Corte europea dei diritti dell’uomo
(Sezione II), 3 novembre 2009
(requête n. 30814/06)
AFFAIRE LAUTSI
c. ITALIE
Commenti alla decisione di
I. Lorenzo Maratea, Il crocifisso nelle
aule scolastiche. un illecito senza danno? qualche riflessione in margine al caso Lautsi
c. Italia, nella Rubrica Studi e Commenti di Consulta OnLine
II. Ilaria Anrò, Il
crocifisso e la libertà di non credere, per gentile concessione del Forum dei Quaderni costituzionali
III. Giuseppe Di Genio, Laicità europea e struttura pluralista
dell’ordinamento, per
gentile concessione del Forum
dei Quaderni costituzionali
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 §
2 de
En l'affaire Lautsi
c. Italie,
Françoise Tulkens,
présidente
Ireneu Cabral Barreto,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danute Jociene,
Dragoljub Popovic,
András Sajó,
Isil Karakas, juges,
et de Sally Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13
octobre 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire
se trouve une requête (no 30814/06) dirigée contre
2. La requérante est représentée par Me N.
Paoletti, avocat à Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est
représenté par son agent, Mme E. Spatafora
et par son coagent adjoint, M. N. Lettieri.
3. La requérante alléguait que l'exposition de la
croix dans les salles de classe de l'école publique fréquentée par ses enfants
était une ingérence incompatible avec la liberté de conviction et de religion
ainsi qu'avec le droit à une éducation et un enseignement conformes à ses
convictions religieuses et philosophiques.
4. Le 1er juillet 2008,
5. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé
des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du
règlement).
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
6. La requérante réside à Abano Terme et a deux enfants, Dataico
et Sami Albertin. Ces derniers, âgés respectivement de onze et treize ans,
fréquentèrent en 2001-2002 l'école publique « Istituto
comprensivo statale Vittorino da Feltre », à Abano
Terme.
7. Les salles de classe avaient toutes un crucifix,
ce que la requérante estimait contraire au principe de laïcité selon lequel
elle souhaitait éduquer ses enfants. Elle souleva cette question au cours d'une
réunion organisée le 22 avril 2002 par l'école et fit valoir que, selon
8. Le 27 mai 2002, la direction de
l'école décida de laisser les crucifix dans les salles de cours.
9. Le 23 juillet 2002, la requérante attaqua cette
décision devant le tribunal administratif de la région de Vénétie. S'appuyant
sur les articles 3 et 19 de
10. Le 3 octobre 2007, le ministère de l'Instruction
publique adopta la directive no 2666 qui recommandait aux directeurs
d'écoles d'exposer le crucifix. Il se constitua partie dans la procédure, et
soutint que la situation critiquée se fondait sur l'article 118 du décret royal
no 965 du 30 avril 1924 et l'article 119 du décret royal no
1297 du 26 avril 1928 (dispositions antérieures à
11. Le 14 janvier 2004, le tribunal administratif de
Vénétie estima, compte tenu du principe de laïcité (articles 2, 3, 7, 8, 9, 19
et 20 de
12. Par une ordonnance du 15
décembre 2004 no 389,
13. La procédure devant le tribunal administratif
reprit. P ar un jugement du 17 mars 2005 no
1110, le tribunal administratif rejeta le recours de la requérante. Il estimait
que le crucifix était à la fois le symbole de l'histoire et de
la culture italiennes, et par conséquent de l'identité italienne, et le
symbole des principes d'égalité, de liberté et de tolérance ainsi que de la
laïcité de l'Etat.
14. La requérante introduisit un recours devant le
Conseil d'Etat.
15. Par un arrêt du 13 février 2006, le Conseil
d'Etat rejeta le recours, au motif que la croix était devenue une des valeurs
laïques de
II. LE DROIT ET
16. L'obligation d'exposer le crucifix dans les
salles de classe remonte à une époque antérieure à l'unité de l'Italie. En
effet, aux termes de l'article 140 du décret royal no 4336 du 15
septembre 1860 du Royaume de Piémont-Sardaigne, « chaque école devra[it] sans faute être pourvue
(...) d'un crucifix ».
17. En 1861, année de naissance de l'Etat italien, le
Statut du Royaume de Piémont-Sardaigne de 1848 devint le Statut italien. Il
énonçait que « la religion catholique apostolique et romaine [était] la
seule religion de l'Etat. Les autres cultes existants [étaient] tolérés en
conformité avec la loi ».
18. La prise de Rome par l'armée italienne,
le 20 septembre 1870, à la suite de laquelle Rome fut annexée et proclamée
capitale du nouveau Royaume d'Italie, provoqua une crise des relations entre
l'Etat et l'Eglise catholique. Par la loi no 214 du 13 mai 1871,
l'Etat italien réglementa unilatéralement les relations avec l'Eglise et
accorda au Pape un certain nombre de privilèges pour le déroulement régulier de
l'activité religieuse.
19. Lors de l'avènement du fascisme, l'Etat adopta une
série de circulaires visant à faire respecter l'obligation d'exposer le
crucifix dans les salles de classe.
La circulaire du ministère de l'Instruction publique
no 68 du 22 novembre 1922 disait ceci : « Ces dernières années,
dans beaucoup d'écoles primaires du Royaume l'image du Christ et le portrait du
Roi ont été enlevés. Cela constitue une violation manifeste et non
tolérable d'une disposition réglementaire et surtout une atteinte à la religion
dominante de l'Etat ainsi qu'à l'unité de
La circulaire du ministère de l'Instruction publique
no 2134-1867 du 26 mai 1926 affirmait : « Le symbole de notre
religion, sacré pour la foi ainsi que pour le sentiment national, exhorte et
inspire la jeunesse studieuse, qui dans les universités et autres
établissements d'enseignement supérieur aiguise son esprit et son
intelligence en vue des hautes charges auxquelles elle est destinée. »
20. L'article 118 du décret royal no 965
du 30 avril 1924 (Règlement intérieur des établissements scolaires secondaires
du Royaume) est ainsi libellé : « Chaque établissement scolaire doit avoir
le drapeau national, chaque salle de classe l'image du crucifix et le portrait
du roi ».
L'article 119 du décret royal no 1297 du
26 avril 1928 (approbation du règlement général des services d'enseignement
primaire) compte le crucifix parmi les « équipements et matériels
nécessaires aux salles de classe des écoles ».
Les juridictions nationales ont considéré que ces
deux dispositions étaient toujours en vigueur et applicables au cas d'espèce.
21. Les Pactes du Latran, signés le 11 février 1929,
marquèrent la « Conciliation » de l'Etat italien et de l'Eglise catholique. Le
catholicisme fut confirmé comme la religion officielle de l'Etat italien.
L'article 1 du Traité était ainsi libellé : « L'Italie reconnaît et
réaffirme le principe consacré par l'article 1 du Statut Albertin du Royaume du
4 mars 1848, selon lequel la religion catholique, apostolique et romaine est la
seule religion de l'Etat. »
22. En 1948, l'Etat italien adopta sa Constitution
républicaine.
L'article 7 de celle-ci reconnaît explicitement que
l'Etat et l'Eglise catholique sont, chacun dans son ordre,
indépendants et souverains. Les rapports entre l'Etat et l'Eglise
catholique sont réglementés par les Pactes du Latran et les modifications de
ceux-ci acceptées par les deux parties n'exigent pas de procédure de révision
constitutionnelle.
L'article 8 énonce que les confessions religieuses
autres que la catholique « ont le droit de s'organiser selon leurs propres
statuts, en tant qu'elles ne s'opposent pas à l'ordre juridique italien ».
Les rapports entre l'Etat et ces autres confessions « sont fixés par la loi
sur la base d'ententes avec leurs représentants respectifs ».
23. La religion catholique a changé de statut à la
suite de la ratification, par la loi no 121 du 25 mars 1985, de la
première disposition du protocole additionnel au nouveau Concordat avec le
Vatican du 18 février 1984, modifiant les Pactes du Latran de 1929. Selon cette
disposition, le principe, proclamé à l'origine par les Pactes du Latran, de la
religion catholique comme la seule religion de l'Etat italien est considéré
comme n'étant plus en vigueur.
24.
25. Dans son arrêt no
203 de 1989,
26.
EN DROIT
I. SUR
27. La requérante allègue en son nom et au nom de ses
enfants que l'exposition de la croix dans l'école publique fréquentée par
ceux-ci a constitué une ingérence incompatible avec son droit de leur assurer
une éducation et un enseignement conformes à ses convictions religieuses et
philosophiques au sens de l'article 2 du Protocole no 1, disposition
qui est libellée comme suit :
« Nul ne peut se voir refuser le droit à
l'instruction. L'Etat, dans l'exercice des fonctions qu'il assumera dans le
domaine de l'éducation et de l'enseignement, respectera le droit des parents
d'assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions
religieuses et philosophiques. »
Par ailleurs, la requérante allègue que l'exposition
de la croix a méconnu également sa liberté de conviction et de religion
protégée par l'article 9 de
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée,
de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de
religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa
conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le
culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses
convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues
par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique,
à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale
publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
28. Le Gouvernement conteste cette thèse.
A. Sur la recevabilité
29.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) La requérante
30. La requérante a fourni
l'historique des dispositions pertinentes. Elle observe que l'exposition du
crucifix se fonde, selon les juridictions nationales, sur des dispositions de 1924
et 1928 qui sont considérées comme étant toujours en vigueur, bien
qu'antérieures à
Les dispositions en cause sont l'héritage d'une conception
confessionnelle de l'Etat qui se heurte aujourd'hui au devoir de laïcité de
celui-ci et méconnaît les droits protégés par
31. Selon la requérante, le crucifix a en réalité,
surtout et avant tout, une connotation religieuse. Le fait que la croix ait
d'autres « clés de lecture » n'entraîne pas la perte de sa principale
connotation, qui est religieuse.
Privilégier une religion par l'exposition d'un
symbole donne le sentiment aux élèves des écoles publiques – et notamment aux
enfants de la requérante – que l'Etat adhère à une croyance religieuse
déterminée. Alors que, dans un Etat de droit, nul ne devrait percevoir l'Etat
comme étant plus proche d'une confession religieuse que d'une autre, et surtout
pas les personnes qui sont plus vulnérables en raison de leur jeune âge.
32. Pour la requérante, cette situation a entre
autres pour répercussions une pression indiscutable sur les mineurs et donne le
sentiment que l'Etat est loin de ceux qui ne se reconnaissent pas dans cette
confession. La notion de laïcité signifie que l'Etat doit être neutre et faire
preuve d'équidistance vis-à-vis des religions, car il ne devrait pas être perçu
comme étant plus proche de certains citoyens que d'autres.
L'Etat devrait garantir à tous les citoyens la
liberté de conscience, en commençant par une instruction publique apte à forger
l'autonomie et la liberté de pensée de la personne, dans le respect des droits
garantis par
33. Quant au point de savoir si un enseignant serait
libre d'exposer d'autres symboles religieux dans une salle de classe, la
réponse serait négative, vu l'absence de dispositions le permettant.
b) Le Gouvernement
34. Le Gouvernement observe d'emblée que la question
soulevée par la présente requête sort du cadre proprement juridique pour
empiéter sur le terrain de la philosophie. Il s'agit en effet de déterminer si
la présence d'un symbole qui a une origine et une signification religieuses est
en soi une circonstance de nature à influer sur les libertés individuelles d'une
manière incompatible avec
35. Si la croix est certainement un symbole
religieux, elle revêt d'autres significations. Elle aurait également une
signification éthique, compréhensible et appréciable indépendamment de
l'adhésion à la tradition religieuse ou historique car elle évoque des
principes pouvant être partagés en dehors de la foi chrétienne (non-violence,
égale dignité de tous les être humains, justice et
partage, primauté de l'individu sur le groupe et importance de sa liberté de
choix, séparation du politique du religieux, amour du prochain allant jusqu'au
pardon des ennemis). Certes, les valeurs qui fondent aujourd'hui les sociétés
démocratiques ont aussi leur origine immédiate dans la pensée d'auteurs non
croyants, voire opposés au christianisme. Cependant, la pensée de ces auteurs
serait nourrie de philosophie chrétienne, ne serait-ce qu'en raison de leur
éducation et du milieu culturel dans lequel ils ont été formés et ils vivent.
En conclusion, les valeurs démocratiques d'aujourd'hui plongeraient leurs
racines dans un passé plus lointain, celui du message évangélique. Le message
de la croix serait donc un message humaniste, pouvant être lu de manière
indépendante de sa dimension religieuse, constitué d'un ensemble de principes
et de valeurs formant la base de nos démocraties.
La croix renvoyant à ce message, elle serait
parfaitement compatible avec la laïcité et accessible à des non-chrétiens et
des non-croyants, qui pourraient l'accepter dans la mesure où elle évoquerait
l'origine lointaine de ces principes et de ces valeurs. En conclusion, le
symbole de la croix pouvant être perçu comme dépourvu de signification
religieuse, son exposition dans un lieu public ne constituerait pas en soi une
atteinte aux droits et libertés garantis par
36. Selon le Gouvernement, cette conclusion serait
confortée par l'analyse de la jurisprudence de
En l'espèce, ce n'est pas la liberté d'adhérer ou non
à une religion qui est en jeu, car en Italie cette liberté est pleinement
garantie. Il ne s'agit pas non plus de la liberté de pratiquer une religion ou
de n'en pratiquer aucune ; le crucifix est en effet exposé dans les salles de
classe mais il n'est nullement demandé aux enseignants ou aux élèves de lui
adresser le moindre signe de salut, de révérence ou de simple reconnaissance,
et encore moins de réciter des prières en classe. En fait, il ne leur est même
pas demandé de prêter une quelconque attention au crucifix.
Enfin, la liberté d'éduquer les enfants conformément
aux convictions des parents n'est pas en cause : l'enseignement en Italie est
totalement laïc et pluraliste, les programmes scolaires ne contiennent aucune
allusion à une religion particulière et l'instruction religieuse est
facultative.
37. Se référant à l'arrêt Kjeldsen,
Busk Madsen et Pedersen,
(7 décembre 1976, série A no 23), où
38. Les autorités nationales jouissent d'une grande
marge d'appréciation pour des questions aussi complexes et délicates,
étroitement liées à la culture et à l'histoire. L'exposition d'un symbole
religieux dans des lieux publics n'excéderait pas la marge d'appréciation
laissée aux Etats.
39. Cela serait d'autant plus vrai qu'en Europe il
existe une variété d'attitudes en la matière. A titre d'exemple, en Grèce
toutes les cérémonies civiles et militaires prévoient la présence et la
participation active d'un ministre du culte orthodoxe ; en outre, le Vendredi
Saint, le deuil national serait proclamé et tous les bureaux et commerces
seraient fermés, tout comme en Alsace.
40. Selon le Gouvernement, l'exposition de la croix
ne met pas en cause la laïcité de l'Etat, principe qui est inscrit dans
41. Au demeurant, il n'y a pas de consensus européen
sur la manière d'interpréter concrètement la notion de laïcité, si bien que les
Etats auraient une plus ample marge d'appréciation en la matière. Plus
précisément, s'il existe un consensus européen sur le principe de la laïcité de
l'Etat, il n'y en aurait pas sur ses implications concrètes et sur sa mise en
œuvre. Le Gouvernement demande à
42. Le Gouvernement ne soutient pas qu'il soit
nécessaire, opportun ou souhaitable de maintenir le crucifix dans les salles de
classe, mais le choix de l'y maintenir ou non relèverait du politique et
répondrait donc à des critères d'opportunité, et non pas de légalité. Dans
l'évolution historique du droit interne esquissée par l'intéressée, que le
Gouvernement ne conteste pas, il faudrait comprendre que
43. Quant à savoir si un enseignant serait libre
d'exposer d'autres symboles religieux dans une salle de classe, aucune
disposition ne l'interdirait.
44. En conclusion, le Gouvernement demande à
c) Le tiers intervenant
45. Le Greek Helsinki
Monitor (« le GHM ») conteste les thèses du Gouvernement défendeur.
La croix, et plus encore le crucifix, ne peuvent
qu'être perçus comme des symboles religieux. Le GHM conteste aussi l'affirmation
selon laquelle il faut voir dans la croix autre chose que le symbole religieux
et que la croix est porteuse de valeurs humanistes ; il estime que pareille
position est offensante pour l'Eglise. En outre, le Gouvernement italien
n'aurait pas même indiqué un seul non-chrétien qui
serait d'accord avec cette théorie. Enfin, d'autres religions ne verraient dans
la croix qu'un symbole religieux.
46. Si l'on suit l'argument du Gouvernement selon
lequel l'exposition du crucifix ne demande ni salut, ni attention, il y aurait
lieu de se demander alors pourquoi le crucifix est exposé. L'exposition d'un
tel symbole pourrait être perçue comme la vénération institutionnelle de
celui-ci.
A cet égard, le GHM observe que, selon les principes
directeurs de Tolède sur l'enseignement relatif aux religions et convictions
dans les écoles publiques (Conseil d'experts sur la liber té de religion et de
conviction de l'organisation pour
3. Appréciation de
d) Principes généraux
47. En ce qui concerne l'interprétation de l'article
2 du Protocole no 1, dans l'exercice des fonctions que l'Etat assume
dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement,
(a) Il faut lire les deux phrases de l'article 2 du
Protocole no 1 à la lumière non seulement l'une de l'autre, mais
aussi, notamment, des articles 8, 9 et 10 de
(b) C'est sur le droit fondamental à l'instruction
que se greffe le droit des parents au respect de leurs convictions religieuses
et philosophiques et la première phrase ne distingue, pas plus que la seconde,
entre l'enseignement public et l'enseignement privé. L a
seconde phrase de l'article 2 du Protocole no 1 vise à sauvegarder
la possibilité d'un pluralisme éducatif, essentiel à la préservation de la «
société démocratique » telle que la conçoit
(c) Le respect des convictions des parents doit être
possible dans le cadre d'une éducation capable d'assurer un environnement
scolaire ouvert et favorisant l'inclusion plutôt que l'exclusion,
indépendamment de l'origine sociale des élèves, des croyances religieuses ou de
l'origine ethnique. L'école ne devrait pas être le théâtre d'activités
missionnaires ou de prêche ; elle devrait être un lieu de rencontre de
différentes religions et convictions philosophiques, où les élèves peuvent
acquérir des connaissances sur leurs pensées et traditions respectives.
(d) La seconde phrase de l'article 2 du Protocole no
1 implique que l'Etat, en s'acquittant des fonctions assumées par lui en matière
d'éducation et d'enseignement, veille à ce que les informations ou
connaissances figurant dans les programmes soient diffusées de manière
objective, critique et pluraliste. Elle lui interdit de poursuivre un but
d'endoctrinement qui puisse être considéré comme ne respectant pas les
convictions religieuses et philosophiques des parents. Là se place la limite à
ne pas dépasser.
(e) Le respect des convictions religieuses des
parents et des croyances des enfants implique le droit de croire en une religion
ou de ne croire en aucune religion. La liberté de croire et la liberté de ne
pas croire (la li berté
négative) sont toutes les deux protégées par l'article 9 de
Le devoir de neutralité et d'impartialité de l'Etat
est incompatible avec un quelconque pouvoir d'appréciation de la part de
celui-ci quant à la légitimité des convictions religieuses ou des modalités
d'expression de celles-ci. Dans le contexte de l'enseignement, la neutralité
devrait garantir le pluralisme (Folgero,
précité, § 84).
b) Application de ces principes
48. Pour
49. En appliquant les principes ci-dessus à la
présente affaire,
50. Pour examiner cette question,
51. Le Gouvernement (paragraphes 34-44 ci-dessus)
justifie l'obligation (ou le fait) d'exposer le crucifix en se rapportant au
message moral positif de la foi chrétienne, qui transcende les valeurs
constitutionnelles laïques, au rôle de la religion dans l'histoire italienne
ainsi qu'à l'enracinement de celle-ci dans la tradition du pays. Il attribue au
crucifix une signification neutre et laïque en référence à l'histoire et à la
tradition italiennes, intimement liées au christianisme. Le Gouvernement
soutient que le crucifix est un symbole religieux mais qu'il peut également
représenter d'autres valeurs (voir tribunal administratif de Vénétie, no
1110 du 17 mars 2005, § 16, paragraphe 13 ci-dessus).
De l'avis de
52.
53. La requérante allègue que le symbole heurte ses
convictions et viole le droit de ses enfants de ne pas professer la religion
catholique. Ses convictions atteignent un degré de sérieux et de cohérence
suffisant pour que la présence obligatoire du crucifix pui
sse être raisonnablement comprise par elle comme
étant en conflit avec celles-ci. L'intéressée voit dans l'exposition du
crucifix le signe que l'Etat se range du côté de la religion catholique. Telle
est la signification officiellement retenue dans l'Eglise catholique, qui
attribue au crucifix un message fondamental. Dès lors, l'appréhension de la
requérante n'est pas arbitraire.
54. Les convictions de Mme Lautsi concernent aussi l'impact de l'exposition du crucifix
sur ses enfants (paragraphe 32 ci-dessus), âgés à l'époque de onze et treize
ans.
55. La présence du crucifix peut aisément être
interprétée par des élèves de tous âges comme un signe religieux et ils se
sentiront éduqués dans un environnement scolaire marqué par une religion
donnée. Ce qui peut être encourageant pour certains élèves religieux, peut être
perturbant émotionnellement pour des élèves d'autres religions ou ceux qui ne
professent aucune religion. Ce risque est particulièrement présent chez les
élèves appartenant à des minorités religieuses. La liberté négative n'est pas
limitée à l'absence de services religieux ou d'enseignement religieux. Elle
s'étend aux pratiques et aux symboles exprimant, en particulier ou en général,
une croyance, une religion ou l'athéisme. Ce droit négatif mérite une
protection particulière si c'est l'Etat qui exprime une croyance et si la
personne est placée dans une situation dont elle ne peut se dégager ou
seulement en consentant des efforts et un sacrifice disproportionnés.
56. L'exposition d'un ou plusieurs symboles religieux
ne peut se justifier ni par la demande d'autres parents qui souhaitent une
éducation religieuse conforme à leurs convictions, ni, comme le Gouvernement le
soutient, par la nécessité d'un compromis nécessaire avec les partis politiques
d'inspiration chrétienne. Le respect des convictions de parents en matière
d'éducation doit prendre en compte le respect des convictions des autres
parents. L'Etat est tenu à la neutralité confessionnelle dans le cadre de
l'éducation publique obligatoire où la présence aux cours est requise sans
considération de religion et qui doit chercher à inculquer aux élèves une
pensée critique.
57.
58. Partant, il y a eu violation de l'article 2 du
Protocole no 1 conjointement avec l'article 9 de
II. SUR
59. La requérante soutient que l'ingérence qu'elle a
dénoncée sous l'angle de l'article 9 de
60. Le Gouvernement combat cette thèse.
61.
62. Toutefois, eu égard aux circonstances de
la présente affaire et au raisonnement qui l'a conduite à constater une
violation de l'article 2 du Protocole no 1 combiné avec l'article 9
de
III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE
63. Aux termes de l'article 41 de
« Si
A. Dommage
64. La requérante sollicite le versement d'une somme
d'au moins 10 000 EUR pour préjudice moral.
65. Le Gouvernement estime qu'un constat de violation
serait suffisant. Subsidiairement, il considère que la somme réclamée est
excessive et non étayée et en demande le rejet ou la réduction en équité.
66. Etant donné que le Gouvernement n'a pas déclaré
être prêt à revoir les dispositions régissant la présence du crucifix dans les
salles de classe,
B. Frais et dépens
67. La requérante demande 5 000 EUR pour les frais et
dépens engagés dans la procédure à Strasbourg.
68. Le Gouvernement observe que la requérante n'a pas
étayé sa demande, et suggère le rejet de celle-ci.
69. Selon la jurisprudence d e
C. Intérêts moratoires
70.
PAR CES MOTIFS,
1. Déclare la requête recevable
;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 2
du Protocole no 1 examiné conjointement avec l'article 9 de
3. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner le
grief tiré de l'article 14 pris isolément ou combiné avec l'article 9 de
4. Dit a) que l'Etat défendeur doit verser à
la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu
définitif conformément à l'article 44 § 2 de
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et
jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux
égal à celui de la facilité de prêt marginal de
5. Rejette la demande de satisfaction
équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3
novembre 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Sally Dollé Françoise Tulkens
Greffière Présidente