Corte europea dei diritti dellâuomo
(Seconda sezione)
AFFAIRE FRANCESCO SESSA c. ITALIE
(RequĂȘte n. 28790/08)
ARRĂT
STRASBOURG
3 avril 2012
Cet arrĂȘt deviendra
dĂ©finitif dans les conditions dĂ©finies Ă lâarticle 44 § 2 de la
Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En lâaffaire Francesco Sessa c. Italie,
Françoise Tulkens, présidente,
Dragoljub PopoviÄ,
Isabelle Berro-LefĂšvre,
AndrĂĄs SajĂł,
Guido Raimondi,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffiÚre
adjointe de section,
AprÚs en avoir délibéré en
chambre du conseil le 6 mars 2012,
Rend lâarrĂȘt que voici, adoptĂ© Ă
cette date :
PROCĂDURE
1. A lâorigine de
lâaffaire se trouve une requĂȘte (no 28790/08) dirigĂ©e contre
2. Le requérant est
représenté par Me M. Cozza, avocate à Salerne. Le gouvernement
italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme
E. Spatafora.
3. Le requérant
allégue, notamment, une atteinte à sa liberté de manifester sa religion.
4. Le 6 juillet 2009,
la prĂ©sidente de la deuxiĂšme section a dĂ©cidĂ© de communiquer la requĂȘte au
Gouvernement. Comme le permet lâarticle 29 § 1 de
EN FAIT
5. Le requérant est
né en 1955 et réside à Naples.
6. Le requérant, de
confession juive, est un avocat. Le 7 juin 2005, en qualité de représentant de
lâun des deux plaignants dans une procĂ©dure pĂ©nale Ă lâencontre de certaines
banques, il participa Ă une audience devant le juge des investigations
prĂ©liminaire (GIP) de ForlĂŹ relative Ă la production immĂ©diate dâun moyen de
preuve (« incidente probatorio »).
A cette occasion, le GIP titulaire de lâaffaire Ă©tant empĂȘchĂ©, son remplaçant
invita les parties Ă choisir la date de renvoi de lâaudience parmi deux
possibilitĂ©s, Ă savoir les 13 et 18 octobre 2005, selon le calendrier dĂ©jĂ
Ă©tabli par le GIP titulaire.
7. Le requérant fit valoir que les deux dates correspondaient
à deux festivités juives, respectivement le Yom Kippour et le Souccot, et
affirma son impossibilitĂ© Ă ĂȘtre prĂ©sent Ă lâaudience de renvoi en raison de
ses obligations religieuses. Le requĂ©rant dĂ©clara ĂȘtre membre de
8. Le GIP fixa la date de lâaudience au 13 octobre 2005.
9. Le mĂȘme jour, le requĂ©rant dĂ©posa une demande de renvoi de
lâaudience Ă lâattention du GIP titulaire de lâaffaire. Le 20 juin 2005, le GIP, aprĂšs avoir examinĂ© la demande du
requérant, décida de ne pas statuer et de la verser au dossier.
10. Le 11 juillet
2005, le requĂ©rant dĂ©posa une plainte pĂ©nale Ă lâencontre du GIP titulaire de
lâaffaire et de son remplaçant, allĂ©guant la violation de lâarticle 2 de la loi
no 101 de
11. A lâaudience du
13 octobre 2005, le GIP releva que le requérant était absent pour des
« raisons personnelles » et demanda aux parties dâexprimer leur avis
concernant la demande de renvoi du 7 juin. Le ministĂšre public et les avocats
des prévenus exprimÚrent leur opposition à ladite demande, faisant valoir
notamment lâabsence dâune raison de renvoi reconnue par la loi, tandis que
lâavocat de lâautre plaignant appuya la demande du requĂ©rant.
