Corte europea dei diritti dell’uomo
(Camera), 2 marzo 1987
(requête n. 9267/81)
AFFAIRE MATHIEU-MOHIN ET
CLERFAYT c. BELGIQUE
En l'affaire En l’affaire Mathieu-Mohin et
Clerfayt*
c. Belgique ,
La Cour
européenne des Droits de l’Homme, statuant en séance plénière par application
de l’article 50 de son règlement et composée des juges dont le nom suit:
MM.
R. Ryssdal, président,
J.
Cremona,
Thór
Vilhjálmsson,
Mme
D. Bindschedler-Robert,
MM.
G. Lagergren,
F.
Gölcüklü,
F.
Matscher,
J.
Pinheiro Farinha,
L.-E.
Pettiti,
B.
Walsh,
Sir
Vincent Evans,
MM.
R. Macdonald,
C.
Russo,
R.
Bernhardt,
J.
Gersing,
A.
Spielmann,
N.
Valticos,
W.
Ganshof van der Meersch, juge ad hoc,
ainsi que
de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après
en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 septembre 1986, puis les 27 et 28
janvier 1987,
Rend
l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L’affaire a été déférée à la Cour par
la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le
11 juillet 1985, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 § 1 et
47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et
des Libertés fondamentales ("la Convention"). A son origine se trouve
une requête (no 9267/81) dirigée contre le Royaume de Belgique;
introduite en vertu de l’article 25 (art. 25) le 5 février 1981, elle émanait
au départ de quinze députés et sénateurs belges, mais la Commission ne l’a
retenue que pour deux d’entre eux, Mme Lucienne Mathieu-Mohin et M. Georges
Clerfayt (paragraphes 40-41 ci-dessous).
2. La demande de la Commission renvoie aux
articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration belge de reconnaissance
de la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour
objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause
révèlent un manquement de l’État défendeur aux obligations qui découlent de
l’article 3 du Protocole no 1 (P1-3), considéré isolément et combiné
avec l’article 14 de la Convention (art. 14+P1-3).
3. En réponse à l’invitation prescrite à
l’article 33 § 3 d) du règlement, les requérants ont exprimé le désir de
participer à l’instance pendante devant la Cour et ont désigné leurs conseils
respectifs (article 30).
4. La chambre de sept juges à constituer
comprenait de plein droit M. W. Ganshof van der Meersch, juge élu de
nationalité belge (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal,
président de la Cour (article 21 § 3 b) du règlement). Le 2 octobre 1985,
celui-ci en a désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir M.
J. Cremona, Mme D. Bindschedler-Robert, M. D. Evrigenis, M. R. Macdonald et M.
J. Gersing, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21
§ 4 du règlement) (art. 43).
5. Le 22 octobre 1985, la Chambre a décidé
à l’unanimité, en vertu de l’article 50 du règlement, de se dessaisir avec
effet immédiat au profit de la Cour plénière.
6. Par l’intermédiaire du greffier, le
président de la Cour a consulté les comparants au sujet de la nécessité d’une
procédure écrite (article 37 § 1). Le 21 janvier 1986, il a décidé que l’agent
du gouvernement belge ("le Gouvernement") et les représentants des
requérants auraient jusqu’au 21 mars pour déposer des mémoires auxquels le
délégué de la Commission pourrait répondre par écrit dans les deux mois. Le 18
mars, il a consenti à proroger jusqu’au 21 mai le délai ainsi accordé au
Gouvernement et aux avocats du second requérant.
Les mémoires des conseils de Mme Mathieu-Mohin, de
ceux de M. Clerfayt et du Gouvernement sont parvenus au greffe respectivement
les 19 mars, 28 mai et 3 juin 1986. Le 18 juillet, le secrétaire de la
Commission a fait savoir que le délégué s’exprimerait lors des audiences.
7. Élu membre de la Cour le 29 janvier
1986 pour succéder à M. Ganshof van der Meersch dont le mandat venait d’arriver
à expiration, M. J. De Meyer se trouvait appelé à siéger en l’espèce en raison
de sa nationalité (articles 43 de la Convention et 2 § 3 du règlement) (art.
43), mais par une lettre du 12 février 1986 au président il a déclaré se
récuser car il avait pris part à l’élaboration de la loi litigieuse (article 24
§ 2 du règlement). Le 27 mars 1986, l’agent du Gouvernement a notifié au
greffier la désignation de M. Ganshof van der Meersch en qualité de juge ad hoc
(articles 43 de la Convention et 23 § 1 du règlement) (art. 43).
8. Après avoir consulté, par
l’intermédiaire du greffier, l’agent du Gouvernement, le délégué de la
Commission et les représentants des requérants, le président a décidé le 1er
juillet 1986 que la procédure orale s’ouvrirait le 24 septembre (article 38 du
règlement).
9. Les débats se sont déroulés en public
le jour dit, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu
immédiatement auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
M. J. Niset, conseiller juridique
au ministère de la Justice, agent,
Me E. Jakhian, avocat, conseil;
- pour la Commission
M. J.A. Frowein, délégué;
- pour Mme Mathieu-Mohin
Me J.-J. Pegorer, avocat, conseil;
- pour M. Clerfayt
Me B. Maingain et
Me J.-P. Lagasse, avocats, conseils.
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en
leurs réponses à ses questions et à celles de plusieurs juges, Me Jakhian pour
le Gouvernement, M. Frowein pour la Commission, Mes Lagasse, Maingain et
Pegorer pour les requérants.
10. Les 17, 23 et 24 septembre 1986, la
Commission, les requérants et le Gouvernement, selon le cas, ont produits
diverses pièces tantôt à la demande du président, tantôt spontanément.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. Mme Mathieu-Mohin
11. Citoyenne belge d’expression française, Mme
Mathieu-Mohin vit actuellement à Bruxelles, mais au moment où elle a saisi la
Commission elle avait son domicile à Vilvorde. Il s’agit d’une ville située
dans l’arrondissement administratif de Hal-Vilvorde (Halle-Vilvoorde), en
région flamande, et dans l’arrondissement électoral de Bruxelles (paragraphes 19,
21 et 37-38 ci-dessous).
Élue au suffrage universel direct dans cette dernière
circonscription, la requérante siégeait à l’époque au Sénat, l’une des deux
Chambres du Parlement national. Comme elle y avait prêté serment en français,
elle ne put appartenir au Conseil flamand (paragraphes 16, 27 et 30
ci-dessous). Elle comptait en revanche parmi les membres du Conseil de la
Communauté française, mais non du Conseil régional wallon (paragraphes 27 et 30
ci-dessous).
Non réélue le 8 novembre 1981, elle n’a pas présenté
sa candidature aux élections législatives d’octobre 1985.
B. M. Clerfayt
12. Lui aussi de nationalité belge et
francophone, M. Clerfayt vivait et vit à Rhode-Saint-Genèse
(Sint-Genesius-Rode). Comme Vilvorde, cette commune relève à la fois de l’arrondissement
administratif de Hal-Vilvorde et de l’arrondissement électoral de Bruxelles. Le
législateur l’a cependant dotée, avec cinq autres localités de la périphérie de
la capitale, d’un "statut propre" en raison de la présence de nombreux
habitants d’expression française (paragraphe 37 ci-dessous).
Le requérant a milité dès l’origine dans les rangs du
Front démocratique des Bruxellois francophones. Depuis 1968 il siège au
Parlement national, et plus précisément à la Chambre des représentants, à titre
d’élu de l’arrondissement électoral de Bruxelles. Il y a prêté serment en
français, ce qui l’empêche d’appartenir au Conseil flamand; il a figuré et
figure en revanche parmi les membres du Conseil de la Communauté française,
mais non du Conseil régional wallon.
