Corte europea dei diritti dell’uomo
(Sezione II), 13 novembre 2007
(requête no 399/02 )
AFFAIRE BOCELLARI ET RIZZA c. ITALIE
02/06/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans
les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut
subir des retouches de forme.
En l'affaire Bocellari et Rizza c. Italie,
La
Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une
chambre composée de :
Mme F.
Tulkens, présidente,
MM. A.B. Baka,
I. Cabral Barreto,
M. Ugrekhelidze,
V. Zagrebelsky,
Mme A. Mularoni,
M. D. Popović, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après
en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 octobre 2007,
Rend
l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A
l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 399/02) dirigée
contre la République italienne et dont deux ressortissants de cet Etat,
MM. Gianfranco Bocellari
et Mme Wilma Rizza (« les requérants »), ont saisi la Cour
le 17 décembre 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des
Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants sont représentés par
Me M. de Stefano, avocat à Rome. Le gouvernement italien
(« le Gouvernement ») est représenté par son agent,
M. I. M. Braguglia, et par son coagent adjoint, M. N. Lettieri.
3. Les requérants alléguaient le manque
de publicité de la procédure pour l'application des mesures de prévention au
premier requérant, suspecté d'appartenir à une association de type mafieux,
ayant entrainé la confiscation de leurs biens.
4. Par une décision du 16 mars 2006, la
Cour a déclaré la requête recevable.
5. Tant les requérants que le
Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire
(article 59 § 1 du règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
6. Les requérants sont nés en 1960 et
résident à Milan.
La
procédure pénale menée contre le premier requérant
7. En 1997, des poursuites furent
entamées contre le premier requérant, avocat spécialisé en droit pénal, pour
association de malfaiteurs visant le trafic de stupéfiants, usure et
blanchissement d'argent.
8. Le 20 mai 1997, le juge des
investigations préliminaires de Milan ordonna le placement du requérant en
détention provisoire. Le requérant fut arrêté le même jour. Le 4 mars 1998,
il fut renvoyé en jugement devant le tribunal de Milan. Par un jugement du 30
septembre 2000, le tribunal de Milan relaxa le requérant quant aux chefs
d'accusation d'usure et blanchissement d'argent et le condamna pour le restant
des chefs d'accusation à une peine de huit ans et huit mois d'emprisonnement.
Le requérant interjeta appel. Par un arrêt du 20 décembre 2001, la cour d'appel
de Milan acquitta le requérant car il n'avait pas commis les infractions qui
lui étaient reprochées (« per non aver commesso il fatto »).
Le 17 septembre 2002, le pourvoi en cassation présenté par le
représentant du parquet fut rejeté et l'arrêt du 20 décembre 2001 devint
définitif.
La saisie et la confiscation des biens des
requérants
9. Parallèlement,
en raison des soupçons qui pesaient sur le requérant et qui donnaient à penser
qu'il était membre d'une organisation criminelle visant le trafic de
stupéfiants, le 2 mars 1999, le parquet de Milan entama une procédure en vue de
l'application des mesures de prévention établies par la loi no 575
de 1965, telle que modifiée par la loi no 646 du
13 septembre 1982. Le parquet demanda également la saisie anticipée de
certains biens dont le requérant disposait.
10. Par
une ordonnance du 10 mars 1999, la chambre du tribunal de Milan spécialisée
dans l'application des mesures de prévention ordonna la saisie de nombreux
biens, notamment plusieurs comptes et titres bancaires, dont les deux
requérants étaient titulaires, des voitures de luxe, dont l'une appartenant à
la mère du requérant, et trois immeubles appartenant à la requérante, parmi
lesquels figurait la maison familiale du couple. Enfin, le tribunal ordonna la
saisie d'un livret bancaire dont était titulaire la fille mineure des
requérants.
11. Le
tribunal précisa qu'il y avait lieu de fixer une audience à laquelle le
requérant avait le droit de participer. En outre, le tribunal invita à
intervenir dans la procédure, en tant que tierces personnes touchées par la
mesure, la requérante, en son nom propre et pour le compte de sa fille, et la
mère du requérant. Les intéressées avaient la
faculté de présenter des observations pour défendre leurs intérêts.