12. Par une
ordonnance du mĂȘme jour, le GIP rejeta la demande de renvoi du requĂ©rant. Il
fit valoir tout dâabord que, selon lâarticle 401 du code de procĂ©dure pĂ©nale,
seule la prĂ©sence du ministĂšre public et de lâavocat du prĂ©venu est nĂ©cessaire
lors des audiences consacrées à la production immédiate des preuves, celle de
lâavocat du plaignant Ă©tant prĂ©vue comme une simple facultĂ©. En outre, le code
de procĂ©dure pĂ©nale ne prĂ©voit pas lâobligation pour le juge dâajourner
lâaudience en raison dâun empĂȘchement lĂ©gitime Ă comparaĂźtre du dĂ©fenseur du
plaignant. Enfin, le GIP souligna que, sâagissant dâune procĂ©dure avec un
nombre Ă©levĂ© dâintervenants (accusĂ©s, plaignants, experts dâoffice, experts
désignés par les parties) « et compte tenu de la surcharge de travail de
ce bureau â ce qui obligerait Ă repousser lâaudience Ă 2006 â, le principe du
délai raisonnable de la procédure impose le rejet de la demande, introduite par
une personne non légitimée à demander le renvoi ».
13. Le 23 janvier
2006, le Conseil Supérieur de la Magistrature informa le requérant de son
incompétence à connaßtre des faits litigieux, les allégations relevant de
lâexercice de lâactivitĂ© juridictionnelle.
14. Entre-temps, le 9
janvier 2006, le parquet dâAncĂŽne demanda le classement sans suite de la
plainte dĂ©posĂ©e par le requĂ©rant. Ce dernier sây opposa par un acte du 28
janvier 2006.
15. Par un décret du
21 septembre 2006, le GIP dâAncĂŽne ordonna le classement de lâaffaire. Dans sa
dĂ©cision, le juge soutint que le plaignant nâavait pas formĂ© opposition Ă
lâencontre de la demande de classement du parquet.
16. Le 19 janvier
2007, le requérant se pourvut en cassation alléguant que le GIP avait
erronément ignoré son opposition du 28 janvier 2006.
17. Le 12 février
2008, le requérant et le parquet participÚrent à une audience devant le GIP
dâAncĂŽne. Ce dernier, par une ordonnance du 15 fĂ©vrier 2008, ordonna
le classement sans suite de lâaffaire. Il affirma quâaucun Ă©lĂ©ment dans le
dossier ne dĂ©montrait que le GIP titulaire de lâaffaire ainsi que son substitut
Ă lâaudience du 7 juin 2006 avaient eu lâintention de violer le droit du
requérant à exercer librement le culte juif. Par ailleurs, la volonté
dâoffenser la dignitĂ© du requĂ©rant en raison de sa confession religieuse ne
ressortait pas du dossier.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
18. La loi no 101
du 8 mars 1989 contient des dispositions rĂ©glant les rapports entre lâĂtat et
lâUnion des CommunautĂ©s Juives italiennes. Lâarticle
2 de ladite loi affirme le droit de manifester et dâexercer librement la
religion juive. Aux termes de lâarticle 4, lâItalie reconnaĂźt aux juifs qui le
demandent le droit dâobserver le Sabbat, dans le cadre de la flexibilitĂ© de
lâorganisation du travail et sans prĂ©judice des exigences des services
essentiels prévus par le systÚme juridique étatique.
Lâarticle 5 de la loi no
101 assimile le Yom Kippour et le Souccot, ainsi que dâautres festivitĂ©s
juives, au Sabbat.
19. Selon lâalinĂ©a 5
de lâarticle 2 de ladite loi, les manifestations dâintolĂ©rance et de prĂ©jugĂ©
religieux sont sanctionnĂ©es aux termes de lâarticle 3 de la loi no
654 de 1975, à savoir la loi de ratification de la « Convention
internationale sur lâĂ©limination de toutes les formes de discrimination
raciale ». Selon cette derniÚre disposition, quiconque diffuse des idées fondées
sur la supériorité ou sur la haine raciale ou ethnique, ou incite à commettre
des actes de discrimination pour des raisons raciales, ethniques, nationales ou
religieuses, est puni avec une peine jusquâĂ un an et six mois de rĂ©clusion.
20. Lâarticle
401 du code de procédure pénale, premier alinéa, concernant la procédure visant
la production immĂ©diate dâun moyen de preuve (« incidente
probatorio »), se lit ainsi :
« Lâaudience se dĂ©roule en
chambre du conseil avec la participation nécessaire du ministÚre public et du
défenseur de la personne mise en cause par les investigations. Le défenseur de la
partie lĂ©sĂ©e a Ă©galement la facultĂ© dây participer ».