13. Le 28 novembre 1983, M. Clerfayt a sollicité
du président de la Chambre des représentants l’autorisation
d’"interpeller" le membre de l’Exécutif flamand (paragraphe 27
ci-dessous) compétent en matière d’aménagement du territoire, de politique foncière,
de logement social et d’expropriations pour cause d’utilité publique, au sujet
de questions qui se posaient en ce domaine à Rhode-Saint-Genèse et dans
d’autres communes de l’arrondissement électoral de Bruxelles. Il a essuyé, le
lendemain, un refus motivé par l’irrecevabilité de sa demande; il s’est alors
adressé, le 13 décembre, au président du Conseil flamand qui, le 15, lui a
répondu dans le même sens.
II. LE CONTEXTE CONSTITUTIONNEL ET LÉGISLATIF
14. Le Royaume de Belgique était conçu au départ,
en 1831, comme un État unitaire quoique divisé en provinces et communes
jouissant d’une large autonomie (articles 1, 31 et 108 de la Constitution du 7
février 1831), mais il s’oriente graduellement vers des structures de type
fédéral.
Cette évolution, marquée principalement par les
réformes constitutionnelles des 24 décembre 1970 et 17 juillet 1980, n’a pas
encore pris fin. Outre certaines répercussions sur les institutions de l’État
central, elle s’est traduite par la création de régions et de communautés; elle
ne laisse pas d’influer sur la situation des élus et électeurs domiciliés dans
l’arrondissement administratif de Hal-Vilvorde.
A. Évolution des institutions de l’État central
15. A l’échelle nationale, le pouvoir législatif
est exercé collectivement par le Roi et par les deux Chambres du Parlement, la
Chambre des représentants et le Sénat (article 20 de la Constitution). La
première comprend 212 membres élus, pour quatre ans, à la proportionnelle et au
suffrage universel direct, obligatoire et secret (articles 47, 48, 49 § 1 et
51); la seconde 106 sénateurs élus de la même manière, plus un certain nombre
de sénateurs élus par les conseils provinciaux, ou cooptés, eux aussi pour
quatre ans (articles 53 à 55).
En ce qui concerne la Chambre des représentants,
"chaque arrondissement électoral compte autant de sièges que le chiffre de
sa population contient de fois le diviseur national", calculé "en
divisant le chiffre de la population du Royaume par 212"; les "sièges
restants" échoient "aux arrondissements ayant le plus grand excédent
de population non représenté" (article 49 § 2). Pour l’emporter, un
candidat doit recueillir autour de 20.000 voix, le quotient exact variant
quelque peu selon les circonscriptions.
16. Pour les cas énumérés dans la Constitution,
les membres élus de chaque Chambre se répartissent, quelle que soit leur langue
personnelle, en un groupe linguistique français et un groupe linguistique
néerlandais, de la manière fixée par la loi (article 32 bis de la
Constitution).
A la Chambre des représentants, le groupe linguistique
français rassemble de plein droit les députés élus par des collèges électoraux
de la région de langue française et par celui de l’arrondissement de Verviers,
le groupe linguistique néerlandais les députés élus par des collèges électoraux
de la région de langue néerlandaise (paragraphe 19 ci-dessous); quant aux
députés de l’arrondissement électoral de Bruxelles, ils appartiennent à l’un ou
à l’autre groupe linguistique selon qu’ils choisissent de prêter serment en
français ou en néerlandais (article 1 § 1 de la loi du 3 juillet 1971).
Des critères analogues valent pour les groupes
linguistiques du Sénat (article 1 § 2 de la même loi).
17. Les groupes linguistiques jouent un rôle,
notamment, dans l’adoption de diverses décisions consistant à soustraire un
territoire à la division en provinces pour le doter d’un statut propre (article
1 de la Constitution, dernier alinéa); à changer ou rectifier les limites des
régions linguistiques (article 3 bis); à définir la composition et le mode de
fonctionnement des Conseils et Exécutifs des communautés (article 59 bis, § 1
in fine); à préciser l’étendue des compétences desdits Conseils (article 59
bis, §§ 2 in fine, 2 bis in fine et 4 bis); à déterminer les attributions et le
ressort des institutions régionales (article 107 quater, dernier alinéa). Dans
ces hypothèses, la Constitution exige "la majorité des suffrages dans
chaque groupe linguistique de chacune des Chambres"; il faut de surcroît
"que la majorité des membres de chaque groupe se trouve réunie" et
"que le total des votes positifs émis dans les deux groupes linguistiques
atteigne les deux tiers des suffrages exprimés".
A quoi s’ajoute le système - appelé parfois
"sonnette d’alarme" - que ménage l’article 38 bis de la Constitution:
"Sauf pour les budgets ainsi que pour les lois
qui exigent une majorité spéciale, une motion motivée, signée par les trois
quarts au moins des membres d’un des groupes linguistiques et introduite après
le dépôt du rapport et avant le vote final en séance publique, peut déclarer
que les dispositions d’un projet ou d’une proposition de loi qu’elle désigne
sont de nature à porter gravement atteinte aux relations entre les communautés.
Dans ce cas, la procédure parlementaire est suspendue
et la motion est déférée au Conseil des ministres qui, dans les trente jours,
donne son avis motivé sur la motion et invite la Chambre saisie à se prononcer
soit sur cet avis, soit sur le projet ou la proposition éventuellement amendés.
Cette procédure ne peut être appliquée qu’une seule
fois par les membres d’un groupe linguistique à l’égard d’un même projet ou
d’une même proposition de loi."
Les divers textes en question visent surtout à
protéger la minorité linguistique du pays, à savoir les francophones.
En revanche, l’appartenance à tel groupe linguistique
n’entraîne pas pour l’intéressé l’obligation d’employer telle langue pendant
les débats parlementaires. De plus, aux termes de l’article 32 de la
Constitution députés et sénateurs "représentent la nation" tout
entière, "et non uniquement la province ou la subdivision de province qui
les a nommés".
18. Quant au Conseil des ministres, il compte
"autant de ministres d’expression française que d’expression
néerlandaise", "le Premier ministre éventuellement excepté"
(article 86 bis de la Constitution).
B. Régions et communautés
1. Nature
a) Régions linguistiques
19. D’après l’article 3 bis de la Constitution,
introduit le 24 décembre 1970, la Belgique se divise en "quatre régions
linguistiques: la région de langue française, la région de langue néerlandaise,
la région bilingue de Bruxelles-Capitale et la région de langue
allemande"; chaque commune "fait partie de l’une d’entre elles".
La première comprend les provinces de Hainaut, de
Luxembourg et de Namur, celle de Liège à l’exception des communes de la région
de langue allemande et, dans le Brabant, l’arrondissement de Nivelles; la
deuxième les provinces d’Anvers, de Flandre occidentale, de Flandre orientale
et de Limbourg plus, dans le Brabant, les arrondissements de Hal-Vilvorde - où
se trouvent Vilvorde et Rhode-Saint-Genèse (paragraphes 11 et 12 ci-dessus) -
et de Louvain; la troisième Bruxelles et dix-huit communes de sa ceinture; la
quatrième vingt-cinq des communes de l’arrondissement de Verviers (articles 3 à
6 des lois sur l’emploi des langues en matière administrative, coordonnées le
18 juillet 1966, "les lois coordonnées de 1966").
b) Régions
20. Les régions linguistiques servent à
délimiter le champ d’application territoriale des lois concernant l’emploi des
langues en matière administrative et judiciaire ainsi que dans le domaine de
l’enseignement; elles n’ont pas d’organes ni de compétences propres. Elles
diffèrent en cela des régions, parfois qualifiées de "politiques",
créées par la réforme constitutionnelle du 24 décembre 1970.
