale (et, dans le contexte de l’article 12, du droit du couple de fonder une famille), ni l’article 8 ni l’article 12 ne peuvent s’interprĂ©ter comme confĂ©rant un droit de concevoir un enfant Ă  n’importe quel prix. A mes yeux, le « dĂ©sir Â» d’enfant ne peut devenir un objectif absolu l’emportant sur la dignitĂ© de la vie humaine.

3.  Dans l’arrĂȘt Dickson c. Royaume-Uni, citĂ© au paragraphe 81 du prĂ©sent arrĂȘt, la Cour a effectivement jugĂ© que la procrĂ©ation dĂ©tachĂ©e de l’acte conjugal relevait du champ d’application de l’article 8. J’estime que, par cette dĂ©cision, la Cour n’a pas fait progresser la cause de la dignitĂ© humaine mais s’est bornĂ©e Ă  accompagner les progrĂšs de la science mĂ©dicale. L’acte personnel d’un homme et d’une femme que constitue la procrĂ©ation humaine y a Ă©tĂ© rĂ©duite Ă  une technique mĂ©dicale ou de laboratoire.

4.  Le prĂ©sent arrĂȘt donne Ă  entendre (paragraphe 106) que l’existence d’un « consensus europĂ©en Â» en la matiĂšre est une considĂ©ration importante pour dĂ©terminer s’il y a eu ou non violation de la Convention (sous l’angle de l’article 8). LĂ  encore, cette maniĂšre d’envisager les choses Ă©lude la nĂ©cessitĂ© de se demander si tel ou tel acte, omission ou restriction fait progresser ou reculer la dignitĂ© humaine (sans compter que l’histoire a montrĂ© que le « consensus europĂ©en Â» a par le passĂ© conduit Ă  des injustices flagrantes en Europe et ailleurs). De la mĂȘme maniĂšre, le point de savoir si le parlement autrichien a entrepris d’examiner de fond en comble « les rĂšgles rĂ©gissant la procrĂ©ation artificielle Ă  la lumiĂšre de l’évolution rapide que connaissent la science et la sociĂ©tĂ© Ă  cet Ă©gard Â» (paragraphe 117) est hors de propos.

5.  La procrĂ©ation artificielle (par opposition Ă  la procrĂ©ation naturelle mĂ©dicalement assistĂ©e) soulĂšve bien sĂ»r d’autres questions qui excĂšdent la portĂ©e du prĂ©sent arrĂȘt, telles que la congĂ©lation et la destruction des embryons humains.

6.  Quels que soient les progrĂšs de la science mĂ©dicale et d’autres sciences, la reconnaissance de la valeur et de la dignitĂ© de chacun peut nĂ©cessiter l’interdiction de certains actes au nom de la valeur inaliĂ©nable et de la dignitĂ© intrinsĂšque de tout ĂȘtre humain. Pareille interdiction – Ă  l’instar de l’interdiction du racisme, de la discrimination illĂ©gitime et de la marginalisation des malades et des handicapĂ©s – ne s’analyse pas en un dĂ©ni des droits fondamentaux de l’homme mais en une reconnaissance positive et un progrĂšs de ceux-ci.


OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES TULKENS, HIRVELÄ, LAZAROVA TRAJKOVSKA
ET TSOTSORIA

1.  Dans cette question particuliĂšrement sensible et dĂ©licate de la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e (PMA), nous ne partageons pas la conclusion de la majoritĂ© selon laquelle il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention dans le chef des quatre requĂ©rants.

2.  En l’espĂšce, le premier couple s’est vu refuser les ovules d’une donneuse, tandis que le second couple n’a pu recevoir le sperme d’un donneur, en raison de la loi sur la procrĂ©ation artificielle de 1992 qui dispose que seuls les gamĂštes provenant de personnes mariĂ©es (ou vivant maritalement) peuvent ĂȘtre utilisĂ©s, interdisant donc la PMA avec tiers donneur.

