Corte europea dei diritti dell’uomo
(Grande Camera)
3 novembre 2011
AFFAIRE S.H. ET AUTRES c. AUTRICHE
(Requête n. 57813/00)
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de
forme.
En l’affaire S.H. et autres c. Autriche,
La Cour
européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée
de :
Jean-Paul Costa, président,
Nicolas Bratza,
Françoise Tulkens,
Josep Casadevall,
Elisabeth Steiner,
Elisabet Fura,
Danutė Jočienė,
Ján Šikuta,
Dragoljub Popović,
Ineta Ziemele,
Päivi Hirvelä,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Ledi Bianku,
Nona Tsotsoria,
Işıl Karakaş,
Guido
Raimondi,
Vincent A. de Gaetano,
juges,
et de
Michael O’Boyle, greffier adjoint,
Après en
avoir délibéré en chambre du conseil le 23 février et le 5 octobre 2011,
Rend
l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A
l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 57813/00) dirigée contre la
République d’Autriche et dont quatre ressortissants de cet Etat, Mme S.H., M.
D.H., Mme H.E.-G. et M. M.G. (« les requérants »), ont saisi la Cour le
8 mai 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits
de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le
président de la Grande Chambre a accédé à la demande de non-divulgation de leur
identité formulée par les intéressés (article 47 § 3 du règlement de la
Cour – « le règlement »).
2. Devant
la Cour, les requérants ont été représentés par Mes H.F. Kinz et W.L. Weh, avocats à
Bregenz. Le gouvernement autrichien (« le Gouvernement ») a été
représenté par son agent, M. H. Tichy, ambassadeur,
chef du département de droit international au ministère fédéral des Affaires
européennes et internationales.
3. Dans
leur requête, les intéressés alléguaient en particulier que les dispositions de
la loi autrichienne sur la procréation artificielle prohibant la fécondation in
vitro avec don de gamètes, seule technique médicale qui leur aurait permis,
selon eux, de concevoir un enfant, emportaient violation de leurs droits au
titre de l’article 8 de la Convention pris isolément et combiné avec l’article
14.
4. La
requête a été attribuée à la première section de la Cour
(article 52 § 1 du règlement). Le 15 novembre 2007, elle a été
déclarée en partie recevable par une chambre de ladite section composée de Christos Rozakis, Loukis Loucaides, Nina Vajić, Anatoly Kovler,
Elisabeth Steiner, Khanlar Hajiyev
et Giorgio Malinverni, juges, ainsi que de Søren
Nielsen, greffier de section. Le 11 mars 2010, après une audience sur le fond
(article 54 § 3 du règlement), une chambre de la même section composée de Christos Rozakis, Nina Vajić, Anatoly Kovler,
Elisabeth Steiner, Khanlar Hajiyev,
Sverre Erik Jebens et
Giorgio Malinverni, juges, ainsi que de André Wampach, greffier adjoint de section, a rendu un arrêt dans
lequel elle concluait, par six voix contre une, à la violation de l’article 14
de la Convention combiné avec l’article 8 dans le chef des premier et deuxième
requérants, par cinq voix contre deux, à la violation de ces dispositions dans
le chef des troisième et quatrième requérants et, à l’unanimité, qu’il ne
s’imposait pas d’examiner aussi l’affaire sous l’angle de l’article 8 pris
isolément.
5. Le
4 octobre 2010, faisant droit à une demande formulée par le Gouvernement le 1er
juillet 2010, le collège de la Grande Chambre a décidé de renvoyer l’affaire
devant celle-ci en application de l’article 43 de la Convention.
6. La
composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux dispositions
des articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.
7. Tant
les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites (article
59 § 1 du règlement). En outre, des observations ont été reçues des
gouvernements allemand et italien, ainsi que des organisations non
gouvernementales Hera ONLUS, European
Centre for Law and Justice et Aktion Leben, que le
président avaient autorisés à intervenir dans la procédure écrite (articles 36
§ 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement).
8. Une
audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg,
le 23 février 2011 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour
le Gouvernement
Mme B.
Ohms, agente adjointe,
MM. M. Stormann,
G. Doujak, conseillers;
– pour
les requérants
Mes H. Kinz,
W.L. Weh conseils,
MM. S. Harg,
C. Eberle conseillers.
La Cour a
entendu en leurs déclarations Me Weh, Me Kinz et Mme Ohms.
EN FAIT
I. LES
CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
9. Les
requérants sont nés en 1966, 1962, 1971 et 1971 respectivement et résident à L.
et à R.
10. La
première requérante est mariée au deuxième requérant, et la troisième
requérante au quatrième requérant.
11. La
première requérante souffre de stérilité tubaire (eileiterbedingter
Sterilität). Elle produit des ovules, mais
l’obturation de ses trompes de Fallope bloque leur passage vers l’utérus et
rend la fécondation naturelle impossible. Son mari, le deuxième requérant, est
stérile.
12. La
troisième requérante est atteinte de dysgénésie gonadique (Gonadendysgenesie),
pathologie qui empêche l’ovulation. Bien que son utérus soit parfaitement
constitué, elle est totalement stérile. Son mari, M. G., le quatrième
requérant, est apte à procréer, contrairement au second requérant.
13. Le
4 mai 1998, les première et troisième requérantes introduisirent devant la Cour
constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof) une
demande (Individualantrag) invitant celle-ci à
contrôler la constitutionnalité de l’article 3 §§ 1 et 2 de la loi sur la
procréation artificielle (Fortpflanzungsmedizingesetz
– paragraphes 27-34 ci-dessous).
14. Dans
leur demande, les intéressées alléguaient être directement touchées par les
dispositions en question. Soulignant qu’elle ne pouvait pas concevoir de
manière naturelle, la première requérante soutenait que la fécondation in vitro
avec don de sperme était la seule possibilité d’avoir un enfant qui s’offrait à
elle et à son mari, mais que l’utilisation de cette technique était prohibée
par l’article 3 §§ 1 et 2 de la loi sur la procréation artificielle. Pour sa
part, la troisième requérante précisait qu’elle était stérile et que la
dysgénésie gonadique dont elle était atteinte empêchait toute ovulation, raison
pour laquelle le seul moyen pour elle d’avoir un enfant était d’avoir recours à
une technique médicale de procréation artificielle, à savoir un transfert
d’embryon avec don d’ovocytes, qui lui aurait permis de se faire implanter dans
l’utérus un embryon conçu avec un ovule d’une autre femme fécondé par le sperme
du quatrième requérant, technique qui était toutefois interdite par la loi sur
la procréation artificielle.
15. Les
deux requérantes arguaient que l’impossibilité de recourir aux techniques
médicales en question emportait violation de leurs droits au titre de l’article
8 de la Convention. Elles invoquaient en outre l’article 12 de cet instrument
et l’article 7 de la Constitution fédérale, qui garantit l’égalité de
traitement.
16. Le
4 octobre 1999, la Cour constitutionnelle tint une audience publique. La
première requérante y comparut, assistée d’un avocat.
17. Le
14 octobre 1999, la Cour constitutionnelle statua sur le recours introduit par
les première et troisième requérantes, qu’elle déclara partiellement recevable
dans la mesure où la loi s’appliquait à leur situation individuelle. A cet
égard, elle jugea que les dispositions de l’article 3 de la loi sur la
procréation artificielle interdisant le recours à certaines techniques
utilisées par la médecine reproductive s’appliquaient directement aux
intéressées, nonobstant l’absence de toute décision judiciaire ou
administrative les concernant.
18. Quant
au fond du recours formé par les intéressées, la Cour constitutionnelle conclut
à l’applicabilité de l’article 8 de la Convention. Relevant que la Cour
européenne des droits de l’homme ne s’était pas prononcée en la matière, elle
considéra cependant que la décision d’un couple marié ou vivant maritalement de
concevoir un enfant et d’avoir recours à cette fin à l’assistance médicale à la
procréation relevait manifestement du champ d’application de cette disposition.
19. Elle
jugea que les dispositions critiquées de la loi sur la procréation artificielle
portaient atteinte à la liberté des requérantes en ce qu’elles limitaient le
nombre des techniques médicales autorisées dans ce domaine. Se penchant sur la
question de la justification de cette atteinte, elle releva que le législateur
avait tenté de concilier des intérêts concurrents se rapportant à la dignité
humaine, au droit à la procréation et au bien-être de l’enfant. Elle souligna
que cette démarche avait conduit le législateur à se donner pour principe de n’autoriser
que les techniques homologues – notamment l’emploi, au profit de personnes
mariées ou vivant maritalement, de gamètes issus de l’un d’entre eux –
n’exigeant pas d’intervention complexe et demeurant proches de la conception
naturelle. Elle précisa que l’objectif du législateur consistait à éviter la
création de liens familiaux atypiques, comme dans le cas d’un enfant ayant deux
mères biologiques (une mère génétique et une mère utérine) et à empêcher
l’exploitation des femmes.
20. Elle
releva également que, contrairement à la conception naturelle, la procréation
par fécondation in vitro soulevait de graves questions concernant le bien-être
des enfants ainsi conçus, leur santé et leurs droits, qu’elle avait des
répercussions sur les valeurs éthiques et morales de la société, et qu’elle
risquait de donner lieu à des pratiques commerciales et eugéniques (Zuchtauswahl).
21. Toutefois,
s’appuyant sur le principe de proportionnalité découlant de l’article 8 § 2 de la
Convention, elle estima que ces considérations ne pouvaient justifier une
interdiction totale de l’ensemble des techniques d’assistance médicale à la
procréation, leurs répercussions sur l’intérêt public tenant essentiellement,
selon elle, à la question de savoir si on avait recours à des techniques
homologues (utilisation de gamètes issus du couple) ou à des techniques
hétérologues (utilisation de gamètes de tiers).
22. La
Cour constitutionnelle jugea que le législateur n’avait pas dépassé la marge
d’appréciation reconnue aux Etats en autorisant par principe le recours aux
techniques homologues et à titre exceptionnel l’insémination avec don de
sperme. Elle releva que les choix opérés par le législateur reflétaient l’état
de la science médicale de l’époque et le consensus existant dans la société,
tout en précisant que ceux-ci n’étaient pas figés et qu’ils pouvaient connaître
des évolutions dont le législateur devrait tenir compte.
23. Elle
considéra que le législateur n’avait pas négligé les intérêts des hommes et des
femmes contraints d’avoir recours à l’assistance médicale à la procréation
puisque, outre les techniques strictement homologues, il avait autorisé un
procédé connu et utilisé depuis longtemps, l’insémination avec don de sperme,
qui ne risquait pas de donner lieu à des rapports familiaux atypiques. Elle
ajouta que ces techniques n’étaient pas réservées aux couples mariés, mais
qu’elles étaient également accessibles aux personnes vivant maritalement. En
revanche, elle jugea que, dans les cas où les techniques de procréation
homologues étaient inopérantes, les intérêts des individus concernés devaient
céder le pas devant ceux de la société.
24. Elle
estima en outre que l’interdiction des procédés de procréation artificielle
hétérologues au profit des seules techniques homologues n’était pas contraire
au principe constitutionnel d’égalité, qui interdisait la discrimination.
Considérant que les méthodes homologues n’encouraient pas les mêmes objections
que les techniques hétérologues, elle jugea que le législateur n’était pas tenu
de les soumettre à un régime strictement identique et que la distinction opérée
par lui se justifiait. Elle ajouta que le fait que l’insémination in vivo avec
don de sperme était permise alors que le don d’ovules était interdit ne
s’analysait pas en une discrimination, le don de sperme n’étant pas considéré
comme susceptible de créer des liens atypiques potentiellement préjudiciables
au bien-être des enfants à naître.