21. Aux termes de l’article 107 quater, premier
alinéa, de la Constitution, en effet, la Belgique compte "trois régions:
la région wallonne, la région flamande et la région bruxelloise"; il
n’existe pas de région "allemande".
La "loi spéciale de réformes
institutionnelles", du 8 août 1980 ("la loi spéciale de 1980"),
fixe "à titre transitoire" le territoire des deux premières: la
région flamande englobe exactement les mêmes provinces et arrondissements
administratifs que la région de langue néerlandaise, tandis que la région
wallonne inclut, en sus des provinces de Hainaut, Luxembourg et Namur ainsi que
de l’arrondissement de Nivelles, l’ensemble de la province de Liège sans en
excepter les communes de la région de langue allemande (article 2 de la loi
spéciale de 1980).
Au contraire, la loi spéciale de 1980 passe sous
silence la région bruxelloise. Les limites de celle-ci continuent à ressortir
de l’article 1, dernier alinéa, de la loi - coordonnée le 20 juillet 1979 -
"créant des institutions communautaires et régionales provisoires";
elles correspondent au "territoire de l’arrondissement administratif de
Bruxelles-Capitale".
22. Votée à la majorité "surqualifiée"
qu’exigeaient les articles 59 bis et 107 quater de la Constitution (paragraphe
17 ci-dessus), et qu’ils exigeraient demain pour l’adoption d’amendements
éventuels, la loi spéciale de 1980 a recueilli au Sénat 137 voix contre 22,
avec 3 abstentions, et à la Chambre des représentants 156 voix contre 19, avec
5 abstentions.
c) Communautés
23. Enfin, l’article 3 ter, premier alinéa, de
la Constitution, qui remonte à la révision du 17 juillet 1980, instaure dans le
pays "trois communautés: la communauté française, la communauté flamande
et la communauté germanophone", toutes dotées - comme les régions wallonne
et flamande - de la personnalité juridique (article 3 de la loi spéciale de
1980).
2. Compétences
a) Régions
24. Destiné à mettre en oeuvre l’article 107
quater, deuxième alinéa, de la Constitution, l’article 6 § 1 de la loi spéciale
de 1980 dresse une liste, longue et minutieuse, des compétences des régions
wallonne et flamande en ce qui concerne l’aménagement du territoire,
l’environnement, la rénovation rurale et la sauvegarde de la nature, le
logement, la politique de l’eau, la politique économique, la politique de
l’énergie, les pouvoirs subordonnés, la politique de l’emploi et la recherche
appliquée.
Il ne s’applique pas à la région bruxelloise, qui
continue à relever du Parlement national pour les questions régionales ou
"localisables" (article 48 de la loi "ordinaire" de
réformes institutionnelles, du 9 août 1980, combiné avec l’article 2 de la loi
"coordonnée" du 20 juillet 1979).
b) Communautés
25. De son côté, l’article 59 bis, §§ 2, 2 bis
et 3, de la Constitution attribue aux communautés française et flamande
compétence pour les matières culturelles, l’enseignement (sauf exception), la
coopération entre les communautés ainsi que la coopération culturelle
internationale, les matières "personnalisables" et - dans certains
domaines - l’emploi des langues. Les articles 4 et 5 § 1 de la loi spéciale de
1980 fournissent des précisions quant aux matières culturelles et aux matières
personnalisables; ces dernières ont trait à la politique de santé, à l’aide aux
personnes et à la recherche scientifique appliquée. La communauté germanophone,
dont il ne sera plus guère question dans la suite du présent arrêt, jouit de
compétences un peu moins étendues (article 59 ter, §§ 2-4, de la Constitution).
3. Organes
a) Nature
26. L’article 107 quater, deuxième alinéa, de la
Constitution laisse au Parlement le soin de créer les organes régionaux
nécessaires.
En revanche, l’article 59 bis § 1 spécifie que la
communauté française et la communauté flamande possèdent chacune un Conseil et
un Exécutif. D’après l’alinéa suivant, ces Conseils et leurs Exécutifs
"peuvent exercer les compétences respectivement de la région wallonne et
de la région flamande, dans les conditions et selon les modalités fixées par la
loi".
27. Le législateur n’a usé de cette faculté que
pour la région flamande: aux termes de l’article 1 § 1 de la loi spéciale de
1980, "le Conseil et l’Exécutif de la communauté flamande", dénommés
"le Conseil flamand" ("de Vlaamse Raad") et "l’Exécutif
flamand" ("de Vlaamse Executieve"), ont compétence non seulement
pour les matières communautaires de l’article 59 bis de la Constitution, mais
aussi, dans la région flamande, pour les matières régionales de l’article 107
quater.
Au contraire, il existe pour les premières un Conseil
et un Exécutif de la communauté française, pour les secondes un Conseil et un
Exécutif régionaux wallons (article 1, §§ 2 et 3, de la loi spéciale de 1980).
En son paragraphe 4, l’article 1 de la loi spéciale de 1980 autorise bien les
deux Conseils à "décider de commun accord" que "le Conseil et
l’Exécutif de la communauté française" exerceront, dans la région
wallonne, "les compétences des organes régionaux pour les matières visées
à l’article 107 quater de la Constitution", mais il n’a pas été appliqué
jusqu’ici.
28. Quant à la région bruxelloise, elle reste
pour le moment soumise à la loi coordonnée de 1979, déjà mentionnée: elle n’a
pas d’assemblée législative analogue au Conseil flamand et au Conseil régional
wallon, ni d’exécutif élu par une telle assemblée, mais uniquement un
"comité ministériel" désigné par arrêté royal (article 4).
D’après le Gouvernement, il s’agit là d’une
"situation d’attente". En 1980, la section de législation du Conseil
d’État, saisie pour avis, a exprimé l’opinion que le projet d’où allait sortir
la loi spéciale de 1980 n’était "admissible du point de vue
constitutionnel que pour autant que l’exécution de l’article 107 quater [de la
Constitution] à l’égard de la région bruxelloise soit simplement différée, et
non pas abandonnée, et que le défaut d’exécution ne se prolonge pas au-delà
d’un délai raisonnable".
Dans une déclaration du 29 novembre 1985, le
gouvernement issu des élections législatives du mois précédent a précisé que le
Centre d’études pour la réforme de l’État devrait "réserver une attention
particulière à la problématique bruxelloise". Créé par un arrêté royal du
14 mars 1983, cet organisme comprend des parlementaires et des professeurs ou
anciens professeurs d’Université spécialisés en droit constitutionnel. Sa tâche
consiste à préparer "la poursuite, la correction et l’amélioration de la
réforme de l’État".
b) Composition
i. Conseils
29. La Constitution se borne à indiquer, en ses
articles 59 bis § 1 in fine (communautés française et flamande), 59 ter § 1,
deuxième alinéa (communauté germanophone), et 107 quater, deuxième alinéa
(régions), que les Conseils se composent de mandataires élus.
Appelé à préciser le mode de nomination de ceux-ci, le
législateur a instauré deux périodes transitoires successives, destinées à
préparer le passage à un régime définitif. La première, dans laquelle on se
trouvait à l’époque de l’introduction de la requête devant la Commission (5
février 1981), a pris fin avec le renouvellement intégral des Chambres le 8
novembre 1981; la seconde, inachevée, cessera une fois révisés les articles 53
et 54 de la Constitution, relatifs au Sénat.
30. Pendant la première période transitoire, le
Conseil flamand et le Conseil de la communauté française rassemblaient respectivement
les membres des groupes linguistiques néerlandais et français des deux
Chambres; siégeaient au Conseil régional wallon les membres desdits groupes
linguistiques français élus soit dans les provinces de Hainaut, Liège,
Luxembourg et Namur, soit dans le Brabant ou par le Sénat si leur domicile se
situait en région wallonne au jour de leur élection (article 28 § 1 de la loi
spéciale de 1980).