12. Par
la suite, la procédure devant la chambre spécialisée dans l'application des
mesures de prévention se déroula en chambre du conseil. Les deux requérants, représentés par un avocat de leur
choix, participèrent à la procédure.
13. L'audience fut fixée au 4 juin
1999. Le jour venu, les requérants demandèrent un ajournement afin de prendre
connaissance des actes déposés auprès du greffe du parquet et de préparer leur
défense. L'audience fut renvoyée au 17 septembre 1999. Le jour venu, les
requérants demandèrent à nouveau un ajournement afin d'organiser leur défense.
Le tribunal renvoya l'audience au 12 novembre 1999. Par ailleurs, le délai pour
déposer les mémoires de défense et les documents pertinents fut fixé au
11 octobre 1999. Le jour venu, les requérants déposèrent un mémoire ainsi
que plusieurs documents concernant leurs activités professionnelles, et le
parquet déposa les procès-verbaux de certaines interceptions téléphoniques et
de l'interrogatoire d'un détenu entendu comme personne ayant connaissance de
faits utiles pour les investigations (« persona informata sui
fatti »).
14. Lors
de l'audience du 12 novembre 1999, le parquet déposa quatre chemises de
documents concernant la procédure pénale contre le premier requérant. Les
requérants s'y opposèrent. Le tribunal rejeta l'opposition des requérants, au
motif qu'une grande partie des documents avait déjà été versée au dossier par
la défense des requérants et était déjà connue de ces derniers.
15. Par
une ordonnance du même jour, la chambre du tribunal de Milan spécialisée dans
l'application des mesures de prévention décida de soumettre le premier
requérant à la mesure de la liberté sous contrôle de police et ordonna son
assignation à résidence dans la commune de Milan pour une durée de cinq ans. La chambre ordonna en outre la confiscation des biens
des requérants précédemment saisis.
16. Le tribunal estima nécessaire
d'examiner les faits faisant l'objet de la procédure pénale en cours contre le
requérant, afin d'établir l'existence d'indices sérieux de son appartenance à
une association de type mafieux pouvant justifier l'application de mesures de
prévention. Il affirma que, à la lumière des nombreux indices à la charge du
requérant, il y avait lieu de constater la participation du requérant aux
activités de l'association de malfaiteurs et le danger social qu'il présentait.
17. Le tribunal souligna que le
requérant avait des moyens financiers disproportionnés par rapport à ses
activités professionnelles et aux revenus déclarés.
18. Il observa qu'il était difficile de
reconstituer la chronologie des différentes activités professionnelles menées
par le requérant et son épouse. En tout état de cause, il affirma qu'une
« interposition de personne » (« interposizione
fittizia ») avait eu lieu et que la requérante n'était que titulaire
apparente des immeubles et des comptes bancaires saisis, ces biens appartenant
en réalité au requérant.
19. Le
requérant interjeta appel contre l'ordonnance du 12 novembre 1999.
Il allégua que le tribunal n'avait pas dûment établi la provenance
illégitime des biens confisqués, qu'il avait commis des erreurs de fait et que
la dangerosité sociale n'était pas prouvée.
20. Par
une ordonnance du 23 octobre 2000, prononcée en chambre du conseil en présence des
deux requérants, la chambre compétente de la cour d'appel de Milan modifia
partiellement l'ordonnance du 12 novembre 1999. En particulier, elle réduisit à
quatre ans la mesure de la liberté sous contrôle de police et de l'assignation
à résidence dans la commune de Milan du premier requérant et révoqua la
confiscation du livret bancaire appartenant à la fille des requérants et de la
maison familiale, celle-ci ayant été acquise avant la commission du délit
d'association de malfaiteurs.
21. La
cour d'appel confirma la décision de première instance pour le reste. Elle
observa notamment que la chambre spécialisée du tribunal de Milan avait conclu
que le requérant présentait un danger social en raison des rapports privilégiés
qu'il entretenait avec ses clients, membres d'une association de malfaiteurs
visant le trafic de stupéfiants. De plus, faute de
documentation précise concernant ses moyens financiers, il s'avérait impossible
d'évaluer les profits réels que le requérant avait tirés de certaines
consultations en tant qu'avocat. Elle observa que l'article 2 ter §
3 de la loi no 575 de 1965 donnait au tribunal le droit d'ordonner
la confiscation des biens saisis si leur provenance légale n'avait pas été
démontrée.