EN DROIT
I. SUR
21. Le requérant
allĂšgue que le refus de lâautoritĂ© judiciaire de reporter lâaudience
litigieuse, fixĂ©e Ă une date correspondant Ă une festivitĂ© juive, lâa empĂȘchĂ©
dây participer en sa qualitĂ© de reprĂ©sentant dâun des plaignants et a constituĂ©
une entrave Ă son droit Ă manifester librement sa religion. Il invoque
lâarticle 9 §§ 1 et 2 de
« 1. Toute personne
a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit
implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la
liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou
collectivement, en public ou en privĂ©, par le culte, lâenseignement, les
pratiques et lâaccomplissement des rites.
2. La liberté de
manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire lâobjet dâautres
restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures
nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la
protection de lâordre, de la santĂ© ou de la morale publiques, ou Ă la
protection des droits et libertĂ©s dâautrui. »
22. Le Gouvernement
sâoppose Ă cette thĂšse.
A. Sur la
recevabilité
23. Le Gouvernement
excipe tout dâabord de la tardivitĂ© de la requĂȘte. Il considĂšre que le
requĂ©rant aurait dĂ» introduire sa requĂȘte dans un dĂ©lai de six mois Ă compter
du 13 octobre 2005, à savoir la date de la décision du GIP de ne pas reporter
lâaudience litigieuse.
24. Le requĂ©rant sây
oppose et demande Ă
25.
26. En lâespĂšce, le
requĂ©rant allĂšgue la violation de son droit de manifester et dâexercer
librement la religion juive, tel que protégé en droit italien par la loi no
101 de 1989, de la part de deux juges du tribunal de ForlĂŹ, lesquels auraient
exercĂ© leurs fonctions animĂ©s dâun sentiment dâintolĂ©rance religieuse. Or, ladite loi prĂ©voit
que les personnes responsables de manifestations dâintolĂ©rance et de prĂ©jugĂ©
religieux soient punies avec des sanctions pénales.
27. De lâavis de
28.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
29. Le requérant affirme que les magistrats impliqués dans
son affaire ont agi avec lâintention dâatteindre son droit Ă manifester
librement sa confession juive.
30. Il rappelle que la loi no 101 de 1989
reconnaĂźt son droit de sâabsenter du travail Ă lâoccasion des festivitĂ©s
officielles juives, afin dâexercer librement le culte religieux. Par ailleurs,
la limitation de ce droit ne saurait ĂȘtre justifiĂ©e par des exigences de
service inĂ©luctables, lâaudience du 13 octobre 2005 pouvant ĂȘtre
reportée à une autre date sans porter préjudice ni au bon déroulement de la
procédure ni aux droits des autres personnes impliquées dans le procÚs. A cet
Ă©gard, il fait valoir que lâaudience litigieuse nâavait aucun caractĂšre
dâurgence, car elle ne concernait ni une mesure de privation de libertĂ© ni les
droits dâune personne dĂ©tenue. De plus, ayant demandĂ© le report de lâaudience
avec un préavis de quatre mois, le requérant affirme que les autorités eurent
tout le loisir dâorganiser le calendrier des audiences afin de garantir le
respect des différents droits en jeu.
31. Le Gouvernement soutient quâil nây a eu aucune ingĂ©rence
dans le droit du requérant à manifester librement sa religion, du moment que
celui-ci nâa jamais Ă©tĂ© empĂȘchĂ© de participer aux festivitĂ©s juives et
dâexercer librement son culte. Il affirme que les autoritĂ©s se sont bornĂ©es Ă
veiller Ă ce que lâexercice du droit du requĂ©rant dâobtenir le report de lâaudience
nâentrave pas lâexercice des services publics et essentiels de lâĂtat.
32. Le Gouvernement fait valoir que le droit invoqué par le
requĂ©rant nâest pas un droit absolu. Tout dâabord, mĂȘme Ă supposer que la loi no 101
de 1989 concerne les relations de travail entre un avocat et un tribunal,
lâalinĂ©a 2 de son article 4 prĂ©voit expressĂ©ment que les exigences liĂ©es aux
services essentiels lâemportent sur le droit de lâindividu Ă cĂ©lĂ©brer librement
le culte. Or, lâadministration de la justice constitue en soi un service
essentiel de lâEtat, lequel doit pouvoir primer en toute circonstance.