25. Ayant
conclu que les dispositions critiquées de la loi sur la procréation
artificielle étaient conformes à l’article 8 de la Convention et au principe
d’égalité consacré par la Constitution fédérale, la Cour constitutionnelle dit
qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 12 de la Convention.
26. L’arrêt
de la Cour constitutionnelle fut notifié à l’avocat des intéressées le 8
novembre 1999.
II. TEXTES juridiques PERTINENTS
A. Le droit interne : la loi sur la
procréation artificielle
27. La
loi sur la procréation artificielle (Fortpflanzungsmedizingesetz,
Journal officiel fédéral no 275/1992) réglemente l’utilisation des techniques
médicales permettant la procréation sans qu’il y ait relation sexuelle
(article 1 § 1).
28. Les
techniques en question comprennent i) l’introduction de spermatozoïdes dans
l’utérus de la femme, ii) la fécondation ex utero d’un ovule par des
spermatozoïdes, iii) l’introduction de cellules viables dans l’utérus ou dans
la trompe utérine d’une femme, et iv) l’introduction d’ovocytes ou d’ovocytes
et de spermatozoïdes dans l’utérus ou la trompe utérine d’une femme (article 1
§ 2).
29. Le
recours à l’assistance médicale à la procréation n’est ouvert qu’aux couples
mariés ou vivant martialement, et seulement dans le cas où tous les autres
traitements possibles et raisonnables visant à provoquer une grossesse
naturelle ont échoué ou n’ont aucune chance raisonnable d’aboutir (article 2).
30. En
vertu de l’article 3 § 1, seuls les gamètes de personnes mariées ou vivant
maritalement (Lebensgefährten) peuvent être utilisés
à leur profit dans le cadre d’une procréation médicalement assistée. A titre
exceptionnel, c’est-à-dire lorsque l’un des deux partenaires est stérile, le
don de sperme peut être autorisé en vue d’une insémination artificielle,
technique consistant à introduire des spermatozoïdes dans l’utérus de la femme
(article 3 § 2) et aussi connue sous le nom de fécondation in vivo.
Le don de sperme est interdit dans tous les autres cas, notamment à des fins de
fécondation in vitro.
31. L’article
3 § 3 dispose que les ovules ou les cellules viables d’une femme ne peuvent
être utilisés qu’à son profit. Cette disposition a pour effet d’interdire le
don d’ovules en toutes circonstances.
32. Les
autres dispositions de la loi sur la procréation artificielle énoncent
notamment que l’assistance médicale à la procréation ne peut être pratiquée que
par des médecins spécialisés, dans des hôpitaux ou cliniques spécialement
équipés (article 4) et avec le consentement exprès et écrit des couples mariés
ou vivant maritalement qui s’y soumettent (article 8).
33. En
1999, la loi sur la procréation artificielle a été complétée par la loi
fédérale portant création d’un fonds de financement des traitement de
fécondation in vitro (Bundesgesetz mit dem ein Fonds zur
Finanzierung der In-vitro-Fertilisation eingerichtet wird – Journal
officiel fédéral, partie I, no 180/1999) destiné à financer les
traitements en question autorisés par la loi sur la procréation artificielle.
34. Ces
questions de maternité et de paternité sont régies par le code civil (Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch). Introduit dans le code au moment de l’entrée
en vigueur de la loi sur la procréation artificielle, l’article 137 b)
énonce que la mère d’un enfant est la femme qui lui a donné naissance.
L’article 163 dispose que le père de l’enfant est l’homme qui a eu des rapports
sexuels avec la mère au cours d’une période déterminée (entre le 180e et le
300e jour avant la naissance). Dans le cas où la mère a eu recours à un
traitement de procréation médicalement assistée avec don de sperme, le père de
l’enfant est l’homme qui a donné son consentement à ce traitement, c’est-à-dire
son époux ou son compagnon, le donneur ne pouvant en aucun cas être reconnu
comme étant le père.
B. La situation dans d’autres pays
35. L’aperçu
ci-après du droit et de la pratique pertinents en matière de procréation
artificielle en Europe est principalement fondé sur une étude intitulée
« Assistance médicale à la procréation et protection de l’embryon humain –
étude comparative sur la situation dans 39 pays » (Conseil de l’Europe,
1998) et sur les réponses des Etats membres du Conseil de l’Europe au
« Questionnaire sur l’accès à la procréation médicalement assistée »
préparé par le Comité directeur pour la bioéthique (Conseil de l’Europe, 2005)
ainsi sur une enquête menée en 2007 par la Fédération internationale des
sociétés de fertilité.
36. Il
ressort des documents en question que, en 2007, la pratique de la fécondation
in vitro était encadrée par des lois ou des règlements dans les pays
suivants : Allemagne, Autriche, Azerbaïdjan, Bulgarie, Croatie, Danemark,
Espagne, Estonie, Finlande, France, Géorgie, Grèce, Hongrie, Islande, Italie,
Lettonie, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Fédération de Russie, Slovénie,
Suède, Suisse, Turquie et Ukraine. En Belgique, en Irlande, à Malte, en
Lituanie, en Pologne, en République tchèque, en Serbie et en Slovaquie, ce
traitement était régi par la pratique clinique, par des circulaires
professionnelles, par des décrets royaux ou administratifs ou par des principes
constitutionnels généraux.
37. L’étude
susmentionnée traite notamment de la manière dont la législation des pays
concernés réglemente les sept techniques de procréation artificielle que sont
l’insémination artificielle intra-conjugale, la
fécondation in vitro intra-conjugale, l’insémination
artificielle avec donneur, le don d’ovules, le don d’ovules et de sperme, le
don d’embryons et l’injection intra-ovocytaire de spermatozoïdes (technique de
fécondation in vitro par injection directe d’un spermatozoïde dans un ovule).
38. Il
semble que le don de sperme soit actuellement prohibé dans trois des pays qui
se sont dotés d’une réglementation en matière de procréation artificielle, à
savoir l’Italie, la Lituanie et la Turquie. Ces trois pays interdisent les
méthodes hétérologues de procréation assistée. En général, la réglementation
des pays où le don de sperme est permis n’opère pas de distinction selon qu’il
est recueilli à des fins d’insémination artificielle ou de fécondation in
vitro. Le don d’ovules est interdit en Allemagne, en Croatie, en Norvège et en
Suisse ainsi que dans les trois pays susmentionnés.
39. Il
apparaît en outre que le don de gamètes est pratiqué dans un certain nombre de
pays où il n’existait pas de réglementation en la matière en 2007, tels que
Chypre, le Luxembourg, la Pologne, le Portugal et la Roumanie.
40. Lorsque
l’on compare l’étude menée par le Conseil de l’Europe en 1998 et celle réalisée
par la Fédération internationale des sociétés de fertilité en 2007, l’on
s’aperçoit que la législation évolue rapidement dans le domaine de l’assistance
médicale à la procréation. Auparavant interdit au Danemark, en France et en
Suède, le don de gamètes y est désormais autorisé en vertu des nouvelles
dispositions que ces pays ont adoptées en 2006, 2004 et 2006 respectivement. En
Norvège, le don d’ovules demeure prohibé mais le don de sperme en vue d’une
fécondation in vitro est permis depuis 2003. En Finlande, où la procréation
médicalement assistée est encadrée par la loi depuis 2007, le don de sperme et
le don d’ovules sont autorisés.
C. Les instruments pertinents du Conseil de
l’Europe
41. Le
comité ad hoc d’experts sur les progrès des sciences biomédicales constitué au
sein du Conseil de l’Europe (CAHBI), prédécesseur de l’actuel Comité directeur pour
la bioéthique, avait publié en 1989 une série de principes dont le onzième
comporte la disposition suivante :
« 1. En
principe, la fécondation in vitro doit être effectuée avec les gamètes du
couple. La même règle s’appliquera à toute autre méthode impliquant des ovules
in vitro ou des embryons in vitro. Toutefois, dans des cas exceptionnels à
définir par les Etats membres, l’utilisation des gamètes de donneurs peut être
autorisée. »
42. La
Convention de 1997 sur les droits de l’homme et la biomédecine n’aborde pas la
question du don de gamètes, mais interdit l’utilisation des techniques de
procréation médicalement assistée à des fins de sélection du sexe d’un enfant.
Son article 14 se lit ainsi :
« L’utilisation
des techniques d’assistance médicale à la procréation n’est pas admise pour
choisir le sexe de l’enfant à naître, sauf en vue d’éviter une maladie
héréditaire grave liée au sexe. »
43. Le
Protocole additionnel à la Convention susmentionnée adopté en 2002, qui porte sur
la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine et vise à
promouvoir le don d’organes, exclut expressément de son champ d’application les
organes et tissus reproductifs.
D. Les instruments pertinents de l’Union
européenne
44. Les
passages pertinents du préambule de la directive 2004/23/CE du Parlement et du
Conseil du 31 mars 2004 relative à l’établissement de normes de qualité et de
sécurité pour le don, l’obtention, le contrôle, la transformation, la
conservation, le stockage et la distribution des tissus et cellules humains,
instrument qui vise à garantir la qualité et la sécurité des tissus et cellules
humains destinés à des applications humaines, sont ainsi libellés :
« 12. La
présente directive ne devrait pas porter atteinte aux décisions prises par les
Etats membres concernant l’utilisation ou la non-utilisation de tel ou tel type
de cellules humaines, y compris les cellules germinatives et les cellules
souches embryonnaires. Toutefois, si un usage particulier de telles cellules est
autorisé dans un Etat membre, la présente directive imposera l’application de
toutes les dispositions nécessaires à la protection de la santé publique, étant
donné les risques spécifiques fondés sur la connaissance scientifique que
comportent ces cellules et leur nature particulière ainsi que la garantie du
respect des droits fondamentaux. En outre, la présente directive ne devrait pas
affecter les dispositions des Etats membres concernant la définition juridique
d’une « personne » ou d’un « individu ». »
EN DROIT
I. sur l’exception préliminaire du
Gouvernement
45. Comme
il l’avait fait devant la chambre, le Gouvernement observe que les deuxième et
quatrième requérants – maris des première et troisième requérantes – n’ont pas
pris part personnellement à la procédure de contrôle de constitutionnalité de
l’article 3 de la loi sur la procréation artificielle suivie devant la Cour
constitutionnelle. Il en déduit qu’ils n’ont pas satisfait à l’exigence
d’épuisement des recours internes posée par l’article 35 de la Convention.
46. Les
intéressés combattent cette thèse. Ils renvoient à la décision sur la
recevabilité du 15 novembre 2007, par laquelle la chambre a rejeté, selon eux
de manière définitive, l’exception de non-épuisement des recours internes
soulevée par le Gouvernement.
47. La
Grande Chambre constate que, dans la décision sur la recevabilité qu’elle a
rendue le 15 novembre 2007, la chambre a rejeté l’exception de non-épuisement
des recours internes en ce qui concerne les deuxième et quatrième requérants
pour les motifs suivants :
« La
Cour rappelle qu’elle doit appliquer la règle de l’épuisement des recours
internes en tenant dûment compte du contexte : le mécanisme de sauvegarde
des droits de l’homme que les Parties contractantes sont convenues d’instaurer.
Elle a ainsi reconnu que l’article 35 § 1 doit s’appliquer avec une certaine
souplesse et sans formalisme excessif. Elle a de plus admis que la règle de
l’épuisement des voies de recours internes ne s’accommode pas d’une application
automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; en en contrôlant le
respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause. Cela signifie
notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste du contexte
juridique et politique dans lequel les recours s’inscrivent ainsi que de la
situation personnelle des requérants (Menteş et
autres c. Turquie, 28 novembre 1997, § 58, Recueil des arrêts et décisions
1997-VIII).