31. Durant la seconde période transitoire, en
cours à l’heure actuelle, forment le Conseil flamand, le Conseil de la
communauté française et le Conseil régional wallon les membres, respectivement,
- du groupe linguistique néerlandais de la Chambre des
représentants, et de celui du Sénat pour autant que le corps électoral les ait
directement élus;
- du groupe linguistique français de la Chambre des
représentants et, sous la même condition, de celui du Sénat;
- du groupe linguistique français de l’une et l’autre
Chambre, pourvu qu’il s’agisse de représentants ou sénateurs élus directement
dans les provinces de Hainaut, Liège, Luxembourg et Namur ou dans
l’arrondissement de Nivelles.
Ainsi en dispose l’article 29 de la loi spéciale de
1980, sur lequel se concentrent les griefs des requérants (paragraphe 44
ci-dessous). Voté à la majorité "surqualifiée" exigée par les
articles 59 bis et 107 quater de la Constitution, il a recueilli au Sénat 127
voix contre 19, avec 4 abstentions, et à la Chambre des représentants 160 voix
contre 16, avec 2 abstentions.
32. Après l’entrée en vigueur du régime
définitif, les trois Conseils ne se composeront plus que de membres du Sénat
élus directement par le corps électoral, à savoir
- ceux du groupe linguistique néerlandais pour le
Conseil flamand;
- ceux du groupe linguistique français pour le Conseil
de la communauté française et, si leur élection a eu lieu dans les provinces de
Hainaut, Liège, Luxembourg et Namur ou dans l’arrondissement de Nivelles, pour
le Conseil régional wallon (articles 24 et 25 de la loi spéciale de 1980).
33. L’article 50, premier alinéa, de la loi
spéciale de 1980 réserve un sort particulier aux "membres du Conseil
flamand élus par le collège électoral de l’arrondissement de Bruxelles et,
aussi longtemps que cet arrondissement comprend" - comme aujourd’hui
(paragraphe 38 ci-dessous) - "plusieurs arrondissements administratifs,
domiciliés dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale au jour de leur
élection": s’ils jouissent de l’égalité de traitement avec leurs collègues
en matière communautaire, ils "ne participent pas aux votes" dudit Conseil
"sur les matières relevant de la compétence de la région flamande".
ii. Exécutifs
34. Quant aux trois Exécutifs, les Conseils les
élisent en leur sein (articles 59 et 60 de la loi spéciale de 1980). L’Exécutif
flamand compte neuf membres, l’Exécutif de la communauté française trois et
l’Exécutif régional wallon six; un membre au moins de chacun des deux premiers
"appartient à la région bilingue de Bruxelles-Capitale" (article 63).
"Lorsque l’Exécutif flamand délibère sur les
matières relevant de la compétence de la région flamande, tout membre élu par
le collège électoral de l’arrondissement de Bruxelles et qui, aussi longtemps
que cet arrondissement comprendra plusieurs arrondissements administratifs, est
domicilié, au jour de son élection, dans la région bilingue de
Bruxelles-Capitale, ne siège qu’avec voix consultative" (article 76 § 1).
35. Le comité ministériel de la région
bruxelloise, lui (paragraphe 28 ci-dessus), comprend trois membres nommés
"par arrêté royal délibéré en Conseil des ministres" et non pas élus
par une assemblée: un ministre, qui le préside, et deux secrétaires d’État
"dont l’un doit être d’un groupe linguistique différent de celui du
ministre" (article 4, premier alinéa, de la loi coordonnée de 1979).
c) Pouvoirs
36. Les communautés française et flamande, de
même que les régions wallonne et flamande, jouissent d’un "pouvoir
décrétal" exercé collectivement par leurs organes respectifs (articles 26
bis et 59 bis, §§ 2, 2 bis et 3, de la Constitution, articles 17 et 18 de la
loi spéciale de 1980); à quoi s’ajoute le pouvoir réglementaire de leurs
Exécutifs (article 20 de la loi spéciale de 1980). Ces derniers travaillent
dans une seule langue, le français ou le néerlandais selon le cas, sans
interprétation dans l’autre.
Le décret a "force de loi": "il peut
abroger, compléter, modifier ou remplacer les dispositions légales en
vigueur" (article 19 § 2 de la loi spéciale de 1980). Les réformes
constitutionnelles de 1970 et 1980 ont ainsi entraîné un démembrement de la
fonction normative entre trois corps législatifs distincts: le Parlement
national, les Conseils des communautés et les Conseils régionaux.
Sous réserve de certaines exceptions, les décrets du
Conseil de la communauté française et, en matière communautaire, du Conseil
flamand valent respectivement pour la région de langue française et pour la
région de langue néerlandaise, "ainsi qu’à l’égard des institutions
établies dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale qui, en raison de leurs
activités, doivent être considérées comme appartenant exclusivement à l’une ou
l’autre communauté" (article 59 bis, §§ 4 et 4 bis, de la Constitution);
ceux du Conseil régional wallon et, en matière régionale, du Conseil flamand
s’appliquent "dans la région wallonne ou dans la région flamande, selon le
cas" (article 19 § 3 de la loi spéciale de 1980). Les décrets du Conseil
flamand précisent "s’ils règlent des matières visées à l’article 59 bis de
la Constitution ou à l’article 107 quater", autrement dit des matières
communautaires ou des matières régionales (article 19 § 1, deuxième alinéa, de
la loi spéciale de 1980).
Aux termes de l’article 107 ter de la Constitution,
"la loi organise la procédure tendant à prévenir les conflits entre la
loi, le décret et les règles visées à l’article 26 bis, ainsi qu’entre les
décrets entre eux et entre [lesdites règles] entre elles"; "il y a
pour toute la Belgique une Cour d’arbitrage" chargée de trancher ces
conflits et dont la loi définit "la composition, la compétence et le mode
de fonctionnement" (loi du 28 juin 1983).
C. La situation particulière des électeurs et élus
domiciliés dans l’arrondissement administratif de Hal-Vilvorde
37. Créé en 1983, l’arrondissement administratif
de Hal-Vilvorde groupe aujourd’hui les communes de l’ancien arrondissement
administratif de Bruxelles, hormis celles de l’arrondissement bilingue de
Bruxelles mais y compris les six "communes périphériques à facilités"
- dont Rhode-St Genèse - "dotées d’un statut propre" (articles 3 § 2,
7 et 23-31 des lois coordonnées de 1966).
Il relève de la région de langue néerlandaise et de la
région flamande, donc de l’autorité du Conseil et de l’Exécutif flamands, à
l’exclusion de celle des organes de la communauté française et de la région
wallonne (paragraphes 19, 21 et 36 ci-dessus). On y trouve pourtant une forte
minorité d’expression française: d’après les requérants, dont le Gouvernement
ne conteste pas les affirmations, au moins 100.000 personnes sur une population
totale de 518.962 âmes, au 1er janvier 1982. Les francophones seraient même
majoritaires dans les six "communes périphériques" et l’État belge
aurait agi contre leur volonté en refusant, jusqu’ici, d’englober celles-ci
dans la région bruxelloise.
38. D’ordinaire, les arrondissements électoraux
coïncident en Belgique avec les arrondissements administratifs (article 87 du
code électoral). Il y a pourtant une exception: les arrondissements
administratifs de Bruxelles-Capitale et de Hal-Vilvorde constituent à eux deux
un arrondissement électoral unique pour les élections tant législatives que provinciales,
avec pour chef-lieu Bruxelles (article 3 § 2, deuxième alinéa, des lois
coordonnées de 1966). En conséquence, les voix exprimées dans l’un et dans
l’autre sont décomptées ensemble et l’on ne saurait distinguer entre élus du
premier et du second. Selon les requérants, les électeurs francophones de
l’arrondissement de Hal-Vilvorde peuvent, compte tenu de leur nombre et du
quotient légal (paragraphes 15 et 37 ci-dessus), espérer envoyer à eux seuls
trois ou quatre députés siéger à la Chambre des représentants.