En outre, la participation de lâavocat de la partie lĂ©sĂ©e Ă lâaudience
visant la production immĂ©diate dâun moyen de preuve nâest pas obligatoire. En
tout Ă©tat de cause, un avocat empĂȘchĂ© de participer Ă une audience pour des
raisons personnelles a la possibilitĂ© de nommer un remplaçant conformĂ©ment Ă
lâarticle 102 du code de procĂ©dure pĂ©nale. En choisissant de ne pas se
prévaloir de cette possibilité, le requérant a renoncé à concilier les
obligations religieuses liées à son culte avec les exigences liées au bon
déroulement de la justice.
33. Enfin, le Gouvernement fait observer que le renvoi de
lâaudience litigieuse Ă©tait susceptible de porter atteinte au bon dĂ©roulement de
la procĂ©dure et au droit des vingt-et-un prĂ©venus Ă avoir un procĂšs dâune durĂ©e
raisonnable. Ledit renvoi aurait en effet engendré la nécessité de renouveler
la notification de la date de lâaudience aux nombreuses parties impliquĂ©es, Ă
différents titres, dans le procÚs.
2. Appréciation de
34.
35. Ainsi, ne relĂšvent
pas de la protection de lâarticle 9 la rĂ©vocation dâun agent du service public
pour nâavoir pas respectĂ© les horaires de travail au motif que lâĂglise
adventiste du septiĂšme jour, Ă laquelle il appartenait, interdisait Ă ses
membres de travailler le vendredi aprĂšs le coucher du soleil (Konttinen
c. Finlande, no
24949/94, déc. 3 décembre 1996, Décisions et rapports (DR) 87, p. 69) ou
la mise en retraite dâoffice pour raisons disciplinaires dâun militaire ayant
des opinions intégristes (Kalaç,
précité ; voir également Stedman c.
Royaume Uni (déc.), no 29107/95, décision de
36. En lâespĂšce,
37. Compte tenu des circonstances de lâespĂšce,
38. Quoi quâil en soit, mĂȘme Ă supposer lâexistence dâune
ingĂ©rence dans le droit du requĂ©rant protĂ©gĂ© par lâarticle 9 § 1,
39. La Cour conclut
quâil nây a pas eu violation de lâarticle 9 de la Convention.
II. SUR LES
AUTRES VIOLATIONS ALLĂGUĂES
40. Invoquant lâarticle 13, le requĂ©rant allĂšgue que le
classement sans suite de sa plainte lâa privĂ© dâune dĂ©cision de justice
effective. En outre, il se plaint dâavoir fait lâobjet dâune discrimination
contraire Ă lâarticle 14 de
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...)
Convention ont Ă©tĂ© violĂ©s, a droit Ă lâoctroi dâun recours effectif devant une
instance nationale, alors mĂȘme que la violation aurait Ă©tĂ© commise par des
personnes agissant dans lâexercice de leurs fonctions officielles. »
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...)
Convention doit ĂȘtre assurĂ©e, sans distinction aucune, fondĂ©e notamment sur le
sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou
toutes autres opinions, lâorigine nationale ou sociale, lâappartenance Ă une
minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
41.
42. Quant au grief du requĂ©rant tirĂ© de lâarticle 14 de
43. Il sâensuit que
ces griefs doivent ĂȘtre rejetĂ©s comme Ă©tant manifestement mal fondĂ©s, en
application de lâarticle 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
PAR CES MOTIFS,
1. DĂ©clare, Ă
lâunanimitĂ©, la requĂȘte recevable quant au grief tirĂ© de lâarticle 9 de
2. Dit, par quatre voix contre trois, quâil
nây a pas eu violation de lâarticle 9 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 avril 2012, en
application de lâarticle 77 §§ 2 et 3 du rĂšglement.
Françoise
Elens-Passos Françoise Tulkens
GreffiÚre adjointe Présidente
Au prĂ©sent arrĂȘt se trouve joint, conformĂ©ment aux articles 45 § 2 de
F.T.
F.E.P.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES TULKENS, POPOVIÄ ET KELLER
Nous ne partageons pas la position de la majoritĂ© selon laquelle il nây
a pas eu, en lâespĂšce, violation de lâarticle 9 de
1. Les faits de la cause
sont relativement simples. En sa qualitĂ© dâavocat, le requĂ©rant reprĂ©sentait
une des deux parties civiles dans une procĂ©dure pĂ©nale Ă lâencontre de
certaines banques. Le 7 juin 2005, il participa Ă une audience devant le juge
des investigations prĂ©liminaires relative Ă la production dâun moyen de preuve.
Le juge titulaire Ă©tant empĂȘchĂ©, son remplaçant invita les parties Ă choisir la
date de renvoi de lâaudience parmi deux possibilitĂ©s, Ă savoir les 13 et 18
octobre 2005, selon le calendrier déjà établi par le juge titulaire. Le
requĂ©rant fit valoir que les deux dates proposĂ©es correspondaient Ă deux fĂȘtes
juives (le Yom Kippour et le Souccot). Le juge fixa néanmoins la date de
lâaudience au 13 octobre 2005.
2. Le mĂȘme jour, Ă
savoir le 7 juin 2005, le requérant déposa auprÚs du juge titulaire une demande
de renvoi de lâaudience. Le 20 juin 2005, ce
dernier, sans statuer sur la demande, versa celle-ci au dossier.
3. A lâaudience du 13
octobre 2005, le juge releva que le requérant était absent « pour des
raisons personnelles ». AprĂšs avoir demandĂ© lâavis du ministĂšre public et
des avocats des prĂ©venus, le juge rejeta la demande de renvoi de lâaffaire
introduite par le requérant le 7 juin 2005, demande qui était pourtant appuyée
par lâavocat de lâautre partie civile.
4. LâapprĂ©ciation de
Lâexistence dâune ingĂ©rence
5. Dans
un premier temps, la majoritĂ© estime quâil nây a pas ingĂ©rence dans le droit du
requĂ©rant protĂ©gĂ© par lâarticle 9 de
6. Nous ne pouvons
partager ce raisonnement. Lâarticle 401 du
code de procédure pénale prévoit certes la participation obligatoire du ministÚre
public et de lâavocat du prĂ©venu mais cette disposition prĂ©cise aussi que
« le dĂ©fendeur de la partie lĂ©sĂ©e a la facultĂ© dây participer ».
Câest donc Ă lâavocat et Ă lui seul que revient, en fonction des intĂ©rĂȘts de
son client, la dĂ©cision dâutiliser ou non cette facultĂ© qui lui est reconnue,
sans que les autoritĂ©s judiciaires ne puissent sâimmiscer dans lâexercice des
droits de la dĂ©fense ni prĂ©sumer lâabsence de nĂ©cessitĂ© de sa participation.
7. A
lâappui de son argumentation, la majoritĂ© note aussi, de maniĂšre singuliĂšre,
que le requĂ©rant nâa pas dĂ©montrĂ© avoir subi des pressions visant Ă le faire
changer de conviction religieuse ou Ă lâempĂȘcher de manifester sa religion ou
sa conviction (paragraphe 37, al. 2, de lâarrĂȘt). Il nous semble contraire au
droit Ă la jouissance de la libertĂ© de religion garanti par lâarticle 9 de la
Convention que lâexercice de cette libertĂ©, autant dans sa dimension intĂ©rieure
quâextĂ©rieure, soit subordonnĂ©, voire mĂȘme conditionnĂ© Ă la preuve par le
requĂ©rant de pressions quâil aurait subies.
Un rapport de proportionnalité
8. Dans
un second temps, mĂȘme Ă supposer lâexistence dâune ingĂ©rence dans le droit du
requĂ©rant protĂ©gĂ© par lâarticle 9 § 1 de
9. Sur
lâexigence de proportionnalitĂ©, qui permet de dĂ©terminer la nĂ©cessitĂ© de
lâingĂ©rence dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, la jurisprudence de la Cour est trĂšs
claire : le caractĂšre proportionnĂ© dâune mesure suppose que, parmi
plusieurs moyens permettant dâatteindre le but lĂ©gitime poursuivi, les
autorités choisissent celui qui est le moins attentatoire aux droits et
libertés2. Dans cette perspective, la
recherche dâun amĂ©nagement raisonnable de la situation litigieuse peut, dans
certaines circonstances, constituer un moyen moins restrictif dâatteindre
lâobjet poursuivi3.
10. Or, en lâespĂšce, nous
pensons que les conditions Ă©taient rĂ©unies pour tenter dâarriver Ă un amĂ©nagement et un amĂ©nagement raisonnable â câest-Ă -dire qui
nâentraĂźne pas pour les autoritĂ©s judiciaires une charge disproportionnĂ©e â de
la situation. Avec quelques concessions, celui-ci aurait permis dâĂ©viter une
ingérence dans la liberté religieuse du requérant, sans pour autant
compromettre la réalisation du but légitime que constitue de toute évidence la
bonne administration de la justice.
11. Tout
dâabord, le requĂ©rant a immĂ©diatement, dĂšs le moment de la fixation de la date
de lâaudience, soulevĂ© la difficultĂ© qui Ă©tait la sienne et demandĂ© le report
de celle-ci. Il
a donc prĂ©venu les autoritĂ©s judiciaires quatre mois Ă lâavance, ce qui leur
permettait raisonnablement dâorganiser le calendrier des audiences afin de
garantir le respect des différents droits en jeu.
12. A contrario, la décision S.H. et H.V. c. Autriche de la Commission du 13
janvier 1993 nous semble reconnaĂźtre la force de cet argument. Les
requĂ©rants, qui Ă©taient juifs pratiquants, critiquaient le refus dâun tribunal
autrichien dâaccĂ©der Ă leur demande de report dâune audience en justice prĂ©vue
dans une affaire les concernant, au motif que la date Ă laquelle elle Ă©tait
fixĂ©e correspondait Ă une fĂȘte juive importante.
13. Ensuite,
il nâest pas dĂ©montrĂ© en lâespĂšce que la demande du requĂ©rant, si elle avait
été acceptée, aurait provoqué une telle perturbation dans le fonctionnement du
service public de la justice. Câest ce que lâon pourrait appeler le public service disturbance test.
Lâexigence du dĂ©lai raisonnable invoquĂ©e par le juge italien pour rejeter la
demande du requérant est certainement légitime mais, sans autre explication
complĂ©mentaire, elle paraĂźt ici plutĂŽt de lâordre du prĂ©texte. Certes, le report
demandĂ© de lâaudience pouvait entraĂźner certains inconvĂ©nients administratifs,
comme par exemple la nécessité de renouveler la notification de la date
dâaudience aux parties impliquĂ©es. Mais ceux-ci nous paraissent minimes et
constituent peut-ĂȘtre le modique prix Ă payer pour le respect de la libertĂ© de
religion dans une société multiculturelle4.
14. Enfin,
il nâapparaĂźt pas davantage du dossier que lâaudience en cause revĂȘtait un
caractĂšre dâurgence car elle ne concernait pas des mesures privatives de
liberté ou des personnes détenues. Si tel avait été le cas, le requérant à son tour
aurait été appelé à faire des concessions, comme par exemple se faire remplacer
Ă lâaudience.
15. Dans ces conditions,
Ă dĂ©faut pour les autoritĂ©s dâapporter la preuve quâelles ont dĂ©veloppĂ© les
efforts raisonnables nécessaires pour permettre le respect du droit du
requĂ©rant Ă la libertĂ© de religion garanti par lâarticle 9 de
1 Cour eur. D.H. (GC),
arrĂȘt Bayatyan c. ArmĂ©nie du
7 juillet 2011, § 118. Voy. Ă©galement, entre autres, Cour eur. D.H., arrĂȘt Kokkinakis c. GrĂšce
du 25 mai 1993, § 31 ; Cour eur. D.H. (GC), arrĂȘt Buscarini et autres
c. Saint-Marin du
19 février 1999, § 34.
2 S. Van Drooghenbroeck, La
proportionnalité dans le droit de
3 E. Bribosia, J. Ringelheim et I. Rorive, « AmĂ©nager la diversitĂ© : le droit de lâĂ©galitĂ©
face à la pluralité religieuse », Rev.
trim. dr. h., 2009, pp. 319 et s.
ARRĂT
FRANCESCO SESSA c. ITALIE
ARRĂT
FRANCESCO SESSA c. ITALIE
ARRĂT
FRANCESCO SESSA c. ITALIE â OPINION SEPARĂE
ARRĂT
FRANCESCO SESSA c. ITALIE â OPINION SEPARĂE