La Cour
relève que les première et troisième requérantes ont demandé à la Cour
constitutionnelle de contrôler la constitutionnalité de l’article 3 de la loi
sur la procréation artificielle. Dans le cadre de cette procédure, il a été
établi que les intéressées et leurs époux avaient fermement décidé de se
soumettre à un traitement de procréation médicalement assistée au motif que
leur état de santé ne leur permettait pas d’avoir un enfant de manière
naturelle, et qu’ils étaient donc directement touchés par l’interdiction
critiquée. Bien que les deuxième et quatrième requérants n’aient pas pris part
à la procédure devant la Cour constitutionnelle, leur situation était
intrinsèquement liée à celle de leurs épouses. En conséquence, la Cour juge
suffisant que celles-ci aient introduit le recours susmentionné et porté leur
affaire, et par conséquent celle de leurs époux, devant les juridictions
internes compétentes.
La Cour
conclut donc que les requérants ont tous épuisé les recours internes au sens de
l’article 35 § 1 de la Convention. »
48. La
Grande Chambre n’aperçoit aucune raison de s’écarter des conclusions de la
chambre. Elle rejette donc l’exception préliminaire du Gouvernement.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE
8 DE LA CONVENTION
49. Les
requérants allèguent que l’article 3 §§ 1 et 2 de la loi sur la procréation
artificielle, qui interdit le recours aux techniques hétérologues de
procréation artificielle à des fins de fécondation in vitro, porte atteinte à
leurs droits au titre de l’article 8.
50. Les
passages pertinents de l’article 8 sont ainsi libellés :
« 1. Toute
personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)
2. Il
ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit
que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue
une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense
de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la
santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. L’arrêt
de la chambre
51. Dans
son arrêt du 1er avril 2010, la chambre a conclu à la violation de l’article 14
de la Convention combiné avec l’article 8 tant dans le chef des première et
troisième requérantes que dans celui des deuxième et quatrième requérants.
52. Elle
a estimé que l’article 14 combiné avec l’article 8 était applicable en l’espèce
au motif que le droit des couples à concevoir un enfant en faisant appel à la
procréation médicalement assistée entrait dans le champ d’application de l’article
8, pareil choix s’analysant manifestement, selon elle, en une forme d’exercice
du droit à la vie privée et familiale.
53. En
ce qui concerne l’observation de l’article 14, elle a considéré que, compte
tenu de l’absence de communauté de vues entre les Parties contractantes dans ce
domaine et des interrogations morales et éthiques délicates qu’il suscite, les
Etats membres bénéficiaient d’une ample marge d’appréciation et a précisé que
celle-ci devait en principe s’appliquer tant à la décision de légiférer ou non
en la matière que, le cas échéant, aux règles détaillées édictées par eux pour
ménager un équilibre entre les intérêts publics et les intérêts privés en
conflit. Elle a examiné séparément la situation du couple formé par les premier
et deuxième requérants et celle du couple formé par les troisième et quatrième
requérants.
54. S’agissant
des troisième et quatrième requérants, qui ont besoin d’un don d’ovules pour
réaliser leur souhait de concevoir un enfant, la chambre a estimé que des
considérations d’ordre moral ou tenant à l’acceptabilité sociale de cette
technique ne pouvaient justifier à elles seules l’interdiction totale de telle
ou telle méthode de procréation assistée, une interdiction totale ne pouvant
revêtir un caractère proportionné que dans des circonstances exceptionnelles.
Elle a considéré que la loi sur la procréation artificielle renfermait des
garanties suffisantes pour parer aux risques que le Gouvernement disait voir
dans le don d’ovules, notamment l’exploitation des femmes – en particulier
celles issues de milieux socialement défavorisés – et la
« sélection » des enfants à naître, et que les autres préoccupations
exprimées par le Gouvernement, au sujet notamment de l’établissement de liens
familiaux atypiques découlant de la dissociation de la maternité entre une mère
utérine et une mère génétique, pouvaient être surmontées par l’adoption de
normes appropriées. Elle a donc conclu à la violation de l’article 14 combiné
avec l’article 8.
55. En
ce qui concerne les premier et deuxième requérants, pour qui le recours à la
fécondation in vitro avec don de sperme est le seul moyen d’avoir un enfant, la
chambre a observé que ce traitement combinait deux techniques – à savoir la
fécondation in vitro homologue et la fécondation in vivo avec don de
sperme – qui, mises en œuvre séparément, étaient autorisées par la loi sur la
procréation artificielle. Dans ces conditions, elle a considéré que le
Gouvernement aurait dû fournir des explications particulièrement convaincantes
pour justifier l’interdiction de l’utilisation combinée de deux techniques
autorisées par la loi. Or elle a relevé que la plupart des arguments avancés
par le Gouvernement n’étaient pas applicables au seul don de sperme aux fins
d’une fécondation in vitro. Quant à la thèse du Gouvernement selon laquelle
l’interdiction de l’insémination artificielle in vivo aurait été difficile à
contrôler parce qu’elle était pratiquée depuis longtemps et qu’elle était
facile à mettre en œuvre, la chambre a considéré que des considérations de
simple efficacité ne pouvaient prévaloir sur des intérêts particulièrement
importants des individus concernés et elle a jugé que la différence de
traitement litigieuse n’était pas justifiée. Elle a conclu à cet égard aussi
qu’il y avait eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8.
B. Thèses
des parties
1. Les requérants
56. Les
intéressés soutiennent que l’article 8 de la Convention trouve à s’appliquer en
l’espèce. Ils estiment par ailleurs que la législation litigieuse porte directement
atteinte à leurs droits au titre de l’article 8 puisque, en son absence, ils
pourraient bénéficier facilement et immédiatement du traitement médical voulu,
à savoir une fécondation in vitro avec don de gamètes, technique qui aurait
connu des progrès considérables ces dernières années et serait devenue beaucoup
plus fiable que par le passé. Aucune obligation positive ne serait en cause
dans la présente affaire, qui se présenterait comme un cas classique
d’ingérence non nécessaire, dans une société démocratique, et disproportionnée.
57. Le
droit de fonder une famille et le droit à la procréation revêtiraient une telle
importance que les Etats contractants ne disposeraient d’aucune marge
d’appréciation pour réglementer ces questions. La décision d’un couple de
recourir à l’assistance médicale à la procréation concernerait son intimité la
plus profonde, raison pour laquelle le législateur devrait faire preuve d’une
retenue particulière lorsqu’il légifère dans ce domaine.
58. Toutes
les objections soulevées par le Gouvernement concerneraient la procréation
artificielle en général et elles ne répondraient pas de manière convaincante à
la question de savoir pourquoi certaines techniques de procréation assistée
devraient être autorisées et d’autres prohibées. Le risque d’exploitation des
donneuses d’ovocytes invoqué par le Gouvernement serait dépourvu de pertinence
dans des cas tels ceux de l’espèce, car il suffirait d’interdire la
rémunération du don de gamètes pour prévenir de tels abus, interdiction déjà
prévue par la législation autrichienne. La thèse selon laquelle le don d’ovules
conduirait à la création de liens familiaux atypiques se caractérisant par une
dissociation – traumatisante sur le plan du développement émotionnel des
enfants ainsi conçus – de la filiation maternelle entre la mère génétique et la
mère utérine serait fallacieuse car, de nos jours, nombreux seraient les
enfants à vivre dans des familles dont un seul membre aurait un lien génétique
avec eux.
59. Le
régime institué par la loi sur la procréation artificielle, qui n’interdit pas
de manière générale et absolue l’utilisation des techniques hétérologues de
procréation médicalement assistée, serait incohérent et illogique en ce qu’il
prévoirait des exceptions permettant le don de sperme dans des cas
déterminés. Les explications avancées par le Gouvernement pour justifier
cette différence de traitement ne seraient pas convaincantes. Serait notamment
paradoxale l’existence d’un fonds public destiné au financement des traitements
de fécondation in vitro, qui donnerait à penser que cette technique présente
une utilité publique alors pourtant que son utilisation serait soumise à de
sévères restrictions.
60. Le
statut juridique de la procréation artificielle dans les Etats membres se
caractériserait désormais par un consensus en faveur de l’autorisation du don
d’ovules et du don de sperme. Dans ces conditions, force serait de constater
que l’interdiction de ces deux pratiques par la loi autrichienne est contraire
à l’article 8 de la Convention.
2. Le Gouvernement
61. En
ce qui concerne l’applicabilité de l’article 8 de la Convention, le
Gouvernement observe que, selon la Cour constitutionnelle, le souhait de
procréer exprimé par des conjoints ou des concubins constitue une forme
d’expression essentielle de leur personnalité et relève à ce titre de la sphère
de la vie privée protégée par l’article 8 § 1 de la Convention. En conséquence,
il admet que l’article 8 trouve à s’appliquer en l’espèce.
62. Il
estime que la question de savoir si la mesure critiquée constitue une ingérence
des pouvoirs publics ou un manquement à une obligation positive peut être
laissée ouverte car les principes applicables sont les mêmes dans les deux cas.
Dans les deux hypothèses, il conviendrait de ménager un juste équilibre entre
les intérêts privés et les intérêts publics concurrents et, en l’absence d’un
consensus européen sur la question litigieuse, l’Etat bénéficierait d’une marge
d’appréciation particulièrement étendue. En tout état de cause, l’interdiction
incriminée aurait une base légale en droit interne et poursuivrait un but
légitime, à savoir la protection des droits d’autrui, notamment des donneurs
potentiels.
63. La
question fondamentale en l’espèce consisterait non pas à savoir s’il convient
ou non d’autoriser le recours à la procréation médicalement ou techniquement
assistée et, dans l’affirmative, quelles limites l’Etat peut y apporter, mais à
déterminer dans quelle mesure celui-ci doit accepter qu’un tiers puisse
contribuer à la réalisation du souhait d’un couple de procréer. Le droit au
respect de la vie privée engloberait certes le droit pour une personne de
réaliser son désir d’enfant, mais les Etats n’en seraient pas pour autant tenus
d’autoriser indistinctement l’utilisation de toutes les méthodes de procréation
techniquement réalisables, et encore moins de les mettre à la disposition des
personnes concernées. La marge d’appréciation reconnue aux Etats devrait leur
permettre de décider seuls de l’équilibre à ménager entre les intérêts
antagonistes eu égard aux impératifs sociaux et culturels propres à leur pays
ainsi qu’à leurs traditions.
64. Le
législateur autrichien aurait tenu compte de tous les intérêts en jeu et serait
parvenu à un équilibre respectueux de l’article 8 de la Convention en autorisant
l’assistance médicale à la procréation tout en l’encadrant dans les situations
où l’état de la science médicale et de la société ne permet pas encore la
reconnaissance juridique de la technique dont les requérantes souhaitent
bénéficier, à savoir la fécondation in vitro avec don de gamètes. Ne pouvant ni
ne devant ignorer l’inquiétude suscitée par le rôle et les possibilités de la
médecine reproductive moderne dans des pans entiers de la société, il aurait
élaboré la loi sur la procréation artificielle dans l’intention de prévenir les
effets pervers et les abus susceptibles de résulter des progrès de la médecine
reproductive et de s’assurer que celle-ci ne soit utilisée qu’à des fins
thérapeutiques et non dans d’autres buts tels que la « sélection » des
enfants à naître.