3.  D’emblĂ©e, il est toutefois important de noter que la Grande Chambre, comme la chambre, confirme et Ă©tend Ă  la situation prĂ©sente l’applicabilitĂ© de l’article 8 de la Convention. En effet, depuis l’arrĂȘt Evans c. Royaume du 10 avril 2007 (Grande Chambre), notre Cour admet que la notion de vie privĂ©e, au sens de l’article 8 de la Convention, recouvre le droit au respect de la dĂ©cision d’avoir un enfant ou de ne pas en avoir (§ 71). Par ailleurs, dans l’arrĂȘt Dickson c. Royaume-Uni du 4 dĂ©cembre 2007 (Grande Chambre) qui concernait la possibilitĂ© de pratiquer une insĂ©mination artificielle, la Cour a conclu Ă  l’applicabilitĂ© de l’article 8 au motif que la technique de procrĂ©ation en question concernait la vie privĂ©e et familiale des intĂ©ressĂ©s, prĂ©cisant que cette notion englobait un droit pour eux Ă  voir respecter leur dĂ©cision de devenir parents gĂ©nĂ©tiques (§ 66). En l’espĂšce, la Cour prĂ©cise « que le droit des couples Ă  concevoir un enfant et Ă  recourir pour ce faire Ă  la procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e relĂšve Ă©galement de la protection de l’article 8, pareil choix constituant une forme d’expression de la vie privĂ©e et familiale Â» (paragraphe 82 de l’arrĂȘt). Cette reconnaissance est d’autant plus importante que, contrairement Ă  la chambre, la Grande Chambre limite par aprĂšs son examen Ă  l’article 8 pris isolĂ©ment, estimant que c’est sur ce terrain que se situe la substance des griefs des requĂ©rants. L’article 8 de la Convention semble donc jouer dĂ©sormais un rĂŽle accru dans les questions liĂ©es Ă  la procrĂ©ation et Ă  la reproduction.

4.  Dans une matiĂšre en profonde Ă©volution aussi bien sur le plan scientifique et mĂ©dical que social et Ă©thique, une caractĂ©ristique de la prĂ©sente affaire rĂ©side dans le facteur temps. La dĂ©cision de la Cour constitutionnelle autrichienne rejetant les recours des requĂ©rants a Ă©tĂ© adoptĂ©e le 14 octobre 1999, cette derniĂšre observant elle-mĂȘme « que les choix opĂ©rĂ©s par le lĂ©gislateur [de 1992] reflĂ©taient l’état de la science mĂ©dicale de l’époque et le consensus existant dans la sociĂ©tĂ©, tout en prĂ©cisant que ceux-ci n’étaient pas figĂ©s et qu’ils pouvaient connaĂźtre des Ă©volutions dont le lĂ©gislateur devrait tenir compte Â» (paragraphe 22 de l’arrĂȘt). La requĂȘte a Ă©tĂ© introduite devant notre Cour le 8 mai 2000 et l’arrĂȘt de la chambre a Ă©tĂ© adoptĂ© le 1er avril 2010. Dans ces circonstances particuliĂšres, il nous semble artificiel pour la Cour de se limiter Ă  apprĂ©cier la situation telle qu’elle existait au moment du prononcĂ© de l’arrĂȘt de la Cour constitutionnelle en 1999 et dans le contexte de l’époque, privant ainsi dĂ©libĂ©rĂ©ment un arrĂȘt de Grande Chambre prononcĂ© fin 2011 de toute portĂ©e rĂ©elle. Certes, l’arrĂȘt prend soin de prĂ©ciser que « rien n’empĂȘche la Cour de prendre en considĂ©ration pour son apprĂ©ciation les dĂ©veloppements intervenus depuis lors Â» (paragraphe 84 de l’arrĂȘt), mais ce rappel restera, dans les faits, lettre morte.

5.  Un tel choix, qui ne trouve pas d’appui dĂ©cisif dans la jurisprudence de la Cour, bien au contraire (voy., notamment, Yaşa c. Turquie, arrĂȘt du 2 septembre 1998, § 94 ; Maslov c. Autriche, arrĂȘt [GC] du 23 juin 2008, §§ 91 et 92), nous paraĂźt d’autant plus problĂ©matique que l’essentiel de l’argumentaire de la Grande Chambre repose sur le consensus europĂ©en concernant le don de gamĂštes (ovules et sperme) dont nous savons pertinemment qu’il a Ă©voluĂ© de maniĂšre substantielle (paragraphes 35 et suivants de l’arrĂȘt). L’arrĂȘt le reconnaĂźt d’ailleurs clairement : « [i]l ressort des informations en possession de la Cour que, depuis le prononcĂ© de l’arrĂȘt de la Cour constitutionnelle autrichienne, la science mĂ©dicale a connu maintes Ă©volutions, auxquelles certains Etats contractants ont rĂ©pondu par des mesures lĂ©gislatives. Ces Ă©volutions pourraient donc avoir une influence sur l’apprĂ©ciation des faits par la Cour Â» (paragraphe 84 de l’arrĂȘt). Toutefois, par la suite, il n’en sera rien.