Lors du renouvellement intégral du Parlement le 8
novembre 1981, il y avait dans l’arrondissement électoral de Bruxelles 999.601
inscrits, appelés à élire trente-quatre députés et dix-sept sénateurs (arrêté
royal du 1er décembre 1972 et loi du 19 juillet 1973).
39. Rien n’empêche un candidat francophone,
domicilié ou non dans l’arrondissement de Hal-Vilvorde, de s’y présenter aux
suffrages, ni les électeurs, francophones ou non, de voter pour lui. S’il est
élu, il peut à sa guise, quelle que soit sa langue personnelle, prêter son
serment de parlementaire en français ou en néerlandais (paragraphe 16
ci-dessus).
Dans le premier cas - celui des requérants -, son
appartenance au groupe linguistique français de la Chambre des représentants ou
du Sénat lui donne accès au Conseil de la communauté française - incompétent
pour l’arrondissement de Hal-Vilvorde -, mais non au Conseil flamand - en
matière tant régionale que communautaire - ni au Conseil régional wallon
(paragraphes 30-32 et 36 ci-dessus).
Si au contraire il choisit la seconde solution, il va
figurer parmi les membres d’un groupe linguistique néerlandais; dès lors, il
siégera au Conseil flamand mais non au Conseil de la communauté française ni au
Conseil régional wallon (paragraphes 30-32 ci-dessus); en outre, il perdra le
droit de voter au sein d’un groupe linguistique français dans les domaines où
la Constitution exige une majorité "surqualifiée" (paragraphe 17
ci-dessus).
De leur côté, les électeurs francophones de
l’arrondissement ne peuvent avoir pour représentants au Conseil flamand que des
parlementaires ayant prêté serment en néerlandais.
Les candidats n’ont ni l’obligation ni l’habitude
d’annoncer à quel groupe linguistique ils s’inscriront.
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
40. Introduite devant la Commission le 5 février
1981 et enregistrée le 12 sous le no de dossier 9267/81, la requête
émanait à l’origine de huit sénateurs et sept députés belges, tous domiciliés à
Bruxelles sauf Mme Mathieu-Mohin et M. Clerfayt.
Les signataires s’en prenaient à certaines clauses de
la loi spéciale de 1980, et notamment à celles qui régissent le mode de
désignation des Conseils et des Exécutifs des communautés et des régions; ils
reprochaient aussi au législateur national de ne pas avoir doté la région
bruxelloise d’organes comparables à ceux des régions wallonne et flamande. Ils
invoquaient les articles 1 et 3 du Protocole no 1 (P1-1, P1-3),
considérés isolément ou combinés avec l’article 14 de la Convention (art.
14+P1-1, art. 14+P1-3).
41. La Commission a statué sur la recevabilité
de la requête le 12 juillet 1983.
Elle a rejeté, pour incompatibilité ratione materiae
avec les dispositions de la Convention, le grief relatif à l’article 1 du
Protocole no 1 (P1-1) et, pour défaut manifeste de fondement, ceux
qui concernaient l’absence d’institutions propres à la région bruxelloise et la
circonstance que "les élus néerlandophones domiciliés à Bruxelles-Capitale
participent, avec voix consultative et droit d’initiative, aux
délibérations" du Conseil flamand "alors que la réciproque [ne vaut
pas] pour les élus francophones" (article 50, premier alinéa, de la loi
spéciale de 1980, paragraphe 33 ci-dessus).
En revanche, elle a retenu la requête dans la mesure
où Mme Mathieu-Mohin et M. Clerfayt se plaignaient, en qualité d’électeurs
vivant dans des communes de l’arrondissement administratif de Hal-Vilvorde, de
ne pouvoir élire des représentants francophones à l’assemblée régionale dont il
relève et, à titre d’élus, de ne pouvoir siéger au sein de cette dernière,
tandis que les électeurs et élus néerlandophones des mêmes communes le peuvent,
mutatis mutandis.
42. Dans son rapport du 15 mars 1985 (article
31) (art. 31), la Commission exprime l’opinion
- par dix voix contre une, qu’il y a eu manquement aux
exigences de l’article 3 du Protocole no 1 (P1-3), pris isolément,
dans le chef des requérants en tant qu’électeurs;
- qu’il n’est pas nécessaire de se placer aussi sur le
terrain de l’article 14 (art. 14) de la Convention, ni d’examiner séparément la
question de la violation de la Convention et du Protocole no 1 (P1)
au regard des élus.
Le texte intégral de son avis figure en annexe au
présent arrêt.
CONCLUSIONS DES COMPARANTS
43. Dans leurs mémoires respectifs, le
Gouvernement invitait la Cour à "décider qu’il n’y a eu, à l’égard des
requérants, violation d’aucune disposition de la Convention (...) ou du premier
Protocole additionnel (P1)"; Mme Mathieu-Mohin, à "constater que la
loi belge du 8 août 1980 (...) viole l’article 3 du Protocole additionnel
combiné avec l’article 14 de la Convention (art. 14+P1-3), dans le chef de la
requérante, eu tant qu’électeur et en tant qu’élu, domiciliée dans
l’arrondissement administratif de Hal-Vilvorde"; M. Clerfayt, à
"déclarer sa requête fondée et [à] y faire droit en toutes ses
dispositions".
Ces conclusions ont été confirmées en substance lors
des audiences du 24 septembre 1986; Mme Mathieu-Mohin a demandé en outre, en
vertu de l’article 50 (art. 50), une satisfaction équitable de 50.000 francs
belges au titre de ses frais.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 3 DU
PROTOCOLE No 1, CONSIDERE ISOLEMENT (P1-3)
44. Les requérants se plaignent de l’article 29
§ 1 de la loi spéciale de 1980, qui régit à l’heure actuelle la composition du
Conseil flamand (paragraphe 31 ci-dessus), à un double titre. Tout d’abord il
ne permettrait pas, en pratique, aux électeurs francophones de l’arrondissement
administratif de Hal-Vilvorde, englobé dans le territoire de la région flamande
mais constituant avec l’arrondissement administratif bilingue de Bruxelles un
arrondissement électoral unique (paragraphes 37-38 ci-dessus), de désigner des
représentants de langue française au Conseil flamand, tandis que les électeurs
néerlandophones peuvent, eux, y envoyer des représentants de langue
néerlandaise (paragraphe 39 ci-dessus, quatrième alinéa). En second lieu, il
empêcherait de siéger au Conseil flamand tout parlementaire élu dans ledit
arrondissement électoral et domicilié dans l’une des communes de
l’arrondissement administratif de Hal-Vilvorde mais appartenant au groupe
linguistique français de la Chambre ou du Sénat, obstacle auquel ne se heurtent
pas les élus inscrits à un groupe linguistique néerlandais et domiciliés dans
l’une des mêmes communes (paragraphe 39 ci-dessus).
Selon Mme Mathieu-Mohin et M. Clerfayt, il en résulte
une violation de l’article 3 du Protocole no 1 (P1-3), aux termes
duquel
"Les Hautes Parties Contractantes s’engagent à
organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin
secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du
peuple sur le choix du corps législatif."