65. Après
y avoir mûrement réfléchi, le législateur aurait apporté à la question posée
une réponse satisfaisante tenant compte de la dignité humaine, du bien-être des
enfants et du droit à la procréation. La fécondation in vitro offrirait de
vastes possibilités de sélection des gamètes qui pourraient déboucher en
définitive sur des pratiques eugéniques (Zuchtauswahl).
Cette technique soulèverait de graves questions concernant la santé des enfants
ainsi conçus et les valeurs éthiques et morales de la société.
66. Au
cours des débats parlementaires, il aurait été souligné que le don d’ovocytes
dépendait de la disponibilité de ceux-ci et qu’il pouvait entraîner des
problèmes tels que l’exploitation et l’humiliation des femmes, en particulier
celles issues de milieux socialement défavorisés. D’autre part, les femmes
recourant à un traitement de fécondation in vitro pourraient se voir
contraintes de fournir plus d’ovules qu’il ne serait strictement nécessaire
pour leur traitement, ce afin de leur permettre d’en assumer le coût.
67. La
fécondation in vitro poserait également problème en ce qu’elle conduirait à la
création de relations familiales atypiques caractérisées par une discordance
entre la réalité sociale et la réalité biologique découlant de la dissociation
de la filiation maternelle en une composante génétique, une composante
« utérine » et peut-être aussi une composante sociale. Par ailleurs,
il conviendrait également de tenir compte de l’intérêt légitime des enfants à connaître
leur filiation réelle, ce qui serait presque toujours impossible à ceux conçus
par fécondation avec don de gamètes puisqu’elle n’apparaîtrait pas dans les
registres des naissances, des mariages et des décès, les dispositions légales
protectrices prévues par le régime de l’adoption n’étant pas applicables en la
matière.
68. L’autorisation
de l’insémination artificielle se justifierait pour deux raisons :
d’abord, ainsi que le rapport explicatif du projet de loi sur la procréation
artificielle l’aurait souligné, cette technique serait beaucoup plus facile à
mettre en œuvre que les autres méthodes d’assistance médicale à la procréation
et les autorités ne pourraient donc contrôler efficacement son
interdiction ; ensuite elle serait pratiquée depuis longtemps. L’interdiction
de ce procédé relativement simple aurait donc été vaine et n’aurait pas
constitué une mesure adaptée à la réalisation des buts poursuivis par la loi.
C. Observations des tiers intervenants
1. Le
gouvernement allemand
69. Le
gouvernement allemand indique que l’article 1 § 1 de la loi allemande sur la
protection des embryons (Embryonenschutzgesetz)
érige en délit le fait d’implanter dans le corps d’une femme un ovule qui n’est
pas le sien.
70. Cette
disposition viserait à protéger le bien-être de l’enfant en conférant un
caractère certain à l’identité de la mère. Accepter la dissociation de la
filiation maternelle en une composante génétique et une composante utérine
reviendrait à reconnaître que deux femmes peuvent prendre part à la conception
d’un enfant et irait à l’encontre de l’un des fondements de la société, à
savoir le principe selon lequel la filiation maternelle ne doit pas être
ambiguë. La dissociation de la filiation maternelle serait contraire au
bien-être de l’enfant en ce qu’elle jetterait le doute sur l’identité de la
mère, mettant ainsi en péril le développement de la personnalité de l’enfant et
entravant gravement la construction de son identité.
71. Cette
dissociation comporterait en outre le risque de voir une mère utérine qui
aurait connaissance des caractéristiques génétiques de la femme dont elle a
reçu les ovules imputer à celle-ci les maladies ou les handicaps pouvant
affecter l’enfant et avoir à l’égard de celui-ci une réaction de rejet. Un
autre conflit de nature à créer des tensions dans les relations de la mère
utérine et de la mère génétique avec l’enfant pourrait survenir dans le cas où
cette dernière ne parviendrait pas elle-même à concevoir un enfant par
fécondation in vitro. Au vu de ce qui précède, la dissociation de la maternité
représenterait une grave menace pour le bien-être des enfants, raison pour
laquelle les interdictions posées par la loi sur la protection des embryons
seraient justifiées.
2. Le
gouvernement italien
72. Le
gouvernement italien avance que la législation italienne sur la procréation
médicalement assistée se distingue fondamentalement de la législation
autrichienne en ce qu’elle interdit de manière générale l’emploi de toute
technique hétérologue de procréation médicalement assistée et qu’elle
subordonne le recours aux techniques homologues à la stérilité du couple.
73. Le
droit d’une personne ou d’un couple à concevoir un enfant et à recourir à cette
fin à la procréation médicalement assistée ne serait pas protégé par l’article
8 de la Convention. En conséquence, cet article n’aurait pas pour effet
d’imposer aux Etats contractants l’obligation positive de mettre à la
disposition des couples stériles toutes les techniques existantes dans ce
domaine. En l’absence d’un consensus européen sur la question de la procréation
médicalement assistée, les Etats contractants jouiraient d’une ample marge
d’appréciation leur permettant de façonner leur politique en cette matière
complexe et lourde de conséquences sur les plans scientifique, juridique, éthique
et social. La fécondation in vitro, qui aurait un effet direct sur la vie
humaine et les bases de la société, serait clairement une question très
sensible, qui ne ferait l’objet d’aucun consensus en Europe. La procréation
médicalement assistée serait aussi très risquée. La pratique du don de gamètes
pourrait exposer les femmes économiquement défavorisées à des pressions et
encourager le trafic d’ovules. Des études scientifiques auraient également fait
apparaître l’existence d’un lien entre la fécondation in vitro et les
naissances prématurées. Enfin, accepter que la filiation maternelle puisse être
dissociée reviendrait à la remettre en cause et ébranlerait les fondements de
la société.
3. Hera ONLUS et SOS Infertilità Onlus
74. Hera Onlus et SOS Infertilità Onlus soutiennent que
la stérilité doit être envisagée comme une question de santé humaine.
Restreindre l’accès aux méthodes de fécondation in vitro hétérologues
reviendrait à refuser aux personnes concernées le bénéfice d’un traitement
disponible et s’analyserait en une ingérence dans leurs droits garantis par
l’article 8 de la Convention. Il ne serait pas nécessaire d’interdire le
recours aux techniques hétérologues de procréation médicalement assistée pour
prévenir les répercussions sur le développement psychologique et social des
enfants. Compte tenu des règles strictes de qualité et de contrôle établies par
l’Union européenne, l’interdiction totale de l’accès aux différents traitements
hétérologues ne serait pas le meilleur moyen de ménager un juste équilibre
entre les intérêts concurrents en présence. Pareille mesure emporterait un
autre effet pervers, à savoir la pratique du « tourisme procréatif »,
à laquelle se livreraient des couples stériles dans l’intention d’obtenir à
l’étranger un traitement contre la stérilité, au risque de s’exposer à des
conditions sanitaires médiocres, à des frais substantiels et à des tensions
émotionnelles considérables.
4.
European Centre for Law and Justice
75. L’organisation
European Centre for Law and Justice estime que la
Convention n’impose pas aux Etats l’obligation positive de donner accès à des
techniques de procréation médicalement assistée. En tout état de cause, à
supposer même que le refus de l’Etat d’autoriser les traitements de fécondation
in vitro hétérologues s’analyse en une ingérence dans l’exercice des droits
garantis par l’article 8, celle-ci serait proportionnée.
76. Faute
d’un consensus européen sur les questions moralement et éthiquement délicates
en cause, les Etats contractants bénéficieraient d’une ample marge
d’appréciation. L’Autriche n’aurait du reste pas édicté une interdiction totale
de la procréation médicalement assistée mais elle aurait autorisé certaines
méthodes et en aurait prohibé d’autres, courantes à l’étranger. En outre, les
couples stériles désireux d’avoir des enfants pourraient aussi se tourner vers
l’adoption.
5. Aktion Leben
77. Selon
Aktion Leben, le traitement de fécondation in vitro
ayant recours au don de gamètes – en particulier au don d’ovules – présente des
risques médicaux considérables et soulève une question délicate et
problématique, celle de la filiation multiple. En outre, le don d’ovules
accroîtrait le risque d’exploitation des femmes et de commercialisation du
corps féminin et impliquerait une intervention médicale très dangereuse pour
les donneuses. Les liens familiaux atypiques en résultant pourraient avoir des
effets néfastes sur les rapports familiaux et sociaux existants. Les
traitements de fécondation in vitro pourraient aussi provoquer des problèmes
d’identité chez les enfants ainsi conçus et, dans le cas du don de sperme,
causer des traumatismes aux enfants désireux d’établir des relations avec leur
père génétique.
D. Appréciation de la Cour
1. Sur l’applicabilité de l’article 8
78. Le
Gouvernement reconnaît que l’article 8 trouve à s’appliquer en l’espèce. A cet
égard, il renvoie à l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 14 octobre
1999. La haute juridiction y aurait estimé que la décision d’un couple marié ou
vivant maritalement de concevoir un enfant et d’avoir recours à l’assistance
médicale à la procréation relève du droit au respect de la vie privée et, par
conséquent, de la sphère protégée par l’article 8.
79. Les
requérants partagent l’analyse du Gouvernement concernant l’applicabilité de
l’article 8 de la Convention.
80. La
Cour rappelle que la notion de « vie privée » au sens de
l’article 8 de la Convention est une notion large qui englobe, entre
autres, le droit, pour l’individu, de nouer et développer des relations avec
ses semblables (Niemietz c. Allemagne, 16 décembre
1992, § 29, série A no 251-B), le droit au « développement
personnel » (Bensaïd c. Royaume-Uni, no 44599/98, § 47, CEDH
2001-I), ou encore le droit à l’autodétermination (Pretty
c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002‑III).
Des facteurs tels que l’identification, l’orientation et la vie sexuelles
relèvent également de la sphère personnelle protégée par l’article 8 (voir, par
exemple, Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, § 41, série A
no 45 ; et Laskey, Jaggard
et Brown c. Royaume-Uni, 19 février 1997, § 36, Recueil 1997-I), de même que le
droit au respect des décisions de devenir ou de ne pas devenir parent (Evans c.
Royaume-Uni [GC], no 6339/05, § 71, CEDH 2007‑I ; et
A, B et C c. Irlande [GC], no 25579/05, § 212,
16 décembre 2010).
81. Dans
l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire Dickson c. Royaume-Uni, où était en cause
le refus d’octroyer aux requérants – un détenu et son épouse – la possibilité
de pratiquer une insémination artificielle, la Cour a conclu à l’applicabilité
de l’article 8 au motif que la technique de procréation en question concernait
la vie privée et familiale des intéressés, précisant que cette notion englobait
un droit pour eux à voir respecter leur décision de devenir parents génétiques
(Dickson c. Royaume-Uni [GC], no 44362/04, § 66, CEDH 2007‑V,
avec les références qui s’y trouvent citées).
82. La
Cour considère que le droit des couples à concevoir un enfant et à recourir
pour ce faire à la procréation médicalement assistée relève également de la
protection de l’article 8, pareil choix constituant une forme d’expression de
la vie privée et familiale. En conséquence, cette disposition trouve à
s’appliquer en l’espèce.