6.  Plus concrĂštement, et cet Ă©lĂ©ment pĂšse lourd Ă  nos yeux, la majoritĂ© constate expressĂ©ment que le parlement autrichien n’a toujours pas Ă  ce jour procĂ©dĂ© Ă  un rĂ©examen approfondi des rĂšgles rĂ©gissant la procrĂ©ation artificielle Ă  la lumiĂšre de l’évolution rapide que connaissent la science et la sociĂ©tĂ© Ă  cet Ă©gard, en dĂ©pit du fait que la Cour constitutionnelle dĂšs 1999 avait prĂ©cisĂ© que ces donnĂ©es n’étaient pas figĂ©es et qu’elles pouvaient subir des Ă©volutions dont le lĂ©gislateur devrait tenir compte (paragraphe 118 de l’arrĂȘt). Or, aucune suite n’a Ă©tĂ© donnĂ©e Ă  cet appel pendant plus de dix ans. NĂ©anmoins, la Grande Chambre estime que le lĂ©gislateur a respectĂ© le principe de proportionnalitĂ© dĂ©coulant de l’article 8 § 2 de la Convention, se limitant Ă  inviter « les Etats contractants Ă  un examen constant Â» (paragraphe 119 de l’arrĂȘt).

7.  Quand bien mĂȘme il serait acceptable en 2011 de s’en tenir exclusivement Ă  la situation existant en 1999, encore faut-il que le consensus europĂ©en tel qu’il existait Ă  ce moment soit soigneusement objectivĂ© aux fins de dĂ©terminer l’ampleur de la marge d’apprĂ©ciation car, « lorsqu’un aspect particuliĂšrement important de l’existence ou de l’identitĂ© d’un individu se trouve en jeu, la marge laissĂ©e Ă  l’Etat est d’ordinaire restreinte Â» (paragraphe 95 de l’arrĂȘt). Ainsi, par exemple, dans l’arrĂȘt Connors c. Royaume-Uni du 27 mai 2004, la Cour rappelle que la marge « est d’autant plus restreinte que le droit en cause est important pour garantir Ă  l’individu la jouissance effective des droits fondamentaux ou d’ordre “intime” qui lui sont reconnus Â» (§ 82), ce qui est Ă©videmment le cas en l’espĂšce.

8.  Or, mĂȘme sur base de l’étude comparative sur l’assistance mĂ©dicale Ă  la procrĂ©ation menĂ©e dans 39 pays par le Conseil de l’Europe en 1998, le don d’ovules n’était prohibĂ© Ă  cette Ă©poque que dans huit pays et le don de sperme dans cinq pays. NĂ©anmoins, la Cour estime que « le consensus qui semble se dessiner correspond davantage Ă  un stade de l’évolution d’une branche du droit particuliĂšrement dynamique qu’à des principes Ă©tablis de longue date dans les ordres juridiques des Etats membres, raison pour laquelle il ne peut restreindre de maniĂšre dĂ©cisive la marge d’apprĂ©ciation de l’Etat Â» (paragraphe 97 de l’arrĂȘt). De maniĂšre inĂ©dite, la Cour donne ainsi au consensus europĂ©en une dimension nouvelle et fixe Ă  celui-ci un seuil particuliĂšrement bas, laissant Ă  la marge d’apprĂ©ciation des Etats une extension potentiellement illimitĂ©e. Le climat actuel n’est sans doute pas Ă©tranger Ă  une telle position de retrait. Les divergences dans la jurisprudence de la Cour quant Ă  la valeur dĂ©terminante du consensus europĂ©en et le manque de rigueur des critĂšres retenus pour contrĂŽler celui-ci[1] atteignent ici leur limite, crĂ©ant une profonde insĂ©curitĂ© juridique.