22. La juridiction d'appel estima que
la disproportion existant entre la valeur des biens saisis et les activités
légales exercées prouvait l'origine illicite des fonds employés. Les intéressés
n'ayant pas fourni d'éléments susceptibles de prouver le contraire, la cour
d'appel considéra que l'allégation selon laquelle les sommes versées pour
l'achat des immeubles provenaient de l'activité de la deuxième requérante et de
l'activité d'avocat du premier requérant, ne se fondait sur aucun fait objectif
et était peu crédible. Elle ajouta également que le 20 septembre 2000, le
tribunal de Milan avait condamné le requérant à une peine de huit ans et huit
mois d'emprisonnement. Tout en soulignant que cette condamnation n'avait pas
acquis l'autorité de la chose jugée, la cour d'appel considéra qu'elle prouvait
l'importance des indices à la charge du requérant.
23. Le
requérant se pourvut en cassation. Il contesta l'interprétation que la cour
d'appel avait donnée au paragraphe 2 ter § 3 de la loi no 575
de 1965 et allégua que la confiscation avait frappé sans distinction tous ses
biens immobiliers et ceux de son épouse. Il allégua enfin que la cour
d'appel n'avait pas prouvé la réalité de sa dangerosité.
24. Par
un arrêt du 28 juin 2001, dont le texte fut déposé au greffe le 5 septembre
2001, la Cour de cassation, estimant que la cour d'appel de Milan avait motivé
d'une façon logique et correcte tous les points controversés, débouta le
requérant de son pourvoi.
II. LE
DROIT INTERNE PERTINENT
25. La
loi no 1423 du 27 décembre 1956 prévoit l'application de mesures de
prévention à l'encontre de « personnes dangereuses pour la sécurité et
pour la moralité publiques ». Au sens de l'article 4 de ladite loi, le
tribunal décide en chambre du conseil après avoir entendu le ministère public
et l'intéressé, ce dernier pouvant présenter des mémoires et se faire
représenter par un avocat.
26. La
loi no 575 du 31 mai 1965 a complété la loi de 1956 par des
dispositions dirigées contre les personnes soupçonnées d'appartenir à des
associations de type mafieux. Conformément à l'article 2ter de cette
loi, au cours de la procédure pour l'application des mesures de prévention
établies par la loi no 1423,
« le
tribunal, même d'office, ordonne par décision motivée la saisie des biens dont
la personne contre laquelle la procédure a été engagée dispose directement ou
indirectement, quand il y a lieu d'estimer, sur la base d'indices suffisants,
tels que la disproportion considérable entre le train de vie et les revenus
apparents ou déclarés, que ces biens constituent le profit d'activités
illicites ou son remploi. Avec l'application de la mesure de prévention, le
tribunal ordonne la confiscation des biens saisis dont la provenance légitime
n'a pas été démontrée. (...) La saisie est révoquée par le tribunal lorsque la
demande d'application de la mesure de prévention est rejetée ou lorsque la
provenance légitime des biens est démontrée.
S'il ressort que
les biens saisis appartiennent à des tiers, ces derniers sont invités par le
tribunal à intervenir dans la procédure et peuvent, même avec l'assistance d'un
avocat, présenter en chambre du conseil leurs observations et demander à verser
au dossier tout élément utile aux fins de la décision de confiscation. »
EN DROIT
I. SUR
LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
27. Les
requérants se plaignent du manque de publicité de la procédure devant les
chambres du tribunal et de la cour d'appel spécialisées dans l'application des
mesures de prévention. Ils invoquent l'article 6 § 1 de la Convention qui, dans
ses parties pertinentes, se lit comme suit :
« Toute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement
(...), par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui
décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère
civil (...). Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle
d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou
une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la
sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des
mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou
dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des
circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux
intérêts de la justice ».
1. Arguments des parties
28. Les requérants soutiennent que
l'absence d'une audience publique n'était pas justifiée en l'espèce. Ils font
valoir tout d'abord qu'aucune exigence liée au respect de la vie privée de
tierces personnes ne subsistait en l'espèce, puisqu'aucun témoin n'avait été
invité à comparaître dans la procédure. Quant à eux, ils n'ont jamais invoqué
la protection de leur vie privée devant les autorités compétentes.
29. En outre, ils soutiennent que,
contrairement à ce que la Cour avait relevé dans l'affaire Varela Assalino (Varela
Assalino c. Portugal (déc.), no 64336/01, 25 avril 2002),
les faits de la cause n'étaient guère établis en l'espèce, et l'affaire n'était
pas consacrée exclusivement à des questions de droit. Bien au contraire,
pendant les débats litigieux, la défense des requérants a été confrontée aux
mêmes éléments à charge qui faisaient l'objet du procès pénal mené
parallèlement devant le tribunal de Milan et sur lesquels l'autorité judiciaire
appuya la condamnation du premier requérant pour le délit d'association de
malfaiteurs.
30. Le
Gouvernement souligne que le droit invoqué par les requérants n'est pas un
droit absolu au sens de la Convention et fait référence aux dérogations à la
publicité des débats prévues par la deuxième phrase de l'article 6 § 1 de
la Convention et précisées par la jurisprudence de la Cour en la matière (Schuler-Zgraggen
c. Suisse, arrêt du 24 juin 1993, série A no 263, §
58).
31. Il
affirme que l'absence d'audience publique est justifiée en l'espèce par la
nature des questions à trancher. Il insiste sur la
nature hautement technique des procédures pour l'application des mesures de
prévention patrimoniales, basées essentiellement sur des documents et dans
lesquelles le public ne peut exercer aucun contrôle. En effet, ces procédures
consistent notamment en des enquêtes financières approfondies, menées, par le
biais d'expertises comptables complexes auprès de banques et d'autres
établissements de crédit, dans le but de reconstituer le patrimoine du prévenu
et déterminer ainsi l'éventuelle origine illégale des biens.
32. Le
Gouvernement soutient ensuite que des tierces personnes sont souvent impliquées
dans ce type de procédure en tant que prête-noms. Ces tiers ne sont pas mis en
cause directement dans la procédure et sont invités à comparaître devant
l'autorité judiciaire seulement en raison de leur droit de propriété formel sur
un ou plusieurs biens.
Or, l'épouse, la fille mineure et la mère du
requérant ont été touchées par la confiscation et ont été mêlées, malgré elles,
à la procédure. Le Gouvernement considère que le respect de la vie privée de
ces personnes constitue une raison valable pour limiter la publicité des débats
et soutient que la protection de certaines catégories de personnes, tels que
les mineurs, doit être assurée par l'Etat et ne peut faire l'objet de
renonciation que dans des situations particulières.
33. Le
Gouvernement souligne enfin que le déroulement en chambre du conseil des
procédures pour l'application de la confiscation est expressément prévu par la
loi no 1423 de 1956 et ne relève pas d'une décision discrétionnaire
du tribunal. Il ajoute qu'une éventuelle demande des requérants tendant à
obtenir la publicité des débats aurait été très probablement rejetée au sens de
cette même loi.
2. Appréciation
de la Cour
34. La
Cour rappelle que la publicité de la procédure des organes judiciaires visés à
l'article 6 § 1 protège les justiciables contre une justice secrète échappant
au contrôle du public (voir, Riepan c. Autriche, no 35115/97,
§ 27, CEDH 2000-XII) ; elle constitue aussi l'un des moyens de
préserver la confiance dans les cours et tribunaux. Par la transparence qu'elle
donne à l'administration de la justice, elle aide à réaliser le but de
l'article 6 § 1 : le procès équitable, dont la garantie compte parmi les
principes de toute société démocratique au sens de la Convention (voir parmi de
très nombreux autres, Tierce et autres c. Saint-Marin, nos 24954/94,
24971/94 et 24972/94, § 92, CEDH 2000-IX).
35. L'article
6 § 1 ne fait cependant pas obstacle à ce que les juridictions décident, au vu
des particularités de la cause soumise à leur examen, de déroger à ce
principe : aux termes mêmes de cette disposition, « (...) l'accès de
la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la
totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre
public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les
intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès
l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal,
lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter
atteinte aux intérêts de la justice » ; le huis clos, qu'il soit
total ou partiel, doit alors être strictement commandé par les circonstances de
l'affaire (voir, par exemple, mutatis mutandis, l'arrêt Diennet c.
France, du 26 septembre 1995, Série A no 325-A, § 34).
36. Par
ailleurs, la Cour a jugé que des circonstances exceptionnelles, tenant à la
nature des questions soumises au juge dans le cadre de la procédure dont il
s'agit (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Miller c. Suède du
8 février 2005, no 55853/00, § 29), peuvent justifier de se
dispenser d'une audience publique (voir en particulier l'arrêt Göç c.
Turquie [GC], no 36590/97, CEDH 2002-V, § 47). Elle
considère ainsi, par exemple, que le contentieux de la sécurité sociale,
hautement technique, se prête souvent mieux à des écritures qu'à des
plaidoiries et que, l'organisation systématique de débats pouvant constituer un
obstacle à la particulière diligence requise en matière de sécurité sociale, il
est compréhensible que dans un tel domaine les autorités nationales tiennent
compte d'impératifs d'efficacité et d'économie (voir, par exemple, les
arrêts Miller et Schuler-Zgraggen précités). Il y a lieu
cependant de souligner que, dans la plupart des affaires concernant une
procédure devant des juridictions « civiles » statuant au fond dans
lesquelles elle est arrivée à cette conclusion, le requérant avait eu la
possibilité de solliciter la tenue d'une audience publique.
37. Comme
la Cour l'a affirmé dans l'affaire Martinie (Martinie c. France
[GC], no 58675/00, CEDH 2006-...), la situation est différente
lorsque, tant en appel qu'en première instance, une procédure
« civile » au fond se déroule à huis clos en vertu d'une règle
générale et absolue, sans que le justiciable ait la possibilité de solliciter
une audience publique en faisant valoir les particularités de sa cause. Une
procédure se déroulant ainsi ne saurait en principe passer pour conforme à
l'article 6 § 1 de la Convention : sauf circonstances tout à fait
exceptionnelles, le justiciable doit au moins avoir la possibilité de
solliciter la tenue de débats publics, le huis clos pouvant alors cependant lui
être opposé, au regard des circonstances de la cause et pour les motifs
rappelés plus haut (voir Martinie, précité, § 42).
38. En
l'espèce, le déroulement en chambre du conseil des procédures visant
l'application des mesures de prévention, tant en première instance qu'en appel,
est expressément prévu par l'article 4 de la loi no 1423 de
1956 et les parties n'ont pas la possibilité de demander et d'obtenir une
audience publique. D'ailleurs, le Gouvernement
lui-même exprime des doutes quant aux chances de succès d'une éventuelle
demande de débats publics provenant des parties.
39. La Cour est sensible au raisonnement
du Gouvernement selon lequel des intérêts supérieurs, tels que la protection de
la vie privée de mineurs ou de tierces personnes indirectement concernées par
le contrôle financier, peuvent parfois entrer en jeu dans ce type de procédure.
Par ailleurs, la Cour ne doute pas qu'une procédure tendant pour l'essentiel au
contrôle des finances et des mouvements de capitaux puisse présenter un degré
élevé de technicité. Cependant, il ne faut pas perdre de vue l'enjeu des
procédures de prévention et les effets qu'elles sont susceptibles de produire
sur la situation personnelle des personnes impliquées.
40. La Cour observe que ce genre de
procédure vise l'application de la confiscation de biens et de capitaux, ce qui
met directement et substantiellement en cause la situation patrimoniale du
justiciable. Face à un tel enjeu, on ne saurait affirmer que le contrôle du public ne
soit pas une condition nécessaire à la garantie du respect des droits de
l'intéressé (voir Martinie, précité, § 43 et, à contrario, Jussila c.
Finlande [GC], no 73053/01, § 48, CEDH 2006-...).
41. En résumé, la Cour juge essentiel
que les justiciables impliqués dans une procédure d'application des mesures de
prévention se voient pour le moins offrir la possibilité de solliciter une audience
publique devant les chambres spécialisées des tribunaux et des cours d'appel.
En
l'espèce, les requérants n'ont pas bénéficié de cette possibilité. Partant, il
y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR
L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
42. Aux
termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour
déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le
droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer
qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la
partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
43. Les
requérants réclament 90 000 EUR pour le dommage moral subi du fait de la
confiscation injuste de leurs biens.
Ils
affirment ensuite être prêts à renoncer à cette somme si le Gouvernement
s'engage à réformer l'article 4 de la loi no 1423 de 1956 en
prévoyant la publicité des audiences dans les procédures pour l'application des
mesures de prévention.
44. Le
Gouvernement affirme que le constat de violation constitue en soi une
réparation suffisante.
45. En
ce qui concerne les mesures générales demandées par les requérants, il
appartient en premier lieu à l'Etat en cause, sous le contrôle du Comité des
Ministres, de choisir les moyens à mettre en œuvre dans son ordre juridique
interne pour s'acquitter de son obligation au regard de l'article
46 de la Convention (voir, entre
autres, Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210, CEDH
2005-IV).
46. Quant
au préjudice moral subi par les requérants, la Cour estime qu'il se trouve
suffisamment réparé par le constat de violation de l'article 6 § 1 de la
Convention auquel elle parvient (voir, parmi de nombreux autres, les arrêts Remli
c. France, du 23 avril 1996, Recueil 1996-II, Mantovanelli c.
France, du 18 mars 1997, Recueil no 1997-II, Kress,
précité, Meftah et autres c. France, du 26 juillet 2002
[GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, CEDH 2002-VII, Yvon
c. France, du 24 avril 2003, no 44962/98, CEDH 2003-V et Martinie, précité).
B. Frais et dépens
47. La requérante réclame le
remboursement des frais encourus devant les juridictions internes lors de la
procédure pour l'application de la confiscation, qu'elle chiffre à 5 000
EUR. En outre, les deux requérants conjointement demandent 5 000 EUR
pour les frais de la procédure devant la Cour.
48. Le Gouvernement affirme que les
frais de la procédure nationale n'ont pas été étayés. En outre, il considère
excessif le montant des frais et dépens encourus dans la procédure devant la
Cour.
49. La Cour rappelle que, lorsqu'elle
conclut à la violation de la Convention, elle peut accorder aux requérants le
paiement non seulement des frais et dépens qu'ils ont engagés devant elle, mais
aussi de ceux exposés devant les juridictions internes pour prévenir ou faire
corriger par celles-ci ladite violation (voir, par exemple, l'arrêt Hertel
c. Suisse du 25 août 1998, Recueil 1998-VI), dès lors que
leur nécessité est établie, que les justificatifs requis sont produits et que
les sommes réclamées ne sont pas déraisonnables.
50. Elle considère qu'il n'y a pas lieu
de rembourser à la requérante les frais encourus devant les juridictions
internes, car ils n'ont pas été exposés pour remédier à la violation constatée.
De plus, aucun justificatif n'a été produit par l'intéressée.
51. Pour ce qui est des frais et dépens
se rapportant à la présente procédure, la Cour juge excessive la demande des
requérants et, statuant en équité, décide de leur allouer, conjointement, 2
000 EUR à ce titre.
C. Intérêts moratoires
52. La Cour juge approprié de baser le
taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt
marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de
pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA
COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit qu'il y a eu violation de
l'article 6 § 1 de la Convention ;
2. Dit que
le constat de violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante
pour le dommage moral subi par les requérants ;
3. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser aux
requérants conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera
devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la
Convention, 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens, plus tout
montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit
délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un
taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
3. Rejette
la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis
communiqué par écrit le 13 novembre 2007 en application de l'article 77 §§
2 et 3 du règlement.
S. Dollé F. Tulkens
Greffière Présidente