2. Sur le point de savoir si l’affaire concerne
une obligation positive ou une ingérence
83. Dans
l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire X, Y et Z c Royaume-Uni (22 avril
1997, § 44, Recueil 1997-II), la Cour a constaté qu’il n’était pas démontré que
les Hautes Parties contractantes suivissent dans l’ensemble une approche
commune lorsqu’il s’agissait de traduire sur le plan juridique la réalité
sociale de la relation unissant un enfant conçu par insémination artificielle
avec donneur et la personne assumant le rôle de père. Elle a ajouté que, selon
les informations dont elle disposait, si les techniques d’assistance médicale à
la procréation avaient cours en Europe depuis plusieurs décennies, nombre des
questions qu’elles soulevaient, en matière de filiation notamment, faisaient
encore l’objet de controverses, relevant entre autres qu’il n’y avait pas de
consensus entre les Etats membres du Conseil de l’Europe sur le point de savoir
s’il était préférable, dans l’intérêt de l’enfant ainsi conçu, de protéger
l’anonymat du donneur de sperme ou de donner à l’enfant le droit de connaître
l’identité de celui-ci. Elle a conclu que les questions soulevées dans cette
affaire touchaient à des domaines où il n’y avait guère de communauté de vues
entre les Etats membres et où, de manière générale, le droit paraissait
traverser une phase de transition (ibidem).
84. L’arrêt
en question a été rendu en 1997, peu avant l’introduction par les requérants en
l’espèce (mai 1998) d’une demande de contrôle de constitutionnalité de
l’article 3 §§ 1 et 2 de la loi sur la procréation artificielle devant la Cour
constitutionnelle autrichienne. Il ressort des informations en possession de la
Cour que, depuis le prononcé de l’arrêt de la Cour constitutionnelle
autrichienne, la science médicale a connu maintes évolutions, auxquelles
certains Etats contractants ont répondu par des mesures législatives. Ces
évolutions pourraient donc avoir une influence sur l’appréciation des faits par
la Cour. Toutefois, celle-ci n’est pas appelée à rechercher si l’interdiction
du don de gamètes litigieuse serait aujourd’hui justifiée au regard de la
Convention, mais elle doit déterminer si cette mesure était justifiée à
l’époque où la Cour constitutionnelle autrichienne l’a examinée (J. M. c.
Royaume-Uni, no 37060/06, § 57,
28 septembre 2010 ; mutatis mutandis, Maslov
c. Autriche [GC], no 1638/03, § 91, 23 juin
2008 ; et Schalk et Kopf
c. Autriche, no 30141/04, § 106, 24 juin 2010).
Cela dit, rien n’empêche la Cour de prendre en considération pour son
appréciation les développements intervenus depuis lors.
85. Pour
statuer sur la conformité de la législation litigieuse avec l’article 8 de la
Convention, la Cour doit ensuite déterminer si la législation en cause
s’analyse en une atteinte au droit des requérants au respect de leur vie privée
et familiale constitutive d’un manquement de l’Etat à une obligation négative
ou en un défaut d’exécution d’une obligation positive qui pèserait sur lui à
cet égard.
86. Selon
les requérants, la disposition incriminée porte directement atteinte à leurs
droits au titre de l’article 8 puisque, en son absence, ils pourraient
bénéficier d’une fécondation in vitro avec don de gamètes – technique médicale
courante et aisément accessible. Pour sa part, le Gouvernement estime que la
question de savoir si la mesure litigieuse s’analyse en une ingérence des
pouvoirs publics ou en un manquement allégué à une obligation positive peut
être laissée ouverte, les principes applicables étant les mêmes dans les deux
cas.
87. La
Cour rappelle que si l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu
contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas
de commander à l’Etat de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet
engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives
inhérentes à un respect effectif de la vie privée et familiale. Elles peuvent
impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée et familiale,
jusque dans les relations des individus entre eux. La frontière entre les
obligations positives et les obligations négatives de l’Etat au titre de
l’article 8 ne se prête pas à une définition précise ; les principes
applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il
faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents (Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 40, CEDH
2003-III ; et Evans, précité, § 75).
88. La
Grande Chambre estime qu’en l’espèce la législation en cause peut être
envisagée sous l’angle de la question de savoir s’il pèse sur l’Etat une
obligation positive d’autoriser certaines techniques de procréation
artificielle faisant appel au sperme ou aux ovules d’un tiers. L’affaire lui
paraît toutefois aussi pouvoir être considérée comme mettant en cause une
ingérence de l’Etat dans l’exercice par les requérants de leur droit au respect
de leur vie familiale, cette ingérence résultant de l’interdiction faite aux
intéressés par l’article 3 §§ 1 et 2 de la loi sur la procréation artificielle
de recourir à certaines techniques développées par la science médicale dans ce
domaine. Relevant que les intéressés ont été privés d’un traitement de
procréation médicalement assistée par l’effet d’une disposition de la loi
qu’ils ont tenté en vain de contester devant les juridictions internes, la Cour
traitera leur grief sous l’angle d’une ingérence dans l’exercice par eux de
leur droit de recourir à des techniques de procréation artificielle. En tout
état de cause, comme indiqué ci-dessus, les principes applicables à la
justification au regard de l’article 8 § 2 sont comparables quelle que soit l’approche
choisie pour l’analyse (Evans, précité, § 75 ; et Keegan
c. Irlande, 26 mai 1994, § 49, série A no 290).
3. Sur l’observation de l’article 8 § 2
89. Pareille
ingérence méconnaît l’article 8 sauf si elle peut se justifier sous l’angle du
paragraphe 2 de cette disposition, c’est-à-dire si elle était « prévue par
la loi », poursuivait un ou plusieurs buts légitimes énumérés dans cette
disposition et était « nécessaire, dans une société démocratique »,
pour atteindre ce ou ces buts.
a) « Prévue
par la loi » et but légitime
90. La
Cour considère que la mesure critiquée était prévue par la loi, plus
précisément par l’article 3 de la loi sur la procréation artificielle, et
qu’elle poursuivait les buts légitimes que constituent la protection de la santé
ou de la morale et la protection des droits et libertés d’autrui. Ce point ne
prête pas à controverse entre les parties, dont les arguments portent
principalement sur la question de la nécessité de l’ingérence.
b) Nécessité
dans une société démocratique et marge d’appréciation applicable
91. La
Cour rappelle que pour apprécier la « nécessité » de la mesure
litigieuse « dans une société démocratique » il lui faut examiner, à
la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoqués pour la justifier
sont pertinents et suffisants aux fins de l’article 8 § 2 (voir, parmi beaucoup
d’autres, Olsson c. Suède (no 1), 24 mars 1988, § 68,
série A no 130 ; K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 154, CEDH
2001-VII ; Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 65, CEDH
2002-I ; et P., C. et S. c. Royaume‑Uni,
no 56547/00, § 114, CEDH 2002-VI).
92. Dans
une affaire issue d’une requête individuelle, la Cour n’a pas pour tâche de contrôler
dans l’abstrait une législation ou une pratique contestées, mais elle doit
autant que possible se limiter, sans oublier le contexte général, à traiter les
questions soulevées par le cas concret dont elle se trouve saisie (Olsson c. Suède (no 1), précité, § 54). Elle n’a donc pas à
substituer sa propre appréciation à celle des autorités nationales compétentes
s’agissant de déterminer le meilleur moyen de réglementer les questions que
pose la procréation artificielle.
93. Les
requérants soutiennent que le droit de fonder une famille et le droit à la
procréation revêtent une telle importance que les Etats contractants ne
bénéficient d’aucune marge d’appréciation pour légiférer en la matière.
94. La
Cour rappelle que, pour se prononcer sur l’ampleur de la marge d’appréciation
devant être reconnue à l’Etat dans une affaire soulevant des questions au
regard de l’article 8, il y a lieu de prendre en compte un certain nombre de
facteurs. Lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité
d’un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l’Etat est d’ordinaire
restreinte (Evans, précité, § 77, avec les références qui s’y trouvent citées).
Par contre, lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des Etats membres du
Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu
ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire
soulève des questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation
est plus large (Evans, précité, § 77 ; X, Y et Z c. Royaume-Uni,
précité, § 44 ; Fretté c. France, no 36515/97, § 41, CEDH
2002-I ; Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC],
no 28957/95, § 85, CEDH 2002‑VI ;
et A, B et C c. Irlande, précité, § 232). Grâce à
leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays, les
autorités de l’Etat se trouvent en principe mieux placées que le juge
international pour se prononcer non seulement sur le « contenu précis des
exigences de la morale » mais aussi sur la nécessité d’une restriction
destinée à y répondre (A, B et C c. Irlande, ibidem, avec les références qui s’y trouvent citées). La
marge d’appréciation est généralement étendue lorsque l’Etat doit ménager un
équilibre entre des intérêts privés et des intérêts publics concurrents ou
différents droits protégés par la Convention (Evans, précité, § 77, et Dickson,
précité, § 78).
95. A
cet égard, la Cour observe qu’il ressort du rapport intitulé « Assistance
médicale à la procréation et protection de l’embryon humain – étude comparative
sur la situation dans 39 pays » établi par le Conseil de l’Europe en 1988
à partir des réponses données par ses Etats membres au Comité directeur pour la
bioéthique que, à cette époque, le don d’ovules était expressément prohibé en
Allemagne, en Autriche, en Irlande, en Norvège, en Slovaquie, en Slovénie, en
Suède et en Suisse, et le don de sperme en Autriche, en Allemagne, en Irlande,
en Norvège et en Suède. A l’heure actuelle, outre l’Autriche, seuls trois pays
interdisent le don de sperme – l’Italie, la Lituanie et la Turquie. Le
don d’ovules est interdit dans ces quatre pays ainsi qu’en Allemagne, en
Croatie, en Norvège et en Suisse. Toutefois, les normes qui peuvent exister en
matière de procréation médicalement assistée sont très disparates. Certains
Etats membres ont adopté une législation précise. D’autres pays n’ont
réglementé que certains aspects et plusieurs Etats n’ont rien prévu à ce sujet.
96. La
Cour constate que les Etats contractants ont aujourd’hui clairement tendance à
autoriser dans leur législation le don de gamètes à des fins de fécondation in
vitro, tendance qui traduit l’émergence d’un consensus européen. Toutefois, le
consensus qui semble se dessiner correspond davantage à un stade de l’évolution
d’une branche du droit particulièrement dynamique qu’à des principes établis de
longue date dans les ordres juridiques des Etats membres, raison pour laquelle
il ne peut restreindre de manière décisive la marge d’appréciation de l’Etat.
97. Dès
lors que le recours à la fécondation in vitro a suscité et continue de susciter
de délicates interrogations d’ordre moral et éthique, lesquelles s’inscrivent
dans un contexte d’évolution rapide de la science et de la médecine, et que les
questions soulevées en l’espèce touchent à des domaines où il n’y a pas encore
une claire communauté de vues entre les Etats membres, la Cour estime qu’il y a
lieu d’accorder à l’Etat défendeur une ample marge d’appréciation (X, Y et Z c.
Royaume-Uni, 22 avril 1997, précité, § 44). Celle-ci doit en principe
s’appliquer tant à la décision de légiférer ou non en la matière que, le cas
échéant, aux règles détaillées édictées pour ménager un équilibre entre les
intérêts publics et les intérêts privés en conflit (Evans, précité, § 82).