9.  Il est significatif de constater que dans le rapport d’une rĂ©union sur « Medical, ethical and social aspects of assisted reproduction Â» organisĂ©e par l’Organisation Mondiale de la SantĂ© dĂ©jĂ  en 2001, des auteurs se sont exprimĂ©s comme suit : « [il] est communĂ©ment admis que l’infertilitĂ© affecte plus de 80 millions de personnes dans le monde. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, un couple sur dix est touchĂ© par une infertilitĂ© primaire ou secondaire (...) il s’agit d’un problĂšme majeur dans la vie des personnes concernĂ©es, source de souffrance sociale et psychologique tant pour les hommes que pour les femmes et susceptible de mettre les relations de couple Ă  rude Ă©preuve[2] Â». Aujourd’hui, « la sociĂ©tĂ© doit relever les nouveaux dĂ©fis que lui lancent [la] rĂ©volution technologique [dans le domaine de la reproduction assistĂ©e] et ses implications sociales[3] Â». A cet Ă©gard, il nous semble important de rappeler que les articles 12 § 1 et 15 § 1 b) du Pacte international relatif aux droits Ă©conomiques, sociaux et culturels (1966) reconnaissent Ă  chacun le droit de bĂ©nĂ©ficier du progrĂšs scientifique et de ses applications ainsi que de jouir du meilleur Ă©tat de santĂ© physique et mentale. En dĂ©finitive, ce qui est en jeu en l’espĂšce n’est pas une question de choix entre diffĂ©rentes techniques. Il s’agit plus fondamentalement d’une limitation de l’accĂšs Ă  des techniques de fĂ©condation in vitro hĂ©tĂ©rologue qui s’analyse en un refus d’accĂšs Ă  une thĂ©rapie disponible.

10.  Alors que les donnĂ©es de l’époque vont en majoritĂ© dans un sens contraire et sans prendre en considĂ©ration les dĂ©veloppements intervenus depuis lors, la Grande Chambre n’hĂ©site pas Ă  soutenir qu’il n’y a pas encore une « claire communautĂ© de vues entre Etats membres Â» et qu’il y a lieu dĂšs lors d’accorder Ă  l’Etat dĂ©fendeur une « ample marge d’apprĂ©ciation Â», lui permettant notamment de concilier les rĂ©alitĂ©s sociales avec ses positions de principe en la matiĂšre. Ce raisonnement laisse entendre que ces Ă©lĂ©ments doivent dĂ©sormais prendre le pas sur le consensus europĂ©en, ce qui constitue un tournant dangereux dans la jurisprudence de la Cour dont une des missions est prĂ©cisĂ©ment de contribuer Ă  une harmonisation en Europe des droits garantis par la Convention[4].

11.  Avec le consensus europĂ©en, la marge d’apprĂ©ciation est donc l’autre pilier du raisonnement de la Grande Chambre. Parfois celle-ci est qualifiĂ©e d’ample ou de large (paragraphe 98 de l’arrĂȘt), parfois elle est invoquĂ©e sans qualification particuliĂšre (paragraphes 107 et 116 de l’arrĂȘt), laissant transparaĂźtre une certaine hĂ©sitation quant au poids rĂ©el Ă  donner Ă  celle-ci et Ă  la gravitĂ© de la limitation litigieuse. Il en rĂ©sulte que la position de la Cour est imprĂ©cise et incertaine, voire opaque. Tout en reconnaissant que le lĂ©gislateur aurait pu apporter des solutions juridiques acceptables, peut-ĂȘtre plus Ă©quilibrĂ©es, aux difficultĂ©s que prĂ©sentent tant le don d’ovules que le don de sperme, la Grande Chambre se limite Ă  examiner le point de savoir s’il a, en retenant la solution critiquĂ©e, outrepassĂ© la marge d’apprĂ©ciation dont il jouissait (paragraphe 107 de l’arrĂȘt). A notre avis, la question ne se pose pas ainsi. D’un cĂŽtĂ©, lorsque les Etats ont autorisĂ© la PMA, la Cour doit vĂ©rifier s’ils en accordent le bĂ©nĂ©fice de maniĂšre cohĂ©rente avec leurs obligations conventionnelles et en choisissant la voie la moins attentatoire aux droits et libertĂ©s. La marge d’apprĂ©ciation va de pair avec le contrĂŽle europĂ©en. D’un autre cĂŽtĂ©, dans une affaire aussi sensible que celle-ci, la Cour ne peut utiliser la marge d’apprĂ©ciation comme « substitut pragmatique Ă  une approche rĂ©flĂ©chie du problĂšme de la portĂ©e adĂ©quate de son contrĂŽle Â»[5]. En dĂ©finitive, par l’effet combinĂ© du consensus europĂ©en et de la marge d’apprĂ©ciation, la Cour a choisi une approche minimale, voire minimaliste, peu susceptible d’éclairer les juridictions nationales.