45. La Commission approuve en substance la thèse
des intéressés. Le Gouvernement, lui, la combat. Il souligne qu’un élu
francophone de l’arrondissement électoral de Bruxelles, domicilié dans
l’arrondissement administratif de Hal-Vilvorde, figurerait parmi les membres du
Conseil flamand, et y représenterait ses mandants, s’il prêtait en néerlandais
son serment de parlementaire (paragraphes 16, 31 et 39, troisième alinéa,
ci-dessus). Le Gouvernement insiste en outre sur le caractère transitoire de la
situation incriminée (paragraphes 14, 21, 24, 28 et 29 ci-dessus).
A. Interprétation de l’article 3 du Protocole no
1 (P1-3)
46. Amenée pour la première fois à statuer sur
des griefs relatifs à l’article 3 du Protocole no 1 (P1-3), la Cour
estime nécessaire d’indiquer, dans le cadre du litige, le sens qu’elle attribue
au texte précité.
47. Selon le préambule de la Convention, le
maintien des libertés fondamentales "repose essentiellement sur un régime
politique véritablement démocratique". Consacrant un principe
caractéristique de pareil régime, l’article 3 du Protocole no 1
(P1-3) revêt donc dans le système de la Convention une importance capitale.
48. Là où presque toutes les autres clauses
normatives de la Convention et des Protocoles no 1, 4, 6 et 7 (P1,
P4, P6, P7) se servent des mots "Toute personne a droit" ou "Nul
ne peut", l’article 3 (P1-3) utilise le membre de phrase "Les Hautes
Parties Contractantes s’engagent". On en a parfois déduit qu’il ne donne
pas naissance à des droits et libertés individuels "directement reconnus à
quiconque" relève de la juridiction de ces Parties (arrêt Irlande c.
Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A no 25, p. 91, § 239), mais
uniquement à des obligations entre États.
S’il en était ainsi, Mme Mathieu-Mohin et M. Clerfayt
n’auraient pas valablement saisi la Commission: d’après l’article 25 (art. 25)
de la Convention, seule a qualité pour former une requête une personne qui se
prétend victime d’une violation de l’un de ses propres droits et libertés.
49. Une interprétation aussi restrictive ne
résiste pas à l’examen. Selon son préambule, le Protocole no 1 (P1)
assure "la garantie collective de droits et libertés autres que ceux qui
figurent déjà dans le Titre I de la Convention"; de plus, son article 5
(P1-5) précise que "Les Hautes Parties Contractantes considéreront les
articles 1, 2, 3 et 4 (P1-1, P1-2, P1-3, P1-4) (...) comme des articles
additionnels à la Convention" dont "toutes les dispositions" - y
compris l’article 25 (art. 25) - "s’appliqueront en conséquence". De
son côté, le préambule du Protocole no 4 (P4) vise notamment les
"droits et libertés" protégés par "les articles 1 à 3" du
Protocole no 1 (P1-1, P1-2, P1-3).
Les travaux préparatoires de ce dernier ne révèlent du
reste nulle intention d’écarter, dans le domaine de l’article 3 (P1-3), le jeu
du droit de recours individuel, alors que l’on songea longtemps - pour
finalement y renoncer - à soustraire la matière au contrôle de la Cour. En
outre, on y découvre de fréquentes mentions de la "liberté
politique", des "droits politiques", des "droits et
libertés politiques de l’individu", du "droit à des élections libres"
et du "droit de vote".
50. Partant, et les comparants s’accordent sur
ce point, la "coloration interétatique" du libellé de l’article 3
(P1-3) ne reflète aucune différence de fond avec les autres clauses normatives
de la Convention et des Protocoles. Elle semble s’expliquer plutôt par la
volonté de donner plus de solennité à l’engagement assumé et par la
circonstance que dans le domaine considéré se trouve au premier plan non une
obligation d’abstention ou de non-ingérence, comme pour la majorité des droits
civils et politiques, mais celle, à la charge de l’État, d’adopter des mesures
positives pour "organiser" des élections démocratiques.
51. Quant à la nature des droits consacrés de la
sorte par l’article 3 (P1-3), la doctrine de la Commission a évolué. De l’idée
d’un droit "institutionnel" à l’organisation d’élections libres
(décision du 18 septembre 1961 sur la recevabilité de la requête no
1028/61, X c. Belgique, Annuaire de la Convention, volume 4, p. 339), celle-ci
est passée à la notion de "suffrage universel" (voir notamment la
décision du 6 octobre 1967 sur la recevabilité de la requête no
2728/66, X c. République fédérale d’Allemagne, ibidem, volume 10, p. 339) puis,
par voie de conséquence, de droits subjectifs de participation: le "droit de
vote" et le "droit de se porter candidat lors de l’élection du corps
législatif" (voir notamment la décision du 30 mai 1975 sur la recevabilité
des requêtes no 6745 et 6746/76, W, X, Y et Z c. Belgique, ibidem,
volume 18, p. 245). La Cour marque son accord avec cette dernière conception.
52. Les droits en question ne sont pas absolus.
Comme l’article 3 (P1-3) les reconnaît sans les énoncer en termes exprès ni
moins encore les définir, il y a place pour des limitations implicites (voir,
mutatis mutandis, l’arrêt Golder du 21 février 1975, série A no 18,
pp. 18-19, § 38). Dans leurs ordres juridiques internes respectifs, les États
contractants entourent les droits de vote et d’éligibilité de conditions
auxquelles l’article 3 (P1-3) ne met en principe pas obstacle (Recueil des
travaux préparatoires, volumes III, p. 265, et IV, p. 25). Ils jouissent en la
matière d’une large marge d’appréciation, mais il appartient à la Cour de
statuer en dernier ressort sur l’observation des exigences du Protocole no
1 (P1); il lui faut s’assurer que lesdites conditions ne réduisent pas les
droits dont il s’agit au point de les atteindre dans leur substance même et de
les priver de leur effectivité, qu’elles poursuivent un but légitime et que les
moyens employés ne se révèlent pas disproportionnés (voir notamment, mutatis
mutandis, l’arrêt Lithgow et autres du 8 juillet 1986, série A no
102, p. 71, § 194). Spécialement, elles ne doivent pas contrecarrer "la
libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif".
53. L’article 3 (P1-3) ne vaut que pour
l’élection du "corps législatif", ou pour le moins de l’une de ses
chambres s’il en compte deux ou plusieurs (Recueil précité, volume VIII, pp.
47, 51 et 53). Les mots "corps législatif" ne s’entendent cependant
pas nécessairement du seul Parlement national; il échet de les interpréter en
fonction de la structure constitutionnelle de l’État en cause.
La Cour relève d’emblée que la réforme de 1980 a doté
le Conseil flamand d’attributions et pouvoirs assez amples pour l’ériger, avec
le Conseil de la communauté française et le Conseil régional wallon, en un
élément du "corps législatif" belge en sus de la Chambre des
représentants et du Sénat (paragraphes 24-25, 27 et 37 ci-dessus); les
comparants se rejoignent sur ce point.
54. En ce qui concerne le mode de désignation du
"corps législatif", l’article 3 (P1-3) se borne à prescrire des
élections "libres" se déroulant "à des intervalles
raisonnables", "au scrutin secret" et "dans les conditions
qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple". Sous cette
réserve, il n’engendre aucune "obligation d’introduire un système
déterminé" (Recueil précité, volume VII, pp. 131, 203 et 211; volume VIII,
p. 15) tel que la proportionnelle ou le vote majoritaire à un ou à deux tours.
Là également, la Cour reconnaît aux États contractants
une large marge d’appréciation eu égard à la diversité dans l’espace, et à la
variabilité dans le temps, de leurs lois en la matière.