Cependant, les choix opérés par le législateur en la matière n’échappent pas au
contrôle de la Cour. Il incombe à celle-ci d’examiner attentivement les
arguments dont le législateur a tenu compte pour parvenir aux solutions qu’il a
retenues et de rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts
de l’Etat et ceux des individus directement touchés par les solutions en
question. A cet égard, la Cour estime que la situation du couple formé par les
premier et deuxième requérants et celle du couple formé par les troisième et
quatrième requérants doivent être examinées séparément. Elle juge approprié de
se pencher d’abord sur la situation de ces derniers.
c) Les
troisième et quatrième requérants (don d’ovules)
98. La
troisième requérante est totalement stérile. En revanche, son mari – le quatrième
requérant – est apte à procréer. Il n’est pas contesté que, du point de vue
médical, les intéressés se trouvent dans une situation où la fécondation in
vitro avec don d’ovules est la seule technique qui puisse leur permettre de
réaliser leur souhait d’avoir un enfant dont l’un d’entre eux au moins serait
le parent génétique. Toutefois, ils ne peuvent en bénéficier en raison de
l’interdiction des techniques hétérologues de procréation assistée à des fins
de fécondation in vitro posée par l’article 3 § 1 de la loi sur la procréation
artificielle, disposition qui proscrit le don d’ovules sans aucune exception.
99. Selon
le Gouvernement, la décision du législateur autrichien d’interdire le don
d’ovules à des fins de fécondation in vitro était nécessaire dans une société
démocratique. Le législateur aurait ménagé un juste équilibre entre les
intérêts publics et les intérêts privés en cause. Il aurait été contraint
d’apporter un certain nombre de restrictions à l’utilisation des moyens offerts
par les techniques d’assistance médicale à la procréation pour tenir compte du
caractère moralement et éthiquement délicat des questions qu’elles soulèvent
ainsi que de l’inquiétude que suscitent le rôle et les possibilités de la
médecine reproductive moderne dans de larges pans de la société.
100. La
Cour estime que, dans un domaine aussi délicat que celui de la procréation
artificielle, les préoccupations tenant à des considérations d’ordre moral ou à
l’acceptabilité sociale des techniques en question doivent être prises au
sérieux. Toutefois, elles ne sauraient justifier à elles seules l’interdiction
totale de telle ou telle méthode de procréation assistée, en l’occurrence le
don d’ovules. Nonobstant l’ample marge d’appréciation dont les Parties
contractantes bénéficient dans ce domaine, le cadre juridique mis en place doit
être cohérent et permettre une prise en compte suffisante des divers intérêts
légitimes en jeu.
101. Le
Gouvernement soutient notamment que les nouvelles techniques médicales de
procréation assistée – au nombre desquelles figure la fécondation in vitro –
présentent le risque inhérent d’une utilisation non seulement à des fins
thérapeutiques, mais aussi dans d’autres buts, notamment la
« sélection » des enfants à naître. Il ajoute que le don d’ovules
comporte un danger d’exploitation et d’humiliation des femmes, en particulier
celles issues de milieux socialement défavorisés. D’autre part, les femmes
recourant à un traitement de fécondation in vitro pourraient se voir
contraintes de fournir plus d’ovules qu’il ne serait strictement nécessaire
pour leur traitement, ce afin de leur permettre d’en assumer le coût
(paragraphe 66 ci-dessus). Il souligne que cette technique, qui implique une
ponction d’ovules, est dangereuse et emporte de graves conséquences pour les
femmes qui s’y soumettent, et que le législateur doit se montrer
particulièrement vigilant pour y parer dès lors que des tiers sont en cause, à
savoir les donneuses.
102. Pour
leur part, les requérants plaident que le législateur autrichien pouvait
prendre d’autres mesures pour réduire – voire éviter – les effets néfastes
invoqués par le Gouvernement à l’appui de la nécessité de l’ingérence et que,
en tout état de cause, ceux-ci ne sont pas suffisants pour prévaloir sur leur
intérêt à réaliser leur souhait de concevoir un enfant.
103. La
Cour note que la procréation assistée est un domaine qui connaît des évolutions
rapides du point de vue de la science et de l’encadrement juridique de ses
applications médicales. Aussi est-il particulièrement difficile d’établir une
base solide pour apprécier la nécessité et l’opportunité de dispositions
légales dont les effets pourraient mettre de nombreuses années à se faire
sentir. Il n’est donc guère étonnant que les Etats jugent nécessaire
d’intervenir avec une grande circonspection en la matière.
104. La
Cour constate à cet égard que le législateur autrichien n’a pas interdit
totalement la procréation artificielle, puisqu’il a autorisé le recours aux
techniques homologues. Il ressort de l’arrêt rendu par la Cour
constitutionnelle le 14 octobre 1999 que la loi autrichienne repose sur l’idée
selon laquelle la procréation médicalement assistée doit demeurer aussi proche
que possible de la conception naturelle, le législateur ayant notamment voulu
maintenir le principe fondamental de droit civil contenu dans l’adage
« mater semper certa est » (la mère est
toujours certaine) en faisant en sorte que deux femmes ne puissent se disputer
la maternité biologique d’un même enfant, ce afin d’éviter des conflits éventuels
entre la filiation utérine et la filiation génétique au sens large. Ce faisant,
le législateur s’est efforcé de concilier le souhait de donner accès à la
procréation médicalement assistée et l’inquiétude que suscitent dans de larges
pans de la société le rôle et les possibilités de la médecine reproductive
moderne, laquelle soulève de délicates questions d’ordre moral et éthique.
105. La
Cour observe en outre que le législateur autrichien a assorti la loi sur la
procréation artificielle de garanties et de précautions spécifiques, notamment
en réservant l’usage des techniques de procréation artificielle aux médecins
spécialistes dotés de compétences et d’une expérience particulières dans ce
domaine et soumis aux règles déontologiques de leur profession (paragraphe 32
ci-dessus), et en interdisant la rémunération du don de gamètes. Ces mesures
visent à prévenir les risques potentiels de sélection eugénique ainsi qu’à
empêcher des utilisations abusives des techniques existantes et l’exploitation
des femmes donneuses d’ovules en situation de vulnérabilité. Le législateur
autrichien pouvait théoriquement aussi élaborer et adopter d’autres mesures ou
garanties propres à réduire les risques inhérents au don d’ovules évoqués par
le Gouvernement. En ce qui concerne les préoccupations exprimées par celui-ci
au sujet de la création de rapports caractérisés par une discordance entre la
réalité sociale et la réalité biologique, la Cour relève que les liens
familiaux atypiques au sens large, qui ne s’inscrivent pas dans le schéma
classique parent-enfant reposant sur un lien biologique direct, ne sont pas
inconnus des ordres juridiques des Etats contractants. L’institution de
l’adoption, que tous les Etats membres connaissent, a évolué au fil du temps
pour aboutir à un régime juridique réglementant de manière satisfaisante les
rapports qui en découlent. De la même manière, il aurait été possible au
législateur d’apporter des solutions juridiques acceptables aux difficultés que
suscite le don d’ovules. Toutefois, la Cour doit tenir compte de ce que la
dissociation de la maternité entre une mère génétique et une mère utérine crée
des rapports très différents de ceux qui résultent de l’adoption et ajoute une
nouvelle dimension au problème.
106. La
Cour admet que le législateur autrichien aurait pu donner à la procréation
artificielle un autre cadre juridique, qui aurait autorisé le don d’ovules.
Elle relève, à cet égard, qu’un certain nombre d’Etats membres du Conseil de
l’Europe ont opté pour cette solution. Toutefois, la question essentielle qui
se pose sur le terrain de l’article 8 n’est pas celle de savoir si le
législateur aurait pu trouver une autre solution, peut-être plus équilibrée,
mais si en retenant la solution ici critiquée il a outrepassé la marge
d’appréciation dont il jouissait au titre de cette disposition (Evans, précité,
§ 91). Pour trancher cette question, la Cour attache un certain poids au
fait, noté ci-dessus, qu’il n’existe pas un consensus européen suffisamment
solide sur le point de savoir si le don d’ovules à des fins de fécondation in
vitro doit être autorisé.
107. A
ce propos, la Cour observe qu’au niveau européen le seul instrument à traiter
de la question du don d’ovules aux fins de procréation assistée est la série de
principes adoptés en 1989 par le comité ad hoc d’experts sur les progrès des
sciences biomédicales, dont le onzième énonce que la fécondation in vitro doit
en principe être effectuée avec les gamètes du couple. Ni la Convention de 1997
sur les droits de l’homme et la biomédecine ni son Protocole additionnel adopté
en 2002 n’abordent cette question. La directive 2004/23/CE de l’Union
européenne énonce expressément qu’elle « ne devrait pas porter atteinte
aux décisions prises par les Etats membres concernant l’utilisation ou la non-utilisation
de tel ou tel type de cellules humaines, y compris les cellules germinatives et
les cellules souches embryonnaires ».
d) Les
premier et deuxième requérants (don de sperme)
108. La
première requérante souffre de stérilité tubaire. Son mari, le deuxième
requérant, est lui aussi stérile. Il est constant que, du point de vue médical,
les intéressés se trouvent dans une situation où la fécondation in vitro avec
don de sperme est la seule technique qui puisse leur permettre de réaliser leur
souhait d’avoir un enfant dont l’un d’entre eux au moins serait le parent
génétique.
109. Toutefois,
ils ne peuvent bénéficier de ce traitement en raison de l’interdiction de
l’utilisation des techniques hétérologues de procréation assistée à des fins de
fécondation in vitro posée par l’article 3 § 1 de la loi sur la procréation
artificielle, disposition qui proscrit le recours au don de sperme dans leur
cas. En revanche, l’article 3 § 2 de ladite loi autorise le don de sperme à des
fins de fécondation in vivo.
110. La
Cour rappelle qu’un Etat peut, sans enfreindre l’article 8 de la Convention,
adopter une législation régissant des aspects importants de la vie privée qui
ne prévoit pas de mise en balance des intérêts concurrents dans chaque cas.
Lorsque des aspects importants de la vie privée sont en jeu, l’édiction par le
législateur d’une règle à caractère absolu visant à promouvoir la sécurité
juridique n’est pas incompatible avec l’article 8 (Evans, précité, § 89).
111. La
chambre a accordé une grande importance au fait que le traitement dont les
intéressés souhaitaient bénéficier combinait deux techniques – la fécondation
in vitro homologue et la fécondation in vivo avec don de sperme – qui, mises en
œuvre séparément, étaient autorisées par la loi sur la procréation
artificielle. Elle a jugé qu’il fallait des explications particulièrement
convaincantes pour justifier l’interdiction de l’utilisation combinée de deux
techniques par ailleurs licites. Or, pour elle, le seul argument spécifique à
l’interdiction litigieuse consistait à dire que l’insémination artificielle in
vivo était une pratique ancienne et d’une telle facilité de mise en œuvre que
les autorités auraient du mal à en contrôler l’interdiction. Elle y a vu une
considération de simple efficacité qui ne pouvait prévaloir sur les intérêts
particulièrement importants des individus concernés, raison pour laquelle elle
a conclu que la différence de traitement ne se justifiait pas (paragraphes
92-93 de l’arrêt de la chambre).
112. La
Grande Chambre n’est pas convaincue par ce raisonnement. Elle considère que le
cadre législatif dans lequel s’inscrit l’interdiction de telle ou telle
technique de procréation artificielle doit être pris en compte pour l’examen de
la conformité avec la Convention de l’interdiction en question et que celle-ci
doit être envisagée dans ce contexte plus large.