12.  Un des arguments avancĂ©s par le Gouvernement et acceptĂ© par la majoritĂ© nous paraĂźt singuliĂšrement problĂ©matique, Ă  savoir « que le droit autrichien n’interdit pas aux personnes concernĂ©es de se rendre Ă  l’étranger pour y subir des traitements contre la stĂ©rilitĂ© faisant appel Ă  des techniques de procrĂ©ation mĂ©dicalement assistĂ©e interdites en Autriche et que, en cas de rĂ©ussite des traitements en question, la filiation paternelle et la filiation maternelle sont rĂ©gies par des dispositions prĂ©cises du code civil qui respectent les souhaits des parents Â» (paragraphe 115 de l’arrĂȘt)[6].

13.  A notre avis, cet argument que les couples peuvent se rendre Ă  l’étranger (sans prendre en compte les Ă©ventuelles difficultĂ©s pratiques et les frais que cela pourrait engendrer) laisse sans rĂ©ponse la vraie question qui est celle de l’ingĂ©rence dans la vie privĂ©e des requĂ©rants rĂ©sultant de l’interdiction absolue qui existe en Autriche ; il ne suffit, dĂšs lors, en aucune maniĂšre Ă  satisfaire aux exigences de la Convention concernant le droit des requĂ©rants au respect de l’article 8. En outre, en endossant le raisonnement du Gouvernement selon lequel, en cas de rĂ©ussite des traitements subis Ă  l’étranger, la filiation paternelle et maternelle des enfants seront rĂ©gies par le code civil dans le respect du souhait des parents, la Grande Chambre affaiblit considĂ©rablement la force des arguments fondĂ©s sur « l’inquiĂ©tude que suscitent le rĂŽle et les possibilitĂ©s de la mĂ©decine reproductive moderne dans de larges pans de la sociĂ©tĂ© Â», notamment en ce qui concerne la crĂ©ation de rapports familiaux atypiques (paragraphe 114 de l’arrĂȘt). Enfin, si le souci de l’intĂ©rĂȘt de l’enfant qui serait mis en pĂ©ril par les mĂ©thodes interdites de reproduction disparaĂźt ainsi par le passage de la frontiĂšre, il en va de mĂȘme en ce qui concerne les prĂ©occupations relatives Ă  la santĂ© de la mĂšre plusieurs fois invoquĂ©es par le Gouvernement dĂ©fendeur pour justifier l’interdiction.

14.  Pour l’ensemble de ces raisons, nous concluons qu’il y a eu en l’espĂšce, dans le chef des quatre requĂ©rants, violation de l’article 8 de la Convention.


[1].  Â« Le rĂŽle du consensus dans le systĂšme de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme Â», Dialogue entre juges, Cour europĂ©enne des droits de l’homme, Conseil de l’Europe, 2008.

[2].  E. Vayena et al. (Ă©ds.), Current Practices and Controversies in Assisted Reproduction, GenĂšve, Organisation Mondiale de la SantĂ©, 2002, p. XIII.

[3].  M.F. Fathalla, « Current challenges in assisted reproduction Â», in E. Vayena et al. (Ă©ds.), Current Practices and Controversies in Assisted Reproduction, op. cit., p. 20.

[4].  C.L. Rozakis, “The European Judge as Comparatist”, Tul. L. Rev., vol. 80, n° 1, 2005, p. 272.

[5].  Opinion dissidente commune aux juges TĂŒrmen, Tsatsa-Nikolovska, Spielmann et Ziemele, jointe Ă  l’arrĂȘt Evans c. Royaume-Uni [GC] du 10 avril 2007, point 12.

[6].  Voy., sur cette question, R.F. Storrow, « The pluralism problem in cross-border reproductive care Â», Human Reproduction, vol. 25, n° 12, 2010, pp. 2939 et ss.