Les systèmes électoraux cherchent à répondre à des
objectifs parfois peu compatibles entre eux: d’un côté refléter de manière
approximativement fidèle les opinions du peuple, de l’autre canaliser les
courants de pensée pour favoriser la formation d’une volonté politique d’une
cohérence et d’une clarté suffisantes. Dès lors, le membre de phrase
"conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le
choix du corps législatif" implique pour l’essentiel, outre la liberté
d’expression déjà protégée, du reste, par l’article 10 (art. 10) de la Convention,
le principe de l’égalité de traitement de tous les citoyens dans l’exercice de
leur droit de vote et de leur droit de se présenter aux suffrages.
Il ne s’ensuit pourtant pas que tous les bulletins
doivent avoir un poids égal quant au résultat, ni tout candidat des chances
égales de l’emporter. Ainsi, aucun système ne saurait éviter le phénomène des
"voix perdues".
Aux fins d’application de l’article 3 du Protocole no
1 (P1-3), tout système électoral doit s’apprécier à la lumière de l’évolution
politique du pays, de sorte que des détails inacceptables dans le cadre d’un
système déterminé peuvent se justifier dans celui d’un autre pour autant du
moins que le système adopté réponde à des conditions assurant "la libre
expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif".
B. Application de l’article 3 du Protocole no
1 (P1-3) en l’espèce
55. La Cour se trouve appelée à examiner les
griefs des requérants au regard de l’article 3 (P1-3) ainsi interprété.
56. Le Gouvernement souligne que rien n’empêcherait
les électeurs francophones de l’arrondissement de Hal-Vilvorde d’accorder leurs
suffrages, en connaissance de cause, à un candidat lui aussi francophone mais
disposé à prêter en néerlandais son serment de parlementaire; une fois élu,
pareil candidat siégerait de plein droit au Conseil flamand et y représenterait
ses mandants.
L’argument n’est pas décisif. Sans doute les électeurs
ne se définissent-ils pas que par leur langue et leur culture; des
considérations d’ordre politique, économique, social, religieux ou
philosophique influent sur leur vote. Les préférences linguistiques jouent
cependant un rôle capital dans le choix des citoyens d’un pays comme la
Belgique, et spécialement des habitants d’une zone "sensible" telle
que les communes de la périphérie de Bruxelles. Or un élu prêtant son serment
de parlementaire en néerlandais n’appartiendrait pas au groupe linguistique
français de la Chambre ou du Sénat, lequel - comme le groupe néerlandais - joue
un rôle important dans les domaines où la Constitution exige une majorité
"surqualifiée" (paragraphe 17 ci-dessus).
57. Toutefois, la loi spéciale de 1980 s’insère
dans un système institutionnel général de l’État belge, inspiré par le principe
de territorialité. Il concerne tant les institutions administratives et
politiques que la répartition de leurs compétences et de leurs pouvoirs. Encore
inachevée, la réforme en cours cherche à réaliser un équilibre entre les
diverses communautés culturelles et régions du Royaume moyennant un ensemble
complexe de freins et de contrepoids; elle a pour but d’apaiser, par la
création de structures plus stables et décentralisées, les différends
linguistiques au sein du pays. Légitime en soi, ce dessein ressort avec clarté
des débats d’un Parlement national démocratique et des majorités massives
recueillies, notamment, par ladite loi y compris l’article 29 (paragraphes 22
et 31 ci-dessus).
En examinant le régime électoral en cause, on ne
saurait en oublier le contexte global. Il ne se révèle pas déraisonnable si
l’on a égard aux intentions qu’il reflète et à la marge d’appréciation de
l’État défendeur dans le cadre du système électoral parlementaire belge, marge
d’autant plus étendue qu’il s’agit d’un système inachevé et transitoire. Il
entraîne, pour les minorités linguistiques, la nécessité d’accorder leurs
suffrages à des personnes aptes et prêtes à user de la langue de leur région.
Une obligation analogue se rencontre dans nombre d’États pour l’organisation de
leurs élections. Pareille situation, l’expérience le montre, ne menace pas
forcément les intérêts de ces minorités. Il en va surtout ainsi, en présence
d’un système qui dans son ensemble s’inspire de la loi du sol, quand l’ordre
politique et juridique fournit des garanties, sous la forme par exemple de
l’exigence de majorités qualifiées, contre des modifications intempestives ou
arbitraires (paragraphe 17 ci-dessus).
Les électeurs francophones de l’arrondissement de
Hal-Vilvorde jouissent des droits de vote et d’éligibilité dans les mêmes
conditions légales que les électeurs néerlandophones. Ils ne s’en trouvent
point privés par la seule circonstance qu’il leur faut voter soit pour des
candidats qui, prêtant leur serment de parlementaire en français, figureront
parmi les membres du groupe linguistique français de la Chambre ou du Sénat et
siégeront au Conseil de la communauté française, soit pour des candidats qui,
optant pour le néerlandais, appartiendront au groupe linguistique néerlandais
de la Chambre ou du Sénat et au Conseil flamand. Il ne s’agit pas là d’une
limitation disproportionnée, contrecarrant "la libre expression de
l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif" (paragraphes 51, 52
et 53 in fine ci-dessus).
Dès lors, la Cour constate l’absence de violation de
l’article 3 du Protocole no 1 (P1-3) considéré isolément.
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L’ARTICLE 14 DE LA
CONVENTION, COMBINE AVEC L’ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1 (art.
14+P1-3)
58. Mme Mathieu-Mohin et M. Clerfayt se
prétendent aussi victimes d’une différence de traitement par rapport aux
électeurs et élus néerlandophones habitant, comme eux, dans l’arrondissement
administratif de Hal-Vilvorde. Procédant d’une "politique
d’assimilation" et d’une volonté de "reconquête flamande", elle
s’analyserait en une discrimination fondée sur la langue et l’appartenance à
une minorité nationale; elle enfreindrait l’article 14 de la Convention combiné
avec l’article 3 du Protocole no 1 (art. 14+P1-3).
59. Les arguments sur lesquels s’appuie
l’allégation ainsi résumée coïncident avec ceux que les requérants invoquent
sur le terrain de l’article 3 du Protocole no 1 (P1-3) considéré
isolément. Partant, la Cour se borne à renvoyer aux motifs par lesquels elle
les a déjà écartés (paragraphe 57 ci-dessus); ils révèlent l’absence de toute
"distinction" au détriment des intéressés.
Aucune violation de l’article 14 (art. 14) de la
Convention ne se trouve donc établie.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Dit, par treize voix contre cinq, qu’il n’y a pas
violation de l’article 3 du Protocole no 1 (P1-3), considéré
isolément;
2. Dit, par quatorze voix contre quatre, qu’il n’y a
pas violation de l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 3 du
Protocole no 1 (art. 14+P1-3).
Fait en français et en anglais, puis prononcé en
audience publique au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg, le 2 mars 1987.
Rolv RYSSDAL
Président
Marc-André EISSEN
Greffier
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux
articles 51 § 2 (art. 51-2) de la Convention et 52 § 2 du règlement, l’exposé
des opinions séparées suivantes:
- opinion dissidente commune à M. Cremona, Mme
Bindschedler-Robert, M. Bernhardt, M. Spielmann et M. Valticos, accompagnée
d’une déclaration de M. Bernhardt;
- opinion concordante de M. Pinheiro Farinha.
R.R.
M.-A.E.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE À M. CREMONA, Mme
BINDSCHEDLER-ROBERT, M. BERNHARDT, M. SPIELMANN ET M. VALTICOS, JUGES
Nous regrettons de ne pouvoir partager l’opinion de la
majorité de la Cour, car il nous paraît qu’en droit la situation faite aux
électeurs francophones et aux élus francophones de l’arrondissement
administratif de Hal-Vilvorde n’est pas compatible avec les obligations
découlant pour la Belgique de l’article 3 du Protocole additionnel à la
Convention (P1-3), pris en lui-même ou combiné avec l’article 14 de la Convention
(art. 14+P1-3).
Le système en vigueur pour l’arrondissement précité
(qui, en tant qu’arrondissement administratif, est situé dans la région
flamande alors qu’en matière électorale il relève - avec des limites
différentes - de l’arrondissement électoral de Bruxelles) aboutit en substance,
en vertu de la loi spéciale du 8 août 1980 (article 29 § 1), à ce que les
députés et sénateurs élus dans cet arrondissement ne peuvent, s’ils prêtent
serment en français au Parlement belge, siéger au Conseil flamand (organe ayant
indiscutablement des pouvoirs législatifs) et sont donc dans l’impossibilité de
défendre les intérêts de leur région dans un nombre de domaines importants
(tels que l’aménagement du territoire, l’environnement, le logement, les
politiques économiques, l’énergie et l’emploi), alors que les élus qui prêtent
serment en néerlandais font automatiquement partie de ce Conseil. Hal-Vilvorde
a une population de plus de 100.000 habitants francophones sur un total de plus
de 500.000 habitants, le nombre moyen de voix permettant d’élire un député
variant de 22.000 à 25.000.
Conséquence concrète: à moins de voter pour des
candidats néerlandophones, les électeurs francophones de cet arrondissement ne
seront pas représentés audit Conseil régional.
Une telle situation, excluant, comme elle le fait
pratiquement, la représentation des électeurs francophones de Hal-Vilvorde au
niveau régional, n’assure pas, à notre avis, "la libre expression de
l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif", que requiert
l’article 3 du Protocole additionnel (P1-3), et elle crée une distinction
fondée sur la langue contraire à l’article 14 (art. 14) de la Convention.
Aucune des raisons avancées en vue de justifier cette
incompatibilité ne nous paraît convaincante.
En premier lieu, il est vrai que les francophones élus
à Hal-Vilvorde seraient en mesure de participer au Conseil régional (flamand)
s’ils acceptaient de prêter serment en néerlandais. Dans ce cas, toutefois, ils
perdraient leur qualité de francophones au sein du Parlement ce qui, en plus de
l’aspect psychologique et moral du problème, comporterait des conséquences
politiques importantes, étant donné le rôle joué par les groupes linguistiques
du Parlement.
L’argument tiré du fait que la Constitution belge considère
les élus comme des élus de la nation tout entière n’est pas pertinent dans le
cas des conseils régionaux, auxquels la Constitution elle-même a confié la
tâche de veiller aux intérêts des régions concernées et auxquels les élus de
ces régions devraient avoir donc le droit de participer.
On ne saurait non plus comparer les limitations dont
il s’agit à celles que l’on trouve souvent dans divers systèmes électoraux
(comme celles inhérentes aux systèmes majoritaires ou à divers systèmes de
représentation proportionnelle, ou encore au fait qu’une proportion minimale
d’électeurs est parfois exigée pour permettre l’élection). En effet, ces
diverses limitations sont de caractère général et s’appliquent indistinctement
à tous les électeurs, alors que le régime applicable à Hal-Vilvorde limite le
droit des seuls électeurs et élus francophones de cette région et ce sur la
seule base du critère de la langue.
On a aussi avancé l’argument que, malgré les
limitations qu’elle comporte, la situation des électeurs francophones de
Hal-Vilvorde serait plus favorable que celle des électeurs francophones dans la
région flamande en général. Or une des spécificités de l’arrondissement de
Hal-Vilvorde est qu’on y trouve concentré un groupe important d’électeurs
francophones, en mesure d’élire un nombre appréciable de parlementaires. De
toute manière, en plus du fait que la situation des autres parties de la région
flamande n’était pas en cause dans la présente affaire, un tel avantage relatif
ne saurait compenser la perte effective par les électeurs francophones de
Hal-Vilvorde de leur droit d’être représentés au Conseil régional.
Le système actuel, a-t-on souligné, a été adopté, en
1980, par une très large majorité dans les deux groupes linguistiques du
Parlement. Mais il s’agissait par définition d’une étape transitoire et de ce
point de vue l’argument est plus empirique que juridique et sa valeur est fort
douteuse. Le système devrait, à notre avis, être évalué selon ses propres
mérites. En outre, le caractère transitoire du système actuel a lui-même été
avancé comme argument. Ce caractère transitoire de la situation dure,
toutefois, déjà depuis plus de six ans et, si un Centre d’études pour la
réforme de l’État a bien été institué, la Cour n’a reçu du Gouvernement aucune
indication sur la date même approximative à laquelle un régime définitif
pourrait être adopté et moins encore sur le sens dans lequel le changement
pourrait intervenir.
Enfin, on ne saurait dire que la situation soumise à
la Cour représente la seule solution concevable du problème; en réalité, le
fait même qu’elle est considérée comme transitoire montre que d’autres formules
acceptables sont envisagées ou du moins ne sont pas exclues. Simplement à titre
d’exemple et sans prétendre d’aucune manière présenter des suggestions
concrètes (que nous ne sommes pas qualifiés pour faire), on pourrait envisager
de donner aux divers élus francophones de l’arrondissement de Hal-Vilvorde la
possibilité de participer au Conseil flamand même s’ils ont prêté serment en
français au Parlement, ce qui n’exclut pas qu’ils s’expriment en néerlandais au
Conseil flamand, ou encore de tenir des élections distinctes au niveau régional
et au niveau national, étant entendu que les élus au niveau régional devraient
pouvoir participer au Conseil régional concerné. Mais naturellement il
appartient au gouvernement lui-même de trouver les meilleurs moyens de résoudre
le problème.
Le recours à la marge d’appréciation ne résout pas le
problème dans ce cas, car cette marge trouve ses limites dans le respect
effectif des droits protégés.
DECLARATION DE M. LE JUGE BERNHARDT
(Traduction)
L’opinion dissidente collective indique les raisons
qui m’ont amené à voter pour le constat d’une violation de l’article 3 du
Protocole no 1 (P1-3). Je me suis en revanche prononcé pour
l’absence d’infraction à l’article 14 de la Convention (combiné avec l’article
3 du Protocole) (art. 14+P1-3), car aucune question distincte ne me semble se
poser à cet égard. C’est l’exclusion de certains représentants du Conseil régional
qui est décisive, non une quelconque discrimination.
OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE PINHEIRO FARINHA
1. J’ai voté en faveur du dispositif de
l’arrêt, mais avec tout le respect dû à mes éminents collègues je dois dire que
le paragraphe 51 me gêne beaucoup.
2. Le problème du corps législatif
comportant deux ou plusieurs chambres sort du cadre de notre affaire, et la
Cour n’en est pas saisie. Il faudrait, à mon avis, se limiter au cas sub judice
et garder la question des deux chambres pour le jour, s’il vient, où elle se
posera dans une affaire soumise à la Cour.
3. De toute manière, la formule "ou
pour le moins de l’une de ses chambres s’il en compte deux ou plusieurs"
est insuffisante et dangereuse.
Telle qu’elle est, elle permettrait un système
contraire à "l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif" et
pourrait même conduire à un système corporatif, élitiste ou de classe, qui ne
respecterait pas la démocratie.
A mon avis, il faudrait dire "ou pour le moins de
l’une de ses chambres s’il en compte deux ou plusieurs, mais à une double
condition: que la majorité de l’ensemble des membres du corps législatif soient
élus et que la (ou les) chambre(s) dont les membres ne sont pas élus ne
dispose(nt) pas de plus de pouvoirs que la chambre élue librement au scrutin
secret".
* Note du greffier: L'affaire porte le
numéro 9/1985/95/143. Les deux premiers chiffres désignent son rang dans
l'année d'introduction, les deux derniers sa place sur la liste des saisines de
la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission)
correspondantes.