113. Il
est vrai que certains des arguments avancés par le Gouvernement pour justifier
l’interdiction du don de gamètes à des fins de fécondation in vitro – tels que
la nécessité de prévenir le risque d’exploitation des femmes en situation de
vulnérabilité, de limiter les risques sanitaires auxquels s’exposent les
donneuses d’ovules et d’empêcher la création de rapports familiaux atypiques
liés à la dissociation de la maternité – ne valent que pour l’interdiction du
don d’ovules. Restent toutefois les préoccupations d’ordre général exprimées
par le Gouvernement, à savoir que le don de gamètes impliquant des tiers dans
un processus médical hautement technique est controversé et soulève des
questions sociales et morales complexes qui ne font l’objet d’aucun consensus
en Autriche et pour lesquelles il faut faire entrer en ligne de compte la
dignité humaine, le bien‑être des enfants ainsi
conçus et la prévention des inconvénients ou des abus possibles. La Cour a
conclu ci-dessus que l’interdiction du don d’ovules à des fins de fécondation
in vitro décidée par le législateur autrichien sur la base de ces
considérations était compatible avec l’article 8. Elle estime que lesdites
considérations sont également pertinentes pour l’interdiction des dons de
sperme à des fins de fécondation in vitro, eu égard à la nécessité de tenir
compte du cadre général dans lequel elle a été édictée.
114. Le
fait que le législateur autrichien a adopté une loi sur la procréation
artificielle consacrant l’interdiction des dons de sperme et d’ovules à des
fins de fécondation in vitro sans pour autant proscrire le don de sperme à des
fins de fécondation in vivo, technique tolérée depuis longtemps et communément
admise dans la société, est un élément important pour la mise en balance des
divers intérêts en présence et ne peut se ramener à une simple question
d’efficacité du contrôle des interdictions. Au contraire, il faut y voir la
marque du soin et de la circonspection avec lesquels le législateur autrichien
a cherché à concilier les réalités sociales avec ses positions de principe en
la matière. A cet égard, la Cour observe que le droit autrichien n’interdit pas
aux personnes concernées de se rendre à l’étranger pour y subir des traitements
contre la stérilité faisant appel à des techniques de procréation médicalement
assistée interdites en Autriche et que, en cas de réussite des traitements en
question, la filiation paternelle et la filiation maternelle sont régies par
des dispositions précises du code civil qui respectent les souhaits des parents
(voir, mutatis mutandis, A, B et C c. Irlande, précité, § 239).
e) Conclusion
de la Cour
115. Eu
égard à ce qui précède, la Cour conclut que ni l’interdiction du don d’ovules à
des fins de procréation artificielle ni la prohibition du don de sperme à des
fins de fécondation in vitro posées par l’article 3 de la loi sur la
procréation artificielle n’ont excédé la marge d’appréciation dont le
législateur autrichien disposait à l’époque pertinente.
116. Il
s’ensuit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention dans le
chef des requérants.
117. Néanmoins,
la Cour ne peut que constater que le parlement autrichien n’a pas, à ce jour,
procédé à un réexamen approfondi des règles régissant la procréation
artificielle à la lumière de l’évolution rapide que connaissent la science et
la société à cet égard. Elle observe au demeurant que tout en jugeant que le
législateur avait respecté le principe de proportionnalité découlant de
l’article 8 § 2 de la Convention et que le choix fait par lui d’autoriser en
principe les méthodes homologues de procréation artificielle – et à titre
exceptionnel l’insémination avec don de sperme –reflétait l’état de la science
médicale de l’époque et le consensus existant dans la société, la Cour
constitutionnelle a précisé que ces données n’étaient pas figées et qu’elles
pouvaient subir des évolutions dont le législateur devrait tenir compte.
118. Le
Gouvernement n’a pas indiqué si les autorités autrichiennes avaient donné suite
à cet aspect de l’arrêt de la Cour constitutionnelle. A cet égard, la Cour
rappelle que la Convention doit toujours s’interpréter et s’appliquer à la
lumière des circonstances actuelles (Rees c. Royaume-Uni, 17 octobre 1986,
§ 47, série A no 106). Bien qu’elle ait conclu à la non‑violation
de l’article 8 en l’espèce, elle observe que le domaine en cause, qui paraît se
trouver en perpétuelle évolution et connaît des évolutions scientifiques et
juridiques particulièrement rapides, appelle un examen permanent de la part des
Etats contractants (Christine Goodwin, précité,
§ 74 ; et Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 68, CEDH 2002‑IV).
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE
L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8
119. Les
requérants allèguent que l’interdiction du recours à des techniques
hétérologues de procréation artificielle en vue d’une fécondation in vitro
posée par l’article 3 §§ 1 et 2 de la loi sur la procréation artificielle a
emporté violation de leurs droits au titre de l’article 14 de la Convention
combiné avec l’article 8.
120. En
l’espèce, la Cour estime que la substance du grief des requérants a été
suffisamment prise en compte dans le cadre de l’examen de leurs allégations
fondées sur l’article 8 de la Convention. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu
d’examiner séparément les mêmes faits sous l’angle de l’article 14 combiné
avec l’article 8 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Rejette, à l’unanimité, l’exception
préliminaire soulevée par le Gouvernement ;
2. Dit, par 13 voix contre 4, qu’il n’y a
pas eu violation de l’article 8 de la Convention ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il ne s’impose
pas d’examiner aussi l’affaire sous l’angle de l’article 14 de la Convention
combiné avec l’article 8 de la Convention.
Fait en
français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits
de l’Homme, à Strasbourg, le 3 novembre 2011.
Michael O’Boyle
Jean-Paul Costa
Greffier
adjoint
Président
Au présent
arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74
§ 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
– opinion
séparée du juge de Gaetano ;
– opinion
dissidente commune aux juges Tulkens, Hirvelä, Lazarova Trajkovska et Tsotsoria.
J.-P.C.
M.O.B.
OPINION
SÉPARÉE DU JUGE DE GAETANO
(Traduction)
1. J’ai
voté avec la majorité dans cette affaire car je pense que les faits de la cause
ne révèlent pas de violation de l’article 8, ni d’ailleurs de violation de
l’article 14 combiné avec l’article 8. Toutefois, certaines implications du
raisonnement de la majorité m’inspirent de sérieuses réserves.
2. La
dignité humaine – dont découle la notion de valeur inhérente de la vie humaine
– est au cœur même de l’ensemble de la Convention. Elle peut bien sûr relever
plus directement et immédiatement de certaines dispositions de la Convention
que d’autres articles de celle-ci. L’article 8 est l’une de ces dispositions.
Pour répondre à la question, posée aux paragraphes 85 et suivants de l’arrêt,
de savoir si l’affaire devait être examinée sous l’angle d’une « atteinte
au droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale (...) ou en
un défaut d’exécution d’une obligation positive qui pèserait sur [l’Etat] à cet
égard », il aurait d’abord fallu déterminer les limites inhérentes à
l’article 8. S’il n’est pas douteux que la décision d’un couple de concevoir un
enfant relève de sa vie privée et familiale (et, dans le contexte de l’article
12, du droit du couple de fonder une famille), ni l’article 8 ni l’article 12
ne peuvent s’interpréter comme conférant un droit de concevoir un enfant à
n’importe quel prix. A mes yeux, le « désir » d’enfant ne peut
devenir un objectif absolu l’emportant sur la dignité de la vie humaine.
3. Dans
l’arrêt Dickson c. Royaume-Uni, cité au paragraphe 81 du présent arrêt, la Cour
a effectivement jugé que la procréation détachée de l’acte conjugal relevait du
champ d’application de l’article 8. J’estime que, par cette décision, la Cour
n’a pas fait progresser la cause de la dignité humaine mais s’est bornée à
accompagner les progrès de la science médicale. L’acte personnel d’un homme et
d’une femme que constitue la procréation humaine y a été réduite à une
technique médicale ou de laboratoire.
4. Le
présent arrêt donne à entendre (paragraphe 106) que l’existence d’un
« consensus européen » en la matière est une considération importante
pour déterminer s’il y a eu ou non violation de la Convention (sous l’angle de
l’article 8). Là encore, cette manière d’envisager les choses élude la
nécessité de se demander si tel ou tel acte, omission ou restriction fait
progresser ou reculer la dignité humaine (sans compter que l’histoire a montré
que le « consensus européen » a par le passé conduit à des injustices
flagrantes en Europe et ailleurs). De la même manière, le point de savoir si le
parlement autrichien a entrepris d’examiner de fond en comble « les règles
régissant la procréation artificielle à la lumière de l’évolution rapide que
connaissent la science et la société à cet égard » (paragraphe 117) est
hors de propos.
5. La
procréation artificielle (par opposition à la procréation naturelle
médicalement assistée) soulève bien sûr d’autres questions qui excèdent la
portée du présent arrêt, telles que la congélation et la destruction des
embryons humains.
6. Quels
que soient les progrès de la science médicale et d’autres sciences, la
reconnaissance de la valeur et de la dignité de chacun peut nécessiter
l’interdiction de certains actes au nom de la valeur inaliénable et de la
dignité intrinsèque de tout être humain. Pareille interdiction – à l’instar de
l’interdiction du racisme, de la discrimination illégitime et de la
marginalisation des malades et des handicapés – ne s’analyse pas en un déni des
droits fondamentaux de l’homme mais en une reconnaissance positive et un
progrès de ceux-ci.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES TULKENS, HIRVELÄ, LAZAROVA TRAJKOVSKA
ET TSOTSORIA
1. Dans
cette question particulièrement sensible et délicate de la procréation
médicalement assistée (PMA), nous ne partageons pas la conclusion de la
majorité selon laquelle il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la
Convention dans le chef des quatre requérants.
2. En
l’espèce, le premier couple s’est vu refuser les ovules d’une donneuse, tandis
que le second couple n’a pu recevoir le sperme d’un donneur, en raison de la
loi sur la procréation artificielle de 1992 qui dispose que seuls les gamètes
provenant de personnes mariées (ou vivant maritalement) peuvent être utilisés,
interdisant donc la PMA avec tiers donneur.
3. D’emblée,
il est toutefois important de noter que la Grande Chambre, comme la chambre,
confirme et étend à la situation présente l’applicabilité de l’article 8 de la
Convention. En effet, depuis l’arrêt Evans c. Royaume du 10 avril 2007
(Grande Chambre), notre Cour admet que la notion de vie privée, au sens de
l’article 8 de la Convention, recouvre le droit au respect de la décision
d’avoir un enfant ou de ne pas en avoir (§ 71). Par ailleurs, dans l’arrêt
Dickson c. Royaume-Uni du 4 décembre 2007 (Grande Chambre) qui concernait la
possibilité de pratiquer une insémination artificielle, la Cour a conclu à
l’applicabilité de l’article 8 au motif que la technique de procréation en
question concernait la vie privée et familiale des intéressés, précisant que
cette notion englobait un droit pour eux à voir respecter leur décision de
devenir parents génétiques (§ 66). En l’espèce, la Cour précise « que le
droit des couples à concevoir un enfant et à recourir pour ce faire à la
procréation médicalement assistée relève également de la protection de
l’article 8, pareil choix constituant une forme d’expression de la vie privée
et familiale » (paragraphe 82 de l’arrêt). Cette reconnaissance est
d’autant plus importante que, contrairement à la chambre, la Grande Chambre
limite par après son examen à l’article 8 pris isolément, estimant que c’est sur
ce terrain que se situe la substance des griefs des requérants.
L’article 8 de la Convention semble donc jouer désormais un rôle accru
dans les questions liées à la procréation et à la reproduction.
