Corte europea dei diritti dell’uomo
(Seconda sezione)
AFFAIRE FRANCESCO SESSA c. ITALIE
(Requête n. 28790/08)
ARRÊT
STRASBOURG
3 avril 2012
Cet arrêt deviendra
définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la
Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Francesco Sessa c. Italie,
Françoise Tulkens, présidente,
Dragoljub Popović,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Guido Raimondi,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière
adjointe de section,
Après en avoir délibéré en
chambre du conseil le 6 mars 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à
cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de
l’affaire se trouve une requête (no 28790/08) dirigée contre
2. Le requérant est
représenté par Me M. Cozza, avocate à Salerne. Le gouvernement
italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme
E. Spatafora.
3. Le requérant
allégue, notamment, une atteinte à sa liberté de manifester sa religion.
4. Le 6 juillet 2009,
la présidente de la deuxième section a décidé de communiquer la requête au
Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de
EN FAIT
5. Le requérant est
né en 1955 et réside à Naples.
6. Le requérant, de
confession juive, est un avocat. Le 7 juin 2005, en qualité de représentant de
l’un des deux plaignants dans une procédure pénale à l’encontre de certaines
banques, il participa à une audience devant le juge des investigations
préliminaire (GIP) de Forlì relative à la production immédiate d’un moyen de
preuve (« incidente probatorio »).
A cette occasion, le GIP titulaire de l’affaire étant empêché, son remplaçant
invita les parties à choisir la date de renvoi de l’audience parmi deux
possibilités, à savoir les 13 et 18 octobre 2005, selon le calendrier déjà
établi par le GIP titulaire.
7. Le requérant fit valoir que les deux dates correspondaient
à deux festivités juives, respectivement le Yom Kippour et le Souccot, et
affirma son impossibilité à être présent à l’audience de renvoi en raison de
ses obligations religieuses. Le requérant déclara être membre de
8. Le GIP fixa la date de l’audience au 13 octobre 2005.
9. Le même jour, le requérant déposa une demande de renvoi de
l’audience à l’attention du GIP titulaire de l’affaire. Le 20 juin 2005, le GIP, après avoir examiné la demande du
requérant, décida de ne pas statuer et de la verser au dossier.
10. Le 11 juillet
2005, le requérant déposa une plainte pénale à l’encontre du GIP titulaire de
l’affaire et de son remplaçant, alléguant la violation de l’article 2 de la loi
no 101 de
11. A l’audience du
13 octobre 2005, le GIP releva que le requérant était absent pour des
« raisons personnelles » et demanda aux parties d’exprimer leur avis
concernant la demande de renvoi du 7 juin. Le ministère public et les avocats
des prévenus exprimèrent leur opposition à ladite demande, faisant valoir
notamment l’absence d’une raison de renvoi reconnue par la loi, tandis que
l’avocat de l’autre plaignant appuya la demande du requérant.
12. Par une
ordonnance du même jour, le GIP rejeta la demande de renvoi du requérant. Il
fit valoir tout d’abord que, selon l’article 401 du code de procédure pénale,
seule la présence du ministère public et de l’avocat du prévenu est nécessaire
lors des audiences consacrées à la production immédiate des preuves, celle de
l’avocat du plaignant étant prévue comme une simple faculté. En outre, le code
de procédure pénale ne prévoit pas l’obligation pour le juge d’ajourner
l’audience en raison d’un empêchement légitime à comparaître du défenseur du
plaignant. Enfin, le GIP souligna que, s’agissant d’une procédure avec un
nombre élevé d’intervenants (accusés, plaignants, experts d’office, experts
désignés par les parties) « et compte tenu de la surcharge de travail de
ce bureau – ce qui obligerait à repousser l’audience à 2006 –, le principe du
délai raisonnable de la procédure impose le rejet de la demande, introduite par
une personne non légitimée à demander le renvoi ».
13. Le 23 janvier
2006, le Conseil Supérieur de la Magistrature informa le requérant de son
incompétence à connaître des faits litigieux, les allégations relevant de
l’exercice de l’activité juridictionnelle.
14. Entre-temps, le 9
janvier 2006, le parquet d’Ancône demanda le classement sans suite de la
plainte déposée par le requérant. Ce dernier s’y opposa par un acte du 28
janvier 2006.
15. Par un décret du
21 septembre 2006, le GIP d’Ancône ordonna le classement de l’affaire. Dans sa
décision, le juge soutint que le plaignant n’avait pas formé opposition à
l’encontre de la demande de classement du parquet.
16. Le 19 janvier
2007, le requérant se pourvut en cassation alléguant que le GIP avait
erronément ignoré son opposition du 28 janvier 2006.
17. Le 12 février
2008, le requérant et le parquet participèrent à une audience devant le GIP
d’Ancône. Ce dernier, par une ordonnance du 15 février 2008, ordonna
le classement sans suite de l’affaire. Il affirma qu’aucun élément dans le
dossier ne démontrait que le GIP titulaire de l’affaire ainsi que son substitut
à l’audience du 7 juin 2006 avaient eu l’intention de violer le droit du
requérant à exercer librement le culte juif. Par ailleurs, la volonté
d’offenser la dignité du requérant en raison de sa confession religieuse ne
ressortait pas du dossier.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
18. La loi no 101
du 8 mars 1989 contient des dispositions réglant les rapports entre l’État et
l’Union des Communautés Juives italiennes. L’article
2 de ladite loi affirme le droit de manifester et d’exercer librement la
religion juive. Aux termes de l’article 4, l’Italie reconnaît aux juifs qui le
demandent le droit d’observer le Sabbat, dans le cadre de la flexibilité de
l’organisation du travail et sans préjudice des exigences des services
essentiels prévus par le système juridique étatique.
L’article 5 de la loi no
101 assimile le Yom Kippour et le Souccot, ainsi que d’autres festivités
juives, au Sabbat.
19. Selon l’alinéa 5
de l’article 2 de ladite loi, les manifestations d’intolérance et de préjugé
religieux sont sanctionnées aux termes de l’article 3 de la loi no
654 de 1975, à savoir la loi de ratification de la « Convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale ». Selon cette dernière disposition, quiconque diffuse des idées fondées
sur la supériorité ou sur la haine raciale ou ethnique, ou incite à commettre
des actes de discrimination pour des raisons raciales, ethniques, nationales ou
religieuses, est puni avec une peine jusqu’à un an et six mois de réclusion.
20. L’article
401 du code de procédure pénale, premier alinéa, concernant la procédure visant
la production immédiate d’un moyen de preuve (« incidente
probatorio »), se lit ainsi :
« L’audience se déroule en
chambre du conseil avec la participation nécessaire du ministère public et du
défenseur de la personne mise en cause par les investigations. Le défenseur de la
partie lésée a également la faculté d’y participer ».
EN DROIT
I. SUR
21. Le requérant
allègue que le refus de l’autorité judiciaire de reporter l’audience
litigieuse, fixée à une date correspondant à une festivité juive, l’a empêché
d’y participer en sa qualité de représentant d’un des plaignants et a constitué
une entrave à son droit à manifester librement sa religion. Il invoque
l’article 9 §§ 1 et 2 de
« 1. Toute personne
a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit
implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la
liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou
collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les
pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de
manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres
restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures
nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la
protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la
protection des droits et libertés d’autrui. »
22. Le Gouvernement
s’oppose à cette thèse.
A. Sur la
recevabilité
23. Le Gouvernement
excipe tout d’abord de la tardivité de la requête. Il considère que le
requérant aurait dû introduire sa requête dans un délai de six mois à compter
du 13 octobre 2005, à savoir la date de la décision du GIP de ne pas reporter
l’audience litigieuse.
24. Le requérant s’y
oppose et demande à
25.
26. En l’espèce, le
requérant allègue la violation de son droit de manifester et d’exercer
librement la religion juive, tel que protégé en droit italien par la loi no
101 de 1989, de la part de deux juges du tribunal de Forlì, lesquels auraient
exercé leurs fonctions animés d’un sentiment d’intolérance religieuse. Or, ladite loi prévoit
que les personnes responsables de manifestations d’intolérance et de préjugé
religieux soient punies avec des sanctions pénales.
27. De l’avis de
28.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
29. Le requérant affirme que les magistrats impliqués dans
son affaire ont agi avec l’intention d’atteindre son droit à manifester
librement sa confession juive.
30. Il rappelle que la loi no 101 de 1989
reconnaît son droit de s’absenter du travail à l’occasion des festivités
officielles juives, afin d’exercer librement le culte religieux. Par ailleurs,
la limitation de ce droit ne saurait être justifiée par des exigences de
service inéluctables, l’audience du 13 octobre 2005 pouvant être
reportée à une autre date sans porter préjudice ni au bon déroulement de la
procédure ni aux droits des autres personnes impliquées dans le procès. A cet
égard, il fait valoir que l’audience litigieuse n’avait aucun caractère
d’urgence, car elle ne concernait ni une mesure de privation de liberté ni les
droits d’une personne détenue. De plus, ayant demandé le report de l’audience
avec un préavis de quatre mois, le requérant affirme que les autorités eurent
tout le loisir d’organiser le calendrier des audiences afin de garantir le
respect des différents droits en jeu.
31. Le Gouvernement soutient qu’il n’y a eu aucune ingérence
dans le droit du requérant à manifester librement sa religion, du moment que
celui-ci n’a jamais été empêché de participer aux festivités juives et
d’exercer librement son culte. Il affirme que les autorités se sont bornées à
veiller à ce que l’exercice du droit du requérant d’obtenir le report de l’audience
n’entrave pas l’exercice des services publics et essentiels de l’État.
32. Le Gouvernement fait valoir que le droit invoqué par le
requérant n’est pas un droit absolu. Tout d’abord, même à supposer que la loi no 101
de 1989 concerne les relations de travail entre un avocat et un tribunal,
l’alinéa 2 de son article 4 prévoit expressément que les exigences liées aux
services essentiels l’emportent sur le droit de l’individu à célébrer librement
le culte. Or, l’administration de la justice constitue en soi un service
essentiel de l’Etat, lequel doit pouvoir primer en toute circonstance.
En outre, la participation de l’avocat de la partie lésée à l’audience
visant la production immédiate d’un moyen de preuve n’est pas obligatoire. En
tout état de cause, un avocat empêché de participer à une audience pour des
raisons personnelles a la possibilité de nommer un remplaçant conformément à
l’article 102 du code de procédure pénale. En choisissant de ne pas se
prévaloir de cette possibilité, le requérant a renoncé à concilier les
obligations religieuses liées à son culte avec les exigences liées au bon
déroulement de la justice.
33. Enfin, le Gouvernement fait observer que le renvoi de
l’audience litigieuse était susceptible de porter atteinte au bon déroulement de
la procédure et au droit des vingt-et-un prévenus à avoir un procès d’une durée
raisonnable. Ledit renvoi aurait en effet engendré la nécessité de renouveler
la notification de la date de l’audience aux nombreuses parties impliquées, à
différents titres, dans le procès.
2. Appréciation de
34.
35. Ainsi, ne relèvent
pas de la protection de l’article 9 la révocation d’un agent du service public
pour n’avoir pas respecté les horaires de travail au motif que l’Église
adventiste du septième jour, à laquelle il appartenait, interdisait à ses
membres de travailler le vendredi après le coucher du soleil (Konttinen
c. Finlande, no
24949/94, déc. 3 décembre 1996, Décisions et rapports (DR) 87, p. 69) ou
la mise en retraite d’office pour raisons disciplinaires d’un militaire ayant
des opinions intégristes (Kalaç,
précité ; voir également Stedman c.
Royaume Uni (déc.), no 29107/95, décision de
36. En l’espèce,
37. Compte tenu des circonstances de l’espèce,
38. Quoi qu’il en soit, même à supposer l’existence d’une
ingérence dans le droit du requérant protégé par l’article 9 § 1,
39. La Cour conclut
qu’il n’y a pas eu violation de l’article 9 de la Convention.
II. SUR LES
AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
40. Invoquant l’article 13, le requérant allègue que le
classement sans suite de sa plainte l’a privé d’une décision de justice
effective. En outre, il se plaint d’avoir fait l’objet d’une discrimination
contraire à l’article 14 de
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...)
Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une
instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des
personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...)
Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le
sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou
toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une
minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
41.
42. Quant au grief du requérant tiré de l’article 14 de
43. Il s’ensuit que
ces griefs doivent être rejetés comme étant manifestement mal fondés, en
application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
PAR CES MOTIFS,
1. Déclare, à
l’unanimité, la requête recevable quant au grief tiré de l’article 9 de
2. Dit, par quatre voix contre trois, qu’il
n’y a pas eu violation de l’article 9 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 avril 2012, en
application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise
Elens-Passos Françoise Tulkens
Greffière adjointe Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de
F.T.
F.E.P.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES TULKENS, POPOVIĆ ET KELLER
Nous ne partageons pas la position de la majorité selon laquelle il n’y
a pas eu, en l’espèce, violation de l’article 9 de
1. Les faits de la cause
sont relativement simples. En sa qualité d’avocat, le requérant représentait
une des deux parties civiles dans une procédure pénale à l’encontre de
certaines banques. Le 7 juin 2005, il participa à une audience devant le juge
des investigations préliminaires relative à la production d’un moyen de preuve.
Le juge titulaire étant empêché, son remplaçant invita les parties à choisir la
date de renvoi de l’audience parmi deux possibilités, à savoir les 13 et 18
octobre 2005, selon le calendrier déjà établi par le juge titulaire. Le
requérant fit valoir que les deux dates proposées correspondaient à deux fêtes
juives (le Yom Kippour et le Souccot). Le juge fixa néanmoins la date de
l’audience au 13 octobre 2005.
2. Le même jour, à
savoir le 7 juin 2005, le requérant déposa auprès du juge titulaire une demande
de renvoi de l’audience. Le 20 juin 2005, ce
dernier, sans statuer sur la demande, versa celle-ci au dossier.
3. A l’audience du 13
octobre 2005, le juge releva que le requérant était absent « pour des
raisons personnelles ». Après avoir demandé l’avis du ministère public et
des avocats des prévenus, le juge rejeta la demande de renvoi de l’affaire
introduite par le requérant le 7 juin 2005, demande qui était pourtant appuyée
par l’avocat de l’autre partie civile.
4. L’appréciation de
L’existence d’une ingérence
5. Dans
un premier temps, la majorité estime qu’il n’y a pas ingérence dans le droit du
requérant protégé par l’article 9 de
6. Nous ne pouvons
partager ce raisonnement. L’article 401 du
code de procédure pénale prévoit certes la participation obligatoire du ministère
public et de l’avocat du prévenu mais cette disposition précise aussi que
« le défendeur de la partie lésée a la faculté d’y participer ».
C’est donc à l’avocat et à lui seul que revient, en fonction des intérêts de
son client, la décision d’utiliser ou non cette faculté qui lui est reconnue,
sans que les autorités judiciaires ne puissent s’immiscer dans l’exercice des
droits de la défense ni présumer l’absence de nécessité de sa participation.
7. A
l’appui de son argumentation, la majorité note aussi, de manière singulière,
que le requérant n’a pas démontré avoir subi des pressions visant à le faire
changer de conviction religieuse ou à l’empêcher de manifester sa religion ou
sa conviction (paragraphe 37, al. 2, de l’arrêt). Il nous semble contraire au
droit à la jouissance de la liberté de religion garanti par l’article 9 de la
Convention que l’exercice de cette liberté, autant dans sa dimension intérieure
qu’extérieure, soit subordonné, voire même conditionné à la preuve par le
requérant de pressions qu’il aurait subies.
Un rapport de proportionnalité
8. Dans
un second temps, même à supposer l’existence d’une ingérence dans le droit du
requérant protégé par l’article 9 § 1 de
9. Sur
l’exigence de proportionnalité, qui permet de déterminer la nécessité de
l’ingérence dans une société démocratique, la jurisprudence de la Cour est très
claire : le caractère proportionné d’une mesure suppose que, parmi
plusieurs moyens permettant d’atteindre le but légitime poursuivi, les
autorités choisissent celui qui est le moins attentatoire aux droits et
libertés2. Dans cette perspective, la
recherche d’un aménagement raisonnable de la situation litigieuse peut, dans
certaines circonstances, constituer un moyen moins restrictif d’atteindre
l’objet poursuivi3.
10. Or, en l’espèce, nous
pensons que les conditions étaient réunies pour tenter d’arriver à un aménagement et un aménagement raisonnable – c’est-à-dire qui
n’entraîne pas pour les autorités judiciaires une charge disproportionnée – de
la situation. Avec quelques concessions, celui-ci aurait permis d’éviter une
ingérence dans la liberté religieuse du requérant, sans pour autant
compromettre la réalisation du but légitime que constitue de toute évidence la
bonne administration de la justice.
11. Tout
d’abord, le requérant a immédiatement, dès le moment de la fixation de la date
de l’audience, soulevé la difficulté qui était la sienne et demandé le report
de celle-ci. Il
a donc prévenu les autorités judiciaires quatre mois à l’avance, ce qui leur
permettait raisonnablement d’organiser le calendrier des audiences afin de
garantir le respect des différents droits en jeu.
12. A contrario, la décision S.H. et H.V. c. Autriche de la Commission du 13
janvier 1993 nous semble reconnaître la force de cet argument. Les
requérants, qui étaient juifs pratiquants, critiquaient le refus d’un tribunal
autrichien d’accéder à leur demande de report d’une audience en justice prévue
dans une affaire les concernant, au motif que la date à laquelle elle était
fixée correspondait à une fête juive importante.
13. Ensuite,
il n’est pas démontré en l’espèce que la demande du requérant, si elle avait
été acceptée, aurait provoqué une telle perturbation dans le fonctionnement du
service public de la justice. C’est ce que l’on pourrait appeler le public service disturbance test.
L’exigence du délai raisonnable invoquée par le juge italien pour rejeter la
demande du requérant est certainement légitime mais, sans autre explication
complémentaire, elle paraît ici plutôt de l’ordre du prétexte. Certes, le report
demandé de l’audience pouvait entraîner certains inconvénients administratifs,
comme par exemple la nécessité de renouveler la notification de la date
d’audience aux parties impliquées. Mais ceux-ci nous paraissent minimes et
constituent peut-être le modique prix à payer pour le respect de la liberté de
religion dans une société multiculturelle4.
14. Enfin,
il n’apparaît pas davantage du dossier que l’audience en cause revêtait un
caractère d’urgence car elle ne concernait pas des mesures privatives de
liberté ou des personnes détenues. Si tel avait été le cas, le requérant à son tour
aurait été appelé à faire des concessions, comme par exemple se faire remplacer
à l’audience.
15. Dans ces conditions,
à défaut pour les autorités d’apporter la preuve qu’elles ont développé les
efforts raisonnables nécessaires pour permettre le respect du droit du
requérant à la liberté de religion garanti par l’article 9 de
1 Cour eur. D.H. (GC),
arrêt Bayatyan c. Arménie du
7 juillet 2011, § 118. Voy. également, entre autres, Cour eur. D.H., arrêt Kokkinakis c. Grèce
du 25 mai 1993, § 31 ; Cour eur. D.H. (GC), arrêt Buscarini et autres
c. Saint-Marin du
19 février 1999, § 34.
2 S. Van Drooghenbroeck, La
proportionnalité dans le droit de
3 E. Bribosia, J. Ringelheim et I. Rorive, « Aménager la diversité : le droit de l’égalité
face à la pluralité religieuse », Rev.
trim. dr. h., 2009, pp. 319 et s.
ARRÊT
FRANCESCO SESSA c. ITALIE
ARRÊT
FRANCESCO SESSA c. ITALIE
ARRÊT
FRANCESCO SESSA c. ITALIE – OPINION SEPARÉE
ARRÊT
FRANCESCO SESSA c. ITALIE – OPINION SEPARÉE