4. Dans
une matière en profonde évolution aussi bien sur le plan scientifique et
médical que social et éthique, une caractéristique de la présente affaire
réside dans le facteur temps. La décision de la Cour constitutionnelle
autrichienne rejetant les recours des requérants a été adoptée le 14 octobre
1999, cette dernière observant elle-même « que les choix opérés par le
législateur [de 1992] reflétaient l’état de la science médicale de l’époque et
le consensus existant dans la société, tout en précisant que ceux-ci n’étaient
pas figés et qu’ils pouvaient connaître des évolutions dont le législateur
devrait tenir compte » (paragraphe 22 de l’arrêt). La requête a été
introduite devant notre Cour le 8 mai 2000 et l’arrêt de la chambre a été
adopté le 1er avril 2010. Dans ces circonstances particulières, il nous semble artificiel
pour la Cour de se limiter à apprécier la situation telle qu’elle existait au
moment du prononcé de l’arrêt de la Cour constitutionnelle en 1999 et dans le
contexte de l’époque, privant ainsi délibérément un arrêt de Grande Chambre
prononcé fin 2011 de toute portée réelle. Certes, l’arrêt prend soin de
préciser que « rien n’empêche la Cour de prendre en considération
pour son appréciation les développements intervenus depuis lors »
(paragraphe 84 de l’arrêt), mais ce rappel restera, dans les faits, lettre
morte.
5. Un
tel choix, qui ne trouve pas d’appui décisif dans la jurisprudence de la Cour,
bien au contraire (voy., notamment, Yaşa c. Turquie, arrêt du 2 septembre 1998, §
94 ; Maslov c. Autriche, arrêt [GC] du 23 juin
2008, §§ 91 et 92), nous paraît d’autant plus problématique que
l’essentiel de l’argumentaire de la Grande Chambre repose sur le consensus
européen concernant le don de gamètes (ovules et sperme) dont nous savons
pertinemment qu’il a évolué de manière substantielle (paragraphes 35 et
suivants de l’arrêt). L’arrêt le reconnaît d’ailleurs clairement :
« [i]l ressort des informations en possession de la Cour que, depuis le
prononcé de l’arrêt de la Cour constitutionnelle autrichienne, la science
médicale a connu maintes évolutions, auxquelles certains Etats contractants ont
répondu par des mesures législatives. Ces évolutions pourraient donc avoir une
influence sur l’appréciation des faits par la Cour » (paragraphe 84 de
l’arrêt). Toutefois, par la suite, il n’en sera rien.
6. Plus
concrètement, et cet élément pèse lourd à nos yeux, la majorité constate
expressément que le parlement autrichien n’a toujours pas à ce jour procédé à
un réexamen approfondi des règles régissant la procréation artificielle à la
lumière de l’évolution rapide que connaissent la science et la société à cet
égard, en dépit du fait que la Cour constitutionnelle dès 1999 avait précisé
que ces données n’étaient pas figées et qu’elles pouvaient subir des évolutions
dont le législateur devrait tenir compte (paragraphe 118 de l’arrêt). Or,
aucune suite n’a été donnée à cet appel pendant plus de dix ans. Néanmoins, la
Grande Chambre estime que le législateur a respecté le principe de
proportionnalité découlant de l’article 8 § 2 de la Convention, se limitant à
inviter « les Etats contractants à un examen
constant » (paragraphe 119 de l’arrêt).
7. Quand
bien même il serait acceptable en 2011 de s’en tenir exclusivement à la
situation existant en 1999, encore faut-il que le consensus européen tel qu’il
existait à ce moment soit soigneusement objectivé aux fins de déterminer
l’ampleur de la marge d’appréciation car, « lorsqu’un aspect
particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se
trouve en jeu, la marge laissée à l’Etat est d’ordinaire restreinte »
(paragraphe 95 de l’arrêt). Ainsi, par exemple, dans l’arrêt Connors c.
Royaume-Uni du 27 mai 2004, la Cour rappelle que la marge « est d’autant
plus restreinte que le droit en cause est important pour garantir à l’individu
la jouissance effective des droits fondamentaux ou d’ordre “intime” qui lui
sont reconnus » (§ 82), ce qui est évidemment le cas en l’espèce.
8. Or,
même sur base de l’étude comparative sur l’assistance médicale à la procréation
menée dans 39 pays par le Conseil de l’Europe en 1998, le don d’ovules n’était
prohibé à cette époque que dans huit pays et le don de sperme dans cinq pays.
Néanmoins, la Cour estime que « le consensus qui semble se dessiner
correspond davantage à un stade de l’évolution d’une branche du droit particulièrement
dynamique qu’à des principes établis de longue date dans les ordres juridiques
des Etats membres, raison pour laquelle il ne peut restreindre de manière
décisive la marge d’appréciation de l’Etat » (paragraphe 97 de
l’arrêt). De manière inédite, la Cour donne ainsi au consensus européen une
dimension nouvelle et fixe à celui-ci un seuil particulièrement bas, laissant à
la marge d’appréciation des Etats une extension potentiellement illimitée.
Le climat actuel n’est sans doute pas étranger à une telle position de
retrait. Les divergences dans la jurisprudence de la Cour quant à la valeur
déterminante du consensus européen et le manque de rigueur des critères retenus
pour contrôler celui-ci[1] atteignent ici leur limite,
créant une profonde insécurité juridique.
9. Il
est significatif de constater que dans le rapport d’une réunion sur « Medical, ethical and social
aspects of assisted reproduction » organisée par
l’Organisation Mondiale de la Santé déjà en 2001, des auteurs se sont exprimés
comme suit : « [il] est communément admis que l’infertilité affecte
plus de 80 millions de personnes dans le monde. De manière générale, un couple
sur dix est touché par une infertilité primaire ou secondaire (...) il s’agit
d’un problème majeur dans la vie des personnes concernées, source de souffrance
sociale et psychologique tant pour les hommes que pour les femmes et
susceptible de mettre les relations de couple à rude épreuve[2] ». Aujourd’hui, « la
société doit relever les nouveaux défis que lui lancent [la] révolution
technologique [dans le domaine de la reproduction assistée] et ses implications
sociales[3] ». A cet égard, il nous
semble important de rappeler que les articles 12 § 1 et 15 § 1 b) du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966) reconnaissent
à chacun le droit de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications
ainsi que de jouir du meilleur état de santé physique et mentale. En
définitive, ce qui est en jeu en l’espèce n’est pas une question de choix entre
différentes techniques. Il s’agit plus fondamentalement d’une limitation de
l’accès à des techniques de fécondation in vitro hétérologue qui s’analyse en
un refus d’accès à une thérapie disponible.
10. Alors
que les données de l’époque vont en majorité dans un sens contraire et sans
prendre en considération les développements intervenus depuis lors, la Grande
Chambre n’hésite pas à soutenir qu’il n’y a pas encore une « claire
communauté de vues entre Etats membres » et qu’il y a lieu dès lors
d’accorder à l’Etat défendeur une « ample marge d’appréciation », lui
permettant notamment de concilier les réalités sociales avec ses positions de
principe en la matière. Ce raisonnement laisse entendre que ces éléments
doivent désormais prendre le pas sur le consensus européen, ce qui constitue un
tournant dangereux dans la jurisprudence de la Cour dont une des missions est
précisément de contribuer à une harmonisation en Europe des droits garantis par
la Convention[4].
11. Avec
le consensus européen, la marge d’appréciation est donc l’autre pilier du
raisonnement de la Grande Chambre. Parfois celle-ci est qualifiée d’ample ou de
large (paragraphe 98 de l’arrêt), parfois elle est invoquée sans qualification
particulière (paragraphes 107 et 116 de l’arrêt), laissant transparaître une
certaine hésitation quant au poids réel à donner à celle-ci et à la gravité de
la limitation litigieuse. Il en résulte que la position de la Cour est
imprécise et incertaine, voire opaque. Tout en reconnaissant que le législateur
aurait pu apporter des solutions juridiques acceptables, peut-être plus
équilibrées, aux difficultés que présentent tant le don d’ovules que le don de
sperme, la Grande Chambre se limite à examiner le point de savoir s’il a, en
retenant la solution critiquée, outrepassé la marge d’appréciation dont il
jouissait (paragraphe 107 de l’arrêt). A notre avis, la question ne se pose pas
ainsi. D’un côté, lorsque les Etats ont autorisé la PMA, la Cour doit vérifier
s’ils en accordent le bénéfice de manière cohérente avec leurs obligations
conventionnelles et en choisissant la voie la moins attentatoire aux droits et
libertés. La marge d’appréciation va de pair avec le contrôle européen. D’un
autre côté, dans une affaire aussi sensible que celle-ci, la Cour ne peut
utiliser la marge d’appréciation comme « substitut pragmatique à une
approche réfléchie du problème de la portée adéquate de son contrôle »[5]. En définitive, par l’effet
combiné du consensus européen et de la marge d’appréciation, la Cour a choisi
une approche minimale, voire minimaliste, peu susceptible d’éclairer les
juridictions nationales.
12. Un
des arguments avancés par le Gouvernement et accepté par la majorité nous
paraît singulièrement problématique, à savoir « que le droit autrichien
n’interdit pas aux personnes concernées de se rendre à l’étranger pour y subir
des traitements contre la stérilité faisant appel à des techniques de
procréation médicalement assistée interdites en Autriche et que, en cas de
réussite des traitements en question, la filiation paternelle et la filiation
maternelle sont régies par des dispositions précises du code civil qui
respectent les souhaits des parents » (paragraphe 115 de l’arrêt)[6].
13. A
notre avis, cet argument que les couples peuvent se rendre à l’étranger (sans
prendre en compte les éventuelles difficultés pratiques et les frais que cela
pourrait engendrer) laisse sans réponse la vraie question qui est celle de
l’ingérence dans la vie privée des requérants résultant de l’interdiction
absolue qui existe en Autriche ; il ne suffit, dès lors, en aucune manière
à satisfaire aux exigences de la Convention concernant le droit des requérants
au respect de l’article 8. En outre, en endossant le raisonnement du
Gouvernement selon lequel, en cas de réussite des traitements subis à
l’étranger, la filiation paternelle et maternelle des enfants seront régies par
le code civil dans le respect du souhait des parents, la Grande Chambre
affaiblit considérablement la force des arguments fondés sur
« l’inquiétude que suscitent le rôle et les possibilités de la médecine
reproductive moderne dans de larges pans de la société », notamment en ce
qui concerne la création de rapports familiaux atypiques (paragraphe 114 de
l’arrêt). Enfin, si le souci de l’intérêt de l’enfant qui serait mis en péril
par les méthodes interdites de reproduction disparaît ainsi par le passage de
la frontière, il en va de même en ce qui concerne les préoccupations relatives
à la santé de la mère plusieurs fois invoquées par le Gouvernement défendeur
pour justifier l’interdiction.
14. Pour
l’ensemble de ces raisons, nous concluons qu’il y a eu en l’espèce, dans le
chef des quatre requérants, violation de l’article 8 de la Convention.
[1]. « Le rôle du
consensus dans le système de la Convention européenne des droits de
l’homme », Dialogue entre juges, Cour européenne des droits de l’homme,
Conseil de l’Europe, 2008.
[2]. E. Vayena et al. (éds.), Current Practices and Controversies
in Assisted Reproduction, Genève, Organisation
Mondiale de la Santé, 2002, p. XIII.
[3]. M.F.
Fathalla, « Current challenges in assisted
reproduction », in E. Vayena et al. (éds.), Current Practices and Controversies in Assisted
Reproduction, op. cit., p. 20.
[4]. C.L.
Rozakis, “The European Judge as Comparatist”,
Tul. L. Rev., vol. 80, n° 1, 2005, p. 272.
[5]. Opinion dissidente
commune aux juges Türmen, Tsatsa-Nikolovska, Spielmann et Ziemele, jointe à l’arrêt Evans c. Royaume-Uni [GC] du 10
avril 2007, point 12.
[6]. Voy., sur cette
question, R.F. Storrow, « The pluralism problem
in cross-border reproductive care », Human Reproduction, vol. 25, n° 12,
2010, pp. 2939